II. LES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

A. LE CONSEIL (Rapporteur : M. Aymeri de Montesquiou)

a) Communication

Si la Conférence intergouvernementale d'Amsterdam n'a pas réussi à réformer les institutions de l'Union, elle a du moins établi un lien entre élargissement de l'Union et réforme des institutions. Le Conseil européen de Cologne (3 et 4 juin 1999) a indiqué que la Conférence intergouvernementale qui doit, en 2000, régler ce problème, devait se concentrer sur le " reliquat d'Amsterdam " : nombre de membres de la Commission, pondérations des votes au Conseil, extension du domaine de la majorité qualifiée.

On voit que le Conseil tient une place importante dans ce programme, et cette place est justifiée. Aujourd'hui, à quinze, le Conseil fonctionne difficilement. La perspective de l'adhésion de douze nouveaux pays rend nécessaire une évolution, d'autant que le Conseil reste le pivot des institutions européennes. Il est en effet la seule institution à disposer d'un pouvoir de décision pour les trois " piliers " de l'Union (dans les deuxième et troisième " piliers ", les pouvoirs de la Commission et du Parlement européen sont en effet relativement réduits).

Le rôle du Conseil est donc fondamental sur le plan politique. Or, il me semble que la finalité de l'Union est appelée à devenir de plus en plus politique. A l'origine, la Communauté était un traité de commerce, et c'est d'abord dans le domaine économique que s'est affirmée une identité européenne. Mais nous voyons bien, aujourd'hui, que les échanges sont marqués par un fort mouvement de mondialisation et que, sous l'égide de l'OMC, les barrières commerciales ont tendance à se réduire considérablement. Cela n'ôte nullement son utilité à la construction communautaire, qui permet aux Européens de dégager des positions communes et d'avoir plus de poids dans les négociations. Cependant, dans un tel contexte, l'Europe tirera de moins en moins sa consistance du domaine économique et commercial. Les aspects politiques joueront donc un plus grand rôle pour cimenter l'Union.

Dans cette optique, il est nécessaire que le Conseil -institution politique essentielle de l'Union- préserve et même améliore son efficacité, et qu'il conserve sa capacité de décision au-delà de l'élargissement.

A cet égard, trois principaux problèmes se posent :

- tout d'abord, celui de la pondération des votes, c'est-à-dire du nombre de voix dont dispose chaque Etat membre au sein du Conseil ;

- ensuite, celui de la majorité qualifiée : pour que le Conseil décide plus facilement, il faut manifestement réduire autant que possible le nombre de cas où l'unanimité est nécessaire. Dans le même ordre d'idées, se pose le problème du seuil de la majorité qualifiée : actuellement pour atteindre la majorité qualifiée, il faut 71 % des voix ; abaisser ce seuil permettrait de prendre plus facilement des décisions ;

- enfin, dernier point, le fonctionnement actuel du Conseil fait problème : il est devenu une institution très lourde, dont les travaux sont mal coordonnés. Ce problème nous concerne moins directement, car certaines évolutions pourraient se faire sans modifier les traités, mais c'est un aspect qu'on ne peut néanmoins passer sous silence.

*

Sur la pondération des votes, je rappelle que la situation actuelle est la suivante :

- l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni ont chacun 10 voix ;

- l'Espagne a 8 voix ;

- la Belgique, la Grèce, les Pays-Bas, le Portugal ont chacun 5 voix ;

- l'Autriche et la Suède ont chacune 4 voix ;

- le Danemark, l'Irlande et la Finlande ont chacun 3 voix ;

- le Luxembourg a 2 voix.

Le total des voix est de 87. Le seuil de la majorité qualifiée est fixé à 62 voix (soit environ 71 % des voix) ; la minorité de blocage est donc de 26 voix.

La principale raison de revoir la pondération actuelle est le risque de voir, avec l'élargissement, se dégrader la capacité de décision et même la légitimité du Conseil.

Les Etats membres de l'Union sont très inégaux sur le plan démographique et peuvent être répartis en deux groupes :

- le groupe des " grands " Etats, qui comprend un pays d'environ 40 millions d'habitants, l'Espagne, trois pays d'environ 60 millions d'habitants (France, Italie, Grande-Bretagne) et un pays d'à peu près 80 millions d'habitants, l'Allemagne ;

- le groupe des " petits " Etats, au nombre de 10, dont la population va de 400.000 habitants (Luxembourg) à environ 15 millions (Pays-Bas).

Depuis les débuts de la Communauté, il a toujours été admis que cette situation devait conduire à une certaine sur-représentation des " petits " Etats. L'application d'un critère purement démographique aboutirait en effet à une domination des " grands " Etats qui, à eux cinq, rassemblent 294 millions d'habitants, c'est-à-dire les quatre cinquièmes de la population de l'Union à Quinze.

Seulement, à mesure de ses élargissements, l'Union a compté de plus en plus de " petits " Etats membres : la sous-représentation des " grands " Etats est donc allée en s'accentuant. Ainsi, les trois plus grands Etats, qui représentent ensemble plus de 53 % de la population de l'Union, ont moins de 35 % des droits de vote.

Or, l'élargissement à l'Est va nécessairement aggraver ce phénomène : en effet, sur les douze pays candidats, un seul, la Pologne, est un " grand " Etat. Si l'on ne modifie pas les règles actuelles de pondération, l'on obtiendra, à l'issue du processus d'élargissement, une Union de vingt-sept Etats où six " grands " Etats, avec 71 % de la population, auront 42 % des droits de vote, tandis qu'une coalition de douze " petits " Etats pourra constituer une minorité de blocage tout en rassemblant seulement 10,5 % de la population de l'Union.

La sur-représentation accrue des " petits " Etats que va entraîner l'élargissement à l'Est posera également un problème de légitimité de la décision budgétaire. En effet, les futurs adhérents verseront peu au budget communautaire et en recevront beaucoup, tout en disposant ensemble d'un grand nombre de voix si l'on conserve les règles actuelles de pondération. Avec ces règles, les futurs adhérents, qui ont au total 106 millions d'habitants et représentent une faible capacité contributive, auront 45 voix, alors que les quatre plus grands Etats parmi les membres actuels, qui ont ensemble 255 millions d'habitants et assurent 75 % des recettes du budget communautaire, n'auront que 40 voix.

Quelle réforme peut-on envisager ?

On doit souligner, tout d'abord, qu'on ne peut espérer corriger les disparités extrêmes que je viens d'évoquer, seulement les atténuer. La pondération au sein du Conseil est un compromis qui ne peut être modifié qu'à l'unanimité. Les " petits " Etats admettent aujourd'hui que, dans l'optique de l'élargissement, une évolution est inévitable : ils ne sont pas prêts, pour autant, à accepter une modification très sensible de l'équilibre entre " grands " et " petits " Etats. Notre objectif doit être plutôt d'empêcher que l'élargissement ne dégrade encore l'équilibre entre " grands " et " petits " ; l'idéal -mais c'est un idéal sans doute hors d'atteinte- serait de retrouver, et de pérenniser, l'équilibre qui existait dans l'Europe des Douze, car le passage de douze à quinze membre a déjà sensiblement fait pencher la balance au détriment des " grands ".

Une première solution possible serait le système de la " double majorité ".

Lors de la précédente Conférence intergouvernementale, la présidence néerlandaise avait étudié une telle formule qui consiste à ajouter une condition de majorité démographique pour les décisions du Conseil.

Dans le système envisagé par la présidence néerlandaise, la pondération actuelle était conservée et, dans l'optique de l'élargissement, extrapolée aux nouveaux membres ; le seuil de la majorité qualifiée était conservé à son niveau actuel (71 % des voix) ; une condition démographique était ajoutée, à savoir que les Etats émettant un vote positif regroupent 60 % au moins de la population de l'Union.

Le système de la " double majorité " présente certains avantages : il permet de contourner la difficulté politique d'une repondération des votes ; par ailleurs, il permet, malgré l'élargissement, de conserver toujours le même seuil démographique : quoi qu'il arrive, une mesure ne peut être adoptée qu'avec le soutien de gouvernements représentant ensemble une large majorité de la population de l'Union.

Cependant, un mécanisme de double majorité compliquerait beaucoup le processus de décision, puisqu'il faudrait remplir deux conditions de majorité au lieu d'une. Comme notre but doit être au contraire de faciliter la prise de décision, il y a là un inconvénient très fort.

De ce fait, le système de la double majorité, qui avait beaucoup de partisans en 1997, en a beaucoup moins aujourd'hui, dans la mesure où les problèmes de fonctionnement d'une Europe élargie sont beaucoup plus présents dans les esprits.

Il paraît donc plus judicieux de prévoir une nouvelle pondération des votes.

Lors de la précédente Conférence intergouvernementale, la présidence néerlandaise avait proposé, en vue d'une éventuelle repondération, une formule qui me paraît demeurer une référence intéressante.

Elle consiste à augmenter le nombre des voix de tous les Etats, l'augmentation étant plus forte pour les Etats les plus peuplés. Le nombre des voix serait multiplié par 2,5 pour l'Allemagne, l'Espagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni ; par 2,4 pour les Pays-Bas, et par 2 pour les autres Etats membres, sauf le Luxembourg pour lequel le coefficient multiplicateur serait de 1,5. Ces règles seraient ensuite appliquées aux pays candidats.

Je pense que nous pourrions, à titre indicatif, nous prononcer pour une formule de ce type, qui aurait pour effet de préserver l'équilibre actuel entre " grands " et " petits " Etats au-delà de l'élargissement.

Un problème particulier se pose dans le cas de l'Espagne. Ce pays est assimilé aux " grands " Etats dans le cas de la Commission européenne, puisqu'il nomme deux commissaires, mais au sein du Conseil, il dispose de huit voix, contre dix aux " grands " Etats. Si les " grands " Etats perdent leur second commissaire, comme il en est assez fortement question, l'Espagne décrochera complètement du groupe des " grands " ; pour éviter cela, elle sera amenée à demander d'être intégrée, au Conseil, au groupe des " grands ". Il me semble que cette revendication devrait être examinée dans un esprit constructif, surtout si l'on raisonne en termes d'équilibre Nord/Sud de la Communauté.

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Comme je l'ai indiqué au début de mon propos, un renforcement de la capacité de décision du Conseil passe également par une réforme du régime de la majorité qualifiée.

Le premier élément possible d'une réforme serait l'abaissement du seuil de la majorité qualifiée. Ce seuil est actuellement de 71 % des voix. Retenir un seuil plus bas (les deux tiers, voire les trois cinquièmes) faciliterait à l'évidence l'obtention d'une majorité.

On doit souligner qu'il y a un lien nécessaire entre l'abaissement du seuil de la majorité qualifiée et une repondération des votes. En effet, avec un seuil plus bas pour la majorité qualifiée, en l'absence de repondération, on pourrait aboutir après l'élargissement à une situation où la majorité qualifiée représenterait une minorité de la population, ce qui serait évidemment inacceptable.

Sous réserve de cette question de la repondération, je vous propose de soutenir une telle réforme, qui rendrait plus difficile la formation de minorités de blocage.

Deuxième aspect possible d'une réforme, l'extension du domaine des décisions prises à la majorité qualifiée.

Quelque quarante-six articles des traités, selon un premier recensement, prévoient encore des décisions à l'unanimité.

Il est clair qu'une plus grande efficacité suppose d'en réduire le nombre.

On peut sans doute juger vain d'entrer dans un vaste débat sur une généralisation de la majorité qualifiée à tous les domaines, puisqu'il n'y a aucune chance qu'il y ait unanimité sur une telle formule.

Mais je crois que nous pourrions soutenir sans irréalisme une large extension du domaine de la majorité qualifiée, je pense en particulier aux matières suivantes relevant du traité sur la Communauté européenne :

- certains aspects de la politique sociale communautaire (une partie de celle-ci relève déjà de la majorité qualifiée),

- l'accès aux professions réglementées,

- les aides d'Etat,

- l'harmonisation de la fiscalité indirecte,

- le rapprochement des législations ayant une " incidence directe " sur le fonctionnement du marché intérieur,

- l'assistance financière exceptionnelle à un Etat membre,

- la politique culturelle,

- la politique industrielle,

- les fonds structurels,

- certains aspects de la politique de l'environnement, à l'exception des choix énergétiques.

En revanche, il me paraît guère possible de décider à la majorité qualifiée dans des domaines touchant au fonctionnement des institutions.

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J'en viens au fonctionnement du Conseil. Je n'entrerai pas très en détail dans cette problématique, puisqu'elle n'entre pas directement dans le champ de la CIG.

Les problèmes sont au demeurant bien connus :

- trop de questions remontent vers le Conseil européen, affectant le sérieux de ses travaux ;

- le Conseil " Affaires générales ", absorbé par la PESC, n'assure plus la coordination des travaux du Conseil ;

- les formations du Conseil se sont multipliées (il y en avait trois à l'origine : affaires générales, affaires économiques et financières, agriculture ; il y en a une vingtaine aujourd'hui) et il n'existe aucune hiérarchie entre ces différentes formations ; cette multiplication des conseils spécialisés favorise l'inflation législative, en méconnaissance du principe de subsidiarité ;

- la rotation de la présidence tous les six mois nuit à la continuité des travaux du Conseil, et constitue une charge de plus en plus lourde pour l'Etat qui l'assume, à mesure que l'Union s'élargit.

Le débat sur ces difficultés est déjà ancien, et une mesure importante a été prise avec la création du Haut représentant pour la PESC, dont le rôle sera notamment de favoriser la continuité de l'action du Conseil dans le domaine des relations extérieures.

Mais d'autres mesures sont aujourd'hui évoquées, en particulier :

- la réduction du nombre des formation du Conseil ,

- l'octroi au Conseil " Ecofin " d'un pouvoir d'arbitrage chaque fois que le budget communautaire est en jeu ,

- la nomination par chaque Etat d'un ministre siégeant à Bruxelles , pour constituer une formation du Conseil spécialement chargée de coordonner les travaux du Conseil et d'assurer leur cohérence.

Je pense que nous devrions soutenir ces propositions qui donneraient au Conseil un fonctionnement plus efficace, plus proche de celui d'un Gouvernement.

Il paraît en effet difficilement acceptable que des ministres spécialisés puissent se réunir et prendre certaines décisions sans que la nécessaire disponibilité budgétaire ait été suffisamment examinée par les formations compétentes du Conseil.

De même, si l'on veut que les citoyens comprennent quelque chose aux institutions européennes, il faut éviter que le Conseil " éducation " adopte sans débat une décision concernant la pêche, comme c'est périodiquement le cas, le Conseil étant réputé un et indivisible quelles que soient les formations dans lesquelles il siège.

Il faut donc une coordination effective, qui rende intelligible le processus de décision et qui permette d'identifier les responsabilités. Cette coordination, à mon sens, permettrait également de mieux appliquer le principe de subsidiarité, en contrôlant les initiatives des Conseils spécialisés.

Surtout, donner un rôle de coordination à des ministres spécialement chargés de cela et siégeant à Bruxelles aiderait à rétablir la primauté du politique, alors que la complexité actuelle du fonctionnement et l'éparpillement des responsabilités ne laissent parfois aujourd'hui aux responsables ministériels qu'un rôle assez limité.

Or, l'autorité très forte dont dispose le Conseil européen dans le système institutionnel de l'Union montre bien que, quand le politique est en situation de jouer son rôle, il retrouve toute sa capacité d'impulsion.

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Je vous propose donc, au total, les trois grandes orientations suivantes :

- une repondération des votes doit être la base d'une réforme ;

- elle doit s'accompagner d' un abaissement du seuil de la majorité qualifiée et, surtout, d'une large extension du domaine des décisions à la majorité qualifiée ;

- le fonctionnement du Conseil doit être réformé pour le rendre à la fois plus efficace et plus compréhensible ; pour cela, il serait notamment nécessaire de confier une tâche de coordination à des ministres désignés à cet effet et siégeant à Bruxelles.

b) Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

Je rappelle quelle sera notre méthode de travail. Lorsque les différentes communications auront été présentées -chacune abordant un des principaux aspects de la CIG- nous aurons un débat de synthèse, qui débouchera sur le rapport de la délégation.

