N°
388
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès verbal de la séance du 7 juin 2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur l'expatriation des jeunes Français ,
Par M.
Jean FRANÇOIS-PONCET,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Philippe François, Jean Huchon, Jean-François Le Grand, Jean-Paul Emorine, Jean-Marc Pastor, Pierre Lefebvre, vice-présidents ; Georges Berchet, Léon Fatous, Louis Moinard, Jean-Pierre Raffarin, secrétaires ; Louis Althapé, Pierre André, Philippe Arnaud, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Jean-Louis Carrère, Gérard César, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Roland Courteau, Charles de Cuttoli, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Christian Demuynck, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Paul Dubrule, Bernard Dussaut , Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge Godard, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain Journet, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Gérard Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis Mercier, Paul Natali, Jean Pépin, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, Jean-Pierre Vial, Henri Weber.
Marché du travail - Travailleurs expatriés . |
|
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Depuis quelques années, les médias se font
régulièrement l'écho de départs massifs de jeunes
cadres et entrepreneurs français à l'étranger, en
particulier vers les pays anglo-saxons.
Le Monde
évoque "
les aventuriers français dans
la
Silicon Valley
"
1(
*
)
,
la Tribune
2(
*
)
titre sur "
l'appel de la
vallée
", le Revenu sur "
les Français de la
Silicon Valley
"
3(
*
)
.
Rares sont les articles sur le sujet qui ne mentionnent pas le chiffre de
40.000 Français installés en Californie, travaillant dans
les secteurs des nouvelles technologies.
La réussite exemplaire de certains de nos compatriotes suscite
admiration mais aussi inquiétude. Ainsi le journal
Les Echos
s'interroge : "
Cerveaux français, entreprises
américaines, pourquoi sont-ils partis aux Etats-Unis ?
Reviendront-ils un jour ?
"
Les Etats-Unis sont souvent évoqués, mais le Royaume-Uni n'est
pas en reste. Les articles sur les entrepreneurs français
implantés à Londres sont légion.
Capital
titre
"
Ces Français qui fuient vers Londres : golden Boys ou
jeunes diplômés, 12.000 de nos compatriotes s'expatrient chaque
année en Grande-Bretagne
"
4(
*
)
,
l'Evénement du jeudi
se
demande si "
le paradis est à l'autre bout du
tunnel
"
5(
*
)
,
Le
Figaro
estime, quant à lui, que "
les
150.000 Français partis faire fortune en Grande-Bretagne sont
souvent des jeunes qui rêvent de créer leur
entreprise
"
6(
*
)
.
L'ampleur du phénomène conduit même certains journalistes
à évoquer une troisième vague d'immigration
française après celles provoquées par la révocation
de l'Edit de Nantes puis par la Révolution française.
Aux dires des médias, cette nouvelle émigration est avant tout le
fait de Français qui ont réussi ou veulent réussir.
Le
Point
énumère les différentes catégories
d'exilés économiques : "
des patrons qui
délocalisent leur entreprise pour fuir des charges trop lourdes, des
particuliers qui mettent leur fortune à l'abri d'un fisc trop gourmand,
mais surtout une génération de jeunes qui, de plus en plus,
s'expatrient pour profiter ailleurs, à Londres, aux Etats-Unis, en Asie,
de miracles économiques prometteurs et échapper aux lourdeurs de
l'emploi et du fisc à la française
. "
7(
*
)
.
A travers le portrait de jeunes entrepreneurs qui ont réussi à
l'étranger, ces articles dressent en contrepoint un réquisitoire
sévère contre l'environnement qui décourage la
création d'entreprise en France. Pour beaucoup, le contexte fiscal et
administratif français explique largement cette nouvelle vague
d'émigration. Le constat semble sans appel : la France perd ses
jeunes entrepreneurs faute de leur offrir un environnement et des perspectives
attractifs.
