II. UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE DÉLICAT À INTERPRÉTER
A. UNE ÉCONOMIE STABLE OU STAGNANTE ?
1. Une économie-continent
L'économie indienne et les politiques mises en oeuvre ne
peuvent être comprises sans prendre en compte les dimensions et
l'hétérogénéité de l'Inde. Une superficie de
3,3 millions de km² et une population estimée à un milliard
d'habitants en font un pays à l'échelle d'un continent.
L'Inde compte deux langues officielles : le hindi, pratiqué par
39 % de la population, essentiellement dans le nord du pays, et l'anglais
qui est resté la langue de l'administration et des affaires. La
constitution reconnaît 18 langues nationales, mais de très
nombreuses langues et dialectes locaux existent, appartenant à
différentes familles linguistiques.
A cette mosaïque de langues se superpose celle des religions. En effet, si
82 % de la population est hindoue, les musulmans représentent 12 % de
celle-ci, et de nombreuses minorités religieuses sont influentes dans
certains Etats (chrétiens dans le sud, sikhs au Penjab, bouddhistes dans
les régions himalayennes, Jains au Rajasthan, parsis dans la
région de Bombay...).
Cette hétérogénéité du contexte culturel
indien ne favorise pas la mobilité interne de la population. L'ouverture
de l'Inde sur l'extérieur est également limitée car la
diaspora indienne, proportionnellement moins nombreuse que la diaspora chinoise
même si elle tend à se développer en particulier aux
Etats-Unis, n'a pas encore constitué un vecteur suffisant de
développement des relations commerciales avec l'étranger.
D'un point de vue économique, l'étendue du pays ne permet pas de
considérer les fonctions de production comme uniformes et la
diversité des pratiques sociales et culturelles font qu'un choc
économique ou une mesure d'incitation ne produiront pas partout une
réponse similaire.
Le degré d'industrialisation et de développement est très
variable d'un Etat à l'autre. Le niveau de vie varie de un à
trois entre l'Etat le plus pauvre, le Bihar, et les Etats les plus riches,
Delhi, Goa, et le Penjab. La faible mobilité des personnes empêche
la compensation des écarts de croissance par le biais des mouvements
migratoires et contraint l'Etat à mettre en oeuvre une politique de
péréquation des ressources.
Ces conditions constituent une contrainte réelle dans la
détermination des politique économiques à l'échelle
nationale.
2. Succès et limites de la voie indienne du développement
La
" voie indienne " de développement a été
construite sur un modèle de croissance autocentré organisé
autour d'un vaste secteur public.
Depuis les années cinquante, le Plan fixe les priorités
économiques des pouvoirs publics et le budget de l'Union met en oeuvre
de nombreux mécanismes de subvention et d'incitation. Des orientations
précises sont données aux banques publiques et privées,
ces dernières étant tenues administrativement d'affecter une
fraction de leurs prêts aux secteurs de l'économie
déclarés prioritaires. Les premiers plans quinquennaux ont
visé le développement d'une base de biens d'équipement
lourds qui devait conduire à la diversification des exportations dans le
domaine des biens manufacturés.
La réussite du " modèle asiatique " de
développement contraste avec la faiblesse des performances indiennes en
matière de croissance. Si l'on compare, par exemple, l'Inde et la
Corée du Sud, on constate que la stratégie de substitution aux
importations menées dans les deux pays ont produit des résultats
sensiblement différents. Le coût de la stratégie indienne
de substitution aux importations a été très
élevé car la méthode mise en oeuvre n'a pas permis
d'obtenir les résultats attendus, c'est-à-dire une
économie capable de transformer ses ressources en un large
éventail de produits. L'objectif était, en effet, de conforter
l'indépendance économique indienne, ce qui a conduit à
l'éviction partielle du commerce international par le biais d'une forte
discrimination à l'égard des exportations, conçues comme
le résidu de la production domestique, et les investissements
étrangers.
