CHAPITRE PREMIER :
L'INDE EN MOUVEMENT
I. UN CONTEXTE POLITIQUE ÉVOLUTIF
A. LES REPOSITIONNEMENTS STRATÉGIQUES DE L'INDE
1. Une stratégie historique de non alignement
De 1947
à 1977, les gouvernements indiens ont inscrit la politique
extérieure de leur pays dans le prolongement d'une politique
économique relativement autarcique, visant la conquête d'une plus
grande indépendance.
L'Inde fut l'un des pays fondateurs et un acteur majeur du mouvement des
non-alignés, dont les objectifs affichés furent la recherche de
la paix entre les nations, l'égalité et la liberté de tous
les peuples, la solidarité entre les peuples colonisés d'Asie et
d'Afrique, le soutien aux mouvements d'indépendance et le non-engagement
dans les conflits Est-Ouest.
Le non-alignement constituait une conséquence logique de
l'indépendance nationale, chaque nation poursuivant sa propre politique
de non-alignement. En conséquence, l'appartenance à ce mouvement
ne signifiait pas l'adoption d'une position de neutralité politique,
mais impliquait l'absence de participation aux systèmes d'alliances
militaires dirigés par les Etats-Unis et l'URSS pendant la Guerre froide.
Le modèle " socialisant " de développement indien,
critiqué par de nombreux pays occidentaux, a contribué à
rapprocher l'Inde de l'URSS avec qui elle a conclu des accords de
coopération à compter de 1962, notamment en matière
d'équipements militaires.
L'hétérogénéité des nations participant au
mouvement des pays non-alignés, de leurs amitiés et de leurs
intérêts nationaux a nui à son efficacité et
à son rôle sur la scène internationale.
L'accélération de la décolonisation au cours des
années soixante a diminué la cohésion de ce mouvement en
lui ôtant sa raison d'être initiale. Le développement des
conflits et des tensions dans une logique de rapport de force des grandes
puissances, notamment en Asie, a contribué également à la
diminution de la pertinence du concept de non-alignement.
Le déclin de la rhétorique du non-alignement est aujourd'hui
évident. Les négociations dans le cadre de l'Organisation des
Nations-Unies ou de l'Organisation Mondiale du Commerce s'effectuent en ordre
dispersé, le mouvement des non-alignés peinant à
constituer un groupe de pression efficace au sein des institutions
internationales.
Désormais, l'Inde semble accepter comme un état de fait la
suprématie américaine, mais cherche à éviter les
dangers de cette domination. Ainsi, la diversification de ses relations en
direction de l'Europe, de l'Asie ou des républiques issues de l'Union
soviétique vise à équilibrer l'influence
américaine. La recherche d'une marge de manoeuvre accrue dans le
système international et l'affirmation de l'Inde comme puissance
économique multiplie les contentieux avec les Etats-Unis, à
propos du nucléaire ou des négociations commerciales.
Même si la stratégie de non-alignement prônée par
l'Inde a perdu de sa pertinence avec la fin de la " Guerre froide ",
elle se prolonge dans la volonté indienne d'équilibrer la
domination américaine en faisant valoir ses positions sur la
scène internationale. La politique extérieure de l'Inde semble
désormais axée sur la recherche de la reconnaissance de son
statut de grande puissance régionale en Asie.
2. L'accroissement des tensions internationales en Asie
Depuis
la deuxième guerre mondiale, l'Asie a été un
théâtre d'affrontement important entre les deux superpuissances,
en particulier pendant les guerres de Corée et du Vietnam.
Ces événements ont parfois occulté les nombreuses tensions
et contentieux territoriaux entre les pays d'Asie. L'Inde a connu plusieurs
guerres avec ses deux principaux voisins, le Pakistan et la Chine et la crainte
d'un encerclement par des pays hostiles est toujours présente dans la
conduite de la politique extérieure indienne, soucieuse d'assurer sa
sécurité et l'intangibilité de ses frontières.
Le contentieux avec le Pakistan sur la question du Cachemire depuis
l'indépendance des deux pays constitue un abcès de fixation pour
l'Inde, les affrontements avec les insurgés et l'armée
pakistanaise étant fréquents. De même, la défaite
subie face à la Chine en 1962 sur sa frontière himalayenne a
conduit l'Inde à développer sa capacité militaire
conventionnelle et nucléaire afin de se préserver des menaces
d'agression chinoises.
