RÉSUMÉ DES PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION
Le
processus d'élargissement actuellement engagé conduit à se
placer dans la perspective d'
une Union de plus de vingt-cinq membres
.
Si l'on veut éviter que le bon fonctionnement des institutions
communautaires ne se trouve compromis par cette nouvelle donne, il est
nécessaire, au préalable, de les réformer. Les Quinze en
sont convenus lors des Conseils européens de Cologne (juin 1999) et
d'Helsinki (décembre 1999). Ils ont précisé que la
Conférence intergouvernementale qui se tiendra en l'an 2000 pour
réviser les traités devrait en priorité se concentrer sur
les questions non résolues par le traité d'Amsterdam :
nombre des membres de la Commission européenne, pondération des
votes au sein du Conseil, extension du domaine où le Conseil statue
à la majorité qualifiée.
La délégation du Sénat, présidée par
M. Hubert Haenel
, a souhaité apporter sa contribution
à ce débat avant le début de la Conférence
intergouvernementale. Elle a désigné un rapporteur pour chacun
des cinq thèmes qu'elle a examinés (
MM. Aymeri de
Montesquiou
pour le Conseil,
Lucien Lanier
pour la Commission,
Pierre Fauchon
pour le Parlement européen,
Robert Badinter
pour la Cour de justice,
Xavier de Villepin
pour les coopérations
renforcées). Les propositions qu'elle a adoptées à l'issue
de quatre réunions successives ont pour fil conducteur de
faciliter
le fonctionnement d'une Union élargie tout en renforçant sa
légitimité
.
I - LE CONSEIL
• La délégation propose tout d'abord une
nouvelle
pondération des votes au Conseil
. Les règles actuelles,
conçues en fonction de l'Europe des six pour assurer un équilibre
entre trois " grands " et trois " petits " Etats membres,
ne peuvent convenir à une Europe élargie qui comptera
principalement des " petits " Etats. Sans réforme, la
représentativité du Conseil serait compromise. La
délégation propose une formule consistant à
augmenter
le nombre de voix de tous les Etats membres, mais en augmentant davantage le
nombre des voix des " grands " Etats
. Pour ces derniers, ce
nombre serait multiplié par 3, tandis que pour les autres Etats, il
serait en règle générale multiplié par 2 (et
même par 1,5 pour le plus petit Etat membre, le Luxembourg).
Ainsi la France disposerait de 30 voix au sein du Conseil (au lieu de
10 voix aujourd'hui) alors que le Luxembourg disposerait de 3 voix (au
lieu de 2 aujourd'hui).
• Afin de faciliter la prise de décision au sein du Conseil de
l'Union, la délégation suggère
d'abaisser le seuil de
la
majorité qualifiée
(qui est actuellement de
71 % des voix) à 60 % des voix. Elle propose en outre
d'appliquer la règle de la majorité qualifiée à
tous les domaines concernant la vie économique et sociale de la
Communauté
, à l'exclusion des choix
énergétiques qui resteraient soumis à la règle de
l'unanimité.
• La délégation se prononce également pour
une
réforme du fonctionnement du Conseil
, qui est devenu une institution
relativement lourde dont les travaux ne sont pas suffisamment
coordonnés. Elle suggère notamment de mettre en place une
instance de coordination de rang ministériel, chargée de veiller
à la cohérence d'ensemble des décisions du Conseil, et
d'assurer la primauté du politique sur l'administratif.
II - LA COMMISSION
• La délégation a conclu qu'il serait acceptable, dans la
perspective de l'élargissement, que la
Commission soit
composée d'un seul national de chaque Etat membre
, afin de limiter
l'augmentation du nombre des commissaires, et donc le risque de dispersion des
responsabilités.
Mais la délégation estime que cette formule -qui aura pour
conséquence que les plus grands Etats membres désignent un seul
commissaire au lieu de deux aujourd'hui- n'est envisageable qu'à deux
conditions :
- en premier lieu, qu'elle s'accompagne d'une
repondération
substantielle des votes au sein du Conseil
suivant les principes
exposés ci-dessus ;
- en second lieu, que le
président de la Commission dispose
d'une autorité accrue sur les membres de celle-ci
, en recevant
explicitement la possibilité de réaménager son
équipe.