Une politique de substitution aux importations peut être conçue
comme un investissement en faveur d'une économie plus diversifiée
et flexible, mais elle implique toujours un coût pour l'économie
qui est fonction de la durée de son application et de l'importance des
distorsions qu'elle est susceptible de provoquer. Dès lors, la
levée finale des mesures de protection des industries constitue un
élément déterminant de cette stratégie,
particulièrement délicat à mettre en oeuvre
économiquement et politiquement.
En Inde, les protections tarifaires et le contrôle direct de
l'investissement ont éliminé la menace de la concurrence
extérieure, mais ont également réduit la
compétitivité des marchés et provoqué l'apparition
d'industries aux coûts élevés, au détriment de
l'agriculture. De plus, l'industrie indienne n'a pas
bénéficié de transferts de technologie dans la même
mesure que l'industrie coréenne et n'a pas été
incitée à optimiser ses modes de production. L'existence d'un
marché captif intérieur important n'a pas encouragé la
recherche de débouchés extérieurs, même après
la diminution de la discrimination à l'égard des exportations
dans les années quatre-vingt.
L'échec relatif de la stratégie indienne de substitution aux
importations montre l'importance déterminante du processus
politique : les politiques sélectives du crédit et de
subventions aux secteurs prioritaires ont souvent réussi en Corée
du sud car elles s'accompagnaient d'échéances précises, la
capacité d'affronter la concurrence étrangère sanctionnant
in fine
le processus de mise à niveau des industries nationales.
L'absence de telles contraintes en Inde, avec le maintien des mesures
protectionnistes et la pérennisation des système de subvention, a
limité l'effet des mesures incitatives du gouvernement et
favorisé l'émergence d'une économie de rente en
créant des groupes d'intérêt opposés à la
libéralisation et à l'ouverture de l'économie.
La politique économique de l'Inde a, en effet, conduit à une
allocation sous-optimale des ressources et à la constitution d'un
secteur public surdimensionné. Celui-ci compte pour 25 % du PIB en
1993-1994, contre 8 % en 1960, et occupe 70 % des personnes
employées dans le secteur formel. Dans le secteur industriel, 55 %
de l'investissement était alloué au secteur public à la
fin des années 1980, alors que sa part dans la production totale ne
représentait que 15 %.
Cependant, les succès de l'expérience indienne de planification
du développement ne doivent pas être négligés. La
disparition des famines, malgré plusieurs années de faibles
récoltes, témoigne de la réussite de la
" révolution verte " indienne. A compter de 1969, le Plan a
mis l'accent sur la productivité agricole au moyen d'une diffusion des
innovations technologiques, permettant l'augmentation des rendements
nécessaire du fait de la forte contrainte foncière existante. Le
développement de l'irrigation et de l'utilisation des engrais a permis
à l'Inde d'atteindre l'autosuffisance alimentaire et de devenir
exportatrice de produits agricoles. Enfin, l'Etat a mis en oeuvre une politique
d'achat et de stockage de denrées agricoles dans les régions
productrices, et de distribution dans les zones déficitaires, afin
d'éliminer les risques de famine.
Certes, la croissance de la production et de la productivité en Inde a
été considérablement moindre qu'en Asie du Sud Est.
Cependant, l'Inde a développé une impressionnante capacité
technologique, notamment dans les domaines du nucléaire, de
l'informatique ou de l'industrie spatiale, qui résulte partiellement des
phénomènes d'apprentissage induits par la stratégie de
substitution aux importations. Cette réalité autorise à
penser que la maximisation du taux de croissance n'a pas constitué
l'objectif prioritaire de la " voie indienne " de
développement.
3. Une croissance modérée mais constante
L'Inde a
connu une croissance de long terme décevante, qualifiée de
" taux de croissance hindou ", qui s'établit en moyenne
annuelle à 3,5 %. Etant donné la croissance
démographique élevée, le revenu par habitant a
augmenté de moins de 2 % par an depuis 1960, alors qu'il augmentait
de 5 à 6 % par an dans les nouveaux pays industrialisés
d'Asie au cours de la même période.
La comparaison avec ces pays est largement défavorable à l'Inde
en terme de productivité des facteurs, de croissance ou de
capacités d'exportation. Cependant, il semble davantage pertinent de
dégager des éléments de comparaison avec le Pakistan ou la
Chine, dont les caractéristiques sont plus semblables et la
proximité géographique plus marquée.