Le spectaculaire rapprochement sino-américain en 1972 a fait craindre
à l'Inde la perspective d'un triangle Chine - Etats-Unis - Pakistan
dirigé contre elle. La décennie des années 80 a
engendré de nouvelles tensions menaçant l'Inde, notamment avec
l'intervention soviétique en Afghanistan, et la lutte des
indépendantistes tamouls au Sri Lanka. Ce dernier conflit a
provoqué l'intervention de l'armée indienne en 1987, qui s'est
achevé par un échec et un retrait en 1990. De même, l'Inde
est intervenu, avec succès cette fois, aux Iles Maldives en 1988, afin
de secourir son président menacé par un coup d'Etat. Ainsi, le
renforcement de ses capacités militaires lui permet de projeter ses
forces militaires pour assurer sa sécurité et affirmer son statut
auprès des petits pays de l'Océan Indien.
La guerre d'Afghanistan a renforcé le rôle du Pakistan, base
arrière des résistants à l'occupation soviétique et
bénéficiaire à ce titre d'importantes aides en provenance
des Etats-Unis. Le retrait des troupes soviétiques en 1989 a
coïncidé avec une reprise importante de l'insurrection au
Cachemire, le Pakistan fournissant un appui logistique important aux militants
islamistes. Depuis cette date, les combats ont provoqué la mort
d'environ 20.000 personnes au Cachemire.
La guerre d'Afghanistan a développé le trafic d'armes dans la
région, et la prolifération des armes légères a
accru les menaces pour la sécurité des Etats. Les organisations
terroristes et de narco-trafic dans le Croissant d'Or et le Triangle d'Or
disposent en effet d'un armement important et peuvent contester le pouvoir des
états dans les régions où ils sont bien établis. La
contestation du pouvoir central indien au Cachemire, mais également au
Penjab ou dans les petits états du nord-est est alimentée par
cette situation. Des zones instables et peu contrôlées existent
à proximité des frontières indiennes, au Pakistan et au
Myanmar (ex. Birmanie).
Le Myanmar constituait, jusqu'en 1988, un Etat-tampon entre l'Inde et la Chine.
Depuis cette date, la Chine développe sa coopération militaire
avec le régime birman et bénéficie ainsi d'un
débouché sur l'Océan Indien, contestant le rôle de
l'Inde dans sa zone d'influence traditionnelle.
De nombreux mouvements de guérilla, notamment au nord-est de l'Inde,
témoignent des difficultés de l'Etat à contrôler les
frontières du territoire, et avivent les revendications territoriales de
la Chine sur le Sikkim et l'Arunachal Pradesh. La Chine, le Pakistan et le
Myanmar contribuent au sentiment d'encerclement de l'Inde qui développe
une politique de dissuasion afin de se prémunir contre des agressions
potentielles et cherche à s'affirmer comme une puissance
régionale incontournable.
Les tensions avec le Pakistan viennent de se réveiller dans les
montagnes du Cachemire, au mois de mai 1999, avec l'invasion d'une parcelle de
territoire indien par des militants islamistes soutenus par l'armée
pakistanaise. Plus de 30 000 soldats indiens participent à ces
affrontements armés sur un front de 120 kilomètres, pour le
contrôle de la route stratégique entre Srinagar et Leh. Cette
situation inquiète la communauté internationale et remet en cause
les acquis fragiles du dialogue entre les deux pays engagé par les
gouvernements du Front Uni et poursuivi par le Gouvernement Vajpayee.
3. L'accession au rang de puissance nucléaire de plein droit
La
défaite indienne face à la Chine en 1962 et l'accession de ce
pays au rang de puissance nucléaire en 1964 ont encouragé l'Inde
à développer ses recherches pour développer une arme
atomique, avec l'aide technologique fournie par l'Union soviétique dans
le cadre de l'accord signé en 1962.
Le premier essai nucléaire indien fut effectué en 1974 dans un
désert du Rajasthan. Dès lors, la capacité
nucléaire devint un élément déterminant de la
diplomatie indienne, lui permettant d'affirmer sa volonté
d'indépendance et d'assurer une stratégie de dissuasion face au
Pakistan et à la Chine. Cette dissuasion est rendue effective par la
possession de chasseurs bombardiers et le développement de missiles de
fabrication locale.
L'Inde a testé le 11 avril 1999 son missile " Agni II " d'une
portée de plus de 2.000 kms, permettant un
rééquilibrage militaire avec la Chine. Le lancement, le
lendemain, d'un missile " Ghauri II " par le Pakistan soulignait la
volonté de ce dernier d'afficher une " parité
nucléaire " avec l'Inde.