M. Jean-Pierre Fourcade :

Les propositions du rapporteur sont précises et claires. Elles ne constitueraient pas un bouleversement, mais permettraient d'avancer. Nous devons aborder la CIG avec un souci d'efficacité. On ne peut trop demander aux " petits " Etats : il y a un lien à trouver entre la réforme de la Commission et celle du Conseil pour qu'ils n'aient pas le sentiment que l'on cherche à les marginaliser.

M. Hubert Haenel :

Il est généralement envisagé qu'en contrepartie d'une nouvelle pondération au Conseil, les " grands " Etats pourraient perdre leur second commissaire.

M. Aymeri de Montesquiou :

Dans le domaine de la pondération des votes, un statu quo est impensable. Pour prendre un exemple extrême, l'écart démographique est de 1 à 200 entre le Luxembourg et l'Allemagne, tandis que l'écart en nombres de voix au Conseil est de 1 à 5. La proposition que j'ai avancée ferait passer cet écart de 1 à 8 : il me semble que c'est bien le moins !

M. Robert Badinter :

Il est souhaitable qu'avant l'adoption de notre rapport définitif, nous soyons mieux informés sur les positions des autres Etats membres. Ces questions doivent être abordées avec tact : le Luxembourg est un des membres fondateurs de la Communauté. Essayons de savoir " jusqu'où l'on peut aller trop loin ".

M. Aymeri de Montesquiou :

Nous savons tous que les institutions européennes ont été dessinées pour six Etats. A douze, les Etats étaient serrés aux entournures ; à quinze, le costume commence à craquer : au-delà, il restera un short ! On ne peut faire l'économie d'une réforme. Bien entendu, la négociation doit porter sur les différents aspects de l'équilibre entre Etats membres. J'observe par ailleurs que les Etats qui frappent à la porte ont souvent une attitude ouverte en matière d'institutions.

M. Louis Le Pensec :

Je ne critique pas notre méthode de travail : il est bon d'examiner les différents sujets un par un. Mais tout se tient : la pondération des votes, le nombre des commissaires, et aussi le problème des " coopérations renforcées ". Faciliter le fonctionnement d'une Europe à plusieurs vitesses, avec des groupes d'Etat jouant un rôle moteur, est aussi un aspect de cet approfondissement qui doit précéder l'élargissement.

Je crois cependant que le Gouvernement a raison de ne pas vouloir trop " charger la barque " de la CIG. Les propositions de notre rapporteur, apparemment modestes, représenteraient déjà en réalité un changement conséquent : en particulier, ce qu'il suggère pour l'extension de la majorité qualifiée -à quoi j'aurais tendance à souscrire- représenterait un transfert de souveraineté important. L'idée de prévoir des ministres siégeant à Bruxelles peut être intéressante, mais je m'interroge sur la manière dont cette nouvelle formation du Conseil pourrait jouer son rôle.

M. Aymeri de Montesquiou :

Le problème, me semble-t-il, est que les différentes formations du Conseil sont trop autonomes, permettant parfois une politique du fait accompli. Il faut une remise en ordre, pour plus de cohérence et d'efficacité. Cela suppose qu'il y ait une formation du Conseil capable d'assurer une coordination, et qu'il y ait un contrôle exercé par le Conseil Ecofin sur les engagements pris. Au fond, cela se résume au fait que le Conseil devrait fonctionner davantage comme un Gouvernement, de manière à restaurer la primauté du politique.

M. Jean-Pierre Fourcade :

Il est vrai que la situation actuelle donne un grand poids aux infrastructures administratives. Par ailleurs, j'ai vécu la complexité des Conseils " Jumbo " (réunissant conjointement plusieurs formations du Conseil) où déjà les ministres d'un même pays doivent s'entendre entre eux, ce qui n'est pas toujours simple. Il faut une coordination, mais je crois qu'elle devrait s'exercer sous l'égide des ministres des Affaires étrangères. Des ministres résidant à Bruxelles devraient être placés sous leur autorité.

M. Louis Le Pensec :

A côté des insuffisances -réelles- que recèle le fonctionnement du Conseil, il faut également observer que les résultats obtenus sont remarquables. C'est une mécanique bien rodée, qui parvient souvent à déjouer les pronostics pessimistes. Le Conseil " Affaires générales " assure malgré tout une certaine vision d'ensemble. Par ailleurs, tout ministre siégeant au Conseil représente tout le Gouvernement et peut l'engager. Il faut donc réfléchir avec beaucoup de soin à une éventuelle réforme.

M. Aymeri de Montesquiou :

Il me semble que des ministres résidant à Bruxelles devraient recevoir une autorité spécifique pour pouvoir jouer leur rôle ; sans doute devraient-ils dépendre directement du Premier ministre. De l'avis général, les ministres des Affaires étrangères, accaparés par d'autres tâches, ne parviennent plus à coordonner les travaux du Conseil. Et comment faire comprendre aux citoyens que le Conseil " Education " puisse prendre, par exemple, des décisions concernant la pêche ou l'agriculture ?

M. Louis Le Pensec :

Certes, mais il s'agit de points " A ", c'est-à-dire de points adoptés sans débat : un accord existe déjà, et l'adoption par telle ou telle formation du Conseil est purement formelle.

Par ailleurs, je voudrais souligner que, du moins dans le cas de la France, la coordination interministérielle est assurée très efficacement par le SGCI, en liaison avec le Cabinet du Premier ministre, qui est en position d'arbitrer.

M. Robert Badinter :

Est-ce qu'au fond ces questions relèvent de la révision des traités ou de l'organisation de chaque Etat membre ? Les traités n'ont pas à entrer dans les structures gouvernementales des pays membres. Je doute au demeurant que certains Etats soient disposés à adopter la formule proposée, qui risque de leur paraître un élément de complexité supplémentaire.

M. Aymeri de Montesquiou :

Même si, effectivement, de telles questions ne relèvent pas des traités, la CIG peut être l'occasion de donner une impulsion. Or, tous les pays font le même constat : les formations du Conseil sont trop nombreuses et mal coordonnées. Une instance de coordination dotée d'une réelle autorité serait également une garantie pour les citoyens, qui auraient le sentiment que la machinerie du Conseil est bien contrôlée par des responsables politiques. Par ailleurs, les modalités pratiques de mise en oeuvre pourraient être adaptées aux particularités des structures gouvernementales de chaque pays.

M. Serge Lagauche :

Le maintien de l'unanimité sur les questions institutionnelles est peut-être inévitable, mais, pour ma part, je ne serais pas opposé à ce que la décision à la majorité qualifiée soit introduite dans ce domaine pour certains aspects au moins. Par ailleurs, devons-nous demander l'unanimité pour ce qui concerne l'énergie nucléaire ? Je n'en suis pas persuadé. Nous risquons d'être isolés sur ce point.

M. Aymeri de Montesquiou :

Sur l'énergie nucléaire, je ne suggère pas de demander la règle de l'unanimité : elle existe déjà. Je défend le statu quo , et il me semble que c'est la prudence. Sommes-nous prêts à envisager que la Communauté nous impose à la majorité qualifiée d'abandonner notre industrie nucléaire ? Je ne le crois pas. Je doute d'ailleurs que les autres Etats membres soient disposés à être éventuellement mis en minorité sur leurs choix énergiques essentiels.

B. LA COMMISSION EUROPÉENNE (Rapporteur : M. Lucien Lanier)

a) Communication

La réforme de la Commission européenne demeure l'un des trois reliquats d'Amsterdam, dont aura à connaître, et mieux à traiter, la prochaine Conférence intergouvernementale. Ce problème en effet se pose avec acuité dans la perspective des élargissements à venir de l'Union.

La Commission, créée pour fonctionner à six Etats membres, a atteint les limites de son action à quinze. Qu'en sera-t-il à vingt-sept ? La Conférence d'Amsterdam avait compris le problème sans le résoudre, faute d'un consensus des participants et surtout en raison de l'importance et de la complexité du sujet, qui méritait une réflexion plus approfondie.

La prochaine Conférence intergouvernementale ne pourra plus reculer l'échéance d'une solution. Notre propre réflexion vient donc à son heure. Je dis bien réflexion, car il ne s'agit nullement pour nous de " sortir du chapeau " des solutions toutes faites, pouvant se heurter mutuellement, mais de tenter d'apprécier les meilleures voies, pour atteindre la meilleure réforme, avec le meilleur pragmatisme :

- en sachant que la réforme des institutions constitue un préalable à tout élargissement de l'Union européenne ;

- en sachant également que l'essentiel du sujet concernera la composition et les structures de la Commission, ainsi que les moyens de son efficacité face aux élargissements à venir, concernant douze nouveaux Etats membres ;

- en sachant enfin, qu'un impératif s'imposera aux débats, c'est-à-dire, la recherche d'un équilibre démocratique entre la Commission et ses partenaires institutionnels, en particulier le Conseil des ministres et l'Assemblée européenne.

Il est vrai que des adaptations pourraient se faire, au fur et à mesure des élargissements, mais il faut aussi penser que le consensus, toujours recherché, déjà difficile à obtenir présentement, deviendra de plus en plus ardu à réaliser, et que certaines décisions fondamentales, prises aujourd'hui, présenteront un caractère difficilement réversible, si elles doivent s'imposer avec le temps comme de quasi " droits acquis ".

Quelle dimension, quelle taille est souhaitable pour la Commission, et selon quels critères ?

La situation actuelle est la suivante : vingt commissaires, soit un pour chacun des quinze Etats membres auquel s'ajoute un deuxième commissaire pour les cinq Etats les plus importants, à savoir l'Allemagne, l'Espagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni.

Les deux critères retenus pour la composition de la Commission sont certes les plus aptes à réaliser le consensus. Essentiellement le critère de la nationalité puisque tous les pays membres ont un commissaire, subsidiairement l'importance démographique des cinq plus grands Etats dotés de deux commissaires.

Ces critères, simples et commodes actuellement pour quinze Etats habitués à travailler ensemble, devront-ils être seuls retenus pour l'élargissement à venir, y seront-ils adaptés ?

Vraie question si l'on considère que le dernier sommet européen semble avoir renoncé à la répartition des candidats, en deux vagues successives : les entrées dans l'Union se feront au fur et à mesure, en principe, au long de la prochaine décennie et, sur douze candidats en présence, trois frappent déjà activement à la porte : la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie. Le critère essentiel de la nationalité, s'il est commode, n'est pas sans inconvénients éventuels. Car, par un paradoxe apparent, l'arrivée dans l'Union de nouveaux pays européens correspond également à un réveil des nationalités, pour ne pas dire des nationalismes, parfois exacerbés par des motifs religieux ou ethniques, ou les deux à la fois.

Il est certain qu'aucun des petits Etats n'acceptera une place de bout de table à la Commission, ni d'être privé de son commissaire de plein exercice, a fortiori lorsqu'ils se sentiront soutenus par un plus grand Etat, soucieux de défendre la clientèle de son aire géographique. Ne verra-t-on pas alors s'affirmer, au gré des entrées successives, des clivages non seulement nationaux, mais Est-Ouest ou Nord-Sud ? La Commission ne risquerait-elle pas de devenir " la cour du Roi Pétaud " et d'être condamnée à se perdre dans le détail des intérêts particuliers dont la somme n'a jamais fait l'intérêt général ?

Risque toutefois moins absolu qu'on pourrait le penser, et auquel pourrait s'appliquer la réponse de Pyrrhus à Oreste : " Seigneur, trop de soucis entraînent trop de soins, je ne sais pas prévoir les malheurs de si loin " .

Risque pourtant, que certains proposent de conjurer par un troisième critère : celui de la réalité des tâches de la Commission, c'est-à-dire de la nécessaire cohésion des missions thématiques confiées à chacun des commissaires. Bref, il exprime le souhait d'une répartition sectorielle homogène des portefeuilles.

Selon des avis autorisés, il semblerait que, à ce jour, les missions confiées à la Commission seraient susceptibles de générer, ce qui est le cas actuel, une vingtaine de missions distinctes. Un tel nombre ne serait, bien entendu, pas figé et varierait en fonction de l'extension, ou a contrario de l'extinction, des missions. A titre d'exemple, le thème " Défense ", actuellement confié à la Pesc, ou celui de la sécurité alimentaire, en prenant de l'ampleur, pourraient justifier l'accroissement du nombre des commissaires. A contrario le thème " Elargissement " s'éteindrait de lui-même à l'issue de l'intégration du dernier candidat, de même que celui de la réforme institutionnelle à l'achèvement de celle-ci.

Un tel critère tenant compte de la réalité des missions a certes le mérite d'être intellectuellement séduisant, car il entraînerait une structure à dimension réduite et à pas variable. De quinze à vingt commissaires se partageraient, sous l'autorité du Président, des secteurs homogènes. C'est un peu le cas de l'actuelle Commission.

Autre avantage logique, les commissaires seraient faits pour les portefeuilles et non les portefeuilles pour les commissaires.

Enfin, la structure à dimension réduite préserverait ce qui doit être un dogme irréfragable, celui de la collégialité de l'institution , source de vitalité et gage d'efficacité.

Tel est bien l'avis de la Commission actuellement aux affaires, qui plaide en faveur d'un organisme collégial, en recommandant " une adéquation entre le nombre de portefeuilles et la réalité des tâches, préservant le pouvoir d'orientation reconnu au Président et l'existence de délibérations collégiales acquises à la majorité simple " .

Mais ce qui paraît intellectuellement séduisant, n'est pas forcément politiquement réaliste.

Les conclusions du rapport Dehaene notent que la plupart des Etats membres refusent d'envisager une Commission dans laquelle leur pays ne serait pas représenté. Adhérer à l'Union européenne oui, mais à part entière : un commissaire par Etat membre. Toute autre solution n'aurait aucune chance d'être acceptée.

Les choses étant ce qu'elles sont, le dilemme se situe entre la recherche des formules idéales, ou qui paraissent l'être, et le risque de blocage du consensus.

Les pragmatiques s'orientent vers la solution consensuelle par le maintien du critère de la nationalité : un Etat membre, un commissaire.

Dès lors, deux cas de figure peuvent être envisagés. D'abord, une hypothèse maximale : conserver une double représentation pour les grands pays, et la prévoir pour la Pologne lors de son adhésion. Le plafond prévu serait alors de trente trois commissaires.

Ensuite, une hypothèse minimale , si les grands pays renoncent à leur double représentation à la faveur d'un nouvelle pondération des voix au Conseil des Ministres. Le plafond prévu serait alors de vingt sept commissaires.

Conserver le modèle actuel impliquera donc, comme inconvénients, de constituer une structure à effectif lourd, peu conforme à la logique thématique, et d'induire une Commission " glissante ", régulièrement modifiée au fur et à mesure de l'intégration des nouveaux commissaires. Mais cette solution présente un avantage, celui de conjurer le risque évident du blocage du consensus.

Quitte à constituer une Commission nombreuse, serait-il illogique de privilégier le maintien du second commissaire pour les six plus grands pays, notamment si l'amélioration des conditions de pondération des voix au Conseil n'est pas suffisante ?

D'autre part, convient-il de prévoir des modalités spécifiques pour le fonctionnement d'une Commission élargie ? Plusieurs suggestions ont été avancées, dont aucune ne paraît satisfaisante parce qu'elles compliquent le dispositif. Il a notamment été envisagé de :

- constituer pour chaque domaine thématique des équipes de commissaires et de commissaires-adjoints sur le modèle des ministres et des secrétaires d'Etat ;

- organiser un roulement des commissaires, sur les différents portefeuilles ;

- prévoir des commissaires sans portefeuilles, mais chargés de missions ad hoc .