La comparaison avec la Chine montre, à partir des années 70, un
décrochage de l'économie indienne par rapport à
l'économie chinoise en termes de croissance et de commerce
extérieur.
Ces éléments de comparaison semblent confirmer les
théories qui prônent une stratégie d'exportation pour
promouvoir la croissance.
Cependant, en Inde, les objectifs d'autosuffisance et d'indépendance, de
justice sociale et d'équilibre géographique ont toujours
prévalu sur la recherche de la maximisation de la croissance. En
conséquence, des politiques macro-économiques prudentes et visant
la stabilité, parfois au détriment de l'efficacité
économique, ont été menées. Le taux de croissance
de l'économie s'est abaissé d'une moyenne de 3,5 % par an
dans les années cinquante et soixante, à 2,5 % seulement
dans les années soixante-dix. La politique d'autocentrage et
d'interventionnisme étatique avait conduit à des taux de retour
sur investissement très faibles et à des goulets
d'étranglement dans les infrastructures.
Au cours des années quatre-vingt, la croissance a été
relancée par la déréglementation partielle des
marchés, la dépréciation de la roupie et la stimulation de
la demande domestique. Ces réformes ont permis d'atteindre une
croissance de 5,5 % par an au cours de la décennie quatre-vingt,
mais ont provoqué une déstabilisation de l'économie. En
effet, la dévaluation de la roupie a encouragé les exportations
mais, en renchérissant les importations, a également
provoqué une hausse de l'inflation, une détérioration des
comptes extérieurs et une aggravation des déficits publics.
Le creusement du déficit courant, partiellement financé par des
emprunts et les dépôts des Indiens non-résidents, a
provoqué une baisse des réserves de devises. Le service de la
dette a cru de 12,6 % du PIB en 1980 à 27,7 % en 1990. La
stimulation de la croissance a donc provoqué une rupture des
équilibres financiers indiens.
B. UNE LIBÉRALISATION ÉCONOMIQUE INTERROMPUE OU SUSPENDUE ?
1. Les réformes libérales engagées depuis 1991
Les
réformes économiques libérales engagées en 1991 ont
été imposée par la situation financière du pays,
qui s'approchait alors d'une crise des paiements. Le développement des
déficits publics et extérieurs au cours des années
quatre-vingt a fragilisé le financement de l'économie ,qui n'a
pas pu absorber le choc de la guerre du Golfe en 1991.
La faiblesse des réserves en devises, inférieures à un
mois d'importations, a rendu nécessaire la mise en oeuvre d'un programme
d'ajustement financé par le Fond Monétaire International et la
Banque Mondiale. Outre les mesures immédiates de dévaluation de
la roupie et de hausse des taux d'intérêt, un programme
d'assainissement des finances publiques et de réformes structurelles a
été engagé.
La stratégie de réforme engagée par le Gouvernement de
M. Narassima Rao en 1991 comportait l'abolition du régime des
licences industrielles, le remplacement des quotas d'importation par un
régime " d'Open General License ", la diminution et la
rationalisation des droits de douane, l'élimination progressive des
subventions, la réforme du système bancaire et la
réduction des dépenses publiques.
Nombre de ces engagements ont, d'ores et déjà, été
respecté, augmentant la marge laissée à l'initiative
privée et ouvrant l'économie indienne sur
l'extérieur : le nombre de secteurs industriels
réservé aux entreprises publiques, de même que ceux pour
lesquels les investissements étrangers sont limités, a
été réduit. L'approbation pour les investissements directs
dans les secteurs prioritaires est devenue automatique pour les participations
inférieures à 51 %, tandis que les critères
d'approbation ont été généralement assouplis. Le
système d'autorisation préalable pour les investissements a
été supprimé. Enfin, les droits de douane ont
été considérablement réduits, même s'ils
demeurent une barrière substantielle aux échanges.
L'application de ce programme de réforme a été plus timide
pour ce qui concerne le secteur public et les finances publiques. Les
subventions distribuées par l'Etat ainsi que le déficit public
demeurent importants, tandis que peu d'entreprises publiques ont
été privatisées ou restructurées.
