CHAPITRE III :

LA SITUATION DES SERVICES DE L'ÉTAT EN INDE

I. LES SERVICES DIPLOMATIQUES

A. UN RÉSEAU RELATIVEMENT MODESTE

1. Des implantations limitées pour un pays-continent

Les implantations du ministère des Affaires étrangères sont modestes pour un pays de la dimension de l'Inde : outre l'ambassade de Delhi, elles consistent en un consulat général à Bombay, un consulat général à Pondichéry et une chancellerie détachée à Calcutta.

Pour avoir une vision complète de la présence de l'Etat français en Inde, il convient de prendre aussi en compte les implantations du ministère de l'économie et des finances qui comportent, outre la mission économique et financière de Delhi, un poste d'expansion économique à Bombay et un poste d'expansion économique à Bangalore.

Ce réseau déjà modeste est encore en voie de réduction, puisque la fermeture de la chancellerie détachée de Calcutta, qui était en discussion lorsque votre rapporteur s'est rendu en Inde, vient d'être finalement décidée. Il est permis de s'interroger sur l'opportunité de cette décision, présentée comme une mesure d'économie.

D'une part, bien que le Nord-Est de l'Inde ne dépende pas en droit de cette chancellerie détachée, c'est en pratique à Calcutta que s'adressent les habitants de cette région qui souhaitent prendre contact avec la France. L'existence de ce poste prend en compte les réalités concrètes de l'Inde, pays vaste comme l'Union européenne et trois fois plus peuplé, où les déplacements des individus restent lents et difficiles.

D'autre part, même si l'image du dynamisme économique reste traditionnellement associée à Bombay et Bangalore, un frémissement d'activité est nettement perceptible à Calcutta. La présence des entreprises françaises s'y est renforcée au cours des dernières années, et cette tendance devrait s'amplifier à l'avenir.

Fait significatif, les autres pays occidentaux disposent à Calcutta de représentations d'un niveau supérieur à notre chancellerie détachée. La suppression de celle-ci n'entraîne d'ailleurs qu'une économie négligeable, car le poste fonctionne avec des effectifs très réduits, dont seulement deux expatriés, l'un de catégorie B et l'autre de catégorie C.

Certes, votre rapporteur est convaincu de la nécessité de redéployer activement le réseau diplomatique et consulaire de la France dans le monde, et accepte sans états d'âme les inévitables fermetures de poste que cette politique implique. Mais, en l'occurrence, la fermeture de la chancellerie de Calcutta paraît aller à l'encontre du transfert souhaitable de moyens des zones de présence " historique " de la France vers les nouvelles zones de dynamisme économiques. Loin d'être supprimé, ce poste mériterait au contraire d'être renforcé, sous la forme d'un poste mixte commun au ministère des affaires étrangères et au ministère de l'économie et des finances, tel celui qui vient d'être créé à Bombay.

Désormais, le réseau diplomatique et économique de la France apparaît plus étoffé en Chine qu'en Inde, alors que ces deux pays sont comparables par leur étendue et leur population. Outre l'Ambassade et la mission économique et financière de Pékin, ce réseau français en Chine consiste en un consulat et un poste d'expansion économique à Shanghai, un consulat général à Wuhan et un poste d'expansion économique à Canton.

2. Des moyens humains en diminution

Les tableaux ci-contre retracent l'évolution des effectifs, et les charges de rémunération afférentes, du réseau diplomatique et consulaire en Inde pour les trois dernières années.



En proportion, les 61 expatriés constituent 31 % des effectifs totaux de 1998, les 129 recrutés locaux en constituent 65,5 % et les sept CSN en constituent 3,6 %. Les proportions sont bien différentes si l'on considère les rémunérations, du fait des différences de niveaux de traitements entre les différentes catégories : les expatriés représentent 91,7 % du total des rémunérations, tandis que les recrutés locaux et les CSN en représentent respectivement 5,6% et 1,9 %.

