B. LA DISTRIBUTION DE PRODUITS D'ASSURANCE PAR LA POSTE ET LE TRÉSOR PUBLIC
Au sein
des grands réseaux bancaires et financiers de distribution des produits
d'assurance vie, La Poste et, dans une moindre mesure, le Trésor,
figurent en bonne place en ce qui concerne le nombre de leur guichets ainsi que
leurs parts dans la collecte de l'épargne.
En effet, depuis la création de la Caisse nationale de prévoyance
(CNP), les services des administrations du Trésor distribuent, avec les
services de La Poste, les produits de la CNP. Il s'agit de produits
d'épargne et de retraite ainsi que des garanties de prévoyance.
La
distribution de produits d'assurance par La Poste et le Trésor
public
est néanmoins contestée par leurs compétiteurs
au motif qu'elle serait de nature à créer des distorsions de
concurrence.
Le Conseil de la concurrence, saisi par la Commission des finances, n'est
pourtant pas aussi catégorique.
1. La distribution de produits d'assurance par La Poste
a) Cadre juridique
La Poste
est habilitée à distribuer les produits d'assurance vie de la
Caisse nationale de prévoyance (CNP) depuis 1968, sur le fondement de
l'article R. 433-10 du code des assurances.
Depuis l'abrogation de cet article
27(
*
)
, c'est l'article 2 de la loi
n° 90-568 du 2 juillet 1990 qui habilite La Poste à
"
offrir, dans le respect des règles de la concurrence, des
prestations (...) relatives à tous produits d'assurance
. " En
conséquence, son activité peut désormais s'étendre,
en vertu d'une habilitation législative générale, à
la commercialisation en propre ou pour le compte de tiers, de produits
d'assurance de dommages.
En 1992, La Poste a adopté le statut commercial privé de courtier
en produits d'assurance, en s'immatriculant à cette fin au registre du
commerce de Nanterre.
La liberté commerciale de La Poste est toutefois limitée
puisqu'en vertu de l'article 12-2° de son cahier des charges, le lancement
de tout nouveau produit d'assurance est soumis à l'accord
préalable du ministre chargé des postes et
télécommunications, ainsi qu'à l'agrément du
ministre chargé de l'économie et des finances.
Ainsi, lorsque la Poste a souhaité, en mai 1997, étendre ses
activités à la distribution de produits d'assurance dommages en
partenariat avec les AGF, elle s'est heurtée à l'opposition des
agents généraux, des compagnies d'assurance et des
" bancassureurs ", au premier rang desquels le Crédit
agricole, et le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
n'a pas avalisé ce projet.
Ainsi, à ce jour, La Poste distribue principalement des produits
d'épargne, de retraite et des garanties de prévoyance de la CNP,
mais aussi des produits d'assurance vie du groupe AGF (produit Valorea). Elle
bénéficie pour ce faire d'un réseau d'une ampleur et d'une
implantation exceptionnelles.
b) Place de l'activité de distribution d'assurance dans l'activité globale de La Poste
Au 31
décembre 1996, le poids de l'assurance vie dans l'encours des produits
financiers de La Poste représentait 22 % (contre 8,5 % en
1992), soit 185 milliards de francs. Cet encours a quadruplé depuis
1990.
Avec une part de marché évaluée à 10,8 %
pour 1997, La Poste occupe la seconde place derrière le Crédit
agricole et devant les Caisses d'épargne.
Le chiffre d'affaires réalisé avec La Poste par la CNP
s'élevait en 1995 à 33 milliards de francs et à 39
milliards de francs en 1996.
La CNP a versé 1,3 milliards de francs à La Poste en 1996 en
rémunération de son activité de distribution, dont 820
millions de francs sur flux et 456 millions de francs en encours, soit un
pourcentage de 3,3 % des primes collectées.
Comme le rappelle le Conseil de la Concurrence, c'est au sein du même
réseau de 17 000 bureaux et agences et avec l'aide du même
personnel que La Poste exerce l'activité de service public du courrier
et son activité financière appartenant au secteur concurrentiel,
dont la distribution de produits d'assurance fait précisément
partie.
Sur ce secteur, La Poste est en concurrence avec les autres
intermédiaires d'assurance, à savoir les agents
généraux d'assurance, les courtiers, les guichets bancaires et le
réseau du Trésor ainsi qu'avec les salariés ou mandataires
des opérateurs sans intermédiaires.
c) L'analyse du Conseil de la concurrence
La
Poste n'établit pas de comptabilité analytique permettant de
distinguer ce qui relève des activités de service public et ce
qui relève des activités concurrentielles.
Aussi lui est-il
souvent reproché de pratiquer des subventions croisées entre les
activités de distribution du courrier, qui font l'objet de subventions,
et les services financiers.
En particulier, l'allégement de taxe professionnelle et de taxes
foncières dont La Poste bénéficie
28(
*
)
en contrepartie de la contrainte de
desserte de l'ensemble du territoire et de participation à
l'aménagement du territoire a fait l'objet d'une plainte de plusieurs de
ses concurrents
29(
*
)
devant la
Commission européenne comme étant de nature à créer
des distorsions de concurrence dans le domaine de l'assurance.
