PREMIÈRE PARTIE
LA " RÉVOLUTION "
NUMÉRIQUE :
PROGRÈS ÉCONOMIQUE... PROGRÈS
SOCIAL ?
A. VERS L'ÉCONOMIE DU NUMÉRIQUE
Multiplication des capacités de transport des moyens de
diffusion existants, utilisation d'un langage informatique qui permet de
combiner avec une très grande souplesse le son, les images
animées ou fixes et le texte, utilisation de ce langage par un nombre
croissant de machines à tous usages domestiques ou professionnels ;
et, par voie de conséquence, démultiplication de l'offre de
contenus, internationalisation de celle-ci en temps réel,
amélioration de la qualité du son et de l'image,
possibilité d'un " dialogue " entre l'utilisateur et la
machine, apparition de services de plus en plus personnalisés : nul
n'ignore les effets globaux de la révolution numérique sur le
monde de la communication. On sait aussi que cette révolution est en
cours. Pour s'en tenir au cas de la France, on considère souvent qu'elle
se sera imposée à partir du moment où les services
numériques toucheront un quart du public. Ce sera chose faite en l'an
2000 d'après les prévision des opérateurs engagés
dans le numérique. D'ores et déjà, 14,5% de la population
recevait en 1997 des services numériques par le biais d'un abonnement au
câble ou au satellite, la prévision étant de 19% pour 1998.
On estime enfin que le secteur de la communication audiovisuelle
numérique sera de plus en plus créateur de revenu et d'emplois,
et jouera un rôle croissant dans l'équilibre des comptes
extérieurs des nations industrielles.
L'environnement national, analogique et oligopolistique en fonction duquel la
législation actuelle de la communication audiovisuelle a
été élaborée est ainsi entièrement remis en
cause. Pour engager les refontes nécessaires, l'autorité
politique doit évaluer conséquences actuelles et prochaines de la
révolution numérique sur les structures économiques de la
communication audiovisuelle. Il semble possible d'engager cette démarche
en évoquant trois tendances susceptibles d'infléchir la position
respective des agents, d'inspirer leurs stratégies d'adaptation, de
dessiner ainsi le profil du paysage audiovisuel numérique de
demain.
1. Les dynamiques de diversification et de concentration
a) La diversification
La diversification des services, des métiers, des opérateurs et des ressources est le premier aspect de la dynamique économique de l'audiovisuel numérique.
(1) Les services
Le numérique ouvre la voie, grâce à la
forte croissance des capacités de transport d'information des vecteurs
existants à la diminution du coût de transport, à la
multiplication des applications associant les différents types
d'information, et à l'interactivité, à une diversification
radicale du paysage audiovisuel.
Jusqu'à présent, celui-ci était structuré par
deux catégories de services d'un poids très inégal :
d'une part, ce que l'on peut appeler le service de base, comprenant un
" service universel " accessible à tous en tous points du
territoire (TF1, France 2 et France 3) et trois chaînes à
couverture restreinte (M6, Arte et la Cinquième) ; d'autre part,
des " services de complément ", payants, distribués
pour l'essentiel sur les réseaux câblés initialement, et
depuis l'année dernière sous la forme des trois bouquets
satellitaires numériques TPS, Canalsatellite et AB Sat, auxquels il
convient d'ajouter Canal Plus qui conserve la particularité d'être
une chaîne payante et non généraliste diffusée en
analogique sur le réseau hertzien terrestre.
La diversification des services passe d'abord par les bouquets satellitaires
numériques et commence à toucher les services du câble au
fur et à mesure de la numérisation des réseaux. D'ores et
déjà, TPS propose 31 chaînes
généralistes ou thématiques et des services de paiement
à la séance, de jeux, de météo, d'information
boursière ou sur les courses, de petites annonces. Canal Satellite
propose 53 chaînes généralistes ou thématiques dont
un service de paiement à la séance. AB Sat propose
19 chaînes thématiques. Des chaînes
événementielles temporaires apparaissent, telle que Super Foot
98, créée pour la diffusion de la Coupe du monde de football. Sur
chaque bouquet, de nouvelles chaînes sont en préparation, elles
devraient alimenter à la fois le câble et le satellite.
