PREMIÈRE PARTIE


LA " RÉVOLUTION " NUMÉRIQUE :
PROGRÈS ÉCONOMIQUE... PROGRÈS SOCIAL ?

A. VERS L'ÉCONOMIE DU NUMÉRIQUE

Multiplication des capacités de transport des moyens de diffusion existants, utilisation d'un langage informatique qui permet de combiner avec une très grande souplesse le son, les images animées ou fixes et le texte, utilisation de ce langage par un nombre croissant de machines à tous usages domestiques ou professionnels ; et, par voie de conséquence, démultiplication de l'offre de contenus, internationalisation de celle-ci en temps réel, amélioration de la qualité du son et de l'image, possibilité d'un " dialogue " entre l'utilisateur et la machine, apparition de services de plus en plus personnalisés : nul n'ignore les effets globaux de la révolution numérique sur le monde de la communication. On sait aussi que cette révolution est en cours. Pour s'en tenir au cas de la France, on considère souvent qu'elle se sera imposée à partir du moment où les services numériques toucheront un quart du public. Ce sera chose faite en l'an 2000 d'après les prévision des opérateurs engagés dans le numérique. D'ores et déjà, 14,5% de la population recevait en 1997 des services numériques par le biais d'un abonnement au câble ou au satellite, la prévision étant de 19% pour 1998. On estime enfin que le secteur de la communication audiovisuelle numérique sera de plus en plus créateur de revenu et d'emplois, et jouera un rôle croissant dans l'équilibre des comptes extérieurs des nations industrielles.

L'environnement national, analogique et oligopolistique en fonction duquel la législation actuelle de la communication audiovisuelle a été élaborée est ainsi entièrement remis en cause. Pour engager les refontes nécessaires, l'autorité politique doit évaluer conséquences actuelles et prochaines de la révolution numérique sur les structures économiques de la communication audiovisuelle. Il semble possible d'engager cette démarche en évoquant trois tendances susceptibles d'infléchir la position respective des agents, d'inspirer leurs stratégies d'adaptation, de dessiner ainsi le profil du paysage audiovisuel numérique de demain.

1. Les dynamiques de diversification et de concentration

a) La diversification

La diversification des services, des métiers, des opérateurs et des ressources est le premier aspect de la dynamique économique de l'audiovisuel numérique.

(1) Les services

Le numérique ouvre la voie, grâce à la forte croissance des capacités de transport d'information des vecteurs existants à la diminution du coût de transport, à la multiplication des applications associant les différents types d'information, et à l'interactivité, à une diversification radicale du paysage audiovisuel.

Jusqu'à présent, celui-ci était structuré par deux catégories de services d'un poids très inégal : d'une part, ce que l'on peut appeler le service de base, comprenant un " service universel " accessible à tous en tous points du territoire (TF1, France 2 et France 3) et trois chaînes à couverture restreinte (M6, Arte et la Cinquième) ; d'autre part, des " services de complément ", payants, distribués pour l'essentiel sur les réseaux câblés initialement, et depuis l'année dernière sous la forme des trois bouquets satellitaires numériques TPS, Canalsatellite et AB Sat, auxquels il convient d'ajouter Canal Plus qui conserve la particularité d'être une chaîne payante et non généraliste diffusée en analogique sur le réseau hertzien terrestre.

La diversification des services passe d'abord par les bouquets satellitaires numériques et commence à toucher les services du câble au fur et à mesure de la numérisation des réseaux. D'ores et déjà, TPS propose 31 chaînes généralistes ou thématiques et des services de paiement à la séance, de jeux, de météo, d'information boursière ou sur les courses, de petites annonces. Canal Satellite propose 53 chaînes généralistes ou thématiques dont un service de paiement à la séance. AB Sat propose 19 chaînes thématiques. Des chaînes événementielles temporaires apparaissent, telle que Super Foot 98, créée pour la diffusion de la Coupe du monde de football. Sur chaque bouquet, de nouvelles chaînes sont en préparation, elles devraient alimenter à la fois le câble et le satellite.