• Afin que la Commission soit forte, indépendante et
collégiale, la délégation souhaite que la mise en cause de
sa responsabilité devant le Parlement européen soit
précisée :
-
le Parlement européen doit pouvoir censurer la Commission dans
son ensemble, mais non un commissaire individuellement
;
-
la responsabilité de la Commission ne doit pouvoir être
mise en cause que par un vote explicite de la majorité des membres
composant le Parlement européen.
III - LE PARLEMENT EUROPÉEN
• La délégation propose tout d'abord une nouvelle
répartition des
sièges
entre les Etats membres, afin que
la représentativité démographique et le plafond de 700
membres fixé par le traité d'Amsterdam puissent être
respectés après l'élargissement.
• Par ailleurs, afin d'alléger l'ordre du jour du Parlement
européen, la délégation propose que
les textes de
caractère technique relatifs au marché intérieur
(caractéristiques des véhicules, normes applicables aux
ascenseurs...)
puissent être arrêtés par le seul Conseil
sur proposition de la Commission
.
• En revanche, la délégation suggère
d'étendre la procédure de codécision
(qui donne au
Parlement européen les mêmes pouvoirs qu'au Conseil) aux
matières législatives pour lesquelles le Conseil
déciderait désormais à la majorité qualifiée
et non plus à l'unanimité.
IV - LA COUR DE JUSTICE
• Dans la perspective de l'élargissement, la
délégation suggère en particulier de
maintenir la
règle d'un membre de la Cour de justice par Etat membre
, et de
scinder la Cour en deux chambres non spécialisées
, qui
pourraient se réunir en formation plénière sur les
affaires les plus délicates.
• Par ailleurs, pour remédier à l'engorgement de la
Cour de justice dû à la multiplication des renvois
préjudiciels en interprétation du droit communautaire (pour
lesquels le délai de procédure atteint près de deux ans),
la délégation propose :
- d'instaurer un
filtrage
pour détecter les renvois
préjudiciels les plus importants et les plus urgents,
- de créer une
procédure d'urgence
pour les renvois
préjudiciels les plus sensibles,
- et de
transférer les renvois
préjudiciels les
moins importants
au Tribunal de Première instance des
Communautés.
V - LES COOPÉRATIONS RENFORCÉES
Les dispositions actuelles régissant les coopérations
renforcées -qui ont pour but de permettre à certains Etats
membres de réaliser ensemble un approfondissement de la construction
européenne dans un domaine déterminé- paraissent trop
restrictives, surtout dans le cas de la coopération judiciaire et
policière (" troisième pilier " de l'Union) où
il paraît aujourd'hui particulièrement nécessaire d'avancer
rapidement. La délégation propose donc de
supprimer la
possibilité pour un Etat membre de s'opposer au lancement d'une
" coopération renforcée " pour la coopération
judiciaire et policière.
Dans le même esprit, elle suggère, dans le cas de la
politique
étrangère et de sécurité commune
, que certains
Etats membres puissent plus facilement agir au nom de l'Union.
I. LES PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION
A. QUEL CHAMP POUR LA CONFÉRENCE INTERGOUVERNEMENTALE ?
Dans le
débat préparant le lancement de la Conférence
intergouvernementale, deux conceptions sont apparues :
- certains ont plaidé pour une CIG " large ",
entraînant une " remise à plat " de l'ensemble des
questions institutionnelles dans la perspective de l'adoption d'une
" Charte constitutionnelle " de l'Union ;
- d'autres ont plaidé pour une CIG plus
" étroite ", centrée sur les questions non
résolues par le traité d'Amsterdam (nombre des membres de la
Commission européenne, pondération des votes au Conseil,
extension de la majorité qualifiée) et les questions connexes
(comme la répartition des sièges entre pays membres au sein du
Parlement européen).
Les travaux de la délégation du Sénat se sont
placés, dès avant l'été, dans la perspective d'une
CIG " étroite ".