A terme, les principales applications de la numérisation seront les
films ou programmes à la carte, les émissions éducatives,
les services de réservation et d'information dans le secteur du
tourisme, les jeux, les événements sportifs, la boîte aux
lettres électronique, les réservations de places de spectacle,
les bases de données informatiques en ligne, le
télé-achat, les services bancaires, l'accès à
Internet.
Le tryptique information-distraction-culture qui est en quelque sorte la
marque de fabrique du " service universel " va ainsi prendre la forme
d'une multitude de services fortement personnalisés associés aux
programmes traditionnels : la télévision, média de
diffusion, devient un média d'interaction.
(2) Les métiers
Les grands métiers qui structurent la chaîne
audiovisuelle évoluent aussi.
L'éditeur-diffuseur qui se trouvait jusqu'à présent au
centre du dispositif et pesait de toute sa puissance économique sur la
plupart des autres acteurs économiques opère à
présent dans une configuration plus complexe.
Rien d'absolument nouveau en principe. L'assemblage de bouquets
numériques, qui prend un grand relief avec le développement des
bouquets satellitaires, et qui dissocie l'édition de la mise de services
à la disposition du public, est le métier traditionnel des
câblo-opérateurs. Le négoce des droits, qui joue un
rôle économique croissant et vers lequel tend à se
déplacer la valeur ajoutée, a d'ores et déjà connu
un développement considérable dans certains pays : on sait
la puissance financière du groupe Kirch en Allemagne.
De tels ajustements modifient cependant profondément la structure du
paysage audiovisuel et pourraient inciter le législateur à
définir dans la loi le rôle de telle ou telle catégorie
d'opérateurs et sa contribution à l'équilibre de la
communication audiovisuelle. Il est donc utile de présenter un tableau
sommaire des principaux métiers actuels de la communication
audiovisuelle.
Le métier de
producteur
n'a pas encore été
véritablement modifié par la numérisation. Les producteurs
fabriquent des émissions classiques de tous types : fictions,
documentaires, émissions de plateau, sans avoir encore abordé le
domaine des services interactifs. Il semble que des initiatives aient
été prises sans résultats significatifs, dans le cadre de
la mise en place de la banque des programmes et des services de La
Cinquième.
Le métier d'
éditeur
de chaîne est celui des
" diffuseurs " traditionnels. Il consiste à assembler des
émissions dans une grille de programmes diffusée par un
prestataire technique. Il semble que l'on puisse assimiler à ce
métier traditionnel la constitution de catalogues de programmes
proposés au public sous la forme d'un service de paiement à la
séance, ou l'édition de services interactifs. Ces nouveaux
services rassemblés dans les " bouquets " numériques,
sont mis à la disposition du public non par l'éditeur en tant que
tel, mais par un assembleur de programmes, l'" ensemblier ".
L'ensemblier
, préfiguré par le
câblo-opérateur, comme on a vu ci-dessus, constitue des bouquets
numériques faisant l'objet d'une offre commerciale commune au public.
Le
diffuseur technique
est chargé de l'opération
technique de transmission du signal analogique ou numérique. En
diffusion hertzienne, Télédiffusion de France (TDF) est
l'archétype du diffuseur technique. Les opérateurs de satellites
tels que la Société européenne de satellites (SES) et les
propriétaires de réseaux câblés, au premier rang
desquels se trouve en France France-Telecom, sont d'autres catégories de
diffuseurs techniques.
A côté de ces quatre métiers de base, certaines
activités connexes jouent un rôle central dans l'économie
de la communication audiovisuelle et pourraient susciter un
intérêt croissant de la part du législateur.
Le négoce des droits
de diffusion, auquel il a été
fait allusion plus haut, consiste dans l'acquisition et la vente de catalogues
de programmes aux éditeurs. Dans une économie marquée par
la rareté des contenus diffusables face à l'explosion de l'offre
de services numériques, ce métier revêt un caractère
stratégique. La demande des éditeurs se porte en effet sur des
volumes importants susceptibles d'alimenter les grilles de programmes et les
catalogues de paiement à la séance de façon
régulière pendant de longues périodes. L'offre de droits
de diffusion doit donc être groupée pour satisfaire la demande, ce
qui place les détenteurs de catalogues importants, au premier rang
desquels se trouvent les cinq " majors " d'Hollywood, dans une
position de négociation très favorable.