Tout ceci renforcerait la notion d'une Commission pour les commissaires, et non pas des commissaires pour la Commission. La force de la collégialité s'en trouverait affaiblie.

Toutefois une mesure pourrait être utile pour pallier ces difficultés, celle qui consisterait à renforcer la Commission : en effet il semble que la plus grande fragilité d'une Commission numériquement nombreuse puisse être compensée par un renforcement de l'autorité de son Président.

Déjà le traité d'Amsterdam s'est engagé dans cette voie, en permettant au Président de participer activement à la désignation des commissaires et de restructurer, si besoin est, la Commission, en procédant au remaniement du découpage sectoriel.

Par ailleurs, il paraît acquis, mais de manière encore informelle, que le Président puisse démettre un commissaire. Il serait utile de confirmer dans le Traité l'engagement pris par chacun des commissaires de démissionner, si le Président le lui demande.

Enfin, il serait souhaitable de réaffirmer dans le Traité la responsabilité collégiale de la Commission afin que le Parlement européen ne dispose pas du droit de censure individuelle des commissaires, et ceci correspond au sentiment exprimé par notre collègue Fauchon, dans son excellente communication relative au contrôle parlementaire de l'Union.

Je m'interroge également sur le point de savoir s'il serait opportun d'envisager que la Commission soit responsable devant le Conseil, dans la même mesure que devant le Parlement européen. La Commission en serait-elle renforcée ? Il faut y réfléchir.

*

Disons enfin, et en guise de conclusion, qu'on ne peut isoler la réflexion concernant la Commission européenne de celles conduites pour les autres institutions. Telle la pondération des voix au Conseil. Telle l'extension des votes à la majorité qualifiée. Telle la répartition des sièges par pays au sein du Parlement européen.

Considérons également que le problème de l'effectif des commissaires se pose dans des termes similaires au sein des autres institutions comme la Cour de justice ou la Cour européenne des Comptes.

La Commission s'est orientée depuis son renouveau dans un processus de réforme de ses structures, processus qui semble s'engager avec bonheur. Elle a devant elle la longue période transitoire de l'élargissement. Elle a cinq années de mandat à parcourir. Les premières adhésions interviendront à peu près au terme de ce mandat, c'est-à-dire vers 2004, mais c'est au cours de la Conférence intergouvernementale, qui doit s'ouvrir au début de l'année prochaine, que la structure définitive de la Commission devra être arrêtée.

Telle est bien la raison pour laquelle il est utile que nous y réfléchissions en tenant compte de ce qui semble impératif : la collégialité de la Commission, l'autorité de son Président, un nombre raisonnable de commissaires responsables de portefeuilles homogènes aux thèmes évolutifs et adaptés à la marche de l'Union européenne. Enfin, cette réflexion appelle une juste réponse, d'une part au souci logique des Etats membres d'être également considérés chacun a part entière, d'autre part, à l'intérêt évident d'équilibrer la représentation de ceux dont l'apport est déterminant.

Ces impératifs ne sont pas forcément contradictoires, il s'agit simplement de les rendre concordants.

b) Compte rendu sommaire du débat

M. Emmanuel Hamel :

Je suis accablé par cette construction institutionnelle qui broie notre identité nationale.

M. Denis Badré :

Je remercie notre rapporteur pour cet exposé très clair qui pose tous les problèmes relatifs à cette question. Je propose toutefois que l'on fasse une autre lecture de ce dossier en revenant à l'origine de la Commission.

Celle-ci n'a été créée ni pour être l'exécutif de la Communauté ni pour jouer le rôle d'un secrétariat général du Conseil. Elle existait pour représenter la Communauté, pour être la voix de l'ensemble ; autour de la table du Conseil, elle devait constituer un membre au-delà des Etats membres, au même titre qu'eux.

Cette inspiration originelle a été peu à peu perdue parce que, dans un premier temps, les ministres au sein du Conseil, habités par la préoccupation de la construction européenne, ont eux-mêmes joué ce rôle de représentation collective des intérêts communs. Devant la complexité des dossiers, ils ont ensuite eu tendance à défendre les intérêts de leur pays, ce qui est une bonne chose. Dans le même temps, le rôle de la Commission s'est trouvé affadi et je souhaite qu'il puisse être restauré. Conforter l'idée qu'il faut maintenir l'existence d'un commissaire par Etat membre est une hérésie qui va contre le sens de l'histoire.

Enfin, je ne crois pas à l'idée d'une éventuelle responsabilité de la Commission devant le Conseil, sachant que le Président de la Commission est lui-même un acteur au sein dudit Conseil.

M. Pierre Fauchon :

J'abonde dans le sens de mon collègue Denis Badré. Ma réflexion a beaucoup évolué sur ce dossier et je suis désormais très réservé sur l'idée de maintenir la représentation de chaque Etat membre au sein de la Commission, même si, j'en ai bien peur, la négociation n'ira pas dans cette direction. Pour bien fonctionner, une Commission idéale devrait, à mon sens, comporter dix à quinze membres.

M. Lucien Lanier :

A mon collègue Emmanuel Hamel, j'aimerais dire qu'il ne faut pas considérer ces questions sous l'angle uniquement négatif de leur impact sur la souveraineté française. L'Europe se prépare, ensemble, sinon elle se fera contre nous. Nous ne devons pas détruire ce que nous essayons de construire, non sans mal.

A Denis Badré, je répondrai qu'il y a un juste milieu à trouver pour que l'Union puisse progresser et que le processus ne soit pas bloqué par l'hostilité de certains partenaires. Je ne suis pas fondamentalement partisan d'une Commission composée de trente-trois membres, mais cette situation peut être contrôlée en donnant à son Président les moyens de délimiter les tâches et d'assurer la gestion de ses commissaires.

M. Hubert Haenel :

J'ai apprécié le souci de Denis Badré de replacer la Commission dans sa perspective historique. Il me paraît essentiel de revenir ainsi sur les origines de chacune des institutions européennes pour aider à faire progresser notre réflexion.

Mme Marie-Claude Beaudeau :

Vous avez évoqué les liens qui existent entre la Commission et le Parlement européen. Il s'agit là d'une question importante. Sachant que le Parlement européen est composé d'élus venant de tous les pays de l'Union, jusqu'où faut-il aller dans la responsabilité politique de la Commission ?

M. Lucien Lanier :

Le Traité d'Amsterdam a déjà renforcé le Parlement européen qui est censé représenter démographiquement les Etats membres. Ce que je ne souhaite pas, pour le bon fonctionnement du dispositif, c'est que soit créé un régime d'assemblée, avec un Parlement qui se cherche encore et une Commission qui serait affaiblie, en se trouvant " prise " entre le Parlement européen et le Conseil.

Dans les circonstances actuelles, il ne faut pas augmenter les pouvoirs du Parlement européen sur la Commission. Si nous acceptions le principe d'une responsabilité individuelle des commissaires devant le Parlement européen, nous affaiblirions l'autorité du Président et la collégialité du fonctionnement de la Commission disparaîtrait.

M. Denis Badré :

Je suis le premier à savoir que l'Europe se construit dans le pragmatisme et que l'échec d'une négociation est certain si l'on ne tient pas compte des points de vue de tous les Etats membres. Mais de temps en temps, il est utile de revenir aux principes originels, dans une logique de bâtisseurs.

Au printemps dernier, nous avons eu un grand débat sur l'éventualité d'une Europe fédérale. C'est un faux débat à mon sens car, dès que l'on travaille ensemble, on se fédère. La construction européenne est sur ce point un système très original organisant tout à la fois la préservation des intérêts communs et l'expression des points de vue nationaux.

M. Emmanuel Hamel :

Je m'élève avec force contre l'idée qu'il faut subir les choses dès lors qu'elles existent. Dans cet enchaînement diabolique, les Etats, les nations sont détruits et nous savons bien que le siège du pouvoir est ailleurs. L'intérêt commun n'est pas servi par les institutions européennes. Pour autant, rien n'empêche la collaboration entre partenaires. Mais n'acceptons pas la mort de nos parlements, la disparition de nos gouvernements, et retirons-nous de cette mécanique destructrice.

C. LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE (Rapporteur : M. Pierre Fauchon)

a) Communication

Il y a deux façons d'aborder les questions institutionnelles européennes : on peut essayer de décrire ce qui serait souhaitable dans l'absolu, esquisser une Constitution pour l'Europe. On peut aussi s'en tenir à une démarche pragmatique, tablant sur des évolutions progressives. C'est à cette deuxième approche que je m'en tiendrai aujourd'hui. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire ici, mieux vaut faire la Constitution de l'Europe sans trop le dire, plutôt que d'entrer dans des grands débats risquant d'être paralysants. De plus, il existe un assez large accord au sein des Etats membres pour que la CIG se concentre sur le problème du fonctionnement d'une Union élargie, et en premier lieu sur le " reliquat d'Amsterdam " : nombre des commissaires européens, pondération des votes au Conseil, extension de la majorité qualifiée. Ainsi, il n'y a aucune chance que la CIG s'engage dans un débat général du type : " Quel contrôle parlementaire, pour quelle Union ? " et c'est sans doute tant mieux.

Mais si l'on se place dans l'optique de l'efficacité d'une Union élargie, il me semble que l'on est néanmoins conduit à plusieurs questions qui touchent au fonctionnement parlementaire de l'Union.

1) La première concerne la hiérarchie des normes .

Je sais qu'il existe depuis longtemps un débat sur ce thème au sein des institutions communautaires, et qu'il paraît très difficile de progresser : en effet, la notion de hiérarchie des normes est absente de la culture juridique de certains pays membres ; de plus, le débat sur la hiérarchie des normes met en jeu les pouvoirs des différentes institutions. Je ne souhaite pas m'engager dans ce débat général.

On peut partir d'un constat simple : l'absence de toute hiérarchie des normes fait que le Parlement européen est amené à se prononcer sur des textes très techniques, comme la dimension des cabines téléphoniques, la largeur des sièges des tracteurs, la surface des rétroviseurs des motos. Il ne paraît pas indispensable d'encombrer avec de tels textes l'ordre du jour d'un Parlement qui ne siège qu'une semaine par mois.

Or, ces textes techniques, qui concernent le rapprochement des législations pour le bon fonctionnement du marché intérieur, reposent presque tous sur un seul article du traité, l'article 95. Il me semble que, sans entrer dans un vaste débat sur la hiérarchie des normes, il serait possible de rédiger différemment cet article, pour que les dispositions générales concernant le marché intérieur restent définies en codécision par le Parlement et le Conseil, mais que les textes de caractère technique, les mesures d'application, soient arrêtés par le Conseil sur proposition de la Commission. Cela permettrait, me semble-t-il, au Parlement européen de mieux se concentrer sur ses missions principales. Un ordre du jour allégé faciliterait par ailleurs son fonctionnement, que l'élargissement aura inévitablement tendance à compliquer. On pourrait imaginer que le Parlement européen garde en tout état de cause la faculté d'évoquer une mesure d'ordre technique qui lui paraîtrait poser un problème de principe important.

2) Deuxième question : la responsabilité de la Commission devant le Parlement .

Par analogie avec ce qui existe au niveau national, le traité prévoit la responsabilité de la Commission devant le Parlement européen. Je constate pourtant que, au niveau national, il y a un certain parallélisme des formes : l'exécutif peut être censuré par l'autorité qui l'a investie, en l'occurrence le Parlement. Ce parallélisme ne se retrouve pas tout à fait au niveau européen puisque c'est surtout le Conseil, soit les Etats, et non le Parlement -même s'il dispose de pouvoirs importants-, qui sécrète la Commission. Dès lors, je pose la question -sans y apporter pour l'instant de réponse : ne pourrait-on concevoir une commission responsable devant le Conseil ?

Pour rester dans le cadre du dispositif du traité, je rappelle que la responsabilité de la Commission est organisée d'une manière théoriquement restrictive. Une motion de censure doit répondre à deux conditions : elle doit être adoptée à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, et recueillir la majorité des membres composant l'Assemblée.

A l'époque où la Commission avait une grande autorité, de telles dispositions étaient plus que protectrices. Aujourd'hui, la situation est bien différente. Le traité d'Amsterdam a sensiblement accru les pouvoirs du Parlement européen, et la chute de la Commission Santer a transformé les rapports politiques entre la Commission et l'Assemblée.

Imaginons, par exemple, la situation suivante : une motion de censure est déposée ; 45 % des députés européens votent pour, 25 % votent contre, 30 % s'abstiennent ou ne votent pas. Une telle motion de censure, juridiquement, n'oblige pas à la Commission à démissionner : la censure n'a pas obtenu les deux tiers des suffrages exprimés, et n'a pas été votée par la majorité des membres de l'Assemblée. Mais politiquement, après un tel vote, la Commission pourrait-elle se maintenir ? Tout laisse à penser que non. Déjà, la Commission Santer a démissionné en dehors des formes prévues pour la censure. A défaut d'une clarification, on peut craindre que la coutume n'aboutisse à une dépendance très étroite de la Commission par rapport au Parlement européen.

Il me semble qu'un remède simple serait d'adopter le système français de responsabilité du Gouvernement, en précisant :

- que la Commission ne peut être renversée que par le vote d'une motion de censure ;

- que la censure doit être votée par la majorité des membres composant l'Assemblée, seuls les votes favorables à la censure étant recensés.

Une autre précision me paraît devoir être suggérée. Le Parlement européen a tendance à demander, aujourd'hui, que les commissaires européens soient individuellement responsables devant lui. A l'évidence, cela remettrait en cause la collégialité de la Commission, que beaucoup considèrent comme un élément-clé de son autorité et de son efficacité. En pratique, cela reviendrait aussi à changer profondément l'équilibre actuel dans la nomination des commissaires, équilibre ou interviennent le Parlement européen, certes, mais aussi les Etats membres et le président de la Commission. Or, il n'est pas certain qu'une Commission étroitement dépendante du Parlement européen puisse avoir, comme aujourd'hui, la confiance de tous les Etats membres.

Je crois donc qu'il serait nécessaire d'indiquer très clairement dans le traité que la responsabilité de la Commission est uniquement collégiale.

Au total, il s'agirait de supprimer toute équivoque quant aux conditions de la responsabilité de la Commission devant le Parlement européen.

3) Troisième question : la répartition des sièges entre les pays (voir annexe).

Le traité d'Amsterdam a fixé à 700 membres l'effectif maximal du Parlement européen. Il est hors de question de dépasser ce plafond déjà très élevé. Il sera très difficile de faire fonctionner un Parlement de 700 membres s'exprimant dans une bonne vingtaine de langues ; aller plus loin serait transformer le Parlement européen en une sorte de Soviet suprême.

Or, le Parlement européen compte déjà 626 membres. Dès les premières adhésions, le plafond de 700 sera dépassé : avec les règles actuelles, l'adhésion de la Pologne et de la Hongrie obligerait à créer 89 sièges supplémentaires, portant l'effectif du Parlement européen à 715 sièges. Il faudra donc trouver une règle pour diminuer le nombre des sièges attribués actuellement à chaque Etat. Cela reposera, sous un autre angle, le problème de l'équilibre entre " grands " et " petits " Etats puisque, au Parlement européen également, les " petits " Etats sont sur-représentés par rapport aux " grands ". Par exemple, un député allemand représente 830.000 habitants, un député français 680.000, mais un député portugais représente 400.000 habitants, un député irlandais en représente 250.000, et un député luxembourgeois seulement 70.000. Cette affaire sera un des éléments du " marchandage " général portant également sur le nombre des commissaires et la pondération des votes au Conseil, qui fixera le nouvel équilibre entre " grands " et " petits " Etats.