Ce choix plus implicite qu'explicite a été inspiré avant
tout par deux préoccupations :
- tout d'abord,
un souci d'efficacité
. Comme l'a
souligné M. Pierre Moscovici lors de son audition par la
délégation le 27 octobre, multiplier les thèmes
traités par la CIG, élargir ses ambitions, ferait courir le
risque d'un enlisement, et d'un nouveau report des problèmes
laissés non résolus par le traité d'Amsterdam. En effet,
achever la CIG sous présidence française serait alors
vraisemblablement impossible, et les présidences suivantes
(Suède, puis Belgique) ne seraient pas nécessairement les plus
propices pour trouver un accord sur ce " reliquat d'Amsterdam ", base
de la demande française de réforme institutionnelle
préalablement à l'élargissement.
Ainsi, les meilleures chances d'obtenir effectivement une réforme sur
des points aussi sensibles que la pondération des votes au Conseil ou
l'extension de la majorité qualifiée paraissent se situer du
côté d'une CIG " étroite ", qui ne pourra
réussir qu'en se prononçant effectivement sur ces points qui
seront son principal objet.
Dans le même sens, certains membres de la délégation ont
souligné que vouloir aborder frontalement des questions comme l'adoption
d'une " Charte constitutionnelle " pour l'Union ne contribuerait pas
nécessairement au développement de la construction
européenne, celle-ci progressant souvent mieux, dans un premier temps,
par la réalisation de solidarités de fait que par une approche
directement institutionnelle.
- ensuite,
un souci de
pertinence
. Quel que soit
l'intérêt de documents de réflexion comme le rapport
Dehaene ou le rapport Quermonne, qui peuvent éclairer les débats
en les replaçant dans une perspective plus générale, il
est de fait que les discussions entre les Etats membres pour préparer la
CIG se sont concentrées d'emblée en priorité sur le
" reliquat d'Amsterdam ", conformément aux conclusions du
Conseil européen de Cologne.
Or, par nature, la CIG est entre les mains des Etats membres.
Ainsi, s'orienter vers une réflexion d'ensemble sur les institutions de
l'Union aurait rendu peu opérante l'intervention de la
délégation et l'aurait mal préparée à
remplir sa mission de contrôle. Au contraire, se concentrer sur le champ
d'une CIG " étroite " et formuler des propositions
relativement précises est pour la délégation le moyen non
seulement d'apporter utilement sa contribution au débat, mais encore de
disposer d'une référence pour ses travaux ultérieurs, et
d'un instrument d'évaluation de l'action de l'Exécutif au sein de
la CIG.
Dans le cadre d'une telle approche, la délégation a suivi un fil
directeur très clair :
il s'agit de rendre les institutions
capables de fonctionner convenablement dans une Union de vingt-sept
membres.
La prochaine CIG est manifestement la dernière occasion de
prendre à Quinze les décisions nécessaires. Une
démarche prudente -car l'Union a fait ses preuves- et pragmatique -car
il s'agit de résoudre des problèmes de fonctionnement souvent
très concrets- paraît la mieux adaptée pour atteindre cet
objectif.
Il est apparu logique d'adopter pour cela une approche institution par
institution, en y ajoutant le problème des coopérations
renforcées, intimement lié à celui du fonctionnement d'une
Union élargie.
B. LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE
• Dans la perspective de l'élargissement, les
principaux problèmes concernant le Conseil sont les suivants :
- l'équilibre entre " grands " et " petits "
Etats, conçu en fonction de l'Europe des six, et préservé
lors des premiers élargissements, a commencé à se
dégrader lors du passage de douze à quinze membres, et
l'élargissement à venir -qui concerne onze " petits "
Etats et un seul " grand "- conduirait, si les règles
actuelles étaient maintenues, à un déséquilibre
flagrant. La légitimité et l'efficacité du Conseil se
trouveraient compromises : une coalition de douze " petits "
Etats pourrait constituer une minorité de blocage tout en
représentant seulement 10,5 % de la population de l'Union ;
à l'inverse, les six plus grands Etats, représentant 71 % de
la population d'une Union de 27 membres, n'auraient que 42 % des
droits de vote ;
- certaines décisions concernant les politiques communautaires dans
le domaine économique et social relèvent encore de
l'unanimité : celle-ci sera manifestement encore plus difficile
à obtenir dans une Union de 27 membres ;
- enfin, l'organisation actuelle du Conseil fait problème : il
est devenu une institution relativement lourde, dont les travaux ne paraissent
pas coordonnés de manière satisfaisante. Ces difficultés
de fonctionnement ne pourront que s'aggraver dans une Union élargie.