La gestion des abonnés
. La commercialisation des services payants
demande des compétences assez différentes de celles des
métiers traditionnels de l'audiovisuel. La commercialisation est
actuellement assumée par les ensembliers, opérateurs de bouquets,
pour lesquels sa maîtrise représente un atout essentiel comme la
commercialisation difficile des services du câble l'a montré
a
contrario
pendant de longues années.
L'exploitation des systèmes d'accès sous condition
. Il
faut distinguer d'une part le contrôle d'accès proprement dit, qui
permet, associé à l'embrouillage du signal analogique ou
numérique, de restreindre l'accès des services diffusés
aux seuls consommateurs autorisés, et d'autre part le " moteur
d'interactivité " qui permet le pilotage du terminal et le
fonctionnement d'un guide des programmes indispensable à l'utilisation
des services interactifs.
A la même étape de la réception des services par le public
se situe la fonction de fourniture des décodeurs nécessaires au
décodage du signal numérique par les récepteurs
analogiques actuels. Cette fonction peut jouer un rôle important dans
l'équilibre économique du paysage audiovisuel numérique
dans la mesure où les opérateurs de bouquets de programmes
amenés à la prendre en charge afin de favoriser le
développement des abonnements, ont la possibilité
d'intégrer dans le parc de terminaux qu'ils contrôlent des
dispositifs techniques interdisant l'accès des abonnés à
des services concurrents, même si les systèmes d'accès
conditionnel utilisés par ceux-ci sont compatibles.
La collecte de la ressource publicitaire.
Cette fonction
extérieure à la chaîne qui va de la production à la
réception des services sera de plus en plus cruciale avec l'augmentation
du financement publicitaire des nouveaux services. Elle a d'ores et
déjà une influence profonde sur l'économie de la radio
dans la mesure où la vente des espaces publicitaires est confiée
à un nombre limité de régies dont la stratégie
commerciale contribue à la concentration économique du
secteur.
(3) Les acteurs du marché
La diversification des acteurs du marché est favorisée par la diminution du coût de la diffusion. La location d'un canal satellitaire numérique coûte en moyenne 3 millions de francs contre 15 millions pour la diffusion analogique. Le budget moyen d'une chaîne de télévision passerait ainsi de 40 millions à 20 millions de francs. La diversification touche essentiellement le métier d'éditeur. Aux éditeurs-diffuseurs qui dominent la télévision hertzienne terrestre s'ajoutent de nombreuses autres catégories d'offreurs de contenus tentés de profiter de l'appel d'air suscité par la numérisation pour faire leur entrée dans le monde de la télévision. C'est ainsi que des éditeurs de livres ou de la presse écrite s'engagent dans l'édition de programmes ou de chaînes de télévision. Les opérateurs de bouquets numériques créent sans cesse de nouvelles chaînes, c'est spécialement le cas de TPS, pour réagir à l'exclusivité imposée par Canal satellite aux chaînes qu'il diffuse. Les producteurs de programmes peuvent aussi être tentés d'entrer dans l'édition de chaînes. C'est le choix fait par AB Production, qui s'est portée simultanément sur le créneau de l'assemblage de bouquets satellitaires et qui pourrait se replier à terme, selon certaines prévisions, sur l'édition de chaînes destinées aux deux autres bouquets satellitaires et aux réseaux câblés. Le groupe Kirch, qui détient le plus important catalogue de programmes en Europe, est présent dans la production audiovisuelle et dans l'édition de chaînes en Allemagne et en Italie. Les grands groupes radiophoniques et les éditeurs phonographiques développent aussi des projets dans l'édition de chaînes de télévision.
(4) Les ressources
Au
modèle traditionnel du service universel gratuit s'est progressivement
substituée une gamme diversifiée de modes de financement
fondée sur l'établissement d'une véritable relation
marchande avec le consommateur. Le câble et Canal Plus ont longtemps
illustré le potentiel et les difficultés de ce modèle de
diversification auquel la numérisation ouvre de nouvelles perspectives.