Sans entrer dans le détail de cette question, il me semble qu'une solution possible serait d'accorder, par exemple, cinq sièges à tous les Etats, puis ensuite, de manière proportionnelle, d'accorder un siège supplémentaire par tranche de 900.000 habitants environ. Cela maintiendrait, tout en la réduisant, une certaine sur-représentation des " petits " Etats ; cela garantirait une représentation de la diversité politique interne des " petits " Etats ; enfin cela permettrait de rester dans la limite des 700 membres.

4) Quatrième question : quelle extension des pouvoirs du Parlement européen ?

Je constate que les traités ont introduit une liaison assez systématique entre le vote à la majorité au Conseil et la codécision avec le Parlement européen.

Il y a certes des exceptions, la principale étant la politique agricole commune, mais on se rapproche progressivement d'une coïncidence entre majorité qualifiée au Conseil et pouvoir de codécision du Parlement européen.

Cette évolution a sa logique : elle repose sur l'idée qu'il faut qu'il y ait quelque part un Parlement qui puisse bloquer la décision. Lorsque le Conseil décide à l'unanimité, les parlements nationaux peuvent bloquer la décision, soit parce qu'une ratification parlementaire nationale est expressément prévue par le traité (c'est pas exemple le cas pour la révision des traités ou le régime des ressources propres du budget communautaire), soit parce qu'ils peuvent désavouer leur gouvernement ou menacer de le faire. Mais lorsque le Conseil décide à la majorité qualifiée, le Parlement européen est la seule instance parlementaire qui puisse bloquer. Dans cette logique, toute extension de la majorité qualifiée doit s'accompagner de l'application de la procédure de codécision.

Comme nous souhaitons que la CIG élargisse le domaine du vote à la majorité qualifiée, il paraît cohérent de prévoir que la codécision devra s'appliquer à ces mêmes matières.

En revanche, si nous restons toujours dans la même optique, on peut être plus réservé sur une demande importante du Parlement européen, qui serait d'avoir un droit de veto sur la révision des traités. Il me semble que cela reviendrait à mélanger deux logiques : une logique de traité avec des ratifications nationales, une logique de Constitution européenne avec adoption par des organes fédéraux. De toute manière, en matière de révision des traités, il existe déjà un vrai pouvoir parlementaire puisque les parlements nationaux doivent autoriser la ratification. Rajouter l'exigence d'une ratification par le Parlement européen compliquerait encore la révision des traités, qui n'est déjà pas facile, sans avoir de justification impérative en termes de démocratie parlementaire puisque, dans ce domaine, l'accord des parlements nationaux est requis.

5) Cinquième et dernière question, la question du rôle des parlements nationaux .

Je dois dire tout d'abord que la question me paraît aujourd'hui plus ouverte qu'elle ne l'était il y a quelques années ; je veux dire qu'il est de mieux en mieux admis que l'aspiration des parlements nationaux à être davantage associés à la vie de l'Union est légitime.

Il est vrai qu'il y a un problème. Le concept-clé de la construction européenne, me semble-t-il, est celui d'intégration. Or, sur le plan institutionnel, on a su intégrer les gouvernements et les administrations nationales dans le cadre du Conseil ; on a su également intégrer les juridictions nationales dans l'ordre juridique européen, en particulier par le biais des questions préjudicielles posées à la CJCE ; on a su intégrer aussi les collectivités locales par le biais des fonds structurels et par la création du Comité des régions ; mais on n'a pas trouvé de bonne formule d'intégration ou d'association pour les parlements nationaux. En 1976, on a coupé complètement le lien entre l'Europe et les parlements nationaux, et depuis lors nous n'avons pas encore trouvé de formule satisfaisante pour renouer le fil.

Bien sûr, il y a l'idée d'une seconde Chambre européenne représentant les parlements nationaux, idée qui a été notamment soutenue ici-même.

Je ne crois pas que nous ayons intérêt à relancer aujourd'hui le débat sur cette idée, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, elle n'entre pas dans le champ de la CIG, et nous n'avons donc aucune chance qu'elle soit sérieusement examinée.

Ensuite, la CIG se propose d'améliorer le fonctionnement de l'Union, de renforcer sa capacité de décision dans la perspective de l'élargissement. Or, il est clair qu'une seconde Chambre s'inscrirait difficilement dans la configuration actuelle des institutions de l'Union. Sur la base du fonctionnement actuel de l'Union, la création d'une seconde Chambre obligerait à revoir beaucoup d'aspects du système.

Surtout, il me semble que nous avons tout intérêt à suivre une démarche plus pragmatique. Nous avons beaucoup plus de chance d'être entendus en partant de ce qui existe et en le développant, plutôt qu'en essayant de susciter un grand débat sur le bicamérisme qui reste un " chiffon rouge " aux yeux de certains.

Comment progresser ?

D'abord, en essayant de jouer le rôle que chacun reconnaît aux parlements nationaux, celui de contrôler l'action des gouvernements au sein du Conseil. A cet égard, le traité d'Amsterdam a marqué un progrès en instaurant un délai de six semaines avant toute décision du Conseil, précisément pour que les parlements nationaux puissent, le cas échéant, faire connaître leurs souhaits à leurs gouvernements respectifs. Pour l'instant, celle règle est imparfaitement appliquée : le débat sur la CIG est une occasion pour que nous puissions exiger qu'elle soit pleinement respectée.

Ensuite, il y a la COSAC. Je sais que son bilan n'a pas de quoi soulever l'enthousiasme. Mais elle a le mérite de figurer dans le traité d'Amsterdam, et l'entrée en vigueur de ce traité a commencé à débloquer les choses puisque, notamment, la COSAC d'Helsinki a adopté un nouveau Règlement qui desserre un peu la règle de l'unanimité.

Par ailleurs, pour des raisons différentes, ni les gouvernements, ni la Commission, ni le Parlement européen ne s'intéressent de très près au respect de la subsidiarité, si bien que la Cour de justice n'est pratiquement jamais saisie sur ce fondement.

En revanche, les parlements nationaux sont étroitement intéressés au respect de la subsidiarité. Il me semble donc qu'il serait assez naturel que les parlements nationaux jouent un rôle accru en matière de subsidiarité.

Enfin et surtout, j'ai observé avec beaucoup d'intérêt la création de l'" enceinte " chargée de préparer la Charte européenne des droits fondamentaux. On peut être ou non convaincu de l'utilité d'une telle Charte, mais le fait est que, cette fois-ci, une large place a été faite aux parlements nationaux dont les délégués constitueront près de la moitié des membres de l'" enceinte ".

Il me semble que si cette formule fonctionne bien, elle pourra servir de modèle -je reprends ici une idée qui m'est chère- pour permettre une association des parlements nationaux à la construction d'un espace judiciaire européen, je pense notamment à une définition commune des incriminations et des peines pour les formes transfrontalières de criminalité.

En matière d'association des parlements nationaux, je crois donc que nous devons avancer dans la pratique avant d'avancer dans le droit des traités. Quand cette association sera entrée dans les moeurs, le problème institutionnel sera beaucoup plus facile à résoudre.

La priorité aujourd'hui doit être d'approfondir dans les faits l'association des parlements nationaux, en privilégiant une approche pragmatique.

b) Compte rendu sommaire du débat

M. Nicolas About :

Nous connaissons déjà une assemblée composée de représentants des parlements nationaux et qui travaille avec le Parlement européen : l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Elle aborde des sujets qui sont également traités au sein de l'Union européenne. Pour certains de ces sujets, je pense en particulier aux droits de l'homme, ce doit même être le premier lieu de discussion. Pour être membre de cette assemblée, je peux vous certifier qu'elle a l'habitude de travailler avec le Parlement européen et que les choses se passent bien. Je me demande donc si on ne pourrait pas imaginer que l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, statuant dans une formation réduite aux représentants des Parlements des Etats membres, se prononce également sur les questions discutées au sein de l'Union européenne.

M. Robert Badinter :

Je crois qu'il n'est pas bon pour la construction européenne d'avoir des parlementaires européens qui soient les représentants des parlements nationaux.

En ce qui concerne la responsabilité de la Commission, je rappelle que le Parlement européen intervient dans son investiture. Nous avons donc, au niveau européen, un contrôle parlementaire en amont. Même si sa dimension n'est pas la même qu'au niveau national, il n'y a donc rien de choquant à ce que le Parlement européen exerce également un contrôle en aval, par la motion de censure.

Mais il faut veiller à assurer la stabilité de la Commission. Aussi, personnellement, serais-je même tenté par un dispositif qui irait encore plus loin. J'avoue être séduit par le système du vote constructif à l'allemande, dans lequel le Parlement, pour renverser un gouvernement, doit désigner en même temps son nouveau chef. Nous devons réfléchir à un système qui, au niveau européen, permette lui aussi un véritable contrôle parlementaire tout en assurant la stabilité du pouvoir exécutif.

D. LA COUR DE JUSTICE (Rapporteur : M. Robert Badinter)

a) Communication

La particularité de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), parmi les autres institutions communautaires, est qu'elle ne passionne guère tout en ayant beaucoup de pouvoirs. Elle constitue la preuve du fait, que je livre à votre réflexion, que l'on peut être efficace dans le domaine judiciaire sans être médiatisé. Rares sont les personnes qui connaissent simplement le nom du président de la Cour, M. Rodriguez-Iglesias, éminent juriste espagnol.

La Cour de Justice a été quelque peu oubliée lors des précédentes conférences intergouvernementales. Certes, son champ de compétence a été étendu parallèlement au champ d'intervention de l'Union européenne. Mais sa composition, ses attributions et son mode de fonctionnement n'ont pas été modifiés.

Un nouvel oubli de la Cour de Justice dans la conférence intergouvernementale qui va s'ouvrir serait hautement dommageable.

Je n'ai pas besoin d'insister sur le rôle considérable joué par la Cour dans la construction européenne, qu'elle a justement définie comme une " communauté de droit ". En affirmant par ses décisions fondatrices des années 1960 la supériorité et l'effet direct de la norme communautaire, la Cour de Justice a fourni le cadre juridique qui a permis les progrès politiques de l'Europe. Arbitre entre les institutions communautaires et les Etats membres, la Cour est aussi le recours suprême des particuliers et des entreprises, pour qui elle incarne la réalité du droit européen.

J'ai été frappé par une remarque d'un membre de la Cour constitutionnelle américaine, qui m'a confié qu'à ses yeux, la CJCE est l'institution constitutionnelle la plus puissante du monde, pour trois raisons :

- par le nombre de ses justiciables ;

- parce qu'elle joue un rôle moteur au sein d'un ensemble institutionnel en devenir, ce qui n'est plus le cas de la Cour constitutionnelle des Etats-Unis ;

- parce que, grâce à des mécanismes originaux, elle a créé un paradoxe sans précédent dans la théorie de la souveraineté du droit. Alors que l'Europe politique n'existe toujours pas, il existe un droit communautaire applicable dans l'ensemble de l'Union européenne, qui constitue les deux-tiers de la législation économique, et qui est enseigné dans toutes les universités européennes. Par un étonnant renversement des perspectives, le droit a précédé la souveraineté dans la construction européenne.

Or, cet accomplissement remarquable est aujourd'hui menacé par l'engorgement de la Cour de Justice, qui fragilise tout l'édifice du droit communautaire. La Cour est d'ores et déjà " victime de son succès " dans l'Europe à quinze, et ce problème ne pourra que s'amplifier avec l'élargissement.

I. Le problème de l'engorgement de la Cour

La Cour de Justice des Communautés européennes est composée de quinze juges assistés de huit avocats généraux, nommés pour six ans d'un commun accord entre les Etats membres. Depuis 1988, la Cour a délégué certaines de ses compétences à un Tribunal de Première Instance, composé de quinze juges nommés dans les mêmes conditions. Les arrêts du Tribunal de Première Instance peuvent faire l'objet d'un pourvoi devant la Cour de Justice, qui n'examine alors que les questions de droit, sans pouvoir remettre en cause l'appréciation des faits effectuée par le Tribunal.

Les statistiques sont éloquentes. Le nombre annuel d'affaires introduites devant la Cour de Justice s'est élevé à 485 en 1998, alors qu'il n'était que de 384 en 1990, soit une hausse de 26 %. Le stock des affaires pendantes est passé de 583 à 748 entre ces deux dates, soit une progression de 28 %.

L'engorgement est encore plus impressionnant pour le Tribunal de Première Instance, qui s'est trouvé saturé rapidement après sa création. Le nombre annuel des affaires nouvelles est passé de 59 en 1990 à 238 en 1998, tandis que le stock des affaires pendantes passait de 145 à 1008 sur la même période.

Les renvois préjudiciels sont la cause de l'engorgement de la Cour de Justice, les recours directs tendant à diminuer après la création du Tribunal de Première Instance. Ainsi, ces renvois constituent 54 % des affaires introduites devant la Cour en 1998, et 81 % du stock des affaires pendantes. Leur durée de procédure s'est allongée de 17,4 mois en 1990 à 21,4 mois en 1998, ce qui est d'autant plus dommageable que les juridictions nationales suspendent leurs jugements dans l'attente de la réponse de la Cour de Justice. A terme, c'est la crédibilité de l'édifice juridictionnel communautaire qui risque de se trouver affectée.

Or, en dépit des progrès de productivité réalisés par la Cour de Justice, il n'est pas permis d'espérer une amélioration de cette situation d'engorgement en l'absence de réformes de fond.

En effet, les perspectives tendancielles tracées par la Cour dans son document de réflexion sont pessimistes, pour deux motifs :

- d'une part, l'extension du champ des compétences de la Cour et du Tribunal résultant de l'entrée en vigueur de la troisième phase de l'UEM, des dispositions du traité d'Amsterdam relatives aux visas, à l'asile, à l'immigration, à la coopération policière et judiciaire en matière pénale, ainsi que des conventions établies dans le cadre du troisième pilier ;

- d'autre part, l'élargissement de l'Union européenne, qui se traduira mécaniquement par une augmentation du nombre des saisines de la Cour et du Tribunal. La Cour de Justice, dans le cadre de la préparation du budget communautaire, a déjà appelé l'attention du Conseil et du Parlement européen sur le redoutable problème de traduction que posera la multiplication de ses langues de travail. Cette question est d'autant plus importante que ses arrêts ne sont opposables qu'après publication dans la langue des destinataires.

Sous des dehors techniques, les questions relatives au bon fonctionnement de la Cour de Justice sont essentielles à la crédibilité de l'Union européenne, notamment aux yeux des Etats et des peuples qui vont la rejoindre.

La Cour de Justice a produit au mois de mai 1999 un document de réflexion sur " l'avenir du système juridictionnel de l'Union européenne ", qui servira de base à mon propos.

II. Propositions liées à l'élargissement

1. Le nombre de juges

Lors du prochain élargissement, l'accroissement du nombre des Etats membres devrait se répercuter mécaniquement sur les effectifs de la Cour, puisque chaque Etat y nomme un juge. Cette augmentation du nombre des magistrats risque d'être difficilement compatible avec un fonctionnement réellement collégial de la Cour de justice, qui se transformerait alors en un " mini-Parlement ".

Pour cette raison, il a été proposé de bloquer l'effectif de la Cour à son nombre actuel, soit 15 juges. Personnellement, cette proposition me paraît inacceptable. Elle jetterait un soupçon insurmontable sur l'objectivité de la Cour aux yeux de ceux des Etats membres dont la nationalité ne sera pas représentée parmi les magistrats. Certes, ceux-ci ne sont pas les mandataires de leur Etat d'origine. Mais, dans un système plurinational comme l'Union européenne, la légitimité de la juridiction suprême repose implicitement sur la représentation en son sein de toutes les sensibilités juridiques nationales.