• Les propositions avancées sont les suivantes :
-
proposition n° 1 (nouvelle pondération)
:
en s'inspirant de formules étudiées lors de la
précédente CIG, il est proposé d'augmenter le nombre de
voix de tous les Etats en augmentant davantage le nombre de voix des
" grands " Etats. Pour les Etats ayant actuellement 10 voix
(Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni) et 8 voix (Espagne), ce nombre
serait multiplié par 3 ; pour les Pays-Bas, il serait
multiplié par 2,4 ; pour les autres Etats, il serait
multiplié par 2 sauf pour le Luxembourg (multiplication par 1,5). Ce
schéma serait ensuite transposé aux nouveaux adhérents en
fonction de leur population (les pays de moins de trois millions d'habitants
seraient assimilés au Luxembourg, ceux ayant entre trois et
six millions d'habitants seraient assimilés à l'Irlande, au
Danemark et à la Finlande).
Cette proposition est retracée dans le tableau
ci-après :
Etats |
Nombre de voix (règles actuelles) |
Population
|
Nombre de voix révisé |
Adhérents actuels |
|
||
Belgique |
5 |
10,1 |
10 |
Danemark |
3 |
5,2 |
6 |
Allemagne |
10 |
81,3 |
30 |
Grèce |
5 |
10,4 |
10 |
Espagne |
8 |
39,2 |
24 |
France |
10 |
58 |
30 |
Irlande |
3 |
3,5 |
6 |
Italie |
10 |
57,2 |
30 |
Luxembourg |
2 |
0,4 |
3 |
Pays-Bas |
5 |
15,3 |
12 |
Portugal |
5 |
9,8 |
10 |
Royaume-Uni |
10 |
58,3 |
30 |
Autriche |
4 |
8 |
8 |
Finlande |
3 |
5 |
6 |
Suède |
4 |
8,7 |
8 |
Sous-total adhérents actuels |
87 |
370,4 |
223 |
Adhérents futurs |
|
||
Hongrie |
5 |
10,3 |
10 |
Pologne |
8 |
38,5 |
24 |
Slovaquie |
3 |
5,3 |
6 |
République tchèque |
5 |
10,3 |
10 |
Bulgarie |
4 |
8,4 |
8 |
Roumanie |
6 |
22,8 |
14 |
Slovénie |
3 |
1,9 |
3 |
Estonie |
3 |
1,5 |
3 |
Lettonie |
3 |
2,6 |
3 |
Lituanie |
3 |
3,7 |
6 |
Chypre |
3 |
0,7 |
3 |
Malte |
3 |
0,4 |
3 |
Sous-total adhérents futurs |
47 |
106,5 |
93 |
Total général |
134 |
477,3 |
316 |
Pour
situer la portée de cette proposition, on peut souligner que la France,
qui représenterait 12,2 % de la population de l'Union à 27,
aurait 7,5 % des droits de vote en conservant le système actuel et
9,5 % des droits de vote avec la révision proposée, qui se
présente donc comme un moyen terme entre le système actuel et
l'application d'un pur critère démographique.
-
proposition n° 2 (majorité
qualifiée)
: afin de faciliter la prise de décision, il
est proposé
d'appliquer la règle de la majorité
qualifiée dans les domaines concernant (au sens large) la vie
économique et sociale de la Communauté, là où
l'unanimité est encore requise.