A terme, les principales applications de la numérisation seront les films ou programmes à la carte, les émissions éducatives, les services de réservation et d'information dans le secteur du tourisme, les jeux, les événements sportifs, la boîte aux lettres électronique, les réservations de places de spectacle, les bases de données informatiques en ligne, le télé-achat, les services bancaires, l'accès à Internet.

Le tryptique information-distraction-culture qui est en quelque sorte la marque de fabrique du " service universel " va ainsi prendre la forme d'une multitude de services fortement personnalisés associés aux programmes traditionnels : la télévision, média de diffusion, devient un média d'interaction.

(2) Les métiers

Les grands métiers qui structurent la chaîne audiovisuelle évoluent aussi.

L'éditeur-diffuseur qui se trouvait jusqu'à présent au centre du dispositif et pesait de toute sa puissance économique sur la plupart des autres acteurs économiques opère à présent dans une configuration plus complexe.

Rien d'absolument nouveau en principe. L'assemblage de bouquets numériques, qui prend un grand relief avec le développement des bouquets satellitaires, et qui dissocie l'édition de la mise de services à la disposition du public, est le métier traditionnel des câblo-opérateurs. Le négoce des droits, qui joue un rôle économique croissant et vers lequel tend à se déplacer la valeur ajoutée, a d'ores et déjà connu un développement considérable dans certains pays : on sait la puissance financière du groupe Kirch en Allemagne.

De tels ajustements modifient cependant profondément la structure du paysage audiovisuel et pourraient inciter le législateur à définir dans la loi le rôle de telle ou telle catégorie d'opérateurs et sa contribution à l'équilibre de la communication audiovisuelle. Il est donc utile de présenter un tableau sommaire des principaux métiers actuels de la communication audiovisuelle.

Le métier de producteur n'a pas encore été véritablement modifié par la numérisation. Les producteurs fabriquent des émissions classiques de tous types : fictions, documentaires, émissions de plateau, sans avoir encore abordé le domaine des services interactifs. Il semble que des initiatives aient été prises sans résultats significatifs, dans le cadre de la mise en place de la banque des programmes et des services de La Cinquième.

Le métier d' éditeur de chaîne est celui des " diffuseurs " traditionnels. Il consiste à assembler des émissions dans une grille de programmes diffusée par un prestataire technique. Il semble que l'on puisse assimiler à ce métier traditionnel la constitution de catalogues de programmes proposés au public sous la forme d'un service de paiement à la séance, ou l'édition de services interactifs. Ces nouveaux services rassemblés dans les " bouquets " numériques, sont mis à la disposition du public non par l'éditeur en tant que tel, mais par un assembleur de programmes, l'" ensemblier ".

L'ensemblier , préfiguré par le câblo-opérateur, comme on a vu ci-dessus, constitue des bouquets numériques faisant l'objet d'une offre commerciale commune au public.

Le diffuseur technique est chargé de l'opération technique de transmission du signal analogique ou numérique. En diffusion hertzienne, Télédiffusion de France (TDF) est l'archétype du diffuseur technique. Les opérateurs de satellites tels que la Société européenne de satellites (SES) et les propriétaires de réseaux câblés, au premier rang desquels se trouve en France France-Telecom, sont d'autres catégories de diffuseurs techniques.

A côté de ces quatre métiers de base, certaines activités connexes jouent un rôle central dans l'économie de la communication audiovisuelle et pourraient susciter un intérêt croissant de la part du législateur.

Le négoce des droits de diffusion, auquel il a été fait allusion plus haut, consiste dans l'acquisition et la vente de catalogues de programmes aux éditeurs. Dans une économie marquée par la rareté des contenus diffusables face à l'explosion de l'offre de services numériques, ce métier revêt un caractère stratégique. La demande des éditeurs se porte en effet sur des volumes importants susceptibles d'alimenter les grilles de programmes et les catalogues de paiement à la séance de façon régulière pendant de longues périodes. L'offre de droits de diffusion doit donc être groupée pour satisfaire la demande, ce qui place les détenteurs de catalogues importants, au premier rang desquels se trouvent les cinq " majors " d'Hollywood, dans une position de négociation très favorable.