La limitation du nombre des juges de la Cour de justice m'apparaît d'autant moins nécessaire qu'il est facile, même dans l'hypothèse de leur accroissement, de préserver le caractère collégial des arrêts. Il suffit de scinder la Cour en deux chambres plénières non spécialisées. C'est la manière dont fonctionne le Tribunal constitutionnel allemand. L'unité de jurisprudence sera préservée à condition que le président et le vice-président siègent dans chacune des deux chambres, et que celles-ci puissent se réunir en formation plénière sur les affaires qu'elles estiment particulièrement délicates.

2. La durée du mandat des juges

Dans le but de renforcer l'autorité des juridictions communautaires, il me paraît opportun d'allonger sensiblement la durée du mandat des magistrats qui y siègent, gage d'expérience.

Cette durée est actuellement de 6 ans. Elle pourrait être portée à 9 ans pour les juges de la Cour de Justice, voire à 12 ans pour les juges du Tribunal de Première Instance, qui sont en général plus jeunes lors de leur nomination.

En corollaire de l'allongement de sa durée, le mandat des juges communautaires devrait devenir non renouvelable. C'est un gage d'indépendance essentiel pour toute institution juridictionnelle qui aspire à une autorité incontestable. Un juge dont le mandat est renouvelable peut toujours être sensible, dans l'exercice de ses fonctions, aux pressions de l'Etat qui a proposé sa candidature au Conseil.

3. La détermination du règlement de procédure

Toujours dans le but de renforcer la Cour de Justice, il me paraît essentiel que celle-ci puisse déterminer elle-même son règlement de procédure, qui est actuellement fixé par le Conseil à l'unanimité.

La Cour craint que la règle de l'unanimité, surtout dans une Union européenne élargie, aboutisse à paralyser tous les projets de modification de son règlement de procédure. Or, l'adaptation de ses procédures est indispensable pour faire face à l'afflux des dossiers.

Afin de rendre plus acceptable pour le Conseil ce transfert de compétence renforçant son autonomie, la Cour de Justice suggère deux modalités. D'une part, les dispositions essentielles de son règlement de procédure seraient insérées dans son statut, qui demeurerait fixé à l'unanimité. D'autre part, les modifications décidées par la Cour seraient soumises au Conseil, et ne deviendraient définitives qu'au terme d'un certain délai, avec son accord implicite.

Cette réforme demandée par la Cour de Justice elle-même, et entourée de garanties raisonnables, me semble particulièrement importante. Sous une apparence technique, elle conditionne radicalement la capacité d'adaptation de la Cour face au problème de son engorgement.

III. Propositions tendant à désengorger la Cour de Justice

1. L'instauration d'un comité de filtrage

La Cour de Justice propose la création d'un comité de filtrage qui lui permettrait de sélectionner en opportunité les renvois préjudiciels, afin de pouvoir se concentrer sur les affaires essentielles pour le développement du droit communautaire.

Outre son rôle direct d'élimination, ce filtrage aurait pour effet indirect d'inciter les juridictions nationales à se montrer plus sélectives dans leurs renvois préjudiciels et à assumer pleinement leur rôle de juges ordinaires du droit communautaire.

Le filtrage, au cas par cas, me paraît très préférable à une restriction générale de l'habilitation des juridictions nationales à saisir la Cour de Justice par voie préjudicielle. Cette hypothèse, simplement évoquée par la Cour dans son document de réflexion, peut recouvrir deux cas de figure : soit un monopole de saisine réservé aux juridictions suprêmes, soit une simple exclusion des juridictions de première instance.

Dans les deux cas, la diffusion du droit communautaire au sein des ordres juridiques nationaux serait entravée et ralentie. Je crains surtout que cette réforme ait pour effet d'encourager les requérants à se pourvoir devant les juridictions supérieures uniquement dans le but de continuer à bénéficier de l'éclairage de la Cour de Justice.

2. L'instauration d'une procédure d'urgence

La Cour propose également, afin de limiter les inconvénients de l'allongement des délais de jugement dans les affaires les plus sensibles, d'instaurer une procédure d'urgence pour certaines questions préjudicielles, sur demande argumentée des requérants et par ordonnance de son président.

Actuellement, la Cour peut seulement décider de traiter par priorité certaines affaires, mais pas omettre ou accélérer des phases de procédure.

Parmi les questions justifiant cette procédure accélérée, la Cour cite l'interprétation de la convention dite de " Bruxelles II " sur la reconnaissance et l'application des décisions de justice en matière matrimoniale, les aspects externes de la libre circulation des personnes et la coopération policière et pénale.

Aussi intéressante soit-elle, cette réforme n'aurait toutefois pour effet que de limiter les inconvénients de l'allongement des délais de jugement dans certains cas sensibles, sans apporter de réponse de fond à l'engorgement de la Cour.

3. Le transfert de certains renvois préjudiciels au TPI

Toujours dans le but d'alléger sa charge de travail, la Cour de Justice propose qu'une partie des renvois préjudiciels, ceux à caractère " technique ", soit confiée au Tribunal de Première Instance. Cette nouvelle compétence du Tribunal serait assortie de mécanismes de renvoi ou de " pourvoi dans l'intérêt de la loi ", afin de garantir que les questions les plus importantes aboutissent toujours devant la Cour.

Je ne suis pas contre le principe de cette réforme. Elle déplace le problème vers le Tribunal de Première Instance, dont le nombre de juges peut être augmenté plus aisément que celui de la Cour. Toutefois, elle risque d'entraîner un allongement des délais de jugement. Quoiqu'il en soit, je m'en remets sur ce point à l'appréciation de la Cour de Justice.

4. Deux fausses solutions à écarter

Je reste en revanche très réservé sur deux autres propositions de réformes avancées par la Cour de Justice dans son document de réflexion.

La première de ces réformes consisterait à faire obligation aux juridictions nationales de présenter à l'appui de leur renvoi préjudiciel une proposition de décision sur l'affaire concernée. La Cour pourrait ainsi saisir plus rapidement, dans chaque cas d'espèce, le problème d'articulation du droit communautaire avec le droit interne. Cette réforme comporte à mon sens un risque majeur d'éclatement de l'unité du droit communautaire, et ignore la force des susceptibilités judiciaires nationales. Les juridictions nationales supporteraient très mal de voir ainsi la Cour de Justice " casser " leurs décisions, encore au stade de simples suggestions.

L'autre proposition qui me paraît dangereuse serait la création d'instances judiciaires déconcentrées dans chaque Etat membre, spécialisées en droit communautaire, pour traiter des questions préjudicielles. Selon le document de réflexion de la Cour, l'avantage de cette réforme serait la proximité culturelle et linguistique de ces instances judiciaires déconcentrées avec les juridictions nationales de leur ressort.

Mais cette réforme me paraît comporter également un risque inacceptable d'éclatement de l'unité du droit communautaire, auquel on ne pourrait pallier qu'avec l'instauration de mécanismes de renvoi devant la Cour de Justice, au prix d'un nouvel allongement des délais. Il en résulterait en outre une complexité accrue des systèmes juridiques nationaux, particulièrement en France, où l'on a déjà une pluralité de juridictions suprêmes.

IV. Propositions modifiant le rôle institutionnel de la Cour

Dans son document de réflexion, la Cour de Justice s'est tenue à une certaine réserve : elle s'est attachée à l'amélioration de son fonctionnement, mais a considéré comme données ses compétences actuelles. Je voudrais évoquer certaines propositions qui tendent à modifier plus ou moins profondément le rôle de la Cour au sein des institutions communautaires.

1. La protection des droits fondamentaux

Je mentionnerai tout d'abord, pour mémoire simplement, le projet d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme. Ce projet, longtemps défendu par le Parlement européen et la Commission, aurait pour effet de soumettre la Cour de Justice des Communautés européenne à la juridiction de la Cour européenne des droits de l'homme.

Cette adhésion ne me paraît pas du tout opportune. Elle se traduirait par une complication supplémentaire de l'architecture juridictionnelle de l'Europe et par un allongement subséquent des délais de jugement, pour un bénéfice très mince. En effet, les divergences de jurisprudence entre la Cour de Justice et la Cour européenne des droits de l'homme restent dans les faits exceptionnelles. Et je ne crois que la seconde, qui souffre également d'un afflux d'affaires, soit en état de se plonger dans le détail du contentieux communautaire.

Il me paraît beaucoup plus simple que la Cour de Justice continue, sous sa seule responsabilité, de faire application des principes généraux du droit communs à tous les Etats membres et de s'inspirer librement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Pour les mêmes motifs, je suis d'ailleurs tout aussi hostile au projet de Charte européenne des droits fondamentaux actuellement à l'étude. Il ne me paraît pas possible d'avoir deux textes fondamentaux concurrents dans l'espace européen.

2. L'extension de la saisine du Parlement européen

Lors des précédentes conférences intergouvernementales, le Parlement européen a revendiqué de pouvoir présenter devant la Cour de Justice des recours en annulation sans avoir à justifier d'un intérêt pour agir, et non plus seulement pour sauvegarder ses prérogatives propres.

Cette revendication traditionnelle du Parlement européen me paraît avoir perdu l'essentiel de son intérêt, en raison de l'extension récente du champ de la codécision. En effet, les recours en annulation ne peuvent pas, par définition, porter sur les actes dont le Parlement est également auteur dans le cadre de la procédure de codécision.

Le Parlement européen souhaite également pouvoir, comme le Conseil, la Commission ou les Etats membres, solliciter l'avis de la Cour de Justice sur la compatibilité des accords internationaux négociés au nom de l'Union européenne avant leur signature définitive. Je ne verrai pas d'obstacle à cette réforme, d'autant plus que bon nombre de ces accords sont subordonnés à l'approbation du Parlement européen, dont l'avis pourrait être ainsi mieux éclairé.

3. Le contrôle juridictionnel du principe de subsidiarité

Un contrôle a priori du respect du principe de subsidiarité par la Cour de Justice, avant que l'acte communautaire concerné devienne définitif, pourrait être utilement instauré.

L'intérêt de ce contrôle a priori serait de permettre que la question de la subsidiarité soit posée en temps utile. La Cour exerce déjà actuellement un contrôle minimum a posteriori, fondé sur la notion " d'erreur manifeste ".

Une telle réforme implique la création d'une procédure spécifique, enserrée dans des délais brefs afin de ne pas trop retarder le processus de décision. Sa portée dépend de la qualité des requérants autorisés à saisir la Cour de Justice.

Les trois institutions du " triangle communautaire " en feraient naturellement partie, même si celles-ci ont souvent un intérêt partagé à négliger la question de la subsidiarité. Ce mécanisme serait toutefois vraisemblablement actionné plus efficacement par les Etats membres.

Je reste en revanche perplexe à l'égard d'un éventuel accès direct des Parlements nationaux à la Cour de Justice. Il existerait alors un risque que ceux-ci se livrent à une surenchère face à leurs opinions publiques, et qu'il en résulte une inflation des recours. Je crois préférable de laisser aux Gouvernements la responsabilité d'apprécier l'opportunité d'invoquer, ou non, le principe de subsidiarité à l'encontre d'une initiative communautaire.

b) Compte rendu sommaire du débat

M. Paul Masson :

La Cour de justice a été créée dans une Communauté européenne à six. A-t-elle déjà fait l'objet d'adaptations depuis ?

M. Robert Badinter :

La principale adaptation a consisté dans la création du Tribunal de Première Instance, décidée en 1988 et devenue effective en 1990. On lui a transféré le contentieux en matière de fonction publique communautaire et de droit de la concurrence, ainsi que les recours directs des personnes physiques ou morales. Le Tribunal fonctionne bien, comme le montre le faible nombre de pourvois devant la Cour de justice.

M. Paul Masson :

Il n'y a donc aucune obligation de représentation proportionnelle des nationalités au sein de la Cour ? Ce problème va devenir crucial, avec l'élargissement à l'Est.

M. Robert Badinter :

Non, la règle est un juge par Etat membre. Mais ce qui compte, plus que leur nationalité, c'est la qualité des juges. En se faisant les garants et les interprètes du droit communautaire, ceux-ci tendent à perdre leur coloration nationale.

L'élargissement ne me paraît pas un motif d'inquiétude dans le domaine juridictionnel, comme il peut légitimement l'être dans d'autres domaines. Dans tous les Etats héritiers de l'empire austro-hongrois, il existe une ancienne tradition juridique, et l'on y trouve d'excellents juristes.

M. Robert Del Picchia :

Je ne doute pas qu'il existe de bons juristes dans les pays d'Europe centrale et orientale. Mais la législation y est très différente de celle des pays d'Europe occidentale, comme on le constate par exemple en matière de lutte contre les stupéfiants. L'adaptation des futurs magistrats de la Cour de justice issus de ces pays risque de ne pas être facile.

M. Robert Badinter :

Permettez-moi de ne pas partager cette crainte. Dans tous les pays d'Europe centrale et orientale, les institutions juridictionnelles, et notamment les cours constitutionnelles, se sont beaucoup développées après la chute du mur de Berlin. Ayant participé personnellement à la mise en place de ces nouvelles cours constitutionnelles, j'ai constaté qu'elles n'ont jamais eu de problèmes pour se doter de magistrats parfaitement au courant des pratiques juridiques occidentales en matière de droits fondamentaux. Il existe aussi dans ces Etats, certes en petit nombre, des experts du droit communautaire. Et je ne doute pas que " l'esprit de corps ", au sens anglo-saxon du terme, l'emporte très vite sur les sensibilités nationales au sein de la Cour de justice.

M. Pierre Fauchon :

Je n'ai pas de crainte sur la compétence des juges de la Cour. Mais on ne peut ignorer l'image de l'institution, et c'est pourquoi j'estime comme vous fondamental que chaque Etat membre y demeure représenté.

M. Robert Badinter :

La participation à la Cour de justice de juges issus des pays d'Europe centrale et orientale me paraît même très souhaitable. Ils constitueront autant de foyers de diffusion des valeurs du droit occidental dans leurs pays d'origine, lorsqu'ils y retourneront occuper de hautes fonctions.

M. Nicolas About :

Je ne doute pas que ces magistrats venus de l'Est seront des Européens encore plus fervents que les autres.

M. Pierre Fauchon :

En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du principe de subsidiarité, je suis favorable à un droit de saisine des Parlements nationaux. Mais il me semble que cette notion insaisissable est plus un principe politique qu'une norme juridique. En tout cas, il n'est pas pertinent de distinguer par matières : les différents niveaux d'intervention communautaire et nationaux coexistent au sein de chaque matière.

M. Robert Badinter :

Je crois que, comme toute grande juridiction, la Cour de justice sera amenée à définir elle-même sa compétence au regard du principe de subsidiarité, bien que je ne pense pas qu'elle ait très envie de se plonger dans ce débat.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je suis étonné que le principe de primauté du droit communautaire ne soit pas devenu un sujet de débat politique avant la discussion des traités de Maastricht et d'Amsterdam.

M. Robert Badinter :

Sur le plan juridictionnel, la reconnaissance de la primauté du droit communautaire ne s'est pas faite sans mal. Les juridictions nationales ont été longues à l'accepter, même si elle est aujourd'hui généralement admise.

E. LES COOPÉRATIONS RENFORCÉES (Rapporteur : M. Xavier de Villepin)

a) Communication

La notion de " coopération renforcée ", de " différenciation ", de " géométrie variable " ou de " flexibilité " signifie la possibilité, pour une partie des Etats membres, de réaliser, ensemble, un approfondissement de la construction européenne, dans tel ou tel domaine. Cet approfondissement réalisé par une " avant-garde " de pays peut s'envisager, soit dans le cadre institutionnel existant, soit en dehors des traités, comme ce fut le cas pour certains projets industriels comme Ariane et Airbus ou encore pour l'aide à la recherche appliquée avec le programme Eurêka. Cette dernière formule peut éventuellement permettre la participation d'Etats non-membres de l'Union européenne. Pour que les choses soient claires, je vous propose de retenir le terme de " coopération renforcée " pour les approfondissements réalisés par des Etats membres dans le cadre du traité et celui de " coopération parallèle " pour les approfondissements réalisés en dehors du traité.

