N°
313
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 8
avril 1999
Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 avril 1999
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la Cour pénale internationale ,
Par M.
André DULAIT,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Xavier de Villepin,
président
; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait,
Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle
Bidard-Reydet,
vice-présidents
; MM. Michel Caldaguès,
Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès,
secrétaires
; Bertrand Auban, Michel Barnier, Jean-Michel Baylet,
Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy
Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert
Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean
Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel,
Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle,
René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc
Mélenchon, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano,
Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Xavier Pintat, Bernard
Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas,
André Rouvière.
Droit pénal. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le siècle prochain s'ouvrira peut-être sur une innovation
majeure : avec la création de la Cour pénale internationale,
les auteurs et les instigateurs des crimes les plus graves contre le droit
international humanitaire sauront qu'ils auront à rendre compte de leurs
actes. Quelle rupture plus éloquente avec ce siècle qui
s'achève et qui fut celui de l'impunité pour tant de responsables
d'actions inqualifiables ?
Il aura fallu au moins cinquante ans pour arriver à concrétiser
ce voeu d'une cour criminelle internationale permanente qui soit à
même de répondre, dans les conflits de toute nature, aux exigences
fondamentales de l'humanité.
Beaucoup cependant reste à faire : l'action diplomatique ne s'est
pas achevée avec l'adoption, le 18 juillet 1998, de la convention de
Rome portant Statut de la Cour pénale internationale. Une
négociation importante se poursuit afin de fixer le cadre de
procédure dans lequel évoluera la Cour, et de déterminer
les " éléments constitutifs " des crimes qui
relèvent de sa compétence : le génocide, les crimes
contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression, dont le
caractère imprescriptible est réaffirmé.
La Cour ne sera pas créée immédiatement : le temps
sera long pour réunir les 60 ratifications indispensables à son
entrée en vigueur.
Par ailleurs, l'absence et l'hostilité de certains Etats importants -au
premier rang desquels les Etats-Unis d'Amérique, pèsera
sûrement sur la constitution de la Cour.
Un pas essentiel est toutefois franchi qui permettra de donner un cadre concret
à une nouvelle forme de justice internationale. Non pas celle qui juge
le comportement des Etats, mais celle à laquelle reviendra la
tâche de juger des individus coupables de crimes qui, par leur
gravité, atteignent l'humanité tout entière.
Il était légitime que notre commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées
examine plus particulièrement les aspects de la future Cour
pénale internationale qui concerneront le lien entre la
souveraineté des Etats d'une part, principe qui demeure essentiel au bon
fonctionnement de la société internationale et d'autre part la
nécessité de conférer à la Cour pénale des
compétences suffisantes pour assurer sa crédibilité. De
même a-t-elle porté son attention sur les relations, parfois
complexes, entre la justice internationale et la paix, que celle-ci concerne
d'ailleurs les conflits internes ou les conflits internationaux. Il
était enfin important, pour notre commission, d'évoquer les
incidences de la Cour pénale internationale sur certaines questions
militaires, en particulier l'influence d'une justice pénale
internationale -ou tout au moins telle ou telle de ses procédures- sur
les forces de maintien de la paix déployées hors du territoire
national et auxquelles la France a contribué et contribue encore
très largement.
I. LA CRÉATION DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE : LA FIN D'UNE LONGUE ATTENTE
A. UN SIÈCLE DE RÉFLEXION ET D'HÉSITATIONS
1. L'élaboration progressive d'un droit humanitaire international
M.
Benjamin Ferencz, ancien procureur au Tribunal de Nuremberg, considérait
qu' "
il ne peut y avoir de paix sans justice, ni de justice sans
loi, ni de loi digne de ce nom sans un tribunal chargé de décider
ce qui est juste et légal dans des circonstances données ".
Ainsi se trouvaient rappelés les liens complexes, parfois
équivoques, que la paix entretient avec la justice,
singulièrement la justice pénale.
Si la guerre a été et demeure le théâtre des
exactions les plus graves et de la commission des crimes les plus odieux, une
paix durable ne peut être conclue et consolidée que si les auteurs
de ces crimes -du dirigeant gouvernemental au simple exécutant- sont
susceptibles d'être conduits à rendre compte devant la justice de
leurs méfaits. Cette justice présente alors une double
vertu : celle de la
sanction exemplaire
de crimes
particulièrement odieux, celle de la
dissuasion
, destinée
à prévenir le retour de telles tragédies.
La communauté internationale avait, à la fin du siècle
dernier, pris conscience de cette nécessité de mettre en place
une instance judiciaire "
appelée à défendre et
à mettre en oeuvre les exigences profondes de
l'humanité
"
.
La communauté
internationale avait proclamé, pour la première fois en 1899,
à La Haye, la nécessité de répondre à ces
exigences. Ce fut la clause " Martens ", concernant les " lois
de l'humanité " et qui figure au préambule de la convention
de La Haye sur les lois et coutumes de guerre. Surtout, après l'ampleur
des crimes perpétrés par le régime nazi lors de la seconde
guerre mondiale, et les exactions massives commises à cette même
époque par les forces japonaises, les deux tribunaux de Nuremberg et
Tokyo furent mis en place pour juger les responsables de ces crimes de guerre
et crimes contre l'humanité.
Ce n'est toutefois qu'après 1945 et en partie sur la base des travaux de
ces deux tribunaux, notamment en ce qui concerne la définition des
" crimes contre l'humanité ", que fut
progressivement
créée une base juridique
, intégrée dans des
conventions internationales ainsi que dans de nombreuses législations
internes, et de nature à
définir des incriminations et
à prévoir leur répression
. Ce fut d'abord la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, toutes
deux adoptées en 1948. L'année suivante furent adoptées
les quatre conventions de Genève visant à établir un
régime de protection des droits des non-combattants, auxquelles se sont
ajoutés, ultérieurement (1977), deux protocoles additionnels
concernant la protection des victimes, respectivement, de conflits armés
internationaux
1(
*
)
et non
internationaux. Plus récemment, en 1984, fut adoptée la
Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitement
cruels, inhumains ou dégradants.