L'affirmation par l'Inde de sa capacité nucléaire s'est traduite
par la conduite de trois essais de puissance variable le 11 mai 1998, puis de
deux nouveaux essais le 13 mai suivant. La mise en oeuvre de ces essais
répondait à un engagement électoral du gouvernement
nationaliste hindou, désireux de renforcer la fierté nationale
par ce coup d'éclat qui défiait les puissances nucléaires
avérées, et en premier lieu les Etats-Unis.
Cette décision a cependant accru les tensions avec le Pakistan qui a
répliqué le lendemain des essais indiens par des essais de
puissance comparable. Une approche optimiste de cette situation est de
considérer que la possession de l'arme nucléaire, à la
fois par l'Inde et par le Pakistan, joue un rôle stabilisateur dans leurs
difficiles relations, en empêchant les conflits frontaliers de
dégénérer et en éloignant la menace d'une nouvelle
guerre conventionnelle indo-pakistanaise.
Si l'Inde a toujours milité en faveur du désarmement, elle a
refusé d'adhérer au Traité de non-prolifération,
qu'elle juge discriminatoire. Elle a, par contre, accepté de signer le
traité d'interdiction complète des essais nucléaires, de
même que le Pakistan, car les essais effectués en mai 1998 ont
sans doute permis une modélisation informatique des explosions.
L'accession de l'Inde au rang de puissance nucléaire de plein droit
traduit sa volonté de s'affirmer comme puissance régionale et
d'afficher une stratégie de dissuasion face à la Chine. Elle
symbolise également, dans le prolongement de la politique de
non-alignement, sa revendication d'indépendance vis-à-vis de la
domination américaine.
1998 |
Inde |
Pakistan |
Chine |
Total des forces armées (millions) |
1,18 |
0,59 |
2,82 |
Forces aériennes |
140 000 |
45 000 |
470 000 |
Budget de
la défense
|
9,9 |
3,2 |
11,0 |
Capacité nucléaire |
|
|
|
Nombre de tests effectués |
6 |
6 |
45 |
Nombre estimé de têtes nucléaires |
50-60 |
12-18 |
400 |
Sources : IISS, Reuters, Natural Ressources Defence Council.
B. LA RECHERCHE D'UNE MEILLEURE INTÉGRATION RÉGIONALE
1. Le premier cercle de l'Asie du sud
Depuis
l'indépendance, l'Inde a généralement entretenu des
rapports d'autorité avec les petits Etats du voisinage. Cette domination
est particulièrement marquée avec l'absorption du petit royaume
du Sikkim en 1975, l'envoi d'un corps expéditionnaire au Sri Lanka entre
1987 et 1990 et l'intervention militaire dans les îles Maldives en 1988.
Les guerres indo-pakistanaises de 1947-1948, 1965 et 1971 et indo-chinoise de
1962 témoignent des rapports conflictuels entretenus par l'Inde avec ses
deux principaux voisins et rivaux dans l'espace sud-asiatique.
La création en 1985 du South Asian Association for Regional Cooperation
(SAARC), proposée par le Bangladesh, constitue la première
institution de coopération d'Asie du sud. Elle regroupe 7 pays : le
Bangladesh, le Bhoutan, l'Inde, les Maldives, le Népal, le Pakistan et
le Sri Lanka. A l'origine, les petits pays se méfiaient du penchant
dominateur de l'Inde, tandis que l'Inde souhaitait pouvoir préserver ses
intérêts nationaux. En conséquence, le SAARC n'a pas
été doté d'une dimension politique, et les contentieux
bilatéraux n'y sont pas abordés.
Dès lors, la finalité de cette structure régionale est
essentiellement économique. L'Inde, qui met en avant les
coopérations dans les domaines commerciaux, financiers,
monétaires et industriels, cherche à promouvoir un
développement autocentré en coopération. Pourtant,
jusqu'au début des années 90, les autres Etats craignaient une
trop grande dépendance vis-à-vis d'elle et freinaient la mise en
oeuvre de ces coopérations.
Le sommet de Colombo en 1991 a décidé la libéralisation
progressive des échanges commerciaux avec le South Asian Preferential
Tariffs Agreement, ratifié en 1995. Cependant, les réductions
tarifaires accordées par les Etats membres demeurent limitées et
n'augmentent que faiblement les échanges entre les pays du SAARC.
Le Premier ministre du second gouvernement indien de Front Uni,
M. I.K. Gujral, a mis en oeuvre une politique de " bon
voisinage " avec le Népal et le Bangladesh en signant des
accords sur le partage des eaux et a recherché l'apaisement avec le
Pakistan. Pourtant, la persistance des contentieux bilatéraux, notamment
entre l'Inde et le Pakistan, a considérablement freiné les
avancées du SAARC.