Si la dynamique des réformes libérales n'a pas été
remise en cause au cours des années récentes, elle reste
néanmoins fluctuante et conditionnée par les contraintes
politiques et sociales spécifiques de l'Inde.
2. Des premiers effets encourageants mais limités
L'effet
immédiat des réformes fut un ralentissement de la croissance,
ramenée à 1 % en 1991-1992, du fait de la baisse de la
demande induite par les mesures d'ajustement. Cependant, la croissance a
atteint 4,5 % dès l'année suivante, puis plus de 6 % en
1994-1995. Les effets des réformes sur la croissance sont positifs,
puisque celle-ci se situe à 6 % en moyenne annuelle entre 1992 et
1998.
Après un déclin dû la contraction de la demande interne,
l'investissement a repris à compter de 1994 avec l'augmentation de la
croissance et une plus grande disponibilité du crédit.
L'Inde a pu reconstituer ses réserves de change, qui sont passées
de 1 milliard de dollars en 1991 à 20 milliards en 1995, puis
27 milliards à la fin de l'année 1998, soit
l'équivalent de 7 mois d'importations. Le cours de la roupie flotte
et est relativement stable, aucune dévaluation anormale n'ayant eu lieu
depuis 1991.
La dette extérieure a diminué en proportion du PIB de 33,4 %
en 1991-1992 à 24,8 % en 1998, la part de la dette à court terme
étant également réduite. La dette intérieure
représente, quant à elle, 48 % du PIB. Cependant, les
intérêts de la dette représentent encore 46 % des
recettes de l'Etat et la libéralisation du secteur financier contraint
le gouvernement à emprunter au prix du marché, ce qui tend
à accroître le coût de la dette.
Les réformes ont ouvert l'Inde sur l'extérieur. Le taux
d'ouverture de l'économie est passé de 12,7 % dans les
années quatre-vingt à environ 23 % aujourd'hui. Les
exportations augmentent de plus de 20 % par an depuis 1993. Les
investissements étrangers ont afflué mais demeurent
modestes : l'Inde n'a attiré que 3,3 milliards de dollars
d'investissements étrangers en 1997, contre 45,3 milliards pour la
Chine. Le stock d'investissements en Inde n'est que de 13 milliards de
dollars en 1998.
Les réformes de 1991 ont eu un effet favorable sur l'économie
indienne car elles ont permis la stabilisation de l'économie et la
reprise de la croissance. Cependant, d'importants problèmes demeurent.
En 1990-1991, le déficit du secteur public, qui a augmenté
fortement au cours de la deuxième moitié des années
quatre-vingt, s'établit à 10,5 %. En 1994-1995, ce solde
demeure inchangé mais masque d'importantes évolutions, puisque le
déficit du gouvernement central a été réduit de
2,5 points malgré une diminution des recettes liée à
la baisse des droits de douane, tandis que les Etats de l'Union ont
augmenté leurs déficits. L'ajustement fiscal opéré
par le gouvernement a accru la crédibilité de la politique
économique.
Cependant, la persistance du déficit public pose la question du maintien
de la politique budgétaire indienne actuelle et des risques
d'éviction du secteur privé. L'investissement public a
été réduit, mais l'inertie des dépenses publiques
courantes empêche l'épargne de financer l'investissement
privé, tandis que le niveau élevé des taux
d'intérêt interdit l'accès des petits emprunteurs au
crédit. En 1997-1998, le déficit budgétaire cumulé
des seules opérations courantes du gouvernement central et des Etats a
atteint 4,4 % du PIB, ce qui réduit considérablement les
marges de manoeuvre des pouvoirs publics.
Le poids de la dette intérieure publique continue de croître en
part du PIB, et le paiement des intérêts rendra encore plus
difficile la réduction du déficit des opérations
budgétaires courantes. Dans ces conditions, une diminution des taux
d'intérêts réels et de l'effet d'éviction du secteur
privé semble peu probable.
