III. UN ACCROISSEMENT DE LA VULNÉRABILITÉ DES ACTEURS
L'accroissement de la concurrence sur tous les segments de
l'assurance a laminé les marges d'acteurs déjà
structurellement fragiles.
La concentration de l'offre a contribué à diminuer cette
intensification concurrentielle au niveau national sans conduire toutefois
à une amélioration sensible de la rentabilité du secteur.
A. DES ACTEURS STRUCTURELLEMENT FRAGILES
1. Le lourd héritage des nationalisations
Comme le
souligne le rapport du Commissariat Général du Plan
20(
*
)
, la
politique de
nationalisation
des compagnies d'assurance a conduit à sacrifier le
souci de la rentabilité et de la solvabilité au profit d'une
recherche de la part de marché et au détriment de la
spécialisation des acteurs. Les groupes publics sont en
réalité devenus des investisseurs institutionnels, outils d'une
stratégie non intrinsèquement économique. En outre, la
fragilité de certains groupes dans le cadre d'une compétition
mondiale accrue a été largement sous-estimée.
Par ailleurs, la succession rapide de dirigeants, qui n'étaient pas
nécessairement issus du monde de l'assurance, a eu pour
conséquence un manque de continuité stratégique qui a
pesé sur les performances et la qualité de la gestion ainsi que
sur la mobilisation des personnels et des cadres. L'UAP a ainsi connu six
présidents en vingt ans.
A l'inverse, la continuité stratégique de la direction d'AXA est
probablement un des ingrédients de sa réussite exceptionnelle,
comme le soulignait M. Jean-Louis Bellando, Secrétaire
Général de la Commission de contrôle des assurances, lors
de son audition devant le groupe de travail.
Le Commissariat Général du Plan cite également l'exemple
d'AIG présidé par Maurice R. Greenberg, qui a
été créé en 1919 et n'a connu jusqu'à
présent que deux dirigeants. Il est le groupe d'assurance le plus
rentable au monde (avec une rentabilité financière des fonds
propres de 15 %) et la première capitalisation
boursière mondiale dans l'assurance avec 90 milliards de dollars.
Compte tenu de l'érosion de leur efficacité, la part des
encaissements des sociétés nationalisées est ainsi
passée de 50 % au moment de la nationalisation à 38 %
en 1968.
En outre, avant son rachat par AXA, le ratio sinistres sur primes de l'UAP
était de 77 % contre 71 % pour AXA, rien ne justifiant
a
priori
un tel différentiel sauf une gestion moins
rigoureuse.
2. Une éviction lente des marchés du risque industriel et des grands comptes
Comme
l'observe le Commissariat Général du Plan, "
on se ferait
une idée vraisemblablement embellie de l'assurance française
à partir de la considération de sa bonne position sur le
marché des particuliers et des risques de masse et de la
considération complémentaire selon laquelle le marché des
particuliers génère, en France du moins, 80 % du total des
primes encaissées
".
Le CGP relève en effet que la France est en grave récession sur
la couverture des divers risques de l'entreprise et même, quoique dans
une bien moindre mesure, sur celle des particuliers.
L'assurance française occupe en effet une position très
défensive sur le marché des risques industriels sur lequel la
compétition internationale est très vive. Aux risques dont la
couverture échappe à la loi du grand nombre, les acteurs
français préfèrent les risques couverts par des produits
standardisés dont le prix est l'élément de
différenciation le plus important.
A tel point que le positionnement des groupes étrangers sur le
marché du risque crédit menacerait l'indépendance
industrielle française selon le Commissariat Général du
Plan qui évoque le retard technique, le manque d'innovation et la
frilosité générale des acteurs français à
l'égard des grands risques. En assurance-vie également, les
acteurs les plus innovants se situent en Grande-Bretagne.
Or,
" la haute technologie de l'assurance est du côté du
risque industriel ou du risque du transport et le dynamisme d'un marché
dépend largement de la capacité durable des offreurs sur ces
segments de marché. Par ailleurs, une maîtrise suffisante de ces
marchés est une des clés de la compétitivité
internationale dans la mesure où la composante assurance du commerce
international et des projets internationaux est loin d'être
négligeable ",
écrit le CGP.
Cette éviction des marchés du risque industriel et des grands
comptes est renforcée par le rachat des grands courtiers français
par les grands cabinets de courtage anglo-saxons qui accélère la
" délocalisation " de la gestion des risques de l'entreprise.
En effet, comme l'observe le Conseil de la concurrence
21(
*
)
, la prédominance de
l'activité des sociétés étrangères dans
l'assurance de dommages
" n'est sans doute pas sans lien avec la
prépondérance exercée par les courtiers d'origine
étrangère, en particulier dans le secteur de la couverture des
grands risques ".
Dans ce dernier secteur, les parts de marché détenues par des
sociétés d'origine étrangères seraient les
suivantes :
- risques crédit : 84 %
- risques industriels : 50 %
- transports gros risques : 40 %
Des obstacles réglementaires et fiscaux semblent également
expliquer la faible présence des sociétés d'assurance
française sur ces marchés. En particulier, les groupes
industriels français rencontrent des difficultés à
implanter leurs filiales " captives " de réassurance en France.
Au total, et en dépit de l'accroissement du poids des compagnies
françaises sur le marché de la réassurance à
travers la SCOR et AXA RÉ, on observe un déplacement des centres
de décision en matière de risques industriel vers Zürich,
Munich et Londres.
Le positionnement de l'assurance française se révèle
également non optimal au regard des marchés où la
densité et la pénétration de l'assurance sont les plus
élevés (Europe du Nord notamment).