La gestion des abonnés . La commercialisation des services payants demande des compétences assez différentes de celles des métiers traditionnels de l'audiovisuel. La commercialisation est actuellement assumée par les ensembliers, opérateurs de bouquets, pour lesquels sa maîtrise représente un atout essentiel comme la commercialisation difficile des services du câble l'a montré a contrario pendant de longues années.

L'exploitation des systèmes d'accès sous condition . Il faut distinguer d'une part le contrôle d'accès proprement dit, qui permet, associé à l'embrouillage du signal analogique ou numérique, de restreindre l'accès des services diffusés aux seuls consommateurs autorisés, et d'autre part le " moteur d'interactivité " qui permet le pilotage du terminal et le fonctionnement d'un guide des programmes indispensable à l'utilisation des services interactifs.

A la même étape de la réception des services par le public se situe la fonction de fourniture des décodeurs nécessaires au décodage du signal numérique par les récepteurs analogiques actuels. Cette fonction peut jouer un rôle important dans l'équilibre économique du paysage audiovisuel numérique dans la mesure où les opérateurs de bouquets de programmes amenés à la prendre en charge afin de favoriser le développement des abonnements, ont la possibilité d'intégrer dans le parc de terminaux qu'ils contrôlent des dispositifs techniques interdisant l'accès des abonnés à des services concurrents, même si les systèmes d'accès conditionnel utilisés par ceux-ci sont compatibles.

La collecte de la ressource publicitaire. Cette fonction extérieure à la chaîne qui va de la production à la réception des services sera de plus en plus cruciale avec l'augmentation du financement publicitaire des nouveaux services. Elle a d'ores et déjà une influence profonde sur l'économie de la radio dans la mesure où la vente des espaces publicitaires est confiée à un nombre limité de régies dont la stratégie commerciale contribue à la concentration économique du secteur.

(3) Les acteurs du marché

La diversification des acteurs du marché est favorisée par la diminution du coût de la diffusion. La location d'un canal satellitaire numérique coûte en moyenne 3 millions de francs contre 15 millions pour la diffusion analogique. Le budget moyen d'une chaîne de télévision passerait ainsi de 40 millions à 20 millions de francs. La diversification touche essentiellement le métier d'éditeur. Aux éditeurs-diffuseurs qui dominent la télévision hertzienne terrestre s'ajoutent de nombreuses autres catégories d'offreurs de contenus tentés de profiter de l'appel d'air suscité par la numérisation pour faire leur entrée dans le monde de la télévision. C'est ainsi que des éditeurs de livres ou de la presse écrite s'engagent dans l'édition de programmes ou de chaînes de télévision. Les opérateurs de bouquets numériques créent sans cesse de nouvelles chaînes, c'est spécialement le cas de TPS, pour réagir à l'exclusivité imposée par Canal satellite aux chaînes qu'il diffuse. Les producteurs de programmes peuvent aussi être tentés d'entrer dans l'édition de chaînes. C'est le choix fait par AB Production, qui s'est portée simultanément sur le créneau de l'assemblage de bouquets satellitaires et qui pourrait se replier à terme, selon certaines prévisions, sur l'édition de chaînes destinées aux deux autres bouquets satellitaires et aux réseaux câblés. Le groupe Kirch, qui détient le plus important catalogue de programmes en Europe, est présent dans la production audiovisuelle et dans l'édition de chaînes en Allemagne et en Italie. Les grands groupes radiophoniques et les éditeurs phonographiques développent aussi des projets dans l'édition de chaînes de télévision.

(4) Les ressources

Au modèle traditionnel du service universel gratuit s'est progressivement substituée une gamme diversifiée de modes de financement fondée sur l'établissement d'une véritable relation marchande avec le consommateur. Le câble et Canal Plus ont longtemps illustré le potentiel et les difficultés de ce modèle de diversification auquel la numérisation ouvre de nouvelles perspectives.