La lenteur des restructurations des entreprises publiques et des privatisations
constitue une limite importante aux réformes engagées. Les droits
de la propriété et du travail sont très rigides et
constituent un frein aux réformes structurelles et à la
croissance. Ainsi, les licenciements dans les entreprises de plus de 100
employés doivent être approuvés par le Gouvernement.
Pour l'instant, la faiblesse des réformes structurelles et
l'insuffisance des investissements dans l'éducation et les
infrastructures semblent limiter les perspectives de croissance à long
terme de l'Inde à 5 ou 6 % par an, ce qui est insuffisant compte
tenu des besoins et de l'évolution de la démographie.
L'impact des réformes et la dévaluation de la roupie ont eu un
effet favorable sur la croissance, mais la faiblesse des réformes
structurelles n'a pas permis de rendre l'industrie indienne suffisamment
compétitive et a contraint le gouvernement à relever ses
protections tarifaires en 1997 et en 1998, marquant ainsi une pause dans le
processus d'ouverture du pays. Cependant, la politique officielle reste une
convergence graduelle des droits d'accises à l'importation vers un taux
moyen de 18 %, et des droits de douane vers les niveaux de l'ASEAN en l'an
2000.
3. Les dilemmes du Gouvernement Vajpayee
L'élection législative de février-mars
1998 a
conduit à la formation d'une assemblée sans majorité pour
la seconde fois consécutive et à la formation d'un gouvernement
formé par le dirigeant du BJP, M. Vajpayee, au sein duquel son parti ne
détient cependant que 24 portefeuilles sur 43.
Le programme économique du BJP est centré sur le concept de
" Swadeshi ", c'est-à-dire la suprématie des
intérêts de la nation, et une préférence
marquée pour les productions nationales. Cette idée se traduit
par une volonté de réforme économique interne importante,
mais sélective pour ce qui concerne les échanges
extérieurs. La défiance vis-à-vis de la globalisation de
l'économie mondiale insiste sur le " piège " de
l'ouverture des marchés prônée par les pays occidentaux et
l'Organisation Mondiale du Commerce, accusée de servir les
intérêts commerciaux américains.
Selon la doctrine du " Swadeshi ", les investissements
étrangers ne sont bénéfiques que s'ils augmentent les
capacités de production dans les nouvelles technologies et la part de
marché des exportations indiennes, et si les profits rapatriés
par les entreprises multinationales sont proportionnels à la hausse de
la productivité et des recettes d'exportation. L'investissement est
encouragé à viser l'exportation plutôt que le marché
intérieur. Les partenariats avec les entreprises indiennes sont
privilégiés. L'investissement étranger dans le secteur des
biens de consommation devrait être interdit, selon le BJP,
réticent à ouvrir le marché indien à la concurrence
internationale avant une période de 7 à 10 ans,
considérée comme indispensable pour rendre les industries
indiennes concurrentielles.
Le BJP est cependant favorable à l'accomplissement de réformes
importantes sur le marché intérieur, et est opposé au
capitalisme d'Etat et à la planification qui symbolisent à ses
yeux les politiques menées par le Parti du Congrès. Il souhaite
dynamiser l'agriculture, délaissée par les réformes
libérales, et réduire le domaine du secteur public en privatisant
la majorité des entreprises détenues par l'Etat.
Toutefois, les divergences au sein de la coalition ont contraint le BJP
à abandonner ou différer ses objectifs propres pour
négocier un programme de gouvernement. La poursuite des réformes
économiques internes a été ensuite contrariée par
la présence dans la coalition gouvernementale d'anciens socialistes, et
par l'action d'un groupe de pression puissant défendant les positions
acquises par les entreprises publiques.
Quant aux partis régionaux alliés au BJP, ils sont favorables
à un régime libéral pour les investissements
étrangers qui leur permettront de financer le développement de
leur région.
L'hétérogénéité de la coalition
gouvernementale a donc empêché la mise en oeuvre de politiques
radicales, tant vis-à-vis des industries nationales que des
investissements étrangers. Les réformes structurelles du secteur
public nécessaires sont retardées, tandis que la composante
idéologique du programme économique du BJP, centré sur la
préférence nationale, a été repoussée par
ses partenaires au sein de la coalition gouvernementale.