Loin d'être cantonné à la sphère médiatique,
le sujet a commencé à préoccuper les pouvoirs publics,
même s'ils s'efforcent publiquement d'en minimiser l'ampleur. Plusieurs
études officielles ont, en effet, souligné l'existence d'une
émigration croissante de Français hautement qualifiés
à l'étranger. Ainsi depuis deux ans l'ambassade de France aux
Etats-Unis a diligenté deux enquêtes portant respectivement sur la
"
fuite des cerveaux français aux Etats-Unis
" et la
"
présence française en science et en
ingénierie
". Le ministère des Affaires
étrangères a réalisé une étude sur
l'émigration des jeunes Français. Le poste d'expansion
économique de Londres a élaboré un rapport sur le
"
shopping fiscal au Royaume-Uni
", tandis que
récemment la Direction générale des impôts a rendu
publique une note sur "
les délocalisations de contribuables
personnes physiques
".
Ces informations ne pouvaient manquer d'interpeller votre Commission des
Affaires économiques. Elles ont suscité étonnement et
inquiétude.
Alors que l'on dénonce depuis des décennies le caractère
casanier des Français et la réticence des cadres à
s'expatrier, comment ne pas s'étonner de les voir, du jour au lendemain,
convertis à l'expatriation, au point de regretter aujourd'hui ce que
l'on souhaitait hier ?
L'étonnement cède, cependant, le pas à l'inquiétude
car l'émigration que décrivent ces articles témoigne d'une
moindre compétitivité du territoire national, équivaut
à une fuite des cerveaux telle qu'en a connue l'Angleterre dans les
années cinquante
8(
*
)
et
telle qu'en souffrent certains pays du tiers-monde.
Voir une élite entrepreneuriale, ayant bénéficié de
formations coûteuses financées par la collectivité
nationale, s'installer durablement à l'étranger pour y
créer emplois et richesses ne peut laisser indifférent. On ne
saurait, en effet, accepter, sans réagir, que la France se transforme,
à l'instar de l'Inde, dont près de 30 % des
ingénieurs émigrent définitivement une fois leur formation
achevée
9(
*
)
, en un
réservoir de compétences et de talents où
l'étranger puise les forces nécessaires à son
développement.
Le phénomène serait d'autant plus préoccupant qu'il
concernerait au premier chef des cadres et des entrepreneurs formés aux
nouvelles technologies de l'information. S'il est un secteur stratégique
pour la croissance de demain, un secteur où la capacité à
attirer les meilleurs sera un élément décisif de la
compétitivité des pays, c'est bien celui des nouvelles
technologies de l'information.
Au-delà de l'engouement médiatique et des emballements
spéculatifs qu'elle suscite, la nouvelle économie est le levier
d'une révolution industrielle dont la France, qui dispose de jeunes
ingénieurs d'une qualité mondialement reconnue, doit à
tout prix saisir la dynamique. Elle ne saurait rester, tel l'empire
austro-hongrois de 1913, si bien décrit par Stefan Zweig
10(
*
)
dans " Le monde d'hier ",
satisfaite d'elle-même et ignorante du monde qui se prépare.
S'il était établi que la principale motivation des expatriations
n'est pas l'acquisition d'une expérience internationale, mais la
recherche d'un meilleur environnement culturel, fiscal et administratif, il
faudrait alors en tirer les enseignements qui s'imposent et rendre à
notre territoire l'attractivité qu'il a perdue.
Ces interrogations ont conduit la Commission des Affaires économiques
à créer un Groupe de Travail chargé de mesurer l'ampleur
quantitative et qualitative de l'émigration des jeunes français,
d'en comprendre les motifs, d'en évaluer les conséquences
positives ou négatives pour la collectivité nationale et d'en
tirer les enseignements quant aux moyens de favoriser la création
d'entreprises en France.
Représentatif de l'éventail des formations politiques du
Sénat, le Groupe de Travail a procédé à une
série d'auditions aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
Il a entendu une cinquantaine d'entrepreneurs français expatriés
en Californie, à Washington et à Londres. Il a également
procédé à une trentaine d'auditions d'experts et
d'entrepreneurs installés en France.