La panoplie des modes de financement est donc la suivante :
- recettes publicitaires pour les télévisions commerciales
gratuites ;
- financement mixte par la publicité et la redevance pour les
télévisions publiques ;
- abonnements payés à des distributeurs assembleurs de programmes
qui en reversent une partie aux éditeurs, dont les ressources seront
éventuellement complétées par la publicité (aux
Etats-Unis, les distributeurs peuvent gérer l'espace publicitaire des
chaînes transportées et reverser une partie de la recette aux
éditeurs) ;
- abonnements payés à des éditeurs de programmes payants
(c'est le modèle de Canal Plus) ;
- paiement à la consommation des services associée aux services
traditionnels (paiement à la séance, téléachat).
En ce qui concerne l'évolution relative des modes de financement des
différents types de services, on peut noter que si la publicité
demeure le principal mode de financement de la télévision en
Europe, le paiement par abonnement progresse à une cadence plus rapide
que les ressources publicitaires (23 % contre 11 %, en 1995
2(
*
)
) en raison du tassement progressif de
l'évolution du marché publicitaire. On notera par ailleurs
l'amorce d'un déplacement des investissements publicitaires vers les
chaînes thématiques : la croissance des investissements dans
ce secteur a atteint 20 % en 1997, contre 10 % pour l'ensemble des
télévisions. Selon certaines estimations, la part des
thématiques dans le total des investissements publicitaires en
télévision pourrait atteindre 4 % du marché en
2 000 contre 2 % à la fin de 1997
3(
*
)
. Le progrès du financement
publicitaire de la télévision payante correspond à une
nécessité économique : avec le développement
continu de l'offre de programmes par des bouquets numériques, la
concurrence entre éditeurs de chaînes s'accroît et la
redevance qui leur est versée par les ensembliers tend à
diminuer. L'amortissement du coût des services classiques
bénéficiera aussi des recettes des " services
associés " interactifs.
b) La concentration
(1) Deux piliers du pouvoir économique
La position respective des acteurs du paysage audiovisuel
numérique dépendra de deux atouts principaux : la
maîtrise de l'accès conditionnel et la maîtrise des
programmes. C'est dans ces domaines que se livrent actuellement les batailles
qui dessineront les contours du futur marché de la communication
audiovisuelle.
Si un opérateur arrive à contrôler une part significative
du parc de terminaux numériques grâce à la
maîtrise de l'accès conditionnel
, il acquiert une position
dominante qui peut lui permettre de faire obstacle à la
commercialisation des services concurrents s'il est en même temps
éditeur ou assembleur de bouquets numériques, ce qui est le cas
de Canal Plus. Les consommateurs ne peuvent alors accéder à une
offre diversifiée qu'en se procurant plusieurs matériels
permettant de recevoir les contenus utilisant les divers systèmes de
contrôle d'accès.
Le même problème se pose si un système dominant
d'accès conditionnel est proposé par son opérateur aux
éditeurs ou assembleurs concurrents à des conditions
déraisonnables ou discriminatoires.
La pluralité des systèmes d'accès conditionnel et leur
compatibilité sur un seul décodeur apparaissent donc comme une
condition de la concurrence sur les nouveaux marchés de la
télévision. Si un système devait s'imposer, sa mise
à disposition de l'ensemble des éditeurs et assembleurs de
services à des conditions raisonnables et non discriminatoires serait
indispensable à la fluidité du marché.
Le moteur d'interactivité et son guide des programmes, indispensable
aux applications de la télévision interactive et
spécialement au paiement à la séance, pose des
problèmes identiques.
On notera que deux systèmes de contrôle d'accès et deux
logiciels d'interactivité sont actuellement utilisés en France.
TPS et AB Sat ont opté pour la norme de contrôle d'accès
Viaccess et pour le logiciel d'interactivité Open TV, proposés
par France Telecom, alors que Canal Plus utilise le système
Médiaguard et le logiciel d'interactivité Madiahighway,
développés par le groupe lui-même.
Les problèmes que cette situation est susceptible de poser au regard
de la concurrence sur le marché de la télévision
numérique ainsi que les solutions techniques et juridiques disponibles
seront examinés dans la troisième partie de ce rapport.
Le second atout déterminant des acteurs économiques sur le
marché de la communication audiovisuelle numérique est la
maîtrise des programmes.
Il s'agit pour les éditeurs de
services d'acquérir les droits de diffusion des catégories de
programmes les plus appréciés du public, et pour les assembleurs
de bouquets numériques de proposer une offre plus abondante, plus
variée et plus attractive que celle de la concurrence.