La faiblesse des gains issus de cette structure conduisent l'Inde à
chercher des avantages économiques ainsi que sa reconnaissance comme
puissance régionale dans le cadre d'autres organisations
régionales, telles l'ASEAN ou l'APEC, et donc à se tourner vers
l'Asie du sud-est.
2. Le second cercle de l'Asie de l'est et de l'Océan indien
La
politique extérieure du gouvernement de Front Uni a eu pour objectifs
d'améliorer les relations de l'Inde avec les pays voisins en acceptant
les concessions nécessaires à l'établissement de relations
de confiance, mais également le renforcement des liens avec les autres
régions de l'Asie.
Depuis quelques années l'Inde cherche à intégrer l'ASEAN
mais se voit refuser l'adhésion, de même qu'à l'APEC, ce
qui contribue au développement d'un sentiment de frustration.
En 1997, un nouveau groupement est créé, l'Association
régionale pour la coopération des pays riverains de
l'océan indien (IOR-ARC), auquel participent les pays riverains de
l'Océan indien élargi à l'Afrique du sud et à
l'Australie. L'océan indien a toujours été une zone
d'influence essentielle pour l'Inde, dont elle souhaite avoir le contrôle
exclusif. Dès 1971, à la suite de la présence dans le
Golfe du Bengale d'un porte-avions américain, l'Inde avait avancé
l'idée d'un " océan indien, zone de paix " à
l'Organisation des Nations Unies,
Un nouveau groupement, le BIMSTEC, a récemment été
créé avec cinq pays du littoral d'Asie du sud : le
Bangladesh, l'Inde, le Sri Lanka, la Thailande, et le Myanmar. Cette
organisation aux contours encore mal définis vise à renforcer les
liens entre l'Asie du sud et l'Asie du sud-est autour de l'Océan
Indien.
C. UN SYSTÈME POLITIQUE EN RECOMPOSITION
1. La fin de l'hégémonie du parti du Congrès
Créé au XIX
ème
siècle,
le
parti du Congrès symbolise la lutte de l'Inde pour l'indépendance
et a produit la plupart des dirigeants indiens. Le parti du Congrès a
été au pouvoir pendant 44 des 51 années qui ont suivi
l'indépendance, et a largement dominé la vie politique indienne
jusqu'à la fin des années 70.
Le parti du Congrès a prospéré grâce à une
" coalition des extrêmes " au sein de l'électorat, avec
pour principaux soutiens les brahmanes, les intouchables et les musulmans.
Jusqu'aux années 90, il arrivait à capter les voix de ces
catégories sociales aux statuts très différents
grâce à l'importance de son réseau clientéliste.
Cependant, la révélation de nombreuses affaires de corruption
impliquant des personnalités politiques appartenant au parti du
Congrès a discrédité celui-ci aux yeux d'une grande partie
de la population indienne, tandis que le parti négligeait
progressivement la défense des intérêts des couches
défavorisées.
L'exacerbation des clivages géographiques et sociaux ne permet plus au
parti du Congrès d'apparaître comme un parti de consensus et a
conduit à la fragmentation de la scène politique indienne. La
congruence entre la caste ou la région et le choix politique a
entraîné l'apparition de nombreux groupuscules fondés sur
les castes et les régions, aux dépens du Congrès.
La concurrence du Bharatiya Janata Party (BJP), qui recueille davantage de voix
parmi les hautes castes, et du Janata Dal, qui obtient de bons scores
auprès des basses castes et des musulmans, a également
réduit considérablement l'audience du parti du Congrès.
Le parti du Congrès, grâce à sa reprise en main par Sonia
Gandhi, a réussit à stabiliser sa représentation au
Parlement : en 1998, il obtenu 141 députés sur 545
à la Lok Sabha (Assemblée du peuple). Mais son déclin a
fait entrer l'Inde dans une ère de coalitions.
La fin de l'hégémonie du parti du Congrès a
provoqué une période d'instabilité politique, dans
l'attente de la recomposition progressive de la scène politique
indienne. L'émergence d'une bipolarisation au terme de la succession des
gouvernements de coalition pourrait être un développement possible
de la crise du parti du Congrès.
2. L'expérience de la coalition de centre-gauche
Le parti
du Congrès a subi une lourde défaite aux élections
législatives du printemps 1996, le BJP, principal parti d'opposition,
obtenant le plus grand nombre de sièges. Cependant, l'incapacité
de ce dernier à former une coalition majoritaire a entraîné
la formation d'un gouvernement de Front Uni conduit par M. Dewe Gowda, issu
d'une coalition de 13 partis de gauche ou régionaux, où les
basses castes sont représentées pour la première fois.