Ces entretiens ainsi que les nombreuses données rassemblées par
ailleurs ont enrichi la réflexion du Groupe de Travail et mis en
lumière les facteurs qui influent sur les décisions
professionnelles des jeunes cadres et créateurs d'entreprises et
d'où il n'est pas difficile de déduire les mesures à
prendre pour les inciter à faire carrière en France plutôt
qu'à l'étranger.
CHAPITRE I -
UN PHÉNOMÈNE CROISSANT
DONT
L'ÉVALUATION QUANTITATIVE ET QUALITATIVE
SOULIGNE L'IMPORTANCE
A. UN FLUX MAL RECENSÉ, MAIS DONT L'ACCÉLÉRATION NE FAIT AUCUN DOUTE
Si les
enquêtes journalistiques regorgent d'exemples de jeunes entrepreneurs, de
chercheurs, d'étudiants, d'hommes d'affaires expatriés à
l'étranger, il existe en revanche peu d'études scientifiques sur
le sujet. Le phénomène échappe, en effet, dans une large
mesure, aux recensements établis par les administrations
françaises ou étrangères. Aussi l'évaluation
quantitative et qualitative du phénomène auquel il a
été procédé a-t-elle exigé le recoupement de
nombreuses sources d'informations.
1. Les pouvoirs publics mesurent le nombre de Français
installés à l'étranger à partir des données
recueillies par les postes consulaires
L'immatriculation des Français installés à
l'étranger n'étant pas obligatoire
11(
*
)
, les statistiques des postes
consulaires ne recensent qu'une partie des communautés française
établies hors de France. Aussi a-t-on pris l'habitude de multiplier le
nombre d'immatriculés par un coefficient censé représenter
les non-immatriculés. Etablie dans ces conditions, l'estimation des
communautés françaises ne peut être que très
approximative. Autant dire qu'elle est très peu fiable.
C'est ainsi que le ministère des Affaires étrangères,
à partir des 988.247 immatriculés en 1998 estimait à
1.784.000 le nombre de Français résidant à
l'étranger, contre 1.636.000 en 1995.
Source : Direction des Français de l'étranger,
Ministère des affaires étrangères
Les statistiques du ministère des Affaires étrangères
établis selon cette méthode mettent en évidence une
croissance constante depuis six ans de la présence française dans
le monde. Le nombre des français résidant à
l'étranger s'est, en effet, accru de 9 % depuis 1995, soit
d'environ 150.000 personnes.
Ces chiffres, pour croissants qu'ils soient, restent proportionnellement
nettement inférieurs à ceux d'autres grands pays.
PROPORTION DES RESSORTISSANTS
RÉSIDANT À
L'ÉTRANGER PAR PAYS
|
Nombre de ressortissants à l'étranger |
Population totale |
% de ressortissants résidant à l'étranger |
France |
1 784 000 |
60 900 000 |
2,9 % |
Allemagne |
4 000 000 |
80 000 000 |
5,0 % |
Italie |
6 500 000 |
57 400 000 |
11,3 % |
Japon |
10 000 000 |
126 100 000 |
7,9 % |
Suisse |
800 000 |
6 800 000 |
12,0 % |
Source : " L'expatriation : Les
Français
établis hors de France, acteurs du rayonnement international de notre
pays ", Rapport du Conseil économique et social 1999.
La croissance de la présence française à l'étranger
s'explique essentiellement par une augmentation de l'effectif des
communautés françaises implantées dans les pays
développés. Ces derniers accueillent, en effet, la très
grande majorité des expatriés français. Alors que les
zones correspondant à d'anciennes possessions françaises, telles
que l'Afrique du Nord et l'Afrique francophone, ne comptent plus que 10 %
des Français expatriés, l'Europe en accueille plus de 50 %
et l'Amérique du Nord plus de 20 %.
RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES FRANÇAIS
DE
L'ÉTRANGER AU 31/12/98
Zone géographique |
Nombre d'immatriculés et de dispensés |
Estimation des non immatriculés |
Nombre total estimé |
Part de la zone (en %) |
Europe occidentale |
500 472 |
409 200 |
909 672 |
51,3 % |
dont Royaume Uni |
67 572 |
127 000 |
194 572 |
10,9 % |
Amérique du Nord |
125 615 |
235 300 |
360 915 |
20,3 % |
dont Etats-Unis |
81 985 |
154 800 |
236 785 |
13,0 % |
Afrique francophone |
102 219 |
23 690 |
125 909 |
7,1 % |
Asie-Océanie |
57 709 |
44 210 |
101 919 |
5,7 % |
Proche et Moyen Orient |
69 086 |
22 890 |
91 976 |
5,2 % |
Amérique centrale-sud |
63 856 |
26 060 |
89 916 |
5,1 % |
Afrique du nord |
38 374 |
14 650 |
53 024 |
3,0 % |
Europe de l'Est |
18 902 |
5 870 |
24 772 |
1,4 % |
Afrique non francophone |
12 014 |
4 090 |
16 104 |
0,9 % |
Ensemble |
988 247 |
785 960 |
1 774 207 |
100,0 % |
Source : Direction des français de l'étranger,
Ministère des affaires étrangères
Parmi les pays développés, les pays anglo-saxons apparaissent
depuis une dizaine d'années comme une destination
privilégiée des expatriés. Ils accueillent 24 % des
Français de l'étranger, dont 13 % aux Etats-Unis et
11 % en Grande-Bretagne soit près de 440.000 Français. Le
nombre d'immatriculés dans ces pays connaît en outre depuis cinq
ans une progression importante.
Si ces chiffres sont un premier indice de l'attraction croissante que les pays
anglo-saxons exercent sur les Français, ils ne permettent pas de la
mesurer avec exactitude.
En l'absence de recensement exhaustif, les chiffres fournis par les services
consulaires sont, en effet, très peu fiables. Les coefficients qui
multiplient le nombre d'immatriculés sont arrêtés de
façon intuitive. Ils varient de 3 en Californie, à 2 pour
l'ensemble des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne, et sont proches de 1,5 pour
les villes des pays en voie de développement. Ces variations sont
censées correspondre à la propension de chaque communauté
française à s'immatriculer, telle qu'elle est
évaluée par les Consuls généraux.
Le Consul général de France à Washington considère
par exemple qu'"
aux Etats-Unis, l'importance des distances, le
sentiment de sécurité des Français, qui, pour la plupart
s'intègrent bien dans la société américaine, font
que nombre d'expatriés négligent de s'enregistrer à leur
consulat respectif. Pour obtenir un chiffre global sur l'ensemble du territoire
américain, il faut ainsi multiplier par deux le nombre total
d'immatriculés
12(
*
)
".
Son homologue de Londres souligne que "
le chiffre souvent
avancé d'un nombre de non-immatriculés égal au moins au
double des immatriculés est vraisemblablement en deçà de
la réalité. Les explications à une telle proportion de
non-immatriculés ne peuvent résulter que de conjectures.
Plusieurs facteurs sont à prendre en compte : ici, peut-être
encore plus qu'ailleurs, l'immatriculation auprès du Consulat
Général est perçue comme d'autant moins utile que la
France est très proche et les liaisons
nombreuses et faciles.
L'environnement local renforce ces réactions : le pays, ne
présente pas de risque particulier, les facilités
d'intégration y sont grandes, les formalités administratives
britanniques souvent réduites à un minimum font ressortir
d'autant l'approche " paperassière de la démarche
d'immatriculation
13(
*
)
".