Les droits les plus convoités sont ceux du cinéma et des
événements sportifs, en vue de la diffusion la plus
précoce possible sur des chaînes thématiques ou en paiement
à la séance. Leur acquisition fait l'objet d'une vive
compétition entre les opérateurs et on mesure l'importance des
enjeux économiques sous-jacents au caractère souvent acerbe des
accusations d'atteinte à la concurrence que ceux-ci échangent.
En ce qui concerne l'acquisition des droits de diffusion de films, il
convient de distinguer le cas du cinéma français de celui du
cinéma américain.
Canal Satellite bénéficie d'un avantage dans les deux cas.
Grâce à sa politique de préachat de films français,
Canal Plus participe au financement de 80 % de la production
cinématographique française pour quelque 800 millions de
francs représentant 9 % de son chiffre d'affaires, l'investissement
est en moyenne de 7 millions de francs par film pour sept diffusions
étalées sur un an ou deux. Les droits sont ensuite
libérés pour une exploitation éventuelle par d'autres
opérateurs. Cependant, aux dires des concurrents de Canal Plus, les
contrats liant cette chaîne aux producteurs de cinéma
interdiraient à ceux-ci la vente des droits en vue de la diffusion en
paiement à la séance avant la diffusion par les chaînes
généralistes, créneau considéré comme le
plus propice à cette forme d'exploitation dans la séquence de
diffusion. Canal Plus se couvrirait au regard du droit de la concurrence en
s'abstenant de diffuser des films français en paiement à la
séance dans le cadre de son bouquet satellitaire.
Canal Plus bénéficie d'autre part d'un avantage par rapport au
bouquet concurrent en disposant d'un droit de première diffusion de la
production de cinq majors américains (Fox, Universal, Columbia Tristan,
Warner), TPS ne disposant que des films inédits de Paramount et de la
MGM.
En ce qui concerne le sport, Canal Satellite a acquis les droits de
l'ensemble des matchs de première division pour le paiement à la
séance, ainsi que de 17 grands prix de formule 1, TPS détient de
son côté les droits sur les tournois de Roland Garros et de
Wimbledon, sur les 24 H du Mans, sur le tournoi de France de football.
La compétition est aussi vive en ce qui concerne la constitution des
bouquets numériques. Les responsables de TPS reprochent à Canal
Plus d'avoir imposé une clause d'exclusivité aux chaînes
diffusées par Canal Satellite à l'exception de LC1 et
d'Eurosport, forçant TPS à développer des chaînes
nouvelles pour élaborer son bouquet. Canal Plus met en avant
l'exclusivité dont bénéficie TPS sur la diffusion des
chaînes que possèdent ses actionnaires, en particulier France 2 et
France 3.
La façon dont évoluera le dossier de l'accès
conditionnel, et les performances respectives des opérateurs,
l'acquisition de droits de diffusion détermineront largement le
succès commercial des différentes offres et la maîtrise des
abonnements, enjeu principal de la compétition compte tenu de la
structure de financement du paysage audiovisuel numérique.
Ajoutons que cette compétition intéresse aussi le secteur
traditionnel de la télévision, c'est-à-dire le
" service universel ", gratuit accessible partout et à tous.
D'une part, en effet, les chaînes gratuites ont besoin de produits
nouveaux alors que la croissance de la demande de programmes va provoquer des
tensions sur le marché en vue de la première diffusion des films
et oeuvres audiovisuelles, d'autre part l'amorce d'un déplacement de
l'audience vers les services payants va tendanciellement provoquer la
diminution des ressources des chaînes gratuites alors que les marges de
réduction de leurs coûts sont réduites, ce qui peut
altérer leurs capacités d'investissement, et provoquer par voie
de conséquence une perte de substance du service universel et
l'enclenchement d'un processus cumulatif de transfert de l'audience et des
ressources vers les nouveaux services. Dans ce cas de figure,
l'évolution de la compétition entre les opérateurs de
bouquets numériques serait déterminant pour l'évolution
des opérateurs traditionnels dont l'engagement dans la
télévision numérique devient une nécessité
stratégique.