Plus précisément, la décision à la majorité
qualifiée serait étendue aux matières suivantes relevant
du traité instituant la Communauté européenne (TCE) :
- les aspects de la politique sociale communautaire encore régis
par l'unanimité (articles 42, 137 à 144 du TCE)
- l'accès aux professions réglementées
(article 47 du TCE) ;
- les aides d'Etat (article 88 du TCE) ;
- l'harmonisation de la fiscalité indirecte (articles 93 du
TCE) ;
- le rapprochement des législations ayant une " incidence
directe " sur le fonctionnement du marché intérieur (article
94 du TCE) ;
- l'assistance financière exceptionnelle à un Etat membre
(article 100 du TCE) ;
- la politique culturelle (article 151 du TCE) ;
- la politique industrielle (article 157 du TCE) ;
- les fonds structurels (articles 159 et 161 du TCE) ;
- les aspects de la politique de l'environnement encore régis par
l'unanimité (art. 175 du TCE),
à l'exception des choix
énergétiques, qui continueraient comme aujourd'hui à
relever de l'unanimité
;
En revanche, il est proposé de maintenir, lorsqu'elle existe, la
règle de l'unanimité pour les domaines touchant au fonctionnement
des institutions
lato sensu
.
Dans le même esprit, il est proposé, toujours pour faciliter la
prise de décision, d'
abaisser
le seuil de la majorité
qualifiée
: actuellement fixé à 71 % des
voix, il serait remplacé par une majorité des
trois
cinquièmes
.
-
proposition n° 3 (fonctionnement du Conseil)
:
bien que cette question ne relève pas directement des traités, il
paraît utile, dans la perspective de l'élargissement, de souligner
la nécessité d'une réforme du fonctionnement du Conseil.
Comme le Conseil " Affaires générales ", absorbé
par la PESC, n'assure plus suffisamment en pratique la coordination des travaux
du Conseil, il est suggéré de
dédoubler le Conseil
" Affaires générales " en deux formations
distinctes
: l'une spécifiquement chargée de la PESC,
l'autre chargée de la coordination. Celle-ci pourrait être
assurée par des ministres résidant à Bruxelles, qui
seraient ainsi à même d'exercer effectivement une supervision
générale. Outre une meilleure cohérence et une plus grande
continuité des travaux du Conseil, cette nouvelle formation tendrait
à assurer la primauté du politique sur l'administratif et
constituerait par là une garantie pour les citoyens.
Par ailleurs, le
Conseil " Ecofin " devrait recevoir un pouvoir
d'arbitrage sur toute question impliquant de façon significative le
budget de l'Union
, afin d'éviter que les Conseils
spécialisés ne délibèrent sur des programmes
communautaires sans que soit assurée une pleine cohérence avec
les données budgétaires.
Enfin, il paraît souhaitable de
diminuer, par des regroupements, le
nombre des formations spécialisées du Conseil
, dont la
multiplication favorise l'inflation législative communautaire.
C. LA COMMISSION EUROPÉENNE
La
Commission joue un rôle irremplaçable dans le système
institutionnel européen : chargée de définir
l'intérêt général communautaire, elle doit rester
indépendante et collégiale.
Cela suppose, tout d'abord, d'assurer des rapports équilibrés
entre la Commission et le Parlement européen, et en particulier de
s'opposer à toute forme de responsabilité individuelle des
commissaires devant le Parlement européen,
qui signifierait la fin
de la collégialité de la Commission.
Cela suppose, également, que la Commission
conserve sa
capacité à être un trait d'union entre les Etats membres,
et préserve des relations de confiance avec le Conseil
, avec qui
elle partage la responsabilité de l'exécution des
décisions communautaires.
L'élargissement comporte le risque d'une Commission trop nombreuse,
où les responsabilités seraient éparpillées.
Les débats qui ont entouré la précédente CIG ont
cependant montré que la présence d'un national au moins de chaque
Etat membre au sein de la Commission était considérée par
la plupart des Etats membres comme une condition de la légitimité
de celle-ci.
Dans ce contexte, la délégation a conclu qu'il serait acceptable,
dans la perspective de l'élargissement, que la Commission soit
composée d'
un national de chaque Etat membre
, afin de limiter
l'augmentation du nombre des commissaires, et donc le risque de dispersion des
responsabilités.
Mais la délégation estime que cette formule -qui a pour
conséquence que les plus grands Etats membres désignent un seul
commissaire au lieu de deux aujourd'hui- n'est envisageable qu'à deux
conditions :
- en premier lieu, qu'elle s'accompagne d'une
repondération
substantielle des votes au sein du Conseil
(voir supra) ;
- en second lieu, que le
président de la Commission dispose
d'une autorité accrue
sur les membres de celle-ci en recevant
explicitement la possibilité de réaménager son
équipe.
D. LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE DANS L'UNION
Pour
adapter le contrôle parlementaire à la situation nouvelle d'une
Union de vingt-sept membres, la délégation avance plusieurs
propositions :
-
proposition n° 1
: compte tenu de l'alourdissement
inéluctable du fonctionnement du Parlement européen, il est
proposé de
désencombrer son ordre du jour par une nouvelle
rédaction de l'article 95 du traité, qui est relatif aux
rapprochements des législations pour le fonctionnement du marché
intérieur
. Les règles générales resteraient
définies en codécision par le Parlement européen et le
Conseil, mais les textes de caractère technique (caractéristiques
des véhicules, normes applicables aux ascenseurs...) seraient
arrêtés par le Conseil sur proposition de la Commission.
-
proposition n° 2
: il est suggéré de
redéfinir les conditions de la responsabilité de la Commission
devant le Parlement européen
. Une Union élargie aura en effet
besoin d'une Commission forte et collégiale. Or, la chute de la
Commission Santer a transformé les rapports politiques entre la
Commission et l'Assemblée. Le traité organise certes la
responsabilité de la Commission d'une manière
théoriquement restrictive, puisque
une motion de censure doit
actuellement répondre à deux conditions : elle doit
être adoptée à la majorité des deux tiers des
suffrages exprimés, et recueillir la majorité des membres
composant l'Assemblée
. Mais ce dispositif pourrait désormais
se révéler inopérant. On peut imaginer, par exemple, la
situation suivante : une motion de censure est
déposée ; 40 % des députés
européens votent pour, 30 % votent contre, 30 % s'abstiennent
ou ne votent pas. Une telle motion de censure, juridiquement, n'oblige pas
à la Commission à démissionner : la censure n'a pas
obtenu les deux tiers des suffrages exprimés, et n'a pas
été votée par la majorité des membres de
l'Assemblée. Mais politiquement, après un tel vote, la Commission
pourrait-elle se maintenir ? A défaut d'une clarification, on peut
craindre ainsi que la coutume n'aboutisse à une dépendance
très étroite de la Commission par rapport au Parlement
européen. Ce risque serait encore plus grand si s'instaurait dans la
pratique une forme de responsabilité individuelle des membres de la
Commission devant le Parlement européen.
Il est donc proposé d'adopter le système français de
responsabilité du Gouvernement en maintenant :
- que la
responsabilité de la Commission est uniquement
collégiale
;
- que la
Commission ne peut être renversée que par le vote
d'une motion de censure à la majorité des membres composant
l'assemblée
;
- et en précisant : que
seuls les votes favorables à
la censure sont recensés
; de ce fait la condition des deux
tiers des suffrages exprimés disparaîtrait elle-même.
-
proposition n° 3
: il est proposé d'adopter
une nouvelle répartition des sièges entre les Etats
membres
. Le traité d'Amsterdam a fixé à
700 membres l'effectif maximal du Parlement européen. Or, le
Parlement européen compte déjà 626 membres.
Dès les premières adhésions, le plafond de 700 sera
dépassé : avec les règles actuelles,
l'adhésion de la Pologne et de la Hongrie obligerait à
créer 89 sièges supplémentaires, portant l'effectif du
Parlement européen à 715 sièges. Il est donc
nécessaire de trouver une règle pour diminuer le nombre des
sièges attribués actuellement à chaque Etat. On est alors
ramené au problème de l'équilibre entre
" grands " et " petits " Etats puisque, au Parlement
européen également, les " petits " Etats sont
sur-représentés par rapport aux " grands ". Par
exemple, un député allemand représente 830.000 habitants,
un député français 680.000, un député
portugais 400.000 habitants, un député irlandais 250.000, et un
député luxembourgeois seulement 70.000.
La délégation estime qu'une nouvelle répartition des
sièges devrait obéir aux principes suivants :
- quatre sièges seraient attribués à chaque Etat
membre,
- les autres sièges seraient attribués proportionnellement
à la population de chaque Etat,
- des correctifs seraient introduits pour éviter des modifications
trop importantes des équilibres actuels.
