N°
366
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès verbal de la séance du 30 mai 2000
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au
nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du Règlement et d'administration
générale (1) à la suite des
missions
effectuées en
Guyane
,
Martinique
et
Guadeloupe
du 12 au
23 septembre 1999 et à
la
Réunion
du 12 au 15 janvier
2000,
Par MM.
Jacques LARCHÉ, José BALARELLO, Robert BRET, Luc DEJOIE, Mme
Dinah DERYCKE, MM. Jean-Jacques HYEST, Pierre JARLIER, Lucien LANIER, Georges
OTHILY et Simon SUTOUR,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Robert Bret, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Edmond Lauret, Claude Lise, François Marc, Bernard Murat, Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.
Départements d'outre-mer.
Mesdames, Messieurs,
Votre commission des Lois a toujours manifesté un intérêt
particulièrement marqué pour l'outre-mer.
Aussi a-t-elle tenu, dans la perspective de la discussion du projet de loi
d'orientation relatif aux départements d'outre-mer annoncé de
longue date par le Gouvernement, à préparer l'examen de ce texte
important en effectuant deux missions destinées à
apprécier sur place la réalité et la diversité de
la situation des quatre départements d'outre-mer et à mieux
connaître les aspirations actuelles des populations concernées.
La première de ces missions, qui s'est déroulée du 12 au
23 septembre 1999, s'est rendue dans les départements
français d'Amérique, visitant successivement la Guyane, la
Martinique, la Guadeloupe, ainsi que les îles de Saint-Martin et de
Saint-Barthélémy qui sont rattachées à ce dernier
département. Conduite par le président Jacques Larché,
elle était composée de M. José Balarello, rapporteur pour
avis du budget des départements d'outre-mer, M. Robert Bret, Mme Dinah
Derycke, M. Pierre Jarlier, M. Lucien Lanier et M. Georges Othily.
La seconde mission s'est déplacée à la Réunion du
12 au 15 janvier 2000
1(
*
)
.
Présidée par M. José Balarello, elle comprenait MM.
Luc Dejoie, Michel Duffour, Jean-Jacques Hyest, Georges Othily et Simon Sutour.
Ces deux missions, dans le cadre des compétences de la commission des
Lois, ont permis à leurs membres de rencontrer de nombreux élus
locaux : parlementaires, présidents de conseil régional et
conseillers régionaux, présidents de conseil
général et conseillers généraux,
représentants des maires, ainsi que des représentants des
organismes socioprofessionnels et des magistrats
2(
*
)
.
Les participants à ces missions tiennent à remercier vivement
l'ensemble des personnalités rencontrées pour la qualité
et la chaleur de leur accueil et pour les précieuses informations
qu'elles leur ont apportées.
A la lumière des informations ainsi recueillies, les deux missions ont
permis de constater, au-delà d'un cadre institutionnel unique et de
difficultés économiques communes, une grande diversité des
situations locales.
Aussi n'est-il pas surprenant que l'analyse des multiples propositions qui leur
ont été présentées fasse ressortir le souhait
général d'une plus grande autonomie et d'une évolution
différenciée adaptée à la situation de chaque
département, chacun s'accordant par ailleurs à conférer
une priorité au développement économique, dépassant
les aspirations à des réformes institutionnelles.
I. LE CONSTAT : AU-DELÀ D'UN CADRE INSTITUTIONNEL UNIQUE ET DE DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES COMMUNES, UNE GRANDE DIVERSITÉ DES SITUATIONS LOCALES
Si les quatre départements d'outre-mer s'inscrivent aujourd'hui dans le même cadre institutionnel et connaissent des difficultés économiques et sociales largement semblables, ces traits communs ne doivent pas dissimuler une grande diversité des situations locales.
A. UN CADRE INSTITUTIONNEL UNIQUE
La Guyane, la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion relèvent aujourd'hui du statut commun de département d'outre-mer défini par l'article 73 de la Constitution. Ces départements d'outre-mer sont intégrés à l'Union européenne au sein de laquelle ils constituent des régions ultrapériphériques au sens de l'article 299-2 du Traité d'Amsterdam.
1. Au sein de la République : le statut de département d'outre-mer
La
Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et la Guyane, où la France
est présente depuis la première moitié du XVIIè
siècle, constituaient les quatre plus vieilles colonies
françaises.
