8. Intervention de Mme Corinne LEPAGE, ancien ministre de l'Environnement, avocat
Mme
Corinne LEPAGE
. - Je dirai, en tant qu'ancien ministre, que je comprends
très bien les objectifs rappelés et je les partage. Mobiliser des
ressources pour satisfaire aux directives communautaires, répondre
à la demande sociale concernant le prix et la qualité de l'eau,
et instituer une fiscalité écologique dont je ne peux pas penser
qu'elle ne soit pas destinée à améliorer la gestion de
l'environnement.
Ce qui me frappe, c'est qu'il ne semble pas que le projet puisse les
satisfaire, alors qu'une évolution du système des agences
permettrait de répondre très convenablement à ces trois
exigences.
Pourquoi le projet ne permet-il pas de les satisfaire et pourquoi est-il en
réalité assez contre-productif ?
Si je pense que l'idée de fiscalité écologique est une
bonne idée, en l'espèce elle peut avoir des effets tout à
fait pervers. Cela aboutit à retirer des fonds à l'environnement.
Et je ne redirai pas ce que d'autres ont déjà
énoncé parfaitement bien, mais on est infiniment plus
rassuré avec des taxes affectées qu'avec le budget de l'Etat,
même s'il y a un compte spécial du Trésor. Par
conséquent, si on avait tenu ce raisonnement, il n'y aurait jamais eu de
politique de l'environnement en France parce qu'on n'aurait jamais eu d'argent
pour la mettre en oeuvre.
Je ne crois pas du tout, comme l'a dit le Président FRANCOIS-PONCET, que
le principe pollueur payeur, auquel je suis très attachée, puisse
être satisfait par une augmentation du prix payé par le
consommateur. Celui-ci ne sera pas incité, sauf peut-être à
consommer moins d'eau. Je ne crois pas qu'il y ait là une justification
du projet.
D'autre part, manifestement il y a une remise en cause du fonctionnement des
agences. Sans autonomie financière, il n'y a pas d'autonomie du tout.
Les comités de bassin seraient ainsi privés en
réalité de la possibilité d'établir la taxe et donc
le montant des travaux, puisqu'ils dépendraient complètement
d'une subvention versée par l'Etat et perdraient toute existence
réelle.
Si je ne crois pas qu'on puisse, par ce projet, répondre aux trois
objectifs, je pense par contre qu'une réforme des agences permettrait
tout à fait d'y répondre. Il faut faire payer tous les pollueurs,
c'est vrai, mais je dirais que c'est un problème éminemment
politique. La difficulté que les ministres de l'environnement successifs
ont rencontrée pour faire en sorte qu'il y ait une action politique
forte menée contre les pollutions diffuses et notamment les pollutions
agricoles, est un problème qui dépasse le cadre des agences. Et
s'il y avait une décision forte de l'Etat dans ce domaine, il n'y aurait
pas de difficultés au niveau des agences pour l'appliquer.
La mobilisation des ressources pourrait parfaitement s'assurer au niveau des
agences, et je peux dire que la volonté du ministère des Finances
de mettre la main sur les fonds des agences est une vieille histoire et nous
sommes un certain nombre de ministres de l'Environnement à l'avoir
vécue depuis un certain nombre d'années. En ce qui me concerne,
cela s'était passé par l'intermédiaire du FDES
7(
*
)
. Bercy voulait que l'argent des agences
passe par le FDES. Je m'y suis opposée, avec succès.
Mais il n'y a là aucune assurance. L'Etat a besoin d'argent et je ne
crois pas qu'il puisse y avoir une réelle mobilisation des ressources.
Quant au problème évoqué par Mme Bettina LAVILLE sur le
fonctionnement, l'Etat peut exercer son métier de contrôle au
niveau du système des agences qui sont des établissements publics
de l'Etat.
Je terminerai en disant que je vois pour ma part deux difficultés
juridiques au système qu'on voudrait mettre en place.
La première, c'est qu'il me paraît difficile que ce soit une loi
de finances qui vienne anéantir le système des agences de l'eau.
Pourquoi est-ce difficile ? D'abord, parce que la garantie au niveau de la
procédure parlementaire n'est pas la même dans le système
du vote de la loi de finances et dans le système normal
d'élaboration d'une loi. Et d'autre part, parce que la fameuse
décision du 23 juin 1982 du Conseil constitutionnel sur la redevance a
rappelé que les agences étaient une catégorie
particulière d'établissements publics, et donc toutes les
dispositions constitutives de ces établissements publics ne pouvaient
venir que de la loi et non pas du règlement. Et à mon sens, font
partie de ces dispositions constitutives le fonctionnement et l'autonomie
financière, et il faut donc bien une modification législative en
bonne et due forme pour y parvenir.
Je me pose également une question de droit constitutionnel et de
conformité à l'article 72 de la constitution. N'y a-t-il pas,
dans la remise en cause du système des agences et dans le rôle de
co-décision donné aux comités de bassin pour voter la
redevance, une expression de la liberté des collectivités
territoriales qui occupent une position dominante au sein des comités ?
Et la présence de très nombreux parlementaires aujourd'hui montre
bien la sensibilité des collectivités locales sur ce sujet. N'y
a-t-il pas là une atteinte au principe de libre administration des
collectivités territoriales ?
La question mérite au moins d'être posée.