Les effectifs sont en baisse. Les expatriés sont passés de 56 en 1996 à 61 en 1998, soit une augmentation de 8,9 %, tandis que les recrutés locaux sont passés de 144 en 1996 à 129 en 1998, soit une diminution de - 10,4 %. Quant à la légère augmentation de l'effectif des CSN, au nombre de 7 en 1998 contre 6 en 1996, elle apparaît provisoire du fait de la réforme du service national qui va tarir cette source de recrutement.

Compte tenu des différences de niveaux de traitement, ce mouvement de substitution des expatriés aux recrutés locaux s'est traduit, en dépit d'une baisse globale des effectifs, par une progression sensible du montant total des rémunérations, qui a progressé de 21,4 % entre 1996 et 1998.

La politique de réduction du personnel des services diplomatiques et consulaires, motivée par des considérations d'économies budgétaires, atteint ses limites dans un pays comme l'Inde, où leur activité tend à croître.

Sans prétendre à un examen exhaustif des missions de ces services, votre rapporteur a pu identifier trois cas au moins où une insuffisance caractérisée de personnel se fait sentir.

Le premier cas concerne le recrutement d'un adjoint indien au conseiller scientifique de l'ambassade à Delhi. Pour ce faire, il suffirait de pourvoir le poste de secrétaire actuellement vacant à un niveau de qualification légèrement supérieur, niveau nécessaire pour permettre la délégation de responsabilités. Actuellement, le conseiller scientifique se trouve accaparé par des tâches de représentation au détriment de son travail de fond.

Toutefois, les demandes réitérées adressées en ce sens au service du personnel du ministère n'ont pas reçu de suite favorable, en raison de considérations de coût qui apparaissent fort peu pertinentes au regard de la modicité de la rémunération concernée. La présence permanente d'un recruté local de bon niveau est pourtant indispensable au bon fonctionnement d'un service de ce type, en assurant sa continuité et sa mémoire.

Le deuxième cas concerne le remplacement de la principale collaboratrice du consul à Delhi. Actuellement, cet emploi indispensable à la gestion matérielle des services est assuré avec un dévouement remarquable par la femme de l'un des gendarmes chargés de la sécurité de l'ambassade, qui accepte d'être rémunérée aux conditions d'un recruté local, c'est-à-dire l'équivalent de 3.000 francs par mois pour un temps plein. Le gendarme devant être muté prochainement, cet arrangement inespéré ne pourra pas durer.

Il semble peu probable de trouver localement un successeur de nationalité française acceptant ce niveau de rémunération. Le recours à du personnel indien est par ailleurs exclu, s'agissant d'un poste de confiance qui amène à manipuler quotidiennement d'importantes sommes d'argent.

Enfin, le troisième cas concerne le service des visas du consulat général de Bombay, qui ne comporte plus aucun personnel français, mais repose entièrement sur des recrutés locaux. Malgré la qualité et le dévouement des personnels indiens concernés, cette situation ne paraît pas conforme aux règles normales de sécurité.

3. Des moyens budgétaires en augmentation apparente

Les tableaux ci-après retracent l'évolution des crédits consacrés au réseau diplomatique et consulaire en Inde pour les trois dernières années.

Budgets du réseau diplomatique et consulaire en Inde

1996

(En millions de francs)

Service

Coûts de personnel

Coûts de fonctionnement

Coûts d'investissement

Coût total

Ambassade

18 086

3 929

167

22 181

Consulat général de Bombay

4 041

636

 

4 687

Consulat général de Pondichéry

8 634

1 042

230

9 906

Chancellerie détachée de Calcutta

1 609

196

 

1 805

Total

32 380

5 803

397

38 580

1997

(En millions de francs)

Service

Coûts de personnel

Coûts de fonctionnement

Coûts d'investissement

Coût total

Ambassade

18 736

3 780

279

22 795

Consulat général de Bombay

5 276

588

 

5 864

Consulat général de Pondichéry

8 569

979

933

10 481

Chancellerie détachée de Calcutta

1 624

140

 

1 763

Total

34 204

5 488

1 212

40 904

1998

(En millions de francs)

Service

Coûts de personnel

Coûts de fonctionnement

Coûts d'investissement

Coût total

Ambassade

21 162

5 586

699

27 447

Consulat général de Bombay

5 372

2 396

0

7 768

Consulat général de Pondichéry

10 641

813

309

11 763

Chancellerie détachée de Calcutta

2 145

261

0

2 406

Total

39 320

9 056

1 008

49 384

Les moyens budgétaires apparaissent en augmentation sensible : avec un montant de 49,384 millions de francs en 1998, ils sont en hausse de 20,7 % par rapport à 1997 et de 28 % par rapport à 1996.