Sous la III
ème
République, elles
bénéficiaient déjà d'un statut
préférentiel fondé sur l'idée d'une plus grande
proximité sur le plan culturel et administratif ; en particulier,
le suffrage universel y avait été institué dans les
mêmes conditions qu'en métropole et elles étaient
représentées au Parlement ; toutefois, une
législation spéciale leur était appliquée.
Après la deuxième guerre mondiale, l'évolution de leur
statut dans le sens de l'assimilation a débouché sur la
loi de
départementalisation du 19 mars 1946
qui a érigé
en départements français les " quatre vieilles
colonies "
3(
*
)
. En
application du principe dit de "
l'assimilation
législative
", ces départements ont dès lors
été soumis aux dispositions de droit commun applicables en
métropole, l'article 73 de la Constitution de la IVème
République ayant précisé que "
Le régime
législatif des départements d'outre-mer est le même que
celui des départements métropolitains, sauf exceptions
déterminées par la loi
".
C'est aujourd'hui
l'article 73 de la Constitution
de la
Vème République qui définit le statut constitutionnel
des départements d'outre-mer : aux termes de cet article,
"
Le régime législatif et l'organisation administrative
des départements d'outre-mer peuvent faire l'objet de mesures
d'adaptation nécessitées par leur situation
particulière
". Il s'agit donc de départements de droit
commun, sous réserve des adaptations prévues par cet article. Les
lois métropolitaines y sont applicables de plein droit sans qu'une
mention expresse d'extension ne soit nécessaire, à la
différence des territoires d'outre-mer, de la Nouvelle-Calédonie
ou de la collectivité territoriale de Mayotte qui sont pour leur part
soumis au principe dit de "
la spécialité
législative
".
L'interprétation de l'article 73 de la Constitution par la
jurisprudence du Conseil constitutionnel
a d'ailleurs limité la
portée des mesures d'adaptation susceptibles d'être prévues
en faveur des départements d'outre-mer.
Dans sa
décision n° 82-147 DC du
2 décembre 1982
, le Conseil constitutionnel
considère, à la lecture des dispositions combinées des
articles 72
4(
*
)
et 73 de la
Constitution, que "
le statut des départements d'outre-mer doit
être le même que celui des départements
métropolitains sous la seule réserve des mesures d'adaptation que
peut rendre nécessaire la situation particulière de ces
départements d'outre-mer ; que ces adaptations ne sauraient avoir
pour effet de conférer aux départements d'outre-mer une
" organisation particulière ", prévue par
l'article 74 de la Constitution pour les seuls territoires
d'outre-mer
"
.
En conséquence de ce principe, le Conseil constitutionnel a
déclaré non conforme à la Constitution la loi portant
adaptation de la loi n° 82-213 du 23 mars 1982 relative aux
droits et libertés des communes, des départements et des
régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la
Martinique et à la Réunion, qui tendait à y instituer une
assemblée unique, élue à la proportionnelle, pour le
département et la région. Cette décision était
motivée par le considérant suivant : "
en confiant
la gestion des départements d'outre-mer à une assemblée
qui, contrairement au conseil général des départements
métropolitains en l'état actuel de la législation,
n'assure pas la représentation des composantes territoriales du
département, la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel
confère à cette assemblée une nature différente de
celle des conseils généraux ; qu'ainsi ces dispositions vont
au-delà des mesures d'adaptation que l'article 73 de la
Constitution autorise en ce qui concerne l'organisation des départements
d'outre-mer.
"
C'est donc pour prendre acte de cette décision qu'ont été
instituées, par la loi du 31 décembre 1982, des
régions monodépartementales dans les départements
d'outre-mer.
Le Conseil constitutionnel s'est par la suite prononcé sur la question
de la répartition des compétences entre les différentes
collectivités territoriales des départements d'outre-mer,
à l'occasion de l'examen de la loi relative aux compétences des
régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de Réunion. Il
a précisé ainsi dans sa
décision n° 84-174 DC du
25 juillet 1984
qu' "
à condition que soit
respecté le régime propre à chacune de ces
collectivités territoriales, la loi peut, sans méconnaître
l'article 72 de la Constitution, définir les compétences des
régions de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique et de la Réunion,
créées par la loi du 31 décembre 1982 ;
qu'elle peut donc prévoir des mesures d'adaptation susceptibles de se
traduire par un aménagement limité des compétences des
régions et des départements d'outre-mer par rapport aux autres
régions et départements, sans pour autant
méconnaître le principe d'égalité posé par
l'article 2, 1
er
alinéa, de la Constitution, qui
n'interdit pas l'application de règles différentes à des
situations non-identiques
".