Les réformes structurelles ne font pas l'objet d'un consensus, car leurs
conséquences sociales sont importantes et potentiellement dangereuses
pour un gouvernement de coalition. Quant aux tentatives de réduction des
dépenses publiques, la plupart ont échoué, la
réduction des subventions agricoles se heurtant notamment à
l'opposition des partenaires du BJP au sein de la coalition gouvernementale.
Les réalités du pouvoir ont conduit le Gouvernement de
M. Vajpayee, qui continue d'expédier les affaires courantes dans
l'attente des élections législatives anticipées, à
tempérer ses positions doctrinaires de méfiance envers
l'extérieur et à prendre en compte les contraintes sociales qui
freinent la mise en oeuvre des réformes.
C. UNE CRISE ASIATIQUE IGNORÉE OU DIFFÉRÉE ?
1. Une économie isolée du reste de l'Asie
Le
sous-continent indien constitue un ensemble géographique
séparé des pays d'Asie du sud-est par l'Himalaya et par le delta
du Gange. Historiquement, l'Inde est davantage tournée vers l'Asie
centrale ou les pays de la péninsule arabique, avec qui des relations
commerciales et financières importantes se sont
développées à partir de Bombay.
L'Inde s'ouvre cependant progressivement vers l'est : en 1995, les
importations en provenance d'Asie et d'Océanie représentaient
13 milliards de dollars sur un total de 28 milliards, tandis que la
part des exportations indiennes vers ces régions passait de 33 % en
1991 à 39 % en 1995. On assiste donc à une
réorientation des échanges commerciaux indiens, notamment vers
les pays d'Asie du sud-est. Les échanges de délégations
commerciales, les réunions de conseils commerciaux communs et la
participation aux foires commerciales avec des pays de cette région se
sont considérablement accrus au cours des dernières années.
Pourtant, les échanges et la coopération demeure faible. L'Inde a
été admise comme partenaire de dialogue par l'ASEAN et membre du
forum régional de cette même organisation, sans que son
adhésion à l'organisation soit acceptée. Isolée de
l'Asie du sud-est dynamique, l'Inde est également une candidate
malheureuse à l'APEC (Conseil Economique Asie-Pacifique) et à
l'ASEM (sommet Europe-Asie).
L'Inde est donc confinée à sa zone d'influence traditionnelle et
s'efforce de conclure des accords de coopération avec les pays du
sous-continent. Dans le cadre de l'Association de coopération
régionale pour l'Asie du sud (SAARC), l'Inde travaille à la
formation d'une zone de libre-échange entre les sept pays membres (Inde,
Pakistan, Bhoutan, Népal, Maldives, Sri Lanka, Bangladesh). Un accord de
réduction des tarifs douaniers et visant à leur
élimination progressive (SAPTA) est entré en vigueur en
décembre 1995. L'Inde a également contribué à la
naissance de l'IOR-ARC, forum de coopération économique
réunissant quatorze pays riverains de l'Océan Indien.
2. Un premier impact de la crise très limité
La
libéralisation du système financier a été plus
mesurée en Inde, comme en Chine d'ailleurs, que dans la plupart des pays
d'Asie du sud-est. En conséquence, l'Inde n'a pas été
directement touchée par les fluctuations monétaires et
financières qui ont secoué la région à partir de
l'été 1997. Le maintien d'un contrôle étatique sur
le financement de l'économie, ses réserves de change et la
non-convertibilité de sa monnaie la préservent en effet des
déstabilisations induites par des mouvements de capitaux importants.
Cependant, le financement de l'économie indienne laisse une place de
plus en plus importante aux apports de capitaux étrangers, et les
bourses de Bombay et Delhi sont largement plus importantes que la plupart des
bourses d'Asie, avec un chiffre d'affaire commun de 12 milliards de
dollars pour le mois de juin 1998 et une capitalisation de 206 milliards
de dollars à cette même période. A la fin de mars 1998, le
stock d'investissements de portefeuille est de 15 milliards de dollars.
Les réserves en devises de l'Inde devraient lui permettre de faire face
à la volatilité croissante des capitaux.