Par décision du 8 février 1995,
la Commission a
considéré que cet avantage fiscal ne bénéficiait
pas aux activités concurrentielles de l'exploitant public dans la mesure
où son montant, évalué entre 1,32 et 1,82 milliard de
francs, ne dépasse pas le surcoût généré par
l'accomplissement de ses missions de service public
. La Commission a
toutefois invité La Poste à présenter des comptes
séparés de chacune de ses activités.
Le Tribunal de première instance des Communautés
européennes, devant lequel les requérants ont porté cette
décision, a confirmé la décision de la Commission en
estimant qu'elle avait à bon droit déduit l'absence de
subventions croisées de cette supériorité du surcoût
sur l'avantage fiscal.
Le Conseil de la concurrence
30(
*
)
souligne quant à lui que
"
les disparités dans
les modes de fonctionnement entre les services financiers de La Poste et ses
concurrents
,
ainsi que l'absence de séparation entre les
activités sous monopole et les activités exercées en
concurrence,
rendaient difficile l'examen comparatif des conditions de
concurrence
. La Poste est un opérateur avantagé par un
réseau de guichets sans équivalent et par le prestige
attaché à l'image du service public, mais elle supporte des
contraintes de desserte et de participation à l'aménagement du
territoire et son autonomie commerciale est limitée "
.
Il estime que la mise en place d'un système de comptabilité
analytique fiable et transparent est nécessaire pour pouvoir
contrôler la tarification pratiquée par La Poste pour ses services
financiers et démontrer son caractère éventuellement
abusif.
Il précise toutefois que
" quelles que soient les
améliorations qui pourraient être apportées à la
comptabilité analytique de La Poste, le contrôle effectif des
règles de la concurrence restera difficile à effectuer tant que
ne sera pas intervenue
une séparation juridique des activités
sous monopole et des activités concurrentielles, par exemple, dans le
cadre d'une filialisation des services financiers. "
Au total, si l'on ne peut démontrer de façon certaine que les
activités de distribution de produits d'assurance par La Poste
bénéficient d'avantages indus par rapport à la
concurrence, le doute subsistera tant qu'une séparation nette ne sera
pas établie comptablement et juridiquement entre les activités
sous monopole et les activités concurrentielles.
2. L'activité de distribution du Trésor public
A
côté de ses missions régaliennes, le Trésor public
exerce également une activité de distribution de produits
financiers et d'assurance. En effet, en vertu de l'article 1
er
de la
convention signée entre l'Etat et la CNP le 5 mai 1995 pour une
durée de dix années,
" la société CNP
Assurances et ses filiales utiliseront le réseau du Trésor public
pour la présentation de leurs contrats et l'exécution de leurs
opérations (...) ".
Bien que les agents du Trésor ne détiennent plus d'habilitation
législative exprès pour distribuer les produits de la CNP depuis
l'abrogation de l'article R. 433-10 du code des assurances,
l'administration a habilité
4 357 agents spécialement
formés et qualifiés
de mandataires non salariés
pour la distribution des produits d'assurance dans les 4 500 postes
comptables. Ces agents perçoivent des commissions pour chaque contrat
placé. Ils ne peuvent utiliser pour ces activités des
informations de nature fiscale et notamment le fichier de la direction
générale des impôts. Il agit d'une activité
privée, exercée sous la responsabilité personnelle des
Trésoriers payeurs généraux.
Le réseau de distribution du Trésor détient ainsi
1,6 % du marché de l'assurance vie
. Le chiffre d'affaires
réalisé avec le Trésor par la CNP s'élevait en 1995
à 6 milliards de francs et en 1996 à 7,6 milliards de francs,
dont 605 millions dans le cadre d'Investissement Trésor Vie (ITV),
filiale commune des deux institutions. Les produits les plus largement
commercialisés par le réseau sont les produits d'épargne
" Trésor-Vie ", complétés par des contrats de
retraite et de prévoyance.
3. L'analyse du Conseil de la concurrence
Le
Conseil de la concurrence observe que les agents du Trésor
bénéficient par rapport à leurs concurrents d'une position
privilégiée compte tenu de la notoriété
attachée à l'image d'un service de l'Etat, de la présence
sur tout le territoire d'un réseau de postes comptables, de
l'utilisation des moyens logistiques de l'administration et de la force de
persuasion particulière des agents du Trésor. Il considère
que ces avantages sont de nature à générer des distorsions
de concurrence dans la distribution de l'assurance vie.
Ces distorsions de concurrence bénéficient en premier lieu
à la CNP qui dispose avec le Trésor d'un réseau
privilégié et qui lui est entièrement dédié,
le Trésor ne distribuant que les produits de la CNP (7 % des
produits de la CNP) aux côtés des Caisses d'épargne
(40 %), de La Poste (39 %), des établissements financiers
(6 %), des mutuelles de fonctionnaires (5 %) et des entreprises
(3 %).
Le Conseil de la concurrence préconise en conséquence les
mêmes remèdes que pour La Poste, c'est-à-dire la
séparation comptable et éventuellement juridique des
activités concurrentielles et non concurrentielles.