Il a toutefois interdit le transfert de compétences exercées en
métropole par le département à la région lorsque
les attributions en cause concernent "
les diverses composantes
territoriales dont le département est représentatif
"
(en l'espèce, il s'agissait d'une part, des transports intérieurs
et d'autre part, de l'habitat). Il a en outre censuré une disposition
qui prévoyait la suppression de l'obligation de consulter les communes
des départements d'outre-mer dans le processus de planification
régionale, en relevant que ces communes se seraient ainsi
trouvées privées d'une garantie accordée à
l'ensemble des communes de métropole sans que cette mesure d'adaptation
soit nécessitée par leur situation particulière.
Le Conseil constitutionnel n'admet donc que des "
aménagements
limités
" à la répartition des compétences
entre les différentes collectivités territoriales
prévalant en métropole.
En conséquence de cette jurisprudence, la Guadeloupe, la Guyane, la
Martinique et la Réunion constituent aujourd'hui des
régions
monodépartementales
dotées de deux assemblées
distinctes : le conseil régional et le conseil
général, avec chacune leur exécutif en la personne de leur
président. Outre la lourdeur de la superposition de deux administrations
différentes, les problèmes liés à la
répartition des compétences que l'on peut constater en
métropole se trouvent donc avivés par la coexistence d'un
département et d'une région sur un même territoire,
d'autant que les régions d'outre-mer bénéficient de
compétences plus étendues que celle de métropole,
notamment en matière de développement et d'aménagement et
en matière financière (réglementation de l'assiette, du
taux et des exonérations de l'octroi de mer, avec la possibilité
d'instituer un droit additionnel au profit de la région ; fixation
du taux de la taxe spéciale de consommation des produits
pétroliers).
Le rapport établi à la demande du Premier ministre par
MM. Claude Lise, sénateur de la Martinique, et
Michel Tamaya, député de la Réunion
5(
*
)
fait ainsi état
d' "
un enchevêtrement dommageable des
compétences
", évoquant notamment des situations
d'interventions concurrentes dans le domaine de la pêche, de
l'environnement et de la protection du patrimoine, de l'habitat ou encore des
aides économiques.
2. Au sein de l'Union européenne : le statut de région ultrapériphérique
L'intégration des départements d'outre-mer
français au territoire communautaire avait été reconnue
par le traité de Rome dont l'article 227-2 distinguait les domaines
dans lesquels le droit communautaire leur était immédiatement
applicable
6(
*
)
de ceux dans
lesquels son application serait différée à l'issue d'une
période transitoire de deux ans, précisant en outre que les
institutions communautaires devraient veiller "
à permettre le
développement économique et social de ces
régions
".
Ces dispositions avaient été précisées par la
jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes
qui avait affirmé dans un arrêt " Hansen " du
10 octobre 1978 "
que le statut des départements
d'outre-mer dans la Communauté est défini, en première
ligne, par référence à la Constitution française,
aux termes de laquelle... les départements d'outre-mer font partie
intégrante de la République
", en déduisant que
"
les dispositions du traité et du droit dérivé
doivent donc s'appliquer de plein droit aux départements d'outre-mer en
tant qu'ils font partie intégrante de la République
française, étant cependant entendu qu'il reste toujours possible
de prévoir ultérieurement des mesures spécifiques en vue
de répondre aux besoins de ces territoires
".
Par la suite, les arrêts " Legros " du
16 juillet 1992 et " Lancry " du 9 août 1994 ont
toutefois restreint la possibilité de prévoir des mesures
d'adaptation au bénéfice des départements d'outre-mer aux
seules matières dont l'article 227-2 du Traité de Rome
n'avait pas prévu l'application immédiate dans ces
départements, ce qui remettait en cause certains dispositifs
dérogatoires favorables (tels que notamment l'octroi de mer).