La réticence à s'immatriculer apparaît
particulièrement forte chez les jeunes cadres et les entrepreneurs. La
majorité de ceux que le Groupe de Travail a rencontrés en
Californie ou à Londres n'étaient pas immatriculés. En
rupture avec le système administratif français, ils semblaient
vouloir se tenir à distance des services diplomatiques français.
Certains affirmaient ne pas être immatriculés par
négligence et beaucoup n'y voyaient pas d'intérêt. C'est,
en revanche, moins le cas de ceux qui, s'installant durablement ou, fondant une
famille, souhaitent scolariser leurs enfants dans les établissements
français.
Les jeunes Français qui s'inscrivent sont, en outre, mal
identifiés dans les statistiques consulaires, qui comportent six
catégories socioprofessionnelles grossièrement définies
(agriculteurs/artisans, commerçants et chefs d'entreprise/cadres et
professions intellectuelles/professions
intermédiaires/employés/ouvriers). Les difficultés
à exploiter les données ainsi recensées ont conduit le
Ministère des affaires étrangères à entreprendre
une refonte du logiciel consulaire afin de mieux cerner la composition
socioprofessionnelle des immatriculés et son évolution.
Si les données consulaires ne permettent pas d'établir des
statistiques précises, elles sont révélatrices des grandes
évolutions de la présence française. C'est ainsi que
l'augmentation des immatriculations dans les catégories
socioprofessionnelles regroupant chefs d'entreprise, cadres et professions
intellectuelles donne une idée de l'afflux des jeunes français
qualifiés et des créateurs d'entreprises.
Pour compléter les statistiques consulaires, le Groupe de Travail s'est
également adressé aux postes d'expansion économiques des
ambassades. A travers 166 implantations réparties dans le monde, le
réseau des conseillers du commerce extérieur, et celui des
chambres de commerce franco-étrangères, ainsi que les postes
d'expansion économique ont, en effet, une assez bonne connaissance des
entreprises françaises installées à l'étranger et
de leurs filiales. Mais il est apparu qu'ils n'ont connaissance des
expatriés créant leurs entreprises à l'étranger que
de façon incidente.
Les Français qui choisissent de se délocaliser à
l'étranger pour créer leurs entreprises ne cherchent, en effet,
que rarement le soutien de services dont la vocation est de favoriser les
exportations françaises ou l'implantation de filiales de
sociétés françaises à l'étranger. Le fichier
des filiales françaises ne vise, aux dires des conseillers commerciaux,
que les filiales d'entreprises existant en France et ne concerne pas la
création ex nihilo par une personne physique d'une entreprise à
l'étranger.
2. Les autres sources d'informations permettent d'affiner les
évaluations, mais pas d'établir un recensement exhaustif
Le Groupe de Travail a complété son information, d'une part,
auprès des administrations étrangères des pays accueillant
sur leur territoire des résidants français, d'autre part,
auprès des écoles et des administrations françaises
disposant d'informations sur les départs.
Les sources d'informations étrangères
En ce qui concerne l'installation à l'étranger de Français
qualifiés, rares sont les pays qui disposent ou qui rendent publiques
des données détaillées permettant de suivre ce type de
migrations. Seuls les Etats-Unis, soucieux d'attirer des spécialistes
qualifiés, ont créé à leur intention une
catégorie particulière de visas qui permet d'en mesurer assez
exactement le flux. En revanche dans l'Union européenne, qui assure la
libre circulation des ressortissants des pays membres, ce type de recensement
n'existe pas.
Par ailleurs, les données dont disposent les autorités
étrangères relatives aux créations d'entreprises sont
difficiles à exploiter. Les fichiers constitués à partir
de démarches administratives obligatoires ne prennent pas toujours en
compte la nationalité des créateurs d'entreprises et lorsque les
administrations recensent la nationalité des créateurs, les
données recueillies ne sont pas toujours rendues publiques. Ainsi, en
Grande-Bretagne, le fichier du Company House, qui tient le registre de toutes
les sociétés créées, n'est pas communicable.