L'importance de ce sujet est encore plus d'actualité aujourd'hui qu'hier, alors que l'Europe doit se préparer, même si le terme en est encore lointain, à fonctionner à plus de trente Etats. La perspective d'un ensemble de moins en moins homogène ne peut en effet qu'encourager à recourir à des formules de coopérations plus adaptées à la variété des situations géographiques, sociales et économiques des Etats.

I - Avant Amsterdam, deux expériences de coopération réussies : Schengen et l'union monétaire

1. Schengen

La coopération Schengen dans le domaine de la police et de la justice est née en 1985 en dehors des traités communautaires, confirmée par une convention d'application en 1990.

Cette coopération a été incluse dans le traité par plusieurs protocoles annexés. L'article 43 introduit à Amsterdam autorise une coopération qui permet notamment la reprise de l'acquis de Schengen. On est ainsi passé d'une " coopération parallèle ", c'est-à-dire d'une avancée de quelques Etats membres en dehors du traité, à une " coopération renforcée " incluse dans les traités.

2. L'Union économique et monétaire

L'Union économique et monétaire a été dès l'origine une coopération renforcée prévue par le traité de Maastricht. Le traité a organisé cette coopération sous la forme d'une différenciation entre les Etats membres en fonction du respect des critères de passage à la monnaie unique. Une seconde différenciation tient à la dérogation permanente qui a été accordée au Royaume-Uni et au Danemark sous la forme d'un opting-in.

La mise en oeuvre de cette coopération renforcée a nécessité la création de quelques mécanismes qui n'avaient pas été prévus par le traité ; c'est le cas en particulier de la mise en place du Conseil de l'Euro-11 qui réunit les ministres de l'Economie et des Finances des pays participant à la zone euro.

II - Le traité d'Amsterdam : une procédure générale de mise en oeuvre des coopérations renforcées

Le traité d'Amsterdam représente une avancée considérable dans la prise en compte des possibilités de coopération renforcée. L'objectif est de permettre aux Etats membres qui souhaitent progresser dans certains domaines de ne pas être ralentis dans leurs efforts par le rythme des pays les plus lents.

Cet objectif a rencontré un certain nombre de réticences. D'abord, l'opposition du Royaume-Uni qui s'est prononcé en faveur d'une flexibilité sur la base d'opting-in ou d'opting-out. D'autre part, les petits pays se sont montrés résolument hostiles à l'idée d'un éventuel directoire des grands pays se concertant dans le cadre d'un noyau dur. Enfin, certains pays ont fait valoir que les schémas de fonctionnement parallèle entre l'ordre communautaire et le cercle des coopérations renforcées conduisaient à des difficultés institutionnelles particulièrement complexes.

Le résultat de ces oppositions a été une limitation importante de la flexibilité offerte par les coopérations renforcées . Outre le fait que ce mécanisme ne s'applique que pour le pilier communautaire et le troisième pilier -la politique étrangère et de sécurité commune faisant l'objet de dispositions spécifiques- la flexibilité fait l'objet de plusieurs conditions restrictives : un Etat peut s'opposer en arguant de " raisons de politique nationale importantes " ; le monopole de la proposition revient à la Commission si la coopération intervient dans le cadre du premier pilier ; des conditions supplémentaires sont imposées tenant aux compétences de la Communauté ; la coopération ne peut être mise en oeuvre qu'avec une majorité d'Etats ; la coopération s'effectue sous le contrôle de la Cour de Justice.

D'après le rapport du groupe présidé par le professeur Quermonne à la demande du Commissariat général du Plan, le jugement qu'on peut porter sur la différenciation est que " la formule de coopération renforcée définie par le traité d'Amsterdam n'est pas satisfaisante ".

Elle n'est pas satisfaisante d'abord, selon le rapport Quermonne, parce que la formule est " trop contraignante ". En effet, la coopération renforcée doit concerner au moins une majorité d'Etats membres ; par ailleurs, elle doit être autorisée par une décision du Conseil prise à la majorité qualifiée et susceptible d'appel devant le Conseil européen se prononçant à l'unanimité ; elle ne peut intervenir " qu'en dernier ressort, lorsque les objectifs des traités ne pourraient être atteints en appliquant les procédures pertinentes qui y ont été prévues " ; enfin, dans le cadre du pilier communautaire, la coopération renforcée ne saurait servir à étendre les domaines de compétence de la Communauté.

Le rapport Quermonne ajoute que la formule est ensuite " trop limitée ". La principale exclusion concerne l'ensemble de la politique étrangère et de sécurité commune. Cette absence paraît difficilement justifiable. En effet, " s'il est bien des domaines dans lesquels un groupe d'Etats pourrait aller de l'avant et servir d'avant-garde, c'est bien ceux de la politique étrangère et de la défense. "

Dans son document de réflexion du 10 novembre 1999, sous le titre " Adapter les institutions pour réussir l'élargissement : contribution de la Commission à la préparation de la Conférence intergouvernementale sur les questions institutionnelles ", la Commission européenne souligne la nécessité de prévenir le risque de dispersion entraîné par l'élargissement de l'Union européenne et formule deux remarques.

1. " On doit observer que les Etats membres qui se proposent d'instaurer entre eux une coopération renforcée en matière policière et judiciaire ou dans des domaines communautaires s'exposent à un risque de blocage par le Conseil réuni au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement. Cette possibilité de veto peut inciter les Etats souhaitant coopérer entre eux de manière plus approfondie à ne pas se situer à l'intérieur du cadre institutionnel prévu par les traités. "

2. " Il y aura lieu d'examiner également, en matière de politique étrangère et de sécurité commune, si le mécanisme d'abstention constructive prévu par le traité d'Amsterdam répond efficacement au besoin que certaines actions puissent être élaborées et menées à bien au nom de l'Union européenne par certains Etats membres seulement ".

III - Faut-il modifier le régime des coopérations renforcées dans le cadre de la prochaine Conférence intergouvernementale ?

A titre de remarque préalable, je crois qu'il convient de prendre garde au concept de coopération renforcée.

Il doit d'abord être clair que les coopérations renforcées ne doivent viser qu'à une intégration plus poussée, non à ouvrir la possibilité d'opting-out. Mais, même dans cet esprit, la multiplication des coopérations renforcées ne serait pas sans risques pour la cohérence du fonctionnement institutionnel de l'Union européenne : risque de diminution du sens d'appartenance à une même Communauté ; risque d'affaiblissement possible du rôle d'initiative de la Commission et de sa fonction de représentation de l'intérêt général ; risque d'encouragement objectif aux opting-outs ; risque de fragmentation de l'ordre juridique communautaire ; risque de complication des règles et procédures déjà peu lisibles pour le citoyen européen. Le rapport Quermonne, dans cette logique, souligne qu'" en rendant ainsi plus facile le recours à la clause de coopération renforcée, on exposerait l'Union à la confusion institutionnelle et on perdrait toute chance de lui donner une identité politique à la mesure de sa capacité. Car si les coopérations renforcées devaient proliférer et créer des cercles multiples, la cohésion de la Communauté et de l'Union pourraient être mises en cause ".

Enfin, nous devons garder à l'esprit que les pays candidats sont très attentifs à l'évolution institutionnelle de l'Union. Pour l'élargissement, il a été décidé une reprise de l'acquis communautaire. Comme le rappelle très justement la Commission, dans son document du 10 novembre dernier, " l'acquis ne doit en aucun cas être considéré comme une forme de coopération renforcée entre les Quinze, avec de nouveaux Etats membres qui entreraient dans cette coopération à leur gré, sur leur demande ". Une trop grande ouverture des possibilités de coopération renforcée ne doit pas donner un mauvais signal aux pays candidats à l'adhésion.

Par ailleurs, je rappelle que, dans l'optique retenue pour les cinq communications de notre délégation, nous ne cherchons pas la création d'une construction institutionnelle idéale pour l'Union européenne, mais nous tentons de délimiter ce qui paraît réaliste pour la Conférence intergouvernementale qui se tiendra l'an prochain.

Je crois que notre réflexion sur les coopérations renforcées ne peut s'effectuer que pilier par pilier.

1. Le premier pilier

Concernant le premier pilier , dès lors qu'il y a vote à la majorité qualifiée, la coopération renforcée ne présente plus la même utilité.

Notre collègue Aymeri de Montesquiou nous a proposé, dans sa communication sur le Conseil, de soutenir une large extension du domaine de la majorité qualifiée. Si nous retenons ces propositions et si nous retenons également, comme nous le propose notre collègue Aymeri de Montesquiou, l'abaissement du seuil de la majorité qualifiée, la flexibilité ne me paraît plus offrir de grandes possibilités dans le premier pilier.

De plus, pour les secteurs où nous pourrions souhaiter une plus grande harmonisation, comme la fiscalité ou la politique sociale, la coopération renforcée n'est sans doute pas une solution. On peut donner comme exemple le protocole sur la politique sociale qui avait été annexé au traité de Maastricht. Pendant toute la période de son application, plusieurs Etats membres ont estimé que le Royaume-Uni, en n'étant pas partie à l'accord contenu dans le protocole, bénéficiait en réalité d'une forme de concurrence déloyale. A quoi servirait en effet demain une coopération renforcée dans le domaine fiscal si le Royaume-Uni gardait la maîtrise de sa fiscalité et par là même la possibilité d'exercer une concurrence fiscale proche du dumping fiscal ?

2. Le deuxième pilier

Concernant la politique étrangère et de sécurité commune , je vous rappelle l'opinion qu'avait émise devant notre délégation Jacques Delors lors de son audition du 16 juin dernier. " En ce qui concerne la politique étrangère, est-ce vraiment le cadre institutionnel qui est en cause ? Je ne crois pas que l'introduction du vote à la majorité qualifiée ferait disparaître les difficultés rencontrées dans ce domaine. En réalité, les différences entre les Etats membres rendent très difficile un accord sur les objectifs et les moyens d'une action commune dans le monde d'après la guerre froide ", nous disait-il.

En ce domaine, encore relativement neuf pour l'Union européenne, le système de l'abstention constructive a l'avantage de faire peser le poids d'un blocage sur le pays qui refuse d'agir pour une opération déterminée. Or si un pays est, pour des raisons fondamentales, opposé à une action dans ce domaine, il y a peu de chances pour qu'il laisse une coopération renforcée s'organiser. Mais nous devons constater qu'actuellement il se pratique des coopérations parallèles en matière de politique étrangère et de sécurité commune par la mise en place des groupes de contact. Peut-on aller plus loin et chercher à institutionnaliser des coopérations renforcées ? J'aimerais qu'un débat s'instaure au sein de la délégation sur ce point mais j'y suis a priori assez favorable pour tenter de donner une visibilité européenne à des actions qui se déroulent pour l'heure hors de l'Union.

Sur les affaires de défense , l'Europe a connu quelques progrès depuis un an. Des négociations vont se poursuivre durant l'année qui vient. Ce n'est qu'au terme de celles-ci que l'on pourra apprécier s'il convient d'inclure les dispositions concernant la défense dans la Conférence intergouvernementale. En tout état de cause, il me semble que les coopérations parallèles ont déjà fait leurs preuves en ce domaine, notamment avec l'Eurocorps. Les propositions actuellement formulées en matière de " capacités militaires " (corps d'armée de 50.000 hommes capables d'intervenir dans les soixante jours) ne visent pas à mettre en place une armée européenne, mais un ensemble de forces armées nationales rassemblées autour d'un objectif ; il apparaît d'ailleurs que l'Eurocorps pourrait constituer le noyau central de cette force européenne.

Il me semble donc que, pour la défense, l'essentiel, dans la perspective souhaitable à terme de coopérations renforcées, est de laisser subsister la possibilité, qui existe actuellement, de recourir à des coopérations parallèles, c'est-à-dire à des coopérations hors du traité. Cette possibilité de coopération parallèle est tout à la fois un aiguillon pour progresser à Quinze et le moyen d'avancer, même si les Quinze ne vont pas du même pas.

3. Le troisième pilier

Concernant le troisième pilier, et dans la perspective de l'élargissement, il s'agit sans doute d'un des domaines où une coopération renforcée peut s'avérer des plus fructueuses . C'est d'ailleurs dans ce domaine de la coopération policière et judiciaire qu'est née précisément la première coopération renforcée avec les accords de Schengen. Il est probable que les matières du troisième pilier qui ont été transférées dans le premier pilier par le traité d'Amsterdam se prêtaient mal à ce type de coopération. On peut évoquer notamment la matière des visas, de l'asile et de l'immigration. Il s'agit de matières pour lesquelles des règles juridiques doivent être adoptées, en particulier sous la forme de directives ou de règlements communautaires.

En revanche, dans la ligne des conclusions du programme d'action adopté par le Conseil européen de Tampere, il est vraisemblable qu'un certain nombre d'initiatives prises dans le cadre de l'actuel troisième pilier pourraient être rapidement plus efficaces si elles étaient mises en oeuvre en recourant à des coopérations renforcées. Ne pourrait-on pas ainsi mettre en place " Eurojust ", même si quelques Etats membres traînaient les pieds. Je crois donc que nous devrions souhaiter que la Conférence intergouvernementale assouplisse les conditions de recours à la coopération renforcée pour le troisième pilier.

b) Compte rendu sommaire du débat

M. Aymeri de Montesquiou :

J'aimerais savoir si le rapport Quermonne fait des propositions pour remédier aux insuffisances du traité d'Amsterdam.

M. Xavier de Villepin :

Le rapport Quermonne établit un constat sur les limites et les restrictions dans la mise en oeuvre des coopérations renforcées dans le cadre du traité d'Amsterdam. Il laisse entendre, comme je le crois personnellement, que toutes les propositions qui permettront d'éviter des enlisements dans les actions entreprises en commun seront utiles, notamment dans le domaine de la politique de sécurité.

M. Pierre Fauchon :

La question des coopérations renforcées conduit à une réflexion particulière qui va être dominante du fait de l'élargissement. D'un côté, on peut se demander si le recours à une coopération renforcée, pour contourner l'impossibilité d'avancer ensemble, ne relève pas de la politique de la facilité. D'une manière plus générale, on doit être conscient du fait que l'élargissement, avec la multiplication de coopérations particulières, peut conduire à une dilution des politiques communautaires, comme le souhaitent d'ailleurs les Anglo-saxons. Mais d'un autre côté, on doit aussi considérer que la question des coopérations renforcées est une question importante : c'est une arme et un argument de persuasion pour les pays qui sont conscients d'avoir un destin propre dans la construction de l'Europe et qui ont des ambitions dans ce domaine. Il faut être conscient du fait que le droit de veto risque de devenir de plus en plus dangereux. Il faudra bien que les grands pays fondateurs de l'Union européenne puissent passer outre aux positions des nouveaux pays adhérents lorsque ceux-ci ne voudront pas s'engager dans de nouvelles politiques européennes que souhaiteront pourtant les grands pays.

M. Xavier de Villepin :

Je voudrais faire deux remarques. La première tient au fait que la criminalité organisée est un problème essentiel de l'Europe. Une initiative de quelques Etats pour lancer des actions dans ce domaine me semblerait extrêmement utile. Ma seconde remarque est que les idées sur l'avenir de l'Europe ne sont pas stabilisées. Je suis par exemple perplexe devant la déclaration du Président des Etats-Unis concernant l'entrée de la Bulgarie, qui est un pays géographiquement proche de la Russie, dans l'OTAN. Devant des initiatives qui pourraient passer pour des provocations aux yeux de certains partenaires, je crois qu'il faut bien réfléchir et prendre des positions reposant sur le bon sens ; nous devons aussi nous préoccuper des préoccupations de nos opinions plutôt que de nous lancer dans de grandes spéculations théoriques.