Le traité d'Amsterdam a cependant mis fin à cette incertitude
juridique en confortant la spécificité du régime
applicable aux départements d'outre-mer. De même que les
territoires espagnols et portugais des îles Canaries, des Açores
et de Madère, les départements français d'outre-mer
bénéficient désormais du statut de
régions
ultrapériphériques
défini par l'
article 299-2
du traité d'Amsterdam
(se substituant à l'ancien
article 227-2 du Traité de Rome) dont la rédaction est la
suivante :
"
Les dispositions du présent traité sont applicables aux
départements français d'outre-mer
, aux Açores,
à Madère et aux îles Canaries.
"
Toutefois, compte tenu de la situation économique et sociale
structurelle des départements français d'outre-mer, des
Açores, de Madère et des îles Canaries, qui est
aggravée par leur éloignement, l'insularité, leur faible
superficie, le relief et le climat difficile, leur dépendance
économique vis-à-vis d'un petit nombre de produits, facteurs dont
la permanence et la combinaison nuisent gravement à leur
développement, le Conseil, statuant à la majorité
qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation
du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques
visant, en particulier, à fixer les conditions de l'application du
présent traité à ces régions, y compris les
politiques communes.
" Le Conseil, en arrêtant les mesures visées au
deuxième alinéa, tient compte des domaines tels que les
politiques douanières et commerciales, la politique fiscale, les zones
franches, les politiques dans les domaines de l'agriculture et de la
pêche, les conditions d'approvisionnement en matières
premières et en biens de consommation de première
nécessité, les aides d'Etat, et les conditions d'accès aux
fonds structurels et aux programmes horizontaux de la Communauté.
" Le Conseil arrête les mesures visées au deuxième
alinéa en tenant compte des caractéristiques et contraintes
particulières des régions ultrapériphériques sans
nuire à l'intégrité et à la cohérence de
l'ordre juridique communautaire, y compris le marché intérieur et
les politiques communes
".
Le nouveau traité reconnaît donc clairement les handicaps
structurels qui frappent ces régions ultrapériphériques
et, en conséquence, la possibilité d'adopter des
"
mesures spécifiques
" en leur faveur, cette
possibilité d'adaptation s'étendant à l'ensemble des
matières couvertes par le traité.
Ce nouveau régime juridique consolide les apports de
l'intégration à l'Union européenne des départements
d'outre-mer, qui bénéficient de régimes d'aide
communautaire spécifiques, ainsi que de crédits importants au
titre des fonds structurels européens.
Les régimes d'aide spécifiques s'inscrivent pour l'essentiel dans
le cadre du
programme POSEIDOM
(programme d'options spécifiques
à l'éloignement et à l'insularité des DOM) qui
comporte un volet agricole (avec notamment des mesures de soutien aux secteurs
traditionnels de la banane et de la filière canne-sucre-rhum), un volet
pêche et un volet fiscal (adaptation de la fiscalité indirecte,
régime spécial de l'octroi de mer
7(
*
)
).
En outre, les départements d'outre-mer ont accès, comme les
autres régions européennes, aux crédits distribués
par les différents
fonds structurels
: Fonds européen
de développement régional (FEDER), Fonds social européen
(FSE), Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA),
Instrument financier d'orientation pour la pêche (IFOP).
Ces crédits sont regroupés depuis 1994 dans un document unique de
programmation, dit DOCUP. S'y ajoutent les programmes d'initiative
communautaire (dont le programme Régis II en faveur des
régions isolées).
Eligibles à l'objectif 1 qui s'adresse aux régions dans
lesquelles le PIB par habitant est inférieur à 75 % de la
moyenne communautaire, les départements d'outre-mer
bénéficient de sommes très importantes au titre de ces
financements communautaires.
Le montant global des fonds ainsi alloués aux départements
d'outre-mer s'est élevé à près de 12 milliards
de francs pour la période 1994-1999.
Pour la période 2000-2006
, au cours de laquelle les quatre
départements d'outre-mer resteront les seules régions
françaises éligibles à l'objectif 1, cette enveloppe
sera considérablement accrue puisqu'elle atteindra plus de
23 milliards de francs
.
Il s'agit donc là d'un
atout majeur pour le développement
économique des DOM
au cours des prochaines années, alors que
ceux-ci connaissent actuellement de graves difficultés
économiques et sociales.