Comme le montre l'annexe n° 6, relative aux sources statistiques
disponibles en Grande-Bretagne, un certain nombre d'organismes dispensant des
aides à la création d'entreprises possèdent des
données concernant les entreprises assistées, mais n'ont pas
d'indications relatives aux autres.
Les sources d'informations françaises
Aucune formalité administrative n'étant -heureusement-
imposée aux ressortissants français lors de leur sortie du
territoire, il n'existe aucune statistique sur le départ des
Français à l'étranger, ni sur leurs motivations.
Aussi le Groupe de Travail a interrogé les principales écoles de
commerce et d'ingénieurs afin de mesurer la proportion de jeunes
diplômés de grandes écoles installés à
l'étranger.
Les écoles contactées ne disposent pas, en général,
de statistiques sur leurs diplômés installés à
l'étranger. Les réponses qu'ils ont adressées au Groupe
n'en contenaient pas moins des informations utiles, que complètent
plusieurs études, en particulier un rapport établi par la Chambre
de commerce et d'industrie de Rhône-Alpes
14(
*
)
sur " le départ pour
l'étranger des jeunes diplômés ", ainsi qu'une
enquête effectuée pour le compte du CFME-ACTIM sur " l'emploi
à l'international " des 18-25 ans
15(
*
)
, et une étude qualitative de la
Direction des Français de l'étranger du Ministère des
Affaires étrangères sur " l'émigration des jeunes
Français "
16(
*
)
.
En ce qui concerne les entreprises françaises implantées à
l'étranger, le recensement le plus exhaustif est celui établi par
la Banque de France et le Ministère de l'économie et des finances
dans le cadre de l'élaboration des statistiques annuelles sur la
position extérieure de la France. Ces travaux permettent de mesurer
l'évolution des flux et des stocks d'investissements des entreprises
françaises à l'étranger. Mais ils ne concernent ni les
investissements des personnes physiques, ni ceux des petites
entreprises
17(
*
)
.
Les délocalisations de personnes physiques et celles de leur patrimoine
professionnel apparaissent, en revanche, dans les fichiers des administrations
fiscales, du fait des déclarations obligatoires, liées aux
transferts d'épargne à l'étranger. Comme le souligne le
dernier rapport du Conseil des impôts sur la fiscalité des revenus
de l'épargne "
l'administration française dispose de
puissants moyens internes de contrôle sur les transferts d'épargne
à l'étranger
"
18(
*
)
.
En effet, depuis la levée du contrôle des changes, le 1er janvier
1990, la France a instauré, dans le cadre de la loi de finances pour
1990, deux types d'obligations pour les résidents français :
- une obligation de déclaration des transferts de fonds à
l'étranger : tout particulier qui transfère des fonds vers
l'étranger ou en provenance de l'étranger, pour un montant
supérieur à 50.000 F, sans l'intermédiaire d'un
organisme soumis à la loi bancaire, doit en faire la déclaration
(article 1649 quater A du Code Général des Impôts),
auprès du service des douanes à la frontière.
- une obligation de déclaration concernant les comptes bancaires
ouverts à l'étranger. Les contribuables fiscalement
domiciliés en France doivent déclarer les
références des comptes ouverts, utilisés ou clos à
l'étranger depuis le 1er janvier 1990.
En outre les fichiers établis sur la base des déclarations
d'impôt sur le revenu et sur la fortune mettent l'administration fiscale
en possession d'estimations précises concernant les contribuables qui
s'expatrient.
L'administration fiscale s'est, jusqu'à très récemment,
refusée à communiquer les indications dont elle dispose.