Cette formule permettrait de maintenir, tout en la réduisant, une
certaine sur-représentation des " petits " Etats, de
manière à assurer la représentation de leur
diversité politique interne.
-
proposition n° 4
: il est proposé
d'étendre la procédure de codécision
(qui donne au
Parlement européen, dans la procédure législative, les
mêmes pouvoirs qu'au Conseil) aux matières pour lesquelles la
règle de l'unanimité serait remplacée par la
décision à la majorité qualifiée (voir supra) ;
-
proposition n° 5
: en ce qui concerne les
parlements nationaux
, la délégation n'estime pas
nécessaire, eu égard à l'objet de la CIG, de
prévoir une modification des dispositions actuelles des traités,
mais elle souhaite que la CIG adopte des déclarations sur deux
points :
- tout d'abord, l'application effective du protocole annexé au
traité d'Amsterdam, qui garantit notamment aux parlements nationaux un
délai de six semaines, sauf cas d'urgence, pour l'examen des
propositions législatives soumises au Conseil ;
- ensuite, la mise en place, le moment venu, d'une " enceinte "
analogue à celle prévue pour l'élaboration de la Charte
des droits fondamentaux, afin de préparer l'harmonisation
législative nécessaire à la mise en place d'un
" espace judiciaire européen ".
E. LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
•
La composition de la Cour de Justice des Communautés
européennes sera affectée par l'élargissement de l'Union.
Le but des trois propositions suivantes est de préserver la
légitimité de la Cour aux yeux des Etats membres, tout en
renforçant son indépendance et en rationalisant son organisation
interne.
- Proposition n° 1 :
Maintenir la règle d'un
membre de la Cour de Justice par Etat membre et scinder celle-ci en deux
chambres non spécialisées, pouvant se réunir en formation
plénière sur les affaires les plus délicates.
- Proposition n° 2 :
Allonger et rendre non
renouvelables les mandats des magistrats de la Cour de Justice et du Tribunal
de Première Instance.
- Proposition n° 3 :
Conférer à la
Cour de Justice le pouvoir de déterminer elle-même son
règlement de procédure, sous réserve d'une approbation
tacite par le Conseil.
• La Cour de Justice souffre par ailleurs d'un engorgement des
affaires qui lui sont soumises, essentiellement en raison de la multiplication
des renvois préjudiciels en interprétation du droit
communautaire, pour lesquels le délai de procédure s'est
allongé de 17,4 mois en 1990 à 21,4 mois en 1998. Si rien n'est
fait, ce phénomène, qui fragilise l'édifice du droit
communautaire, s'aggravera avec l'élargissement. Les propositions qui
suivent s'efforcent d'y remédier.
- Proposition n° 4 :
Instaurer au sein de la Cour de
Justice un comité de filtrage pour sélectionner les renvois
préjudiciels.
- Proposition n° 5 :
Instaurer une procédure
d'urgence pour les renvois préjudiciels les plus sensibles, notamment
dans les domaines des décisions de justice en matière
matrimoniale, de la libre circulation des personnes et de la coopération
policière et pénale.
- Proposition n° 6 :
Transférer les renvois
préjudiciels à caractère " technique " au
Tribunal de Première Instance, sous réserve d'un mécanisme
de renvoi devant la Cour de Justice.
•
Enfin, dans le but de combler une lacune, la
délégation suggère (
proposition n° 7
)
d'étendre au Parlement européen la possibilité de
solliciter l'avis de la Cour de Justice sur la compatibilité avec le
droit communautaire des accords internationaux négociés au nom de
l'Union européenne, avant leur signature définitive.
F. LES COOPÉRATIONS RENFORCÉES
Les
coopérations renforcées, c'est-à-dire la
possibilité pour une partie des Etats membres de réaliser,
ensemble, un approfondissement de la construction européenne dans un
domaine déterminé, paraissent une possibilité
particulièrement utile dans la perspective de l'élargissement.
Le traité d'Amsterdam a reconnu et organisé cette
possibilité, mais en posant au lancement des coopérations
renforcées des conditions très restrictives.
