5. Encourager la création contemporaine
Le
secteur des galeries a paru déprimé au moins autant
économiquement que moralement. Il a manifestement traversé un
passage à vide, dont il ne se remet que lentement.
L'action de l'État mériterait une étude d'ensemble, qui ne
peut être entreprise dans un rapport dont l'axe central est le
patrimoine. Le rapporteur a bien noté que les galeries qu'il avait
rencontrées estimaient que l'art français était quelque
peu délaissé au profit des stars de la jet set de la
création internationale et qu'il manquait un lieu consacré
à la promotion des artistes français.
Néanmoins dans l'optique de ce rapport, il s'est contenté
d'examiner les pistes qui pourraient être explorées pour stimuler
la demande d'art contemporain et faciliter le développement des
galeries.
a) Faciliter le financement des galeries plutôt que stimuler artificiellement la demande
Il faut aider l'art contemporain à trouver son marché. Mais pour des raisons pratiques et de principes, le rapporteur croit plus dans des encouragement aux galeries à financer des artistes et à trouver des clients, que dans une incitation directe aux particuliers collectionneurs.
(1) La fausse piste des incitations fiscales aux particuliers
Une
simple lecture du code des impôts montre qu'il serait très
difficile de mettre en place un système de déduction des oeuvres
d'art qui soit acceptable au regard du respect de certains impératifs de
contrôle qui doit pouvoir caractériser ce type de mécanisme.
Il est clair qu'un mécanisme de réduction d'impôt
fonctionnant sur le modèle de celui dont bénéficient les
dépenses de grosses réparations afférentes à
l'habitation principale, serait impossible à transposer pour une
série de raisons : le montant des sommes en causes reste en tout
état de cause limité, alors qu'il ne serait pas légitime
de porter la réduction d'impôt au même montant que celles
relatives à l'habitation principale
87(
*
)
; de plus, surtout s'il fallait
plafonner le crédit d'impôt en pourcentage de la dépense
totale à l'image de ce qui est prévu pour les grosses
réparations - ce plafond est de 20% - il faudrait disposer de
référence pour juger si le prix payé par le contribuable
est conforme au marché.
Bref, on mettrait, dans tous les cas de figure, en place un système qui
ne pourrait jamais porter sur des sommes suffisamment conséquentes pour
alimenter la demande du niveau de celles des galeries, tout en étant
d'une difficulté de gestion considérable, sans même parler
des risques de fraudes ou d'abus que pourrait engendrer le système.
Le rapporteur considère que s'il fallait chercher une piste dans la
direction des particuliers amateurs d'art contemporain, il serait sans doute
préférable de la rechercher en facilitant les dations d'art
contemporain.
(2) Créer de fonds d'investissements en art contemporain fonctionnant comme des sociétés de capital risque
Pourtant, le soutien du marché de l'art contemporain ne peut pas reposer entièrement sur l'État. Il paraît plus prudent de faciliter le financement des stocks des galeries, notamment pour les aider à acheter les oeuvres de jeunes artistes français.
b) Relancer le mécénat des entreprises
Le
rapporteur ne souhaite pas au moment où l'on est, semble-t-il sur le
point d'engager une réflexion d'ensemble sur le mécénat
d'entreprise aborder les questions générales touchant au
mécénat artistique comme aux autres formes de
mécénat culturel ou humanitaire, et, en particulier, les
questions de plafonnement en termes de chiffres d'affaires, des dépenses
de mécénat.
En revanche, de façon plus modeste et plus ciblée, il voudrait
évoquer et faire des propositions, d'ampleur d'ailleurs limitée,
tendant à encourager les entreprises à acheter des oeuvres d'art
à l'instar de ce qui se passe, notamment, aux États-Unis et en
Italie.
(1) L'échec des procédures existantes
La
procédure prévue à l'article 238 bis OA du code
général des impôts permettant est un échec flagrant.
Cet article permet à une entreprise d'acheter (ou de s'engager à
acheter) une oeuvre présentant une "haute valeur artistique ou
historique", dans le but, dix ans après au plus tard, de l'offrir
à l'État, si celui-ci en accepte la proposition ; pendant toute
cette période, l'entreprise est tenue d'exposer l'oeuvre au grand public
; en échange, elle peut déduire le coût d'achat du bien,
par annuités constantes (mais au plus égales à 3 pour 1000
du chiffre d'affaires).
En fait, seulement deux demandes ont été enregistrées :
l'une a été refusée et l'autre est en cours d'instruction.
L'article 238 bis AB du code général des impôts, issu de
l'article 7 de la loi du 23 juillet 1987 prévoit que les entreprises qui
achètent des oeuvres originales d'artistes vivants, peuvent
déduire dans certaines conditions et limites, une somme égale au
prix d'acquisition des oeuvres concernées.
Dans le cas d'achat d'oeuvres d'artistes vivants, le système est presque
identique à ceci près que - l'objectif n'étant pas
d'enrichir les collections publiques, mais de favoriser la création
contemporaine - l'entreprise reste propriétaire de l'oeuvre ; en
revanche, on retrouve la même déduction sur dix ans du prix
d'achat (sous réserve du plafond), en contrepartie de la même
obligation d'exposer au grand public.
Cette déduction qui est pratiquée par fractions égales au
titre de l'exercice d'acquisition et des neuf années suivantes (20 ans
avant 1994 !) ne peut excéder au titre de chaque exercice la limite
de 3,25% du chiffre d'affaires, minorée du total des déductions
mentionnées à l'article 238 bis AA du code déjà
citée, et doit être affectée à un compte de
réserve spéciale figurant au passif du bilan.