Toutefois, cette progression des crédits ne correspond pas à un réel surcroît de moyens.

Les deux-tiers de l'accroissement des crédits enregistré au cours des trois derniers exercices s'explique par l'augmentation des coûts de personnel, qui progressent de 5,6 % en 1997 par rapport à 1996 et de 15 % en 1998 par rapport à 1997. Or, on a vu que cette augmentation des rémunérations recouvre une diminution globale des effectifs, l'augmentation du nombre des expatriés et des CSN (+ 6) ne compensant pas la diminution du nombre des recrutés locaux (- 15).

Si l'on met à part les dépenses d'investissement qui sont par nature sujettes à des variations non significatives d'un exercice sur l'autre, l'autre motif d'augmentation des crédits consacrés au réseau diplomatique et consulaire en Inde est la forte hausse des coûts de fonctionnement en 1998 par rapport à 1997. En effet, les dépenses de fonctionnement passent de 5,488 millions de francs en 1997 à 9,056 millions de francs en 1998, soit une augmentation de 65 %.

A Bombay, ce bond des dépenses de fonctionnement résulte d'un mode particulier d'imputation des coûts de gestion immobilière, qui ne font pas l'objet d'annuités mais sont réglés une fois pour toute la durée du bail. Un montant de 1,950 million de francs a été versé à ce titre pour une prise à bail d'une durée de deux ans. Le loyer de 1997 avait été réglé en 1995, lors d'une précédente prise à bail pour une durée de trois ans.

A New Delhi, le bond des dépenses de fonctionnement s'explique également, pour une part, par le règlement de charges immobilières exceptionnelles d'un montant de 0,542 million de francs. Mais il s'explique principalement par le nouveau régime des frais de représentation.

Antérieurement, les allocations pour dépenses de représentation étaient incluses dans les rémunérations des chefs de postes diplomatiques et consulaires, leur emploi étant justifié a posteriori. Désormais, ces crédits sont délégués au régisseur du poste et font l'objet d'un remboursement sur justificatifs préalables, au lieu de constituer un élément forfaitaire de la rémunération.

Votre rapporteur estime que ce nouveau régime des frais de représentation, en dépit de son côté un peu tatillon, répond de manière satisfaisante au désir de transparence qui a motivé sa généralisation à l'ensemble des postes diplomatiques et consulaires dans le monde.

Il appelle toutefois l'attention sur les conséquences imprévues, dans certains pays comme l'Inde, de l'application des règles de change de droit commun à ce nouveau régime indemnitaire.

Sur présentation des justificatifs requis, les frais de représentation sont remboursés au poste concerné en roupies. Comme une part importante des achats est effectuée en France, donc payée en francs, il ne semble guère approprié d'effectuer les remboursements en une monnaie qui n'est ni transférable ni convertible hors d'Inde.

Enfin, votre rapporteur a eu le regret de constater que la progression des frais d'entretien des locaux communs à l'ambassade et à la mission économique et financière de New Delhi n'apparaît pas maîtrisée.

Les bâtiments, conçus par un architecte de renom, ont été achevés en 1982 et les travaux d'entretien commencent à être d'autant plus importants que les fortes contraintes du climat indien (importants écarts thermiques, pollution et humidité) n'ont pas été initialement prises en compte. Il n'existe pas -ou plus- de plans complets et l'installation électrique s'est révélée particulièrement défectueuse La maintenance, confiée pendant des années à un entrepreneur local, a été manifestement négligée et débouche aujourd'hui sur de lourdes dépenses.

B. LE PROBLÈME DES RÉMUNÉRATIONS DU PERSONNEL LOCAL

1. Des rémunérations inférieures à celles du marché indien

Les services du ministère des affaires étrangères souffrent en Inde d'une sous-rémunération manifeste de leurs personnels locaux. Cette situation, que votre rapporteur a déjà observée en Asie du Sud-Est lors de ses précédentes missions, pose problème en soi.

