3. Les ONG, intermédiaires actifs entre les Etats et la Cour pénale internationale
Une
singularité importante de la négociation sur le statut de la Cour
pénale internationale et de certaines des dispositions de ce dernier
concerne le rôle éminent tenu par les organisations non
gouvernementales (ONG). Il ne s'agit certes pas d'une totale innovation puisque
les coordinations d'ONG, rassemblant plusieurs centaines d'entre elles, avaient
déjà joué un rôle très important dans la
sensibilisation de l'opinion d'abord, le travail de négociation ensuite,
concernant l'élaboration de la convention d'Ottawa proscrivant la
production et l'usage des mines anti-personnel. Cette tendance à
l'émergence d'un rôle propre et important pour les ONG ou, comme
l'a indiqué le professeur Bettati "
l'explosion du
phénomène des ONG comme aiguillon de la diplomatie
internationale "
, s'est trouvée fortement
réaffirmée à l'occasion de la préparation du Statut
de Rome de la Cour pénale internationale. De fait, nombreuses sont les
Organisations non gouvernementales qui, par leur action sur le terrain, depuis
de nombreuses années, ont été en première ligne des
tragédies vécues par tant de populations civiles, dans le cadre
de différents conflits, internationaux ou non. Elles y ont acquis, ce
faisant, une capacité d'analyse des faits, une légitimité
à témoigner, qui ont trouvé, grâce également
aux moyens de communication, des répercussions considérables
auprès des opinions publiques.
La généralisation et la systématisation de l'engagement de
ces organisations font en quelque sorte de ces dernières le
troisième " personnage-clé " qui vient
interférer dans le dialogue habituel entre les Etats d'une part et les
instances internationales qui ne relèvent pas d'une logique
étatique d'autre part, comme, dans le cas précis, la Cour
pénale internationale.
Les coordinations d'ONG ont eu un rôle direct dans la négociation
de Rome, aux côtés des représentants gouvernementaux et
à égalité avec eux. Certains juristes se sont d'ailleurs
émus de ce qu'ils ont considéré comme une certaine
dérive du multilatéralisme
, entraînant "
une
nouvelle dépossession des Etats "
au profit de certaines
ONG plus "
idéologiques "
qu'
" opérationnelles " " qui se bornent à des
postures normatives, aspirent à devenir des partis politiques
internationaux, sans légitimité, sans racines et sans
contrôle, et développent une diplomatie parallèle, qui
interfère avec les diplomaties étatiques, sans aucune base
démocratique "
7(
*
)
.
Ce jugement, quelque peu sévère, n'en permet pas moins
d'apprécier avec plus de recul cette nouvelle réalité
internationale qui peut conduire, concrètement, à l'adoption de
dispositions normatives intégrant, dans un équilibre parfois
fragile, des logiques concurrentes : celle de l'Etat souverain contre
celle de l'Etat contrôlé ; celle de l'universalité des
compétences de la Cour pénale contre celle de la
prééminence politique du Conseil de sécurité.
Le rôle des ONG dans la Cour pénale internationale dépasse
d'ailleurs le stade de la négociation. Le Statut de Rome leur
confère un rôle non négligeable dans le fonctionnement
judiciaire de la Cour pénale internationale. Le Statut de la Cour
prévoit en effet que le Procureur de la Cour peut ouvrir
proprio
motu
une enquête au vu de "
renseignements concernant des
crimes relevant de la compétence de la Cour ".
Nul doute
qu'une large part de ces renseignements proviendront en particulier des
organisations non gouvernementales, au reste explicitement mentionnées
au 2
e
alinéa de l'article 15 du Statut, au côté
des Etats, des organes de l'ONU, d'organisations intergouvernementales ou
" d'autres sources dignes de foi ".