(2) Alliances et partenariats
Les développements qui précèdent
donnent une idée de la diversité des compétences qu'il
faut réunir pour entrer sur le marché de la
télévision numérique payante : édition de
contenus, accès à des catalogues de droits importants,
organisation d'un bouquet, maîtrise de l'accès conditionnel,
accès à un parc de clients et gestion des abonnements, relations
avec les industriels producteurs des terminaux numériques. Par ailleurs,
l'investissement à consentir est extrêmement important. Parmi les
arguments présentés à la Commission de l'Union
européenne afin de soutenir le projet de fusion des plates-formes
numériques allemandes DF-1 et Première figurait une
évaluation des investissements nécessaires avant que DF-1
atteigne son seuil de rentabilité : de 13 à
17 milliards de francs, somme que le groupe Kirch ne s'estime pas en
mesure d'engager sans l'appui de Bertelsmann.
Lors d'un colloque réuni le 18 décembre 1997 à
l'Assemblée nationale sur le thème " quel audiovisuel pour
demain ? ", M. Eric Licoys, administrateur général
du groupe Havas, constatait dans le même sens que
" la
télévision coûte de plus en plus cher : droits
sportifs, explosion des coûts de production des longs métrages,
investissements importants dans les décodeurs... Ces coûts sont
d'autant plus lourds que les technologies ont un coût d'obsolescence de
plus en plus rapide. Cela signifie que la télévision et
définitivement entrée dans l'âge industriel. Les groupes
audiovisuels doivent donc être puissants et pouvoir, pour cela, s'appuyer
sur des actionnaires puissants : ils doivent avoir les reins solides.
La tendance est au regroupement des acteurs. La concentration des acteurs
américains est deux fois plus forte que celle des leaders
européens. Le nombre limité des acteurs, d'ailleurs, n'est pas
contradictoire avec le développement de la concurrence. "
Le partage des dépenses et des risques est ainsi, avec l'apport des
fonctions non maîtrisées, le but des alliances tissées par
les grands acteurs de l'audiovisuel désireux de participer au lancement
du marché de la télévision numérique payante.
Les acteurs d'une taille suffisante sont en nombre trop restreint pour que la
diversification des métiers et des intervenants, évoquée
ci-dessus, soit un réel contrepoids à la concentration que
souhaitait l'administrateur général du groupe Havas.
Cette concentration prend la forme d'alliances au plan national et
européen. Depuis trois ans, les annonces d'alliances et de ruptures se
sont succédées de façon apparemment erratique : ces
accords avaient un caractère essentiellement financier ou tactique, il
s'agissait d'occuper le terrain à coups d'effets d'annonces.
Mais on entrevoit à l'heure actuelle les regroupements durables et
autour desquels va se structurer le paysage audiovisuel européen et
national.
Le premier groupe audiovisuel européen a été
constitué entre le CLT et UFA, filiale de Bertelsmann, numéro 2
mondial de la communication. Ce groupe semble actuellement axer sa
stratégie vers la télévision gratuite traditionnelle plus
qu'en direction de la télévision payante (encore que la CLT soit
présente en France dans TPS).
L'économie du marché de la télévision payante est
dominée par Canal Plus qui a absorbé Nethold, autre grand
opérateur de télévision payante, et par News corporation,
de l'opérateur anglo-australien Murdoch qui gère au Royaume Uni
le bouquet analogique BSkyB et qui paraît actuellement
écarté des marchés français et allemand.
Enfin, les grands éditeurs-diffuseurs en clair, qui cherchent à
se positionner sur le marché de la télévision
numérique pour les raisons stratégiques exposées
ci-dessus, ont constitué en France le bouquet numérique TPS qui
fait concurrence au bouquet de Canal Plus, premier bouquet numérique
d'Europe diffusé par satellite, lancé en avril 1997.
Constatons aussi, en ce qui concerne TPS, au capital de laquelle la Lyonnaise
des Eaux participe à hauteur de 10 %, et Canal Plus, actionnaire de
la Compagnie générale de vidéocommunication, le rôle
des câblo-opérateurs dans ces alliances. Il existe de fortes
synergies entre le câble et le satellite en matière de contenus.