Toutefois, l'augmentation du nombre des délocalisations de patrimoines,
notamment des biens professionnels, relevée par les médias et les
banques d'affaires rendait cette position difficilement tenable. Elle
l'était d'autant moins que l'amplification du phénomène
conduisait le Ministère des Finances à inscrire dans la loi de
finances pour 1999, l'instauration d'une majoration des plus-values latentes ou
du report d'imposition -dite " exit tax "- lorsqu'un contribuable
transfère son domicile hors de France, l'objectif poursuivi étant
de freiner les délocalisations de patrimoines professionnels
19(
*
)
. Ainsi, dans le cadre du débat
sur les " stocks options ", la Direction générale des
impôts vient-elle de rendre public une première étude sur
les délocalisations de contribuables personnes physiques
20(
*
)
.
On ne peut que se féliciter de cet effort de transparence et regretter
qu'il soit si tardif et si partiel. En effet, les données
communiquées par le Ministère des Finances ne concernent que les
personnes redevables de l'impôt sur la fortune qui quittent le
territoire. Elles ne prennent pas en compte la délocalisation des
patrimoines non assujettis à l'ISF (les biens professionnels), ni les
personnes quittant le territoire sans être assujettis à l'ISF. Ces
données donnent néanmoins une première idée de
l'ampleur des délocalisations liées à la fiscalité
des revenus et du patrimoine.
3. Le recoupement des différentes informations disponibles fait
apparaître une accélération récente du
phénomène de l'émigration
L'accroissement du nombre des immatriculés -plus de 30 % à
Londres, San Francisco, Chicago ou Atlanta depuis cinq ans- traduit clairement,
bien qu'incomplètement, l'accélération de
l'émigration française vers les pays anglo-saxons.
ÉVOLUTION DU NOMBRE D'IMMATRICULÉS DEPUIS CINQ
ANS
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
Evolution |
Atlanta |
1 994 |
2 356 |
2 565 |
2 661 |
3 056 |
+ 53 % |
Chicago |
4 186 |
5 082 |
7 352 |
7 708 |
8 076 |
+ 93 % |
San Francisco |
10 693 |
12 089 |
13 850 |
14 590 |
15 411 |
+ 44 % |
Londres |
48 767 |
54 466 |
60 049 |
64 642 |
65 068 |
+ 33 % |
Source : Direction des Français de
l'étranger,
Ministère des Affaires étrangères
L'enquête effectuée par le Ministère des Affaires
Etrangères en 1998 sur l'émigration des jeunes Français
dans une dizaine de circonscriptions consulaires (Londres, Melbourne, New York,
San Francisco, Barcelone, Sydney, Los Angeles, Montréal, Québec
et Washington.) confirme cette tendance.
Etablie à partir de différents éléments
(inscriptions à des associations de jeunes, demandes de stage, nombre de
demandeurs d'emploi enregistrés par les consulats, candidatures de CSNE,
scolarisation d'enfants dans les écoles du réseau
français, informations transmises par les services locaux
d'immigration), cette étude indique que "
Tous les postes
interrogés soulignent un accroissement des flux de jeunes
Français surtout depuis deux ou trois ans. Le cas de la Grande-Bretagne,
où l'on constate un véritable engouement depuis trois ans, est le
plus spectaculaire. Nos postes consulaires aux Etats-Unis, au Canada, à
Singapour ou en Australie, signalent la même tendance à
l'augmentation des flux de jeunes Français
"
21(
*
)
.
Le dynamisme et la souplesse du marché de l'emploi britannique, une
forte croissance économique et une proximité géographique
renforcée par le développement des communications ont fait de la
Grande-Bretagne une destination privilégiée pour les candidats
à l'expatriation. La progression de 33 % du nombre des
immatriculés en cinq ans est d'autant plus remarquable que celle des
immatriculés dans l'ensemble de l'Europe occidentale n'a
été, pendant la même période, que de 11,3 %.
L'augmentation continue de la communauté française établie
à Londres (+3,65 % en 1994, +6,3 % en 1995, +11,7 % en
1996 et +10,2 % en 1997, +8 % en 1998) explique que celle-ci soit
devenue par sa taille la deuxième circonscription consulaire du monde.
