II. LE STATUT INSTAURE UN ÉQUILIBRE SUBTIL ENTRE LA SOUVERAINETÉ ÉTATIQUE ET LES PRÉROGATIVES DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE
A. LA CPI ET LA SOUVERAINETÉ DES ETATS
1. La CPI : une instance subsidiaire ?
Dès son préambule, la convention de Rome
reconnaît un rôle premier à chaque Etat dans la
répression de ces
" crimes d'une telle gravité qu'ils
menacent la paix, la sécurité et le bien-être du
monde
".
Il y est ainsi rappelé qu'
" il est
du droit de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les
responsables de crimes internationaux ".
Dans le même esprit, le
préambule du statut souligne encore, comme l'article premier
" que la Cour pénale internationale est complémentaire
des juridictions nationales ".
Chaque Etat se voit ainsi confier le devoir -et en même temps
reconnaître le droit- de juger, par son système judiciaire
national les responsables de ces crimes susceptibles de relever de la
compétence de la CPI, Celle-ci tient donc un
rôle explicitement
complémentaire
aux juridictions
nationales
,
apparaissant comme un recours dans le cas -et seulement dans le cas- où
tel ou tel Etat faillirait -délibérément ou non- à
cette obligation de faire justice.
Un tel Etat faillirait d'ailleurs, en s'abstenant d'agir pénalement
à l'égard des auteurs de crimes d'une particulière
gravité à l'encontre du droit humanitaire international, au
principe
de la compétence universelle
qui impose parfois à
chaque Etat, signataire d'une convention internationale incriminant de tels
actes, d'exercer des poursuites contre ces personnes et d'engager des
procédures pénales à leur encontre,
quels que soient
leur nationalité, celle des victimes, ou le lieu où les actes
auraient été commis
. Certaines conventions, tendant à
codifier progressivement les droits fondamentaux de la personne sous le vocable
global de
droit humanitaire international
et à réprimer
pénalement les atteintes qui leur sont portées, prévoient
donc cette obligation de juridiction universelle pour chaque Etat partie
à ces textes. Ainsi en est-il notamment, pour l'une des
catégories de crimes relevant de la Cour pénale internationale,
de la convention des Nations unies du 10 décembre 1984 contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Cette complémentarité est à comparer au principe de
primauté
reconnue aux deux tribunaux spéciaux qui
leur permet de procéder au
dessaisissement
d'une juridiction
nationale à leur profit et auquel celle-ci ne pourrait s'opposer.
Dans le cadre de la Cour pénale internationale, la souveraineté
judiciaire de chaque Etat partie est donc reconnue, en même temps que son
obligation d'agir à l'encontre du ou des auteurs de crimes impliquant
sa compétence juridictionnelle
. Ce n'est qu'à défaut
d'une telle action que pourrait alors intervenir la cour pénale
internationale dont le statut prévoit, dans cette hypothèse, les
différents cas où elle pourrait être saisie d'une affaire.
Il ressort ainsi de l'article 17 du statut que la Cour ne pourrait être
saisie d'une affaire que s'il s'avère qu'un Etat, compétent en
l'espèce,
n'a pas eu la volonté ou a été dans
l'incapacité
de mener véritablement à bien
l'enquête ou les poursuites. Pour étayer son appréciation
sur le
manque de volonté
de l'Etat, la Cour
vérifiera :
- si la procédure engagée par l'Etat concerné l'a
été dans le but de "
soustraire la personne
incriminée à sa responsabilité pénale
(...)
",
- si cette procédure a subi un "
retard
injustifié
" qui
" dément l'intention de
traduire en justice la personne concernée ".
Pour apprécier l'éventuelle
incapacité de l'Etat
en
cause, la Cour examinera si cet Etat n'est pas en mesure,
" en raison
de l'effondrement de la totalité ou d'une partie substantielle de son
propre appareil judiciaire ou de l'indisponibilité de celui-ci ",
de se saisir de l'accusé ou de réunir les
éléments de preuve et les témoignages nécessaires.
De fait, comment attendre de certains pays, devenus le théâtre
d'affrontements armés particulièrement violents, sur le
territoire desquels seraient commis les crimes les plus graves et dont la
structure étatique aurait été ruinée, qu'ils
engagent des procès mettant en cause des éléments de telle
ou telle faction en conflit ? Des Etats tels que le Liban de la guerre
civile, ou plus récemment, la Sierra Leone, pour ne citer que ces deux
exemples, pourraient donc voir, en quelque sorte, transférer leurs
compétences judiciaires vers la CPI pour juger des crimes relevant de sa
compétence.