En effet, cette sous-rémunération entraîne de graves difficultés de recrutement et de fidélisation. Les salaires proposés ne permettent pas l'embauche de personnes qualifiées, par rapport aux prix du marché indien du travail.

Ainsi, notre ambassade à Delhi est incapable de trouver la standardiste qui lui serait nécessaire. Les meilleurs des personnels locaux finissent pas partir dans le secteur privé, mieux rémunéré. Il en résulte une instabilité préjudiciable du personnel et une désorganisation permanente des services.

2. Une inégalité de traitement entre Bercy et le Quai d'Orsay

Outre ses inconvénients intrinsèques, cette sous-rémunération se traduit par des différences injustifiées de traitement entre les personnels locaux, selon qu'ils sont rémunérés par les postes d'expansion économique ou par les services diplomatiques et consulaires. En effet, les postes d'expansion recrutent leurs personnels locaux en tenant compte des niveaux de salaires pratiqués dans le secteur privé indien.

Cette politique, qui répond à la réalité du marché, permet aux postes d'expansion de disposer de personnels locaux de très bonne qualité et stables. Malheureusement, l'ambassade, les consulats et les services culturels n'ont pas les moyens de verser des salaires comparables. L'écart est variable selon les emplois, mais au minimum d'environ 30 %.

Outre le fait que cette disparité des traitements versés par deux administrations d'un même État est choquante sur le plan des principes, elle constitue un obstacle très sérieux à la politique actuelle de rapprochement des services consulaires et des services économiques.

La décision de créer un poste mixte à Bombay est en soi parfaitement opportune. Mais il semble difficile de faire travailler sur un même lieu, à des tâches souvent identiques, des personnels rémunérés de manière aussi différente. D'ores et déjà, la coexistence sur le même site à Delhi du poste d'expansion économique et de l'ambassade provoque des tensions déplaisantes liées à ces distorsions excessives de traitements.

3. La fausse solution de la grille de rémunération commune

Certes, la nécessité d'harmoniser les salaires des personnels locaux est théoriquement reconnue, et une grille des rémunérations commune au ministère des finances et au ministère des affaires étrangères a été définie. Elle présente néanmoins le défaut d'être unique pour l'ensemble de l'Inde, alors que les niveaux des salaires varient considérablement entre Delhi, Bombay, Calcutta ou Bangalore.

Mais cette grille unique ne peut constituer une solution que si les différentes catégories d'emplois y sont inscrites de manière homogène. Traditionnellement, la Direction des relations économiques extérieures fait valoir que ses recrutés locaux sont des cadres, dont la qualification justifie une rémunération plus élevée.

Cet argument ne paraît guère pertinent si l'on considère que les écarts de rémunérations existent également pour des postes de secrétaires ou de chauffeurs, et que les services diplomatiques ne parviennent pas à recruter au niveau du marché du travail local.

De toute façon, la grille commune n'est pas appliquée par les postes d'expansion économique, car elle aboutirait à une diminution des salaires de leurs personnels. Le rattrapage progressif des rémunérations servies par le ministère des affaires étrangères restera une vue de l'esprit, tant que n'existera pas une volonté politique de mettre fin à cette situation aberrante.

Un mouvement a été amorcé en ce sens par la loi de finances initiale pour 1999, avec une mesure nouvelle de 23,6 millions de francs au profit de la dotation du ministère des affaires étrangères consacrée aux recrutés locaux, qui a ainsi progressé de 8,5 % par rapport à 1998. De son côté, la dotation équivalente de la DREE est restée inchangée, à son niveau de 1996.

Toutefois, ce rattrapage apparaît bien lent, au regard de l'inégalité de la situation de départ. En 1998, la DREE a disposé d'une dotation de 110,5 millions de francs pour rémunérer 849 recrutés locaux, soit 130 153 francs par personne, tandis que le ministère des affaires étrangères a disposé de 419 millions de francs pour rémunérer 5 533 recrutés locaux, soit 75 727 francs par personne.

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