Cette croissance récente du nombre des Français qui s'installent
en Grande-Bretagne (seulement 16 % des immatriculés y
résident depuis dix ans) explique pourquoi la présence
française au Royaume-Uni est devenue, depuis trois ans, un sujet
régulièrement abordé par la presse anglaise, qui fait de
plus en plus souvent référence à une " gallic
invasion ". Ainsi le Times du 2 février 2000 titrait deux
articles "
Why Britain is chosen for French
invasion
"
22(
*
)
et
"
Internet fosters a Gallic invasion
"
23(
*
)
, tandis le Financial Times
évoquait dans son édition du 23 février les
"
French entrepreneurs lured by a spirit of
laissez-faire
"
24(
*
)
.
Une partie des jeunes Français viennent en Angleterre, à la
recherche de " petits boulots ", attirés par la
fluidité du marché du travail britannique. Le marché du
travail est, en effet, depuis une dizaine d'années, très
nettement plus favorable outre-Manche où le taux de chômage est
passé de 10,4 % en 1987, à 7,1 %, alors qu'il passait
en France
25(
*
)
dans le même
temps de 10,5 % à 12,4 %.
Mais le phénomène le plus caractéristique est l'afflux
d'arrivants très qualifiés, dans les secteurs liés
à la finance où aux nouvelles technologies de l'information. Le
poids et la réputation de la City, l'avance prise par la Grande-Bretagne
en matière de nouvelles technologies sont des facteurs d'attraction
importants dans des secteurs où la Grande-Bretagne accueille volontiers
les diplômés de l'enseignement supérieur français.
Comme le souligne le conseiller économique de l'Ambassade
"
l'augmentation de la présence économique
française sous diverses formes (capitaux, entreprises, personnes) au
cours des dernières années est donc un phénomène
incontestable
"
26(
*
)
.
L'accélération du phénomène est tout aussi sensible
aux Etats-Unis, où la croissance de la communauté
française est très élevée dans certaines
régions. Les postes consulaires recensant le plus grand nombre
d'immatriculés sont New York, San Francisco et Los Angeles, avec,
respectivement, 19.000, 13.959 et 11.825 immatriculés. Or ces
postes ont connu de forts accroissements de leur nombre
d'immatriculations : plus 30 % en deux ans pour San Francisco et plus
15 % en cinq ans pour New York.
Un rapport sur la " fuite des cerveaux français aux
Etats-Unis ", diligenté par l'ambassade de France aux Etats-Unis,
constate, en outre, qu'au-delà des statistiques officielles,
"
les contacts quotidiens des consulats avec la communauté
française ainsi qu'avec certains autres interlocuteurs (écoles,
associations, amicales de grandes écoles) permettent de confirmer un
réel accroissement du flux d'entrée des Français,
notamment très qualifiés. Ainsi le consulat général
de New York note une progression très nette des demandes de stage, avec
la volonté clairement affichée de rester au-delà du stage,
tant auprès des associations d'anciens élèves que
directement auprès des entreprises
"
27(
*
)
.
Les chiffres fournis par l'Immigration and Naturalization Service et le Bureau
du Département d'Etat américain confirment l'augmentation
sensible du flux de Français hautement qualifiés arrivant aux
Etats-Unis. On observe entre 1990 à 1996 un accroissement de plus de
60 % du nombre de Français entrant aux Etats-Unis avec un visa
délivré en raison de leur compétence professionnelle.
L'ensemble de ces données donnent à penser que nous sommes en
présence d'une véritable vague d'émigration en direction
de ces pays. Les statistiques rejoignent ici le sentiment exprimé par
les communautés françaises rencontrées. Qu'ils soient
étudiants, chefs d'entreprise, chercheurs dans une université
étrangère, cadre dans une entreprise américaine ou dans
une filiale d'une entreprise française, les expatriés
rencontrés à Washington, San Francisco et Londres sont formels :
les communautés françaises dans les pays où ils vivent ne
cessent de s'accroître et concernent, pour l'essentiel, des personnes
hautement qualifiés.