La faible ouverture de l'économie indienne sur l'extérieur, les
exportations ne représentant que 9 % du PIB, a préservé le
pays de la contagion de la crise. Le commerce avec les pays touchés est
relativement faible, et les entreprises indiennes ne sont que très
faiblement en concurrence avec les pays asiatiques sur les marchés
d'exportation. Les débouchés pour l'industrie indienne sont donc
peu menacés par l'accroissement de compétitivité des
exportations des pays du sud-est asiatique résultant des
dévaluations de leurs monnaies nationales.
La crise asiatique a toutefois contribué à aggraver le
déficit commercial de l'Inde. La roupie s'est
dépréciée à partir du mois d'août 1997, en
partie pour compenser la hausse de l'inflation, mais également pour
prendre en compte le désavantage compétitif dû aux
dévaluations des monnaies des pays du sud-est asiatique. Le
relèvement des tarifs douaniers en 1998-1999 participe de ce même
objectif.
La stratégie indienne d'appel à l'épargne
extérieure ne permet pas encore d'accroître suffisamment
l'investissement pour atteindre les objectifs de croissance annoncés
pour le IX
ème
Plan, soit une moyenne de 7 % par an. Mais
un recours accru aux capitaux extérieurs exige au préalable un
assainissement des finances publiques.
3. Un risque d'effets différés
Les
mouvements de capitaux continuent de faire l'objet d'une réglementation
restrictive et. les sorties de capitaux des résidents doivent faire
l'objet d'une autorisation de la Banque Centrale. Du point de vue indien,
l'appel à l'épargne extérieure n'est
bénéfique que si les capitaux sont stables et orientés
vers les secteurs définis comme prioritaires par les pouvoirs publics.
Les investissements doivent être effectués par des investisseurs
institutionnels agréés par la Banque Centrale. L'analyse de la
crise asiatique pousse les autorités indiennes à renforcer la
politique sélective du crédit, afin de répartir
l'investissement de manière équilibrée selon les secteurs
et de limiter les investissements spéculatifs.
Malgré les protections dont l'Inde dispose pour ne pas subir la
contagion de la crise asiatique, son déficit courant risque d'engendrer
une crise de confiance à laquelle elle ne pourrait que difficilement
résister.
L'Inde a dû faire appel à l'épargne des Indiens
non-résidents pour financer son déficit courant, compte tenu de
la restriction de l'accès au crédit bancaire international et de
l'élévation des primes de risques sur les taux
d'intérêt consécutifs à la crise asiatique. Certes,
la dette indienne ne s'élève qu'à 28 % du PIB et le
service de la dette absorbe moins de 28 % des recettes d'exportation. La
dette à court terme reste relativement faible et préserve l'Inde
des risques de liquidité. Toutefois, le niveau élevé des
taux d'intérêt provoqué par l'importance des
déficits publics comporte un risque de spéculation sur les
instruments de gestion de la dette, et donc de déstabilisation du pays
si une crise de confiance se présentait.
Les protections tarifaires et réglementaires réduisent l'impact
de la crise, mais favorisent un ralentissement et une prudence accrue dans la
mise en oeuvre des réformes économiques. La réaction des
investisseurs étrangers à l'égard d'une pause du processus
de libéralisation pourrait fragiliser la situation financière
indienne.
L'Inde est confrontée à l'importance de ses déficits
internes et externes, et doit s'efforcer de stimuler la croissance sans
engendrer de déséquilibres trop importants. Elle doit
également contenir les pressions inflationnistes liées aux
tensions sur le marché des biens et services.
Enfin, le coût du conflit récemment rouvert avec le Pakistan
entraîne une dépréciation de la roupie, un ralentissement
de certaines activités générant des devises, telles le
tourisme et le transport aérien, et pèse sur le budget de l'Etat.
L'incertitude liée à cette situation fait peser un risque de
déstabilisation de l'économie indienne dont les fondements
demeurent fragiles. Le pays a moins souffert de la crise financière que
les autres pays d'Asie, mais pourrait difficilement supporter une crise de
confiance étant donné l'importance de ses besoins de financement.