La panoplie des modes de financement est donc la suivante :

- recettes publicitaires pour les télévisions commerciales gratuites ;

- financement mixte par la publicité et la redevance pour les télévisions publiques ;

- abonnements payés à des distributeurs assembleurs de programmes qui en reversent une partie aux éditeurs, dont les ressources seront éventuellement complétées par la publicité (aux Etats-Unis, les distributeurs peuvent gérer l'espace publicitaire des chaînes transportées et reverser une partie de la recette aux éditeurs) ;

- abonnements payés à des éditeurs de programmes payants (c'est le modèle de Canal Plus) ;

- paiement à la consommation des services associée aux services traditionnels (paiement à la séance, téléachat).

En ce qui concerne l'évolution relative des modes de financement des différents types de services, on peut noter que si la publicité demeure le principal mode de financement de la télévision en Europe, le paiement par abonnement progresse à une cadence plus rapide que les ressources publicitaires (23 % contre 11 %, en 1995 2( * ) ) en raison du tassement progressif de l'évolution du marché publicitaire. On notera par ailleurs l'amorce d'un déplacement des investissements publicitaires vers les chaînes thématiques : la croissance des investissements dans ce secteur a atteint 20 % en 1997, contre 10 % pour l'ensemble des télévisions. Selon certaines estimations, la part des thématiques dans le total des investissements publicitaires en télévision pourrait atteindre 4 % du marché en 2 000 contre 2 % à la fin de 1997 3( * ) . Le progrès du financement publicitaire de la télévision payante correspond à une nécessité économique : avec le développement continu de l'offre de programmes par des bouquets numériques, la concurrence entre éditeurs de chaînes s'accroît et la redevance qui leur est versée par les ensembliers tend à diminuer. L'amortissement du coût des services classiques bénéficiera aussi des recettes des " services associés " interactifs.

b) La concentration
(1) Deux piliers du pouvoir économique

La position respective des acteurs du paysage audiovisuel numérique dépendra de deux atouts principaux : la maîtrise de l'accès conditionnel et la maîtrise des programmes. C'est dans ces domaines que se livrent actuellement les batailles qui dessineront les contours du futur marché de la communication audiovisuelle.

Si un opérateur arrive à contrôler une part significative du parc de terminaux numériques grâce à la maîtrise de l'accès conditionnel , il acquiert une position dominante qui peut lui permettre de faire obstacle à la commercialisation des services concurrents s'il est en même temps éditeur ou assembleur de bouquets numériques, ce qui est le cas de Canal Plus. Les consommateurs ne peuvent alors accéder à une offre diversifiée qu'en se procurant plusieurs matériels permettant de recevoir les contenus utilisant les divers systèmes de contrôle d'accès.

Le même problème se pose si un système dominant d'accès conditionnel est proposé par son opérateur aux éditeurs ou assembleurs concurrents à des conditions déraisonnables ou discriminatoires.

La pluralité des systèmes d'accès conditionnel et leur compatibilité sur un seul décodeur apparaissent donc comme une condition de la concurrence sur les nouveaux marchés de la télévision. Si un système devait s'imposer, sa mise à disposition de l'ensemble des éditeurs et assembleurs de services à des conditions raisonnables et non discriminatoires serait indispensable à la fluidité du marché.

Le moteur d'interactivité et son guide des programmes, indispensable aux applications de la télévision interactive et spécialement au paiement à la séance, pose des problèmes identiques.

On notera que deux systèmes de contrôle d'accès et deux logiciels d'interactivité sont actuellement utilisés en France. TPS et AB Sat ont opté pour la norme de contrôle d'accès Viaccess et pour le logiciel d'interactivité Open TV, proposés par France Telecom, alors que Canal Plus utilise le système Médiaguard et le logiciel d'interactivité Madiahighway, développés par le groupe lui-même.

Les problèmes que cette situation est susceptible de poser au regard de la concurrence sur le marché de la télévision numérique ainsi que les solutions techniques et juridiques disponibles seront examinés dans la troisième partie de ce rapport.

Le second atout déterminant des acteurs économiques sur le marché de la communication audiovisuelle numérique est la maîtrise des programmes. Il s'agit pour les éditeurs de services d'acquérir les droits de diffusion des catégories de programmes les plus appréciés du public, et pour les assembleurs de bouquets numériques de proposer une offre plus abondante, plus variée et plus attractive que celle de la concurrence.