M. Louis Le Pensec :

Les coopérations renforcées sont une des réponses du traité d'Amsterdam aux préoccupations d'efficacité des institutions. La question doit être examinée dans la perspective de l'élargissement d'une Europe à vingt-cinq Etats ou plus. Les coopérations renforcées doivent être prises comme un outil destiné à donner de la souplesse au fonctionnement des institutions. Sans remettre en cause la cohérence d'ensemble du dispositif auquel nous tenons. M. Moscovici a bien souligné qu'il ne s'agit pas, par ce moyen, d'établir une Europe à la carte. Il est bien clair que les coopérations renforcées ne peuvent être une réponse valable que pour autant que le reliquat d'Amsterdam, et notamment le vote à la majorité, aura été réglé, ainsi que le fonctionnement de la Commission.

M. Lucien Lanier :

Je suis entièrement d'accord avec la politique de prudence retenue par M. de Villepin. Revenant sur les propos de notre collègue Fauchon, il me semble qu'il faut avoir un certain nombre de garde-fous pour ces coopérations renforcées pour le cas où certains pays seraient tentés, entre eux, de régionaliser ces coopérations au profit de leurs intérêts propres. Je pense en particulier aux pays anglo-saxons qui pourraient à titre d'exemple souhaiter une coopération renforcée sur certaines de leurs pratiques juridiques.

M. Hubert Haenel :

Un des garde-fous actuel est que ces coopérations ne peuvent être contraires au traité.

F. EXAMEN D'ENSEMBLE DES PROPOSITIONS

Les propositions des rapporteurs ont été examinées par la délégation lors de la réunion de mercredi 15 décembre 1999.

M. Hubert Haenel :

Le moment est venu de conclure nos premiers travaux concernant la CIG. Il s'agit d'une première étape, car, naturellement, nous aurons à revenir sur ce sujet à plusieurs reprises l'année prochaine.

Mais il était utile que nous commencions dès maintenant à prendre certaines positions, en particulier pour deux raisons :

- tout d'abord, c'est pour nous le moyen d'apporter en temps utile notre contribution au débat : en effet, nous savons que pour pouvoir être écoutés -sinon suivis-, nous devons intervenir en amont et non pas quand les négociations sont déjà engagées ;

- ensuite, nous disposerons ainsi d'une base pour le dialogue que nous aurons tout au long de l'année prochaine avec le Gouvernement : ayant indiqué ce qui nous paraît souhaitable pour cette CIG, nous pourrons demander au Gouvernement de tenir compte de nos préoccupations.

Dès le début, nous avons retenu une approche de la CIG centrée sur les questions non résolues par le traité d'Amsterdam, conformément aux conclusions du Conseil européen de Cologne (juin 1999). Cette approche réaliste était justifiée puisque le Conseil européen d'Helsinki a confirmé que la CIG travaillerait dans cet esprit.

On voit bien que l'heure n'est pas à un grand débat philosophique sur la nature de l'Union : il s'agit d'améliorer sa capacité de décision et les conditions de fonctionnement dans la perspective d'un élargissement qui pourrait commencer dès 2004.

Si nous voulons réussir cet exercice, il faut se concentrer sur lui. Si d'autres thèmes et d'autres préoccupations venaient se surajouter, ils pourraient servir d'alibi pour repousser une fois de plus la décision sur les questions non résolues à Amsterdam. Mieux vaut faire en sorte que la CIG soit condamnée à réussir.

Un mot pour rappeler la méthode que nous avons adoptée : au mois de novembre, nous avons entendu cinq communications :

- celle de M. Aymeri de Montesquiou sur le Conseil de l'Union européenne,

- celle de M. Robert Badinter sur la Cour de justice,

- celle de M. Pierre Fauchon sur le contrôle parlementaire,

- celle de M. Xavier de Villepin sur les coopérations renforcées,

- et celle de M. Lucien Lanier sur la Commission européenne.

En fonction des débats que nous avons eus, les rapporteurs ont pu préciser leurs propositions, qui ont été envoyées à tous les membres de la délégation le 2 décembre, afin que chacun dispose d'un délai de réflexion.

Je vais maintenant appeler ces différentes propositions.

1 - Le Conseil de l'Union européenne (Rapporteur : M. Aymeri de Montesquiou)

M. Hubert Haenel :

La première proposition présentée concerne la repondération des votes au Conseil. Je rappelle que, dans la perspective de l'élargissement, une repondération est impérative : sans repondération, le déséquilibre entre " grands " et " petits " Etats va fortement s'aggraver, ce qui compromettra la légitimité du Conseil et sa capacité de décision.

Le rapport de la présidence finlandaise pour le Conseil européen d'Helsinki mentionne que " Lors des consultations, deux formules possibles ont été abordées :

" i) une pondération modifiée des voix ;

" ii) l'instauration d'un système de " double majorité " (à savoir une majorité convenue en termes de voix et de population). "

Il ajoute que " Les consultations ont fait apparaître qu'une nette majorité est favorable à une pondération modifiée des voix. "

D'après les informations que j'ai pu recueillir, seuls la Grèce, l'Irlande et le Danemark se prononceraient encore en faveur de la double majorité. La Belgique et le Luxembourg y seraient également assez favorables, mais ils se seraient ralliés, en accord avec les Pays-Bas, à une position ouverte aussi bien à la repondération qu'à la double majorité.

Par rapport à sa communication du 9 novembre, M. Aymeri de Montesquiou a renforcé sa proposition dans le sens d'une représentation plus adéquate des " grands " Etats au sein du Conseil. En effet, il paraît à peu près acquis que les " grands " Etats vont perdre " leur " second commissaire européen ; la contrepartie de cette moindre représentation des " grands " Etats au sein de la Commission doit être une repondération substantielle des votes au Conseil.

La proposition de M. Aymeri de Montesquiou tend à augmenter le nombre de voix de tous les Etats en augmentant davantage le nombre de voix des " grands " Etats. Pour les Etats ayant actuellement 10 voix (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni) et 8 voix (Espagne), ce nombre serait multiplié par 3 ; pour les Pays-Bas, il serait multiplié par 2,4 ; pour les autres Etats, il serait multiplié par 2 sauf pour le Luxembourg (multiplication par 1,5). Ce schéma serait ensuite transposé aux nouveaux adhérents en fonction de leur population (les pays de moins de trois millions d'habitants seraient assimilés au Luxembourg, ceux ayant entre trois et six millions d'habitants seraient assimilés à l'Irlande, au Danemark et à la Finlande).

Cette proposition a été approuvée par la délégation.

M. Hubert Haenel :

La deuxième proposition de M. Aymeri de Montesquiou concerne le vote à la majorité qualifiée.

Le rapport de la présidence finlandaise pour le Conseil européen d'Helsinki précise, je le rappelle, que " Les consultations ont révélé que les Etats membres sont très largement disposés à étendre le vote à une majorité qualifiée dans la perspective de l'élargissement ".

Le domaine du vote à la majorité qualifiée a été déjà sensiblement étendu par les précédents traités : l'Acte Unique, Maastricht, Amsterdam. Mais certaines décisions concernant, au sens large, la vie économique et sociale de la Communauté restent prises à l'unanimité. Il est proposé de remplacer pour ces décisions la règle de l'unanimité par celle de la majorité qualifiée, sauf dans le cas particulier des choix énergétiques.

Plus précisément, la décision à la majorité qualifiée serait étendue aux matières suivantes relevant du traité instituant la Communauté européenne (TCE) :

- les aspects de la politique sociale communautaire encore régis par l'unanimité (articles 42, 137 à 144 du TCE) ;

- l'accès aux professions réglementées (article 47 du TCE) ;

- les aides d'Etat (article 88 du TCE) ;

- l'harmonisation de la fiscalité indirecte (article 93 du TCE) ;

- le rapprochement des législations ayant une " incidence directe " sur le fonctionnement du marché intérieur (article 94 du TCE) ;

- l'assistance financière exceptionnelle à un Etat membre (article 100 du TCE) ;

- la politique culturelle (article 151 du TCE) ;

- la politique industrielle (article 157 du TCE) ;

- les fonds structurels (articles 159 et 161 du TCE) ;

- les aspects de la politique de l'environnement encore régis par l'unanimité (article 175 du TCE), à l'exception des choix énergétiques, qui continueraient à relever de l'unanimité.

En revanche, il est proposé de maintenir, lorsqu'elle existe, la règle de l'unanimité pour les domaines touchant au fonctionnement des institutions lato sensu .

Par ailleurs, toujours dans le but de rendre plus facile la prise de position, M. Aymeri de Montesquiou propose d'abaisser le seuil de la majorité qualifiée. Ce seuil est aujourd'hui de 71 % des voix. Il est proposé de l'abaisser à 60 %.

Au cours du débat, les membres socialistes de la délégation ont indiqué que, plutôt que de se livrer à une énumération de nouveaux domaines pour le vote à la majorité qualifiée, ils souhaitaient que la délégation se prononce pour une généralisation du vote à la majorité qualifiée, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées, en estimant qu'il n'était pas nécessaire de préciser, au stade actuel, la liste exacte de ces exceptions. Ils se sont en outre prononcés pour que les règles concernant le droit de circulation et de séjour des citoyens de l'Union soient adoptées à la majorité qualifiée.

A l'issue du débat, la délégation a approuvé à la majorité la proposition présentée par M. Aymeri de Montesquiou.

M. Hubert Haenel :

Enfin, la troisième proposition d'Aymeri de Montesquiou concerne le fonctionnement du Conseil.

Comme le Conseil " Affaires générales ", absorbé par la PESC, n'assure plus suffisamment en pratique la coordination des travaux du Conseil, il est suggéré de dédoubler le Conseil " Affaires générales " en deux formations distinctes : l'une spécifiquement chargée de la PESC, l'autre chargée de la coordination. Celle-ci pourrait être assurée par des ministres résidant à Bruxelles afin d'assurer une supervision permanente des travaux du Conseil, ce qui garantirait la primauté du politique sur l'administratif.

Par ailleurs, il est proposé que le Conseil " Ecofin " reçoive un pouvoir d'arbitrage sur toute question impliquant de façon significative le budget de l'Union, afin d'éviter que les Conseils spécialisés ne délibèrent sur des programmes communautaires sans que soit assurée une pleine cohérence avec les données budgétaires.

Enfin, il est proposé de diminuer, par des regroupements, le nombre des formations spécialisées du Conseil, dont la multiplication favorise l'inflation législative communautaire.

A l'issue du débat, la délégation a approuvé à la majorité la proposition présentée.

2 - La Cour de justice (Rapporteur : M. Robert Badinter)

M. Hubert Haenel :

La Cour de justice doit, elle aussi, s'adapter à la perspective de l'élargissement. Pour cela, trois propositions sont avancées par M. Robert Badinter.

La première proposition est de maintenir la règle d'un membre de la Cour de justice par Etat membre, et de scinder la Cour en deux chambres non spécialisées, qui pourraient se réunir en formation plénière sur les affaires les plus délicates.

La deuxième est d'allonger et de rendre non renouvelables les mandats des magistrats de la Cour de justice et du Tribunal de Première instance.

La troisième est de conférer à la Cour de justice le pouvoir de déterminer elle-même son règlement de procédure, sous réserve d'une approbation tacite par le Conseil.

La délégation a approuvé ces trois propositions.

M. Hubert Haenel :

Par ailleurs, la Cour de justice souffre d'engorgement en raison du nombre des renvois préjudiciels en interprétation du droit communautaire, pour lesquels le délai de procédure atteint près de deux ans. Ce phénomène d'engorgement ne peut que s'aggraver avec l'élargissement.

D'où trois autres propositions de M. Robert Badinter, qui forment un ensemble cohérent : il s'agit d'instaurer un filtrage pour détecter les renvois préjudiciels les plus importants et les plus urgents, d'instaurer une procédure d'urgence pour les renvois préjudiciels les plus sensibles, et de transférer au contraire les renvois préjudiciels les moins importants au Tribunal de Première instance des Communautés.

La délégation a approuvé ces trois propositions.

M. Hubert Haenel :

Par ailleurs, M. Robert Badinter propose d'étendre au Parlement européen la possibilité de solliciter l'avis de la Cour de justice sur la compatibilité avec le droit communautaire des accords internationaux négociés au nom de l'Union européenne, avant leur signature définitive.

La délégation a approuvé cette proposition.

M. Hubert Haenel :

Enfin, M. Robert Badinter propose d'instaurer un contrôle a priori du respect du principe de subsidiarité par la Cour de justice, avant que l'acte communautaire concerné devienne définitif. Le recours serait ouvert aux institutions de l'Union et aux Etats membres.

Au cours du débat, plusieurs membres de la délégation se sont opposés à une extension du rôle de la Cour de justice en matière de subsidiarité, estimant que le respect de ce principe plus politique que juridique relevait plutôt d'une instance parlementaire.

A l'issue du débat, cette proposition a été repoussée à la majorité.


3 - Le contrôle parlementaire (Rapporteur : M. Pierre Fauchon)

M. Hubert Haenel :

Dans le domaine du contrôle parlementaire, M. Pierre Fauchon avance, au total, six propositions.

Première proposition : compte tenu de l'alourdissement inéluctable du fonctionnement du Parlement européen lorsque l'Union comptera 27 membres, il est proposé de désencombrer son ordre du jour par une nouvelle rédaction de l'article 95 du traité, qui est relatif aux rapprochements des législations pour le fonctionnement du marché intérieur. Les dispositions générales resteraient définies en codécision par le Parlement européen et le Conseil, mais les textes d'application de caractère technique (caractéristiques des véhicules, normes applicables aux ascenseurs...) seraient arrêtés par le Conseil sur proposition de la Commission.

La délégation a approuvé cette proposition.

M. Hubert Haenel :

Deuxième proposition : il est suggéré de redéfinir les conditions de la responsabilité de la Commission devant le Parlement européen.

Afin de clarifier les choses, il est proposé de maintenir explicitement :

- que la responsabilité de la Commission est uniquement collégiale ;

- que la Commission ne peut être renversée que par le vote d'une motion de censure à la majorité des membres composant l'assemblée ;

- et d'ajouter la précision que seuls les votes favorables à la censure sont recensés.

Ainsi, l'exigence d'une majorité des deux-tiers des suffrages exprimés disparaîtrait, mais le système serait en réalité plus protecteur pour la Commission sur le plan politique, car seuls les votes favorables à la censure seraient recensés.

La délégation a approuvé cette proposition.

M. Hubert Haenel :

Troisième proposition : il est suggéré d'adopter une nouvelle répartition des sièges entre les Etats membres, afin d'assurer le respect du plafond de 700 membres tout en répartissant les sièges de manière plus équitable.

La solution proposée serait d'accorder 4 sièges à tous les Etats, puis ensuite, de manière proportionnelle, d'accorder un siège supplémentaire par tranche de 820 000 habitants. Elle maintiendrait, tout en la réduisant, une certaine sur-représentation des " petits " Etats, permettant ainsi la représentation de leur diversité politique interne ; parallèlement, elle assurerait néanmoins un certain rééquilibrage au profit des " grands " Etats.

Au cours du débat, plusieurs membres de la délégation ont souligné que, si cette proposition avait le mérite d'assurer un meilleur équilibre entre " grands " et " petits " Etats, elle creusait à l'excès la différence entre la France et l'Allemagne.

A l'issue du débat, la délégation a décidé à la majorité d'approuver le principe de cette proposition (soit l'attribution d'un nombre de sièges déterminé à tous les Etats, puis la distribution des sièges supplémentaires proportionnellement à la population), mais d'en réexaminer ultérieurement les modalités, afin d'éviter une altération trop marquée des équilibres actuels.