Elle est subordonnée au respect par l'entreprise de son obligation
d'exposer l'oeuvre au public, dans des conditions similaires à celles
prévues pour les dons d'oeuvres d'art à l'État.
En cas de changement d'affectation ou de cession de l'oeuvre ou de
prélèvement sur le compte de réserve, les
déductions pratiquées sont immédiatement
réintégrées.
La décision de pratiquer cette déduction relève d'une
décision de gestion de l'entreprise et n'est subordonnée à
aucune autorisation préalable de l'administration. L'entreprise qui
décide de pratiquer cette déduction doit joindre à sa
déclaration de résultats un document conforme au modèle
présenté par l'administration
En outre trois sociétés ont acquis des oeuvres d'art en
application de la loi du 27 juillet 1987 :
Il s'agit de :
- la société AXA qui a consenti le prêt pour une
durée de 12 ans renouvelable, par contrat en date du 26 mars 1990, d'un
portrait d'Alphonso d'Avalos par Le Titien pour le département des
peintures du musée du Louvre, acquis par elle en 1990 ;
- la société Mutuelles du Mans qui a consenti le prêt
pour une durée de 10 ans renouvelable par contrat en date du 25 juin
1990, d'un album de la famille des Saint-Aubin pour le département des
arts graphiques du musée du Louvre, acquis par elle en 1990 ;
- la société GAN qui a consenti le prêt pour une
durée de 10 ans renouvelable, par contrat en date du 30 juillet 1992,
d'un tableau par Monet,
Les Villas de Bordighera
pour le musée
d'Orsay, acquis par elle en 1992.
L'explication de l'échec du système actuel est simple : les
entreprises sont soumises à beaucoup de contraintes pour de bien maigres
avantages
.
L'obligation d'exposition
- qui peut durer dix ans - est
particulièrement contraignante
: elle peut certes être
satisfaite en confiant l'oeuvre en dépôt à un musée.
A défaut, " le bien doit être situé dans un lieu
effectivement accessible au public ". Ce lieu d'exposition ne doit pas
être " réservé aux seuls salariés ou aux seuls
clients de l'entreprise, ou à une partie d'entre eux.
" Quelle que soit la modalité d'exposition le public doit
être informé du lieu d'exposition et de sa possibilité
d'accès au lieu. L'entreprise devra donc organiser l'information
appropriée du public, par des indications attractives sur le lieu
même de l'exposition et par tous moyens promotionnels adaptés
à l'importance de l'oeuvre (campagne d'affiches, annonces dans la
presse, messages radiophoniques ou
télévisés) "
88(
*
)
Il s'agit là d'obligations
particulièrement lourdes. Mais surtout, en contrepartie de ces
sujétions, l'entreprise n'a n'en à gagner...
Il lui faut pour bénéficier à plein des faibles avantages
offerts par ce régime de déduction
réunir toute une
série de conditions
:
•
les exercices fiscaux de la période doivent être tous
bénéficiaires
; chaque année,
• le bénéfice fiscal doit être au moins égal
à l'annuité ;
• cette annuité ne doit être écrêtée,
ni par le plafond de 3 pour 1000, ni par le cumul des deux plafonds de 2 ou 3
pour 1000.
Ce n'est que dans ces hypothèses que, au mieux, l'entreprise retrouvera"
la part d'impôt sur les sociétés correspondant au prix
d'achat de l'oeuvre.
Comme le note le rapport de M. Grangé-Cabannes
89(
*
)
, le système de provision pour
dépréciation des oeuvres d'art acquises, à quelque titre
que ce soit, par une entreprise, prévue par la loi de juillet 1987, ne
semble pas être appliqué. Jusqu'alors, en cas de
dépréciation d'une oeuvre d'art, l'entreprise qui la
possédait était autorisée à passer, dans les
conditions de droit commun, une provision égale à cette
dépréciation. Depuis 1987, cette dépréciation doit
en outre être "constatée par un expert agréé par le
ministère de la Culture lorsque le coût d'acquisition de l'oeuvre
est supérieur à 50 000francs".
Faute qu'ait, semble-t-il encore été publiée la liste des
experts agréés, le système n'est pas
opérationnel.
(2) Des aménagements limités
Le
rapporteur n'a pas souhaité changer radicalement de système en
dépit du peu de succès des procédures actuelles. Il lui a
semblé possible dans un esprit pragmatique de se contenter
d'assouplir les régimes existants
en proposant des
aménagements limités :
• pour
l'art ancien
, il a paru d'abord souhaitable de limiter le
bénéfice du régime aux seuls
biens classés, en
ayant fait l'objet d'un refus de certificat
, ce qui simplifie la
tâche des entreprises qui n'ont pas à demander un agrément
et
surtout de substituer au système de donation sous réserve
d'usufruit, un régime d'acquisition en pleine
propriété
; ensuite, on propose d'autoriser une certaine
souplesse dans l'amortissement qui ne serait pas forcément
effectué par fractions égales ; enfin, on allégerait
la contrainte d'exposition au public pour la remplacer par une obligation de
prêt limitée qui pourrait être d'un an par période de
dix ans.
• pour
l'art contemporain
, on se contenterait de conserver le
régime actuel en en assouplissant les modalités, comme pour
l'achat d'oeuvres anciennes en ce qui concerne les modalités de
l'amortissement qui serait assouplies, la possibilité d'un amortissement
non linéaire, et la contrainte d'exposition qui serait
allégée.