Les droits les plus convoités sont ceux du cinéma et des événements sportifs, en vue de la diffusion la plus précoce possible sur des chaînes thématiques ou en paiement à la séance. Leur acquisition fait l'objet d'une vive compétition entre les opérateurs et on mesure l'importance des enjeux économiques sous-jacents au caractère souvent acerbe des accusations d'atteinte à la concurrence que ceux-ci échangent.

En ce qui concerne l'acquisition des droits de diffusion de films, il convient de distinguer le cas du cinéma français de celui du cinéma américain.

Canal Satellite bénéficie d'un avantage dans les deux cas. Grâce à sa politique de préachat de films français, Canal Plus participe au financement de 80 % de la production cinématographique française pour quelque 800 millions de francs représentant 9 % de son chiffre d'affaires, l'investissement est en moyenne de 7 millions de francs par film pour sept diffusions étalées sur un an ou deux. Les droits sont ensuite libérés pour une exploitation éventuelle par d'autres opérateurs. Cependant, aux dires des concurrents de Canal Plus, les contrats liant cette chaîne aux producteurs de cinéma interdiraient à ceux-ci la vente des droits en vue de la diffusion en paiement à la séance avant la diffusion par les chaînes généralistes, créneau considéré comme le plus propice à cette forme d'exploitation dans la séquence de diffusion. Canal Plus se couvrirait au regard du droit de la concurrence en s'abstenant de diffuser des films français en paiement à la séance dans le cadre de son bouquet satellitaire.

Canal Plus bénéficie d'autre part d'un avantage par rapport au bouquet concurrent en disposant d'un droit de première diffusion de la production de cinq majors américains (Fox, Universal, Columbia Tristan, Warner), TPS ne disposant que des films inédits de Paramount et de la MGM.

En ce qui concerne le sport, Canal Satellite a acquis les droits de l'ensemble des matchs de première division pour le paiement à la séance, ainsi que de 17 grands prix de formule 1, TPS détient de son côté les droits sur les tournois de Roland Garros et de Wimbledon, sur les 24 H du Mans, sur le tournoi de France de football.

La compétition est aussi vive en ce qui concerne la constitution des bouquets numériques. Les responsables de TPS reprochent à Canal Plus d'avoir imposé une clause d'exclusivité aux chaînes diffusées par Canal Satellite à l'exception de LC1 et d'Eurosport, forçant TPS à développer des chaînes nouvelles pour élaborer son bouquet. Canal Plus met en avant l'exclusivité dont bénéficie TPS sur la diffusion des chaînes que possèdent ses actionnaires, en particulier France 2 et France 3.

La façon dont évoluera le dossier de l'accès conditionnel, et les performances respectives des opérateurs, l'acquisition de droits de diffusion détermineront largement le succès commercial des différentes offres et la maîtrise des abonnements, enjeu principal de la compétition compte tenu de la structure de financement du paysage audiovisuel numérique.

Ajoutons que cette compétition intéresse aussi le secteur traditionnel de la télévision, c'est-à-dire le " service universel ", gratuit accessible partout et à tous. D'une part, en effet, les chaînes gratuites ont besoin de produits nouveaux alors que la croissance de la demande de programmes va provoquer des tensions sur le marché en vue de la première diffusion des films et oeuvres audiovisuelles, d'autre part l'amorce d'un déplacement de l'audience vers les services payants va tendanciellement provoquer la diminution des ressources des chaînes gratuites alors que les marges de réduction de leurs coûts sont réduites, ce qui peut altérer leurs capacités d'investissement, et provoquer par voie de conséquence une perte de substance du service universel et l'enclenchement d'un processus cumulatif de transfert de l'audience et des ressources vers les nouveaux services. Dans ce cas de figure, l'évolution de la compétition entre les opérateurs de bouquets numériques serait déterminant pour l'évolution des opérateurs traditionnels dont l'engagement dans la télévision numérique devient une nécessité stratégique.