M. Hubert Haenel :

Quatrième proposition : il est suggéré d'étendre la procédure de codécision (qui donne au Parlement européen les mêmes pouvoirs qu'au Conseil) aux matières législatives pour lesquelles la règle de l'unanimité serait remplacée par la décision à la majorité qualifiée. A cet égard, le rapport de la présidence finlandaise mentionne que " Un large consensus s'est dégagé pour inviter la conférence à examiner dans quelle mesure il conviendrait d'associer l'extension du vote à la majorité qualifiée pour les actes législatifs à la procédure de codécision. "

Cette proposition a été approuvée à la majorité par la délégation.

M. Hubert Haenel :

Cinquième proposition : en ce qui concerne les parlements nationaux, la priorité retenue est l'application effective du protocole annexé au traité d'Amsterdam. Ce protocole garantit notamment aux parlements nationaux un délai de six semaines, sauf cas d'urgence, pour l'examen des propositions législatives soumises au Conseil. Il est proposé que les parlements nationaux puissent saisir la Cour de justice pour assurer le respect de ce délai garanti.

Au cours du débat, plusieurs membres de la délégation, tout en estimant nécessaire le plein respect du protocole annexé au traité d'Amsterdam, ont jugé qu'il n'était pas souhaitable que la Cour de justice soit appelée à arbitrer dans un tel domaine.

A l'issue du débat, la proposition a été repoussée à la majorité.

M. Hubert Haenel :

Sixième proposition : enfin, toujours en ce qui concerne les parlements nationaux, il est suggéré qu'une " enceinte " analogue à celle prévue pour l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux soit mise en place, le moment venu, pour préparer l'harmonisation législative nécessaire à la mise en place d'un " espace judiciaire européen ".

Au cours du débat, les membres socialistes de la délégation se sont opposés à cette proposition, en faisant valoir que la construction d'un espace judiciaire européen était déjà bien engagée selon les procédures classiques, et que la nouvelle structure proposée compliquerait inutilement le système de décision.

A l'issue du débat, la proposition a été approuvée à la majorité.


4 - La Commission européenne (Rapporteur : M. Lucien Lanier)

M. Hubert Haenel :

Pour ce qui est de la composition de la Commission, M. Lucien Lanier propose de choisir entre trois formules :

- une Commission resserrée, dont le nombre de membres serait fixé par son Président ;

- une Commission composée d'un commissaire par Etat membre ;

- une Commission composée selon les règles actuelles (un commissaire par Etat membre, et un second commissaire pour les plus grands Etats).

Sur ce sujet, le rapport de la présidence finlandaise a estimé que " Les consultations ont permis de cerner deux solutions de base :

" i) premièrement, la meilleure garantie de la légitimité de la Commission est un collège constitué d'un ressortissant de chaque Etat membre ;

" ii) deuxièmement, il faut que la Commission soit composée d'un nombre réduit et fixe de membres. Il s'ensuit que la Commission aurait moins de membres qu'il n'y aurait d'Etats membres. D'aucuns estiment que cette solution constitue le meilleur moyen de permettre à la Commission de s'acquitter efficacement de sa mission en tant que collège. "

Au cours du débat, plusieurs membres de la délégation ont estimé que, si une repondération substantielle des votes au Conseil était obtenue, la France devrait se rallier à la solution d'attribuer un commissaire par Etat membre. Ils ont fait valoir que, lors de la précédente CIG, la position française en faveur d'une Commission resserrée avait été perçue comme l'expression d'une volonté d'hégémonie des grands Etats et avait ainsi contribué à isoler notre pays. D'autres membres de la délégation ont estimé que la collégialité et l'indépendance de la Commission ne seraient pleinement garanties que par la formule d'une Commission restreinte, dont le nombre de membres serait dissocié du nombre des Etats membres, et où une hiérarchisation serait introduite.

A l'issue du débat, la délégation s'est prononcée, à la majorité, pour une Commission composée d'un national de chaque Etat membre, sous réserve d'un accord sur une repondération des votes au sein du Conseil.

M. Hubert Haenel :

Par ailleurs, M. Lucien Lanier propose que le Président de la Commission dispose d'une autorité accrue sur les membres de la Commission, en recevant explicitement la possibilité de réaménager son équipe.

Cette proposition a été approuvée par la délégation.

5 - Les coopérations renforcées (Rapporteur : M. Xavier de Villepin)

M. Hubert Haenel :

Le problème des coopérations renforcées est le dernier que nous ayons à aborder.

A ce sujet, le rapport de la présidence finlandaise n'est guère encourageant. Il rappelle que " Lors des consultations, on a suggéré d'explorer certains aspects des dispositions du traité relatives au renforcement de la coopération (notamment le nombre d'Etats membres requis pour une coopération renforcée, l'exigence d'un consensus, certaines des conditions spécifiques à remplir et la nécessité d'adopter pour le deuxième pilier des dispositions qui soient analogues à celles relevant des premier et troisième piliers). "

Et il conclut que " Durant les consultations, une nette majorité s'est dessinée pour ne pas inscrire ce point à l'ordre du jour de la CIG . "

Les conclusions du Conseil européen d'Helsinki ne prévoient pas l'inscription de cette question à l'ordre du jour de la CIG, mais elles mentionnent que la présidence portugaise pourra proposer l'inscription à son ordre du jour de points autres que les trois éléments du reliquat d'Amsterdam. C'est ce qui a permis notamment au Chancelier Schröder de déclarer, à l'issue du Conseil européen, que l'idée de la flexibilité restait sur la table.

M. Xavier de Villepin avance deux propositions dans ce domaine.

Première proposition : dans le cas de la PESC, il est suggéré que les dispositions relatives à l'" abstention constructive " soient rédigées de manière à permettre plus facilement à certains Etats membres d'agir au nom de l'Union pour la réalisation des objectifs assignés à celle-ci par le traité.

Deuxième proposition : dans le cas du troisième pilier, il est proposé de supprimer la possibilité pour un Etat membre de s'opposer au lancement d'une coopération renforcée.

Au cours du débat, les membres socialistes de la délégation ont déclaré douter de l'utilité d'une révision de la procédure des coopérations renforcées. Ils ont souligné que le processus de construction de la défense européenne s'effectuait sous la forme d'une " coopération parallèle " qui avait pu s'élaborer sans modification du traité. En matière de PESC et de défense, ont-ils déclaré, mieux vaut progresser de manière pragmatique, les Etats membres s'associant progressivement aux initiatives lancées par certains d'entre eux, et les modifications institutionnelles éventuellement nécessaires n'intervenant qu'au terme du processus. Pour le troisième pilier, ils ont estimé que des coopérations renforcées pourraient nuire à la cohérence de l'espace de sécurité et de justice, et, dans la perspective de l'élargissement, compromettre la reprise intégrale de l'acquis communautaire par les pays candidats.

A l'issue du débat, la délégation a approuvé à la majorité les deux propositions.

M. Hubert Haenel :

La délégation doit maintenant se prononcer sur l'ensemble des propositions, compte tenu des modifications qui leur ont été apportées.

La délégation a approuvé à la majorité l'ensemble des propositions, les membres socialistes s'abstenant, les membres communistes ne prenant pas part au vote et M. Emmanuel Hamel votant contre.

G. PREMIÈRES RÉPONSES DU MINISTRE DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Au cours de la réunion du 21 décembre 1999, le ministre délégué chargé des Affaires européennes a fait part à la délégation de ses premières réactions au sujet des propositions qu'elle avait formulées.

M. Pierre Moscovici :

La réforme institutionnelle était, vous le savez, un des points principaux de ce Conseil, puisque, conformément aux conclusions du Conseil européen de Cologne, était attendu le rapport de la présidence finlandaise sur les principales questions qui devront être examinées au cours de cette CIG.

Vous connaissez bien le sujet pour y avoir déjà beaucoup travaillé. Aussi, je me contenterai de rappeler brièvement les termes du débat tel qu'il se posait à la veille d'Helsinki. La principale difficulté à trancher concernait l'ordre du jour, qui, pour nous, comme pour la grande majorité des Etats membres, et la Présidence finlandaise la première, devait être ambitieux, sans pour autant compromettre le respect du calendrier fixé à Cologne, ce qui, à notre sens, eut été le risque si nous avions totalement suivi certaines idées exprimées l'été dernier au Parlement européen et à la Commission.

Et c'est finalement cette approche, à la fois réaliste et ambitieuse, qui a prévalu :

- réaliste, parce qu'il est clair désormais que la CIG se concentrera, d'abord, sur les trois grandes questions laissées sans solution à Amsterdam, et qui sont aussi, il faut bien le reconnaître, les plus difficiles ;

- mais une approche ambitieuse, aussi, parce que nous devons aller au fond de ces trois grandes questions, et aussi parce que avons laissé la porte ouverte pour que d'autres questions puissent éventuellement figurer à l'ordre du jour : les questions directement connexes aux trois principales, mais aussi d'autres sujets, parmi lesquels l'importante question des coopérations renforcées.

Je crois donc que nous pouvons nous féliciter de ce que notre point de vue ait été écouté, puisque c'est à notre Présidence qu'il reviendra de conclure la Conférence.

Plus précisément, que retenir des conclusions d'Helsinki ?

- D'abord, donc, que la conférence devra examiner -je cite- " la taille et la composition de la Commission, la pondération des voix au Conseil, l'extension éventuelle du champ du vote à la majorité qualifiée, ainsi que d'autres modifications qu'il faudra apporter aux institutions en liaison avec les questions précitées . "

C'est donc l'approche que nous avions explicitement consignée dans la déclaration franco-italo-belge de l'été 1997, en formulant le préalable institutionnel à l'élargissement, qui a, en grande partie, prévalu.

Mais la possibilité d'aborder d'autres questions n'est pas écartée : elle est renvoyée à une décision du Conseil européen, qui sera prise lors de l'examen, en juin prochain, du rapport de la Présidence portugaise sur les travaux des premiers mois de la CIG ; nous souhaitons que ces travaux soient fructueux et que, sur la base d'un inventaire précis, nous puissions, sous notre Présidence, avoir un ordre du jour optimal pour conclure fin décembre.

- En outre, le Conseil européen a rappelé que d'importantes modifications devaient être apportées aux méthodes de travail du Conseil. Ceci est essentiel, vous le savez, et j'y reviendrai, même si ces modifications ne nécessitent pas de nouveau traité.

Sur le fond, j'aimerais faire quelques commentaires, pour préciser la position du Gouvernement et, ce faisant, répondre à certaines propositions que vous avez formulées : je pense à celles du Président de Villepin sur les coopérations renforcées, à celles de M. Fauchon sur le contrôle parlementaire, de M. Lanier sur la Commission, du Président Badinter sur la CJCE et de M. de Montesquiou sur la réforme du Conseil.

Ne m'en veuillez pas si je ne réponds pas à toutes vos propositions, qui sont nombreuses, et qui témoignent du travail important qui a été accompli au sein de cette assemblée sur les questions institutionnelles depuis le printemps dernier.

J'en relèverai quelques-unes, d'autres pourront être évoquées lors de la discussion qui suivra. En tout état de cause nous les avons lues avec attention et je puis vous assurer qu'elles éclairent utilement notre propre réflexion.

Si vous le voulez bien, je reprendrai donc les trois questions centrales, dans l'ordre des conclusions du Conseil européen :

- S'agissant de la Commission, l'objectif, vous l'avez maintes fois souligné lors de nos débats, est de renforcer sa collégialité et son efficacité, et de donner plus de pouvoir à son Président ; pour y parvenir, il faut restreindre le nombre de ses membres, ou, à tout le moins, en limiter l'augmentation au fur et à mesure des prochains élargissements.

A cet égard, certains Etats membres souhaitaient poser d'emblée le principe d'un Commissaire par Etat membre. Cela ne nous a pas paru être la bonne méthode, même s'il y a de fortes chances pour que cela soit le point d'arrivée.

Une telle solution ne sera acceptable que si nous obtenons par ailleurs un résultat satisfaisant sur la repondération. Et, en tout état de cause, il faudra introduire une forme de hiérarchisation au sein du collège des Commissaires.

- S'agissant de la repondération, je n'entrerai pas ici dans le détail des solutions envisageables : je crois que nous d'accord sur le constat et sur l'objectif à atteindre. Et je note, avec satisfaction, que la plupart de nos partenaires sont aujourd'hui favorables à la repondération plutôt qu'à la double majorité.

- Quant au vote à la majorité qualifiée -assorti d'une extension de la codécision législative avec le Parlement européen- il devrait être quasiment généralisé, en tout cas dans le premier pilier, et l'unanimité devrait rester l'exception ; ceci pourrait être grosso modo le postulat de départ ; nous verrons ensuite comment la négociation évolue ; il est certain que des difficultés existent dont il faut tenir compte, notamment sur la fiscalité. Mais je crois que nous avons tout intérêt à continuer à afficher une position de départ très ambitieuse.

Voilà donc ce que sera le coeur du mandat de la CIG, qui sera complété par l'examen de questions directement liées à celle-ci -j'ai mentionné la codécision, mais on peut penser aussi à l'abaissement du seuil de majorité qualifiée- mais aussi, par d'autres questions institutionnelles connexes, au-delà des trois principales institutions : je pense, notamment, à l'organisation de la Cour de Justice.

Mais, comme je vous l'indiquais, la porte a aussi été laissée ouverte pour encore d'autres sujets, parmi lesquels, au premier chef, celui des coopérations renforcées : il s'agit là d'un sujet délicat et qui, comme vous le savez, fait l'objet de débats, certains Etats membres, la Commission et le Parlement européen ayant souhaité qu'il soit abordé dans la CIG dès le départ.

Nous en comprenons bien l'intérêt, même si nous savons que c'est une question qui est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, parce qu'elle touche à l'architecture de l'Union.

Il ne sera donc pas aisé d'apporter des améliorations substantielles aux mécanismes instaurés à Amsterdam : des idées, comme celle consistant à traiter le sujet sous le chapitre de la majorité qualifiée, pour supprimer la clause d'appel au Conseil européen -comme le préconisent les Allemands-, comme celle visant à geler ad vitam aeternam le seuil minimal de pays participants requis par le Traité, et, bien sûr, comme celle visant à étendre les coopérations renforcées au deuxième pilier, méritent donc d'être examinées avec soin.

Quant au contrôle parlementaire, enfin, je ne l'ai pas évoqué, non qu'il s'agisse d'un sujet sans importance, bien au contraire, mais plutôt parce qu'il n'est pas prévu de le traiter dans la CIG, sauf peut-être sous l'angle de la responsabilité individuelle des Commissaires.

Il faudra sans doute y revenir un jour, ultérieurement, non seulement pour évoquer les conditions de la responsabilité de la Commission devant cette assemblée.

S'agissant du nombre des membres du Parlement, plafonné à 700 par Amsterdam, il faudra voir si on définit les moyens de respecter ce plafond, une fois pour toutes, lors de cette CIG, ou bien si on renvoie cela aux négociations d'élargissement à venir.

Enfin, un mot sur le fonctionnement du Conseil. J'ai relevé avec beaucoup d'intérêt la proposition que vous avez adoptée concernant la nécessité de redonner au " Conseil Affaires générales " le rôle de coordination qui était le sien, en le scindant en deux formations, l'une chargée de la PESC, réunissant les ministres des Affaires étrangères, l'autre de la coordination générale, réunissant les ministres des affaires européennes.

En revanche, je ne puis vous suivre lorsque vous suggérez de conférer au seul Conseil Ecofin un rôle d'arbitrage général sur toute question ayant une implication financière. Une telle formule me semble difficilement compatible avec la précédente, puisqu'elle conduirait inévitablement à mettre les deux formations du Conseil (Conseil Affaires générales et Ecofin) directement en concurrence.

Voilà les quelques remarques que je souhaitais faire, à ce stade, sur l'ordre du jour de la CIG, Il revient maintenant à la Présidence portugaise de conduire les travaux selon les orientations arrêtées à Helsinki. La date de lancement de la CIG n'a pas encore été fixée, mais elle devrait se situer quelque part dans les premiers jours de février.

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