Ce gouvernement a bénéficié du soutien sans participation
du parti du Congrès et avait pour principale raison d'être une
volonté partagée d'empêcher l'accession au pouvoir de la
droite nationaliste hindoue.
Cette coalition a rapidement souffert de son
hétérogénéité et de sa dépendance
vis-à-vis du parti du Congrès. Cependant, elle a poursuivi la
politique de réformes économiques engagée par le
gouvernement de M. Narassima Rao et a mis l'accent sur la lutte contre la
pauvreté pour affirmer sa tonalité sociale par rapport au parti
du Congrès.
Le 30 mars 1997, le parti du Congrès a retiré son soutien
à la coalition gouvernementale. Il accusait le Premier ministre, M. Dewe
Gowda, d'avoir été incapable de maintenir l'ordre,
d'empêcher la progression des nationalistes hindous du BJP et d'avoir
négligé les questions de défense et de
sécurité. Le rejet d'une motion de confiance entraîna la
chute du gouvernement le 11 avril. Le parti du Congrès annonça
aussitôt son intention d'apporter son soutien à la coalition du
Front Uni pour la formation d'un gouvernement dirigé par un nouveau
Premier ministre. Le gouvernement du Front Uni fut reconduit avec à sa
tête M. Inder Kumar Gujral, également ministre des affaires
étrangères.
L'un des acquis les plus spectaculaires des gouvernements du Front Uni est
l'action diplomatique menée par M. I.K. Gujral, qui a cherché
à améliorer les relations de l'Inde avec les Etats voisins. La
" doctrine Gujral " impliquait la mise en oeuvre de concessions
unilatérales par l'Inde et a permis de conclure plusieurs traités
avec le Népal, le Bangladesh et le Sri Lanka, tandis que le dialogue
avec le Pakistan sur la question du Cachemire était
relancé.
3. L'arrivée au pouvoir du parti nationaliste hindou
Le
Bharatiya Janata Party (BJP), ou parti du peuple indien, a connu un essor
remarquable entre la fin des années 80 et le début des
années 90. Sa représentation à la Lok Sabha est ainsi
passée de 2 sièges en 1984 à 88 en 1989, puis à 120
en 1991.
La matrice du nationalisme hindou est le Rashkriya Swarjamsewak Sangh (RSS), ou
Association des volontaires nationaux, organisation puissante et très
influente au sein du BJP, dont des membres extrémistes sont à
l'origine de la destruction de la mosquée d'Ayodhya en 1992.
Cet événement a fortement nui à la popularité, et
surtout à l'image du BJP, qui a partiellement renoncé à sa
stratégie de mobilisation ethnique et religieuse pour privilégier
un discours populiste centré sur le nationalisme économique, et
sur la lutte contre la vie chère et la corruption.
Cette normalisation du BJP lui a permis d'accroître son électorat
aux élections législatives de 1996 et 1998, notamment
auprès des basses castes et dans les régions du sud et de l'est
du pays. Après l'échec de sa tentative pour former un
gouvernement en 1996, le BJP a gagné les élections en 1998 avec
181 sièges. L'alliance dirigée par le BJP détient 251
sièges et a trouvé l'appoint qui lui manquait en gagnant le
soutien ou la neutralité de trois partis régionaux et de quelques
élus indépendants.
Cette coalition hétéroclite a forcé le BJP à
adopter un programme de gouvernement modéré en comparaison des
objectifs affichés par les nationalistes hindous durant la campagne.
Les principales réformes annoncées par ce programme :
abolition du statut d'autonomie du Cachemire, création d'un code civil
uniforme, construction d'un temple hindou sur le site de la mosquée
d'Ayodhya, n'ont pas été mises en oeuvre. La campagne d'essais
nucléaires n'a pas réussi à elle seule à assurer au
gouvernement une popularité durable.
L'hétérogénéité de la coalition
dirigée par le BJP a freiné les réformes, et les menaces
répétées de retrait d'un petit parti participant à
la coalition ont encore réduit la cohésion gouvernementale. La
défection de ce parti, qui exigeait la démission du Ministre de
la défense, est devenue réalité en mai 1999 et a
entraîné la chute du gouvernement et l'organisation de nouvelles
élections législatives, probablement à l'automne.
Le gouvernement Vajpayee présente donc un bilan mitigé.
Cependant, malgré la progression des violences à l'encontre des
minorités chrétiennes, il a montré une version finalement
modérée et respectueuse de la diversité religieuse du
nationalisme hindou.
Le faible nombre des réformes mises en oeuvre peut être mis sur le
compte des désaccords au sein de la coalition et n'empêche pas le
BJP d'apparaître comme le parti favori des élections à
venir.