(2) Alliances et partenariats

Les développements qui précèdent donnent une idée de la diversité des compétences qu'il faut réunir pour entrer sur le marché de la télévision numérique payante : édition de contenus, accès à des catalogues de droits importants, organisation d'un bouquet, maîtrise de l'accès conditionnel, accès à un parc de clients et gestion des abonnements, relations avec les industriels producteurs des terminaux numériques. Par ailleurs, l'investissement à consentir est extrêmement important. Parmi les arguments présentés à la Commission de l'Union européenne afin de soutenir le projet de fusion des plates-formes numériques allemandes DF-1 et Première figurait une évaluation des investissements nécessaires avant que DF-1 atteigne son seuil de rentabilité : de 13 à 17 milliards de francs, somme que le groupe Kirch ne s'estime pas en mesure d'engager sans l'appui de Bertelsmann.

Lors d'un colloque réuni le 18 décembre 1997 à l'Assemblée nationale sur le thème " quel audiovisuel pour demain ? ", M. Eric Licoys, administrateur général du groupe Havas, constatait dans le même sens que " la télévision coûte de plus en plus cher : droits sportifs, explosion des coûts de production des longs métrages, investissements importants dans les décodeurs... Ces coûts sont d'autant plus lourds que les technologies ont un coût d'obsolescence de plus en plus rapide. Cela signifie que la télévision et définitivement entrée dans l'âge industriel. Les groupes audiovisuels doivent donc être puissants et pouvoir, pour cela, s'appuyer sur des actionnaires puissants : ils doivent avoir les reins solides.

La tendance est au regroupement des acteurs. La concentration des acteurs américains est deux fois plus forte que celle des leaders européens. Le nombre limité des acteurs, d'ailleurs, n'est pas contradictoire avec le développement de la concurrence. "


Le partage des dépenses et des risques est ainsi, avec l'apport des fonctions non maîtrisées, le but des alliances tissées par les grands acteurs de l'audiovisuel désireux de participer au lancement du marché de la télévision numérique payante.

Les acteurs d'une taille suffisante sont en nombre trop restreint pour que la diversification des métiers et des intervenants, évoquée ci-dessus, soit un réel contrepoids à la concentration que souhaitait l'administrateur général du groupe Havas.

Cette concentration prend la forme d'alliances au plan national et européen. Depuis trois ans, les annonces d'alliances et de ruptures se sont succédées de façon apparemment erratique : ces accords avaient un caractère essentiellement financier ou tactique, il s'agissait d'occuper le terrain à coups d'effets d'annonces.

Mais on entrevoit à l'heure actuelle les regroupements durables et autour desquels va se structurer le paysage audiovisuel européen et national.

Le premier groupe audiovisuel européen a été constitué entre le CLT et UFA, filiale de Bertelsmann, numéro 2 mondial de la communication. Ce groupe semble actuellement axer sa stratégie vers la télévision gratuite traditionnelle plus qu'en direction de la télévision payante (encore que la CLT soit présente en France dans TPS).

L'économie du marché de la télévision payante est dominée par Canal Plus qui a absorbé Nethold, autre grand opérateur de télévision payante, et par News corporation, de l'opérateur anglo-australien Murdoch qui gère au Royaume Uni le bouquet analogique BSkyB et qui paraît actuellement écarté des marchés français et allemand.

Enfin, les grands éditeurs-diffuseurs en clair, qui cherchent à se positionner sur le marché de la télévision numérique pour les raisons stratégiques exposées ci-dessus, ont constitué en France le bouquet numérique TPS qui fait concurrence au bouquet de Canal Plus, premier bouquet numérique d'Europe diffusé par satellite, lancé en avril 1997.

Constatons aussi, en ce qui concerne TPS, au capital de laquelle la Lyonnaise des Eaux participe à hauteur de 10 %, et Canal Plus, actionnaire de la Compagnie générale de vidéocommunication, le rôle des câblo-opérateurs dans ces alliances. Il existe de fortes synergies entre le câble et le satellite en matière de contenus. Le pacte d'actionnaire de TPS prévoit ainsi que "les câblo-distributeurs actionnaires de TPS s'engagent à intégrer de manière prioritaire sur leurs réseaux les programmes et les services repris dans l'offre TPS, et notamment les services de paiement à la séance, et à se consulter sur la coordination de cette offre avec celle des programmes et des services sur le câble ".