Le pacte d'actionnaire de TPS prévoit ainsi que
"les
câblo-distributeurs actionnaires de TPS s'engagent à
intégrer de manière prioritaire sur leurs réseaux les
programmes et les services repris dans l'offre TPS, et notamment les services
de paiement à la séance, et à se consulter sur la
coordination de cette offre avec celle des programmes et des services sur le
câble ".
Les éditeurs de chaînes thématiques ayant passé des
accords d'exclusivité avec Canal Satellite et diffusées sur les
réseaux de la Lyonnaise (spécialement celui de Paris, dont le
service de base est considéré comme essentiel à la
popularisation d'une thématique) ou sur les réseaux de France
Télécom contestent vivement cette clause.
Notons enfin que la logique d'alliance peut aboutir à de vastes
opérations de concentration économique comme l'illustre la
récente transformation d'Havas en filiale à 100 % de la
Compagnie générale des eaux qui détenait depuis
février 1997 30 % du capital du groupe. Parallèlement, la
participation de 34 % détenue par Havas dans le capital de Canal
Plus, ainsi que les responsabilités afférentes, ont
été transférées à la CGE, devenue Vivendi,
qui semble faire de Canal Plus, entreprise ayant particulièrement
poussé l'intégration verticale des métiers de la
communication audiovisuelle, un élément clé de sa
stratégie multimédia.
Vers quoi convergent ces informations un peu disparates ? Deux pôles
paraissent se dessiner à l'échelle nationale : TF1 et la
Lyonnaise d'une part, alliées dans TPS ; Vivendi de l'autre.
Va-t-on vers la constitution d'un duopole national se partageant un
marché sur lequel le repli annoncé des recettes publicitaires de
France Télévision va dynamiser les expérances de
gain ?
On remarquera par ailleurs que les groupes américains de communication
jouent à l'heure actuelle un rôle discret dans le paysage
audiovisuel européen.
Les opérateurs américains n'ont donc pratiquement joué
jusqu'à présent que le rôle de fournisseurs de programmes.
Mais le succès rapide des bouquets numériques du satellite en
France, démontrant le dynamisme de ce marché, peut inciter des
groupes comme Time Warner, Turner, Viacom et TCI à fournir des
chaînes clé en main de plus en plus systématiquement,
à la faveur de la demande croissante de contenus exprimée par les
assembleurs de bouquets. Le compromis qui a permis
l' " européanisation " d'une chaîne comme Disney
Channel n'est plus un point de passage nécessaire, alors que
l'internationalisation de la diffusion et l'application de la directive
Télévision sans frontière conduisent, comme on le verra
dans la troisième partie de ce rapport, au renversement des obstacles
que la réglementation nationale opposait encore tout récemment
à l'arrivée des chaînes américaines sur le
marché français.
(3) L'intégration verticale
L'intégration verticale des opérateurs de la
communication audiovisuelle est l'autre aspect de la dynamique de concentration
dans le secteur de la communication audiovisuelle. Le groupe Canal Plus en est
en France l'exemple le plus achevé puisqu'il est présent dans la
presque totalité des métiers de l'audiovisuel. Auditionné
par le groupe de travail, M. Marc-André Feffer,
vice-président de Canal Plus, admettait, en matière
d'intégration verticale, une faiblesse de son groupe dans le secteur des
contenus, observant à ce propos que la valeur ajoutée tendait
à se déplacer actuellement de la distribution de programmes
télévisés vers le négoce de catalogues, pour lequel
il est indispensable de disposer de contenus en qualité et en
quantité suffisantes, spécialement dans le sport et le
cinéma.
C'est précisément à cette étape de la chaîne
des métiers de l'audiovisuel que se situe un des problèmes
suscités par l'intégration verticale de certains acteurs. Dans la
mesure où une intégration trop forte porterait atteinte à
la séparation entre les producteurs et les éditeurs diffuseurs de
programmes, il en résulterait, il en résulte déjà
selon certains acteurs du marché, une insuffisante circulation des
droits de diffusion et le blocage du développement du second
marché des programmes dont la télévision numérique
offre la perspective.
Il a déjà été fait allusion au second
problème majeur de l'intégration verticale : la position
dominante que peut permettre de construire sur le marché de la
télévision numérique le cumul des fonctions d'assembleur
de bouquet et d'opérateur de contrôle d'accès ainsi que de
logiciels d'interactivité.