Les évolutions possibles doivent être envisagées pilier par
pilier.
Dans le cas du
premier pilier
, dès lors qu'il y a vote à
la majorité qualifiée, la formule des coopérations
renforcées ne présente plus le même intérêt.
Compte tenu de la proposition annoncée par la délégation
d'une large extension du domaine régi par la majorité
qualifiée, il ne paraît pas utile de revendiquer, pour ce pilier,
des possibilités accrues de recours aux coopérations
renforcées.
Dans le cas du
deuxième pilier
, le système en vigueur de
l'" abstention constructive " a l'avantage de faire peser le poids
d'un blocage sur le pays qui refuse d'agir. Et, de toute manière, si un
pays membre se trouve fondamentalement opposé à une action dans
un domaine, on ne peut guère envisager de surmonter une telle opposition
en ayant recours, dans le cadre de l'Union, à une coopération
renforcée. Cependant, on peut constater qu'actuellement se pratiquent
des " coopérations parallèles " en matière de
politique étrangère et de sécurité commune par la
mise en place de " groupes de contact ". (On entend par
" coopérations parallèles " des coopérations
renforcées se développant en dehors des traités). Il est
clair que la visibilité et la cohérence de la PESC seraient
meilleures si de telles initiatives pouvaient se situer dans le cadre des
traités. Il paraît donc souhaitable que les dispositions
concernant le deuxième pilier soient améliorées afin de
rendre plus facile l'action d'une partie des Etats membres au nom de l'Union.
Sur les affaires de
défense
(qui, actuellement, n'entrent pas
dans les compétences de l'Union), des négociations vont se
poursuivre durant l'année qui vient. Ce n'est qu'au terme de celles-ci
que l'on pourra apprécier s'il convient d'inclure les dispositions
concernant la défense dans la CIG. En tout état de cause, les
" coopérations parallèles " ont déjà fait
leurs preuves en ce domaine, notamment avec l'Eurocorps. Les propositions
actuellement formulées en matière de " capacités
militaires " (corps d'armée de 50.000 hommes capables
d'intervenir dans les soixante jours) ne visent pas à mettre en place
une armée européenne, mais un ensemble de forces armées
nationales rassemblées autour d'un objectif ; il apparaît
d'ailleurs que l'Eurocorps pourrait constituer le noyau central de cette force
européenne. En matière de défense, il semble donc que
l'essentiel -y compris dans la perspective souhaitable à terme de
recours à des coopérations renforcées- soit de laisser
subsister la possibilité, qui existe actuellement, de recourir à
des coopérations parallèles, c'est-à-dire à des
coopérations hors du traités.
Dans la perspective de l'élargissement, le
troisième
pilier
paraît être le domaine où des coopérations
renforcées pourraient s'avérer les plus utiles. C'est d'ailleurs
dans ce domaine de la coopération policière et judiciaire qu'est
née précisément la première coopération
renforcée avec les accords de Schengen. Dans la ligne des conclusions du
programme d'action adopté par le Conseil européen de Tampere, il
est vraisemblable qu'un certain nombre d'initiatives prises dans le cadre de
l'actuel troisième pilier pourraient être plus facilement mises en
oeuvre en recourant, le cas échéant, à des
coopérations renforcées. Ne serait-il pas, par exemple,
nécessaire de pouvoir développer " Eurojust " entre
certains Etats membres même si certains autres restaient
réticents ? Il paraît donc souhaitable que la
Conférence intergouvernementale assouplisse les conditions de recours
à la coopération renforcée pour le troisième pilier.
La délégation a donc retenu les deux propositions suivantes :
-
proposition n° 1 :
dans le cas de la PESC, il est
suggéré que les dispositions relatives à
l'" abstention constructive " soient rédigées de
manière à permettre plus facilement à certains Etats
membres d'agir au nom de l'Union pour la réalisation des objectifs
assignés à celle-ci par le traité ;
-
proposition n° 2 :
dans le cas du troisième
pilier, il est proposé de supprimer la possibilité pour un Etat
membre de s'opposer au lancement d'une coopération renforcée.