Les éditeurs de chaînes thématiques ayant passé des accords d'exclusivité avec Canal Satellite et diffusées sur les réseaux de la Lyonnaise (spécialement celui de Paris, dont le service de base est considéré comme essentiel à la popularisation d'une thématique) ou sur les réseaux de France Télécom contestent vivement cette clause.

Notons enfin que la logique d'alliance peut aboutir à de vastes opérations de concentration économique comme l'illustre la récente transformation d'Havas en filiale à 100 % de la Compagnie générale des eaux qui détenait depuis février 1997 30 % du capital du groupe. Parallèlement, la participation de 34 % détenue par Havas dans le capital de Canal Plus, ainsi que les responsabilités afférentes, ont été transférées à la CGE, devenue Vivendi, qui semble faire de Canal Plus, entreprise ayant particulièrement poussé l'intégration verticale des métiers de la communication audiovisuelle, un élément clé de sa stratégie multimédia.

Vers quoi convergent ces informations un peu disparates ? Deux pôles paraissent se dessiner à l'échelle nationale : TF1 et la Lyonnaise d'une part, alliées dans TPS ; Vivendi de l'autre. Va-t-on vers la constitution d'un duopole national se partageant un marché sur lequel le repli annoncé des recettes publicitaires de France Télévision va dynamiser les expérances de gain ?

On remarquera par ailleurs que les groupes américains de communication jouent à l'heure actuelle un rôle discret dans le paysage audiovisuel européen.

Les opérateurs américains n'ont donc pratiquement joué jusqu'à présent que le rôle de fournisseurs de programmes. Mais le succès rapide des bouquets numériques du satellite en France, démontrant le dynamisme de ce marché, peut inciter des groupes comme Time Warner, Turner, Viacom et TCI à fournir des chaînes clé en main de plus en plus systématiquement, à la faveur de la demande croissante de contenus exprimée par les assembleurs de bouquets. Le compromis qui a permis l' " européanisation " d'une chaîne comme Disney Channel n'est plus un point de passage nécessaire, alors que l'internationalisation de la diffusion et l'application de la directive Télévision sans frontière conduisent, comme on le verra dans la troisième partie de ce rapport, au renversement des obstacles que la réglementation nationale opposait encore tout récemment à l'arrivée des chaînes américaines sur le marché français.

(3) L'intégration verticale

L'intégration verticale des opérateurs de la communication audiovisuelle est l'autre aspect de la dynamique de concentration dans le secteur de la communication audiovisuelle. Le groupe Canal Plus en est en France l'exemple le plus achevé puisqu'il est présent dans la presque totalité des métiers de l'audiovisuel. Auditionné par le groupe de travail, M. Marc-André Feffer, vice-président de Canal Plus, admettait, en matière d'intégration verticale, une faiblesse de son groupe dans le secteur des contenus, observant à ce propos que la valeur ajoutée tendait à se déplacer actuellement de la distribution de programmes télévisés vers le négoce de catalogues, pour lequel il est indispensable de disposer de contenus en qualité et en quantité suffisantes, spécialement dans le sport et le cinéma.

C'est précisément à cette étape de la chaîne des métiers de l'audiovisuel que se situe un des problèmes suscités par l'intégration verticale de certains acteurs. Dans la mesure où une intégration trop forte porterait atteinte à la séparation entre les producteurs et les éditeurs diffuseurs de programmes, il en résulterait, il en résulte déjà selon certains acteurs du marché, une insuffisante circulation des droits de diffusion et le blocage du développement du second marché des programmes dont la télévision numérique offre la perspective.

Il a déjà été fait allusion au second problème majeur de l'intégration verticale : la position dominante que peut permettre de construire sur le marché de la télévision numérique le cumul des fonctions d'assembleur de bouquet et d'opérateur de contrôle d'accès ainsi que de logiciels d'interactivité.

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