VI. DEUX FACTEURS LIÉS À L'ORGANISATION DU TRAVAIL QUI ALIMENTENT L'INFLATION DES BUDGETS
•
Rappelons que la hausse du coût moyen des films n'est pas critiquable en
elle-même. Elle est en phase avec l'objectif des pouvoirs publics qui est
d'encourager un cinéma ambitieux commercialement, qui se donne les
moyens de réussir sur les marchés étrangers.
• Pourtant, cette inflation devient critiquable si elle ne permet pas
d'atteindre ce résultat, ou si elle alimente des rentes de situations
qui absorbent les financements destinés à la production
cinématographique.
• La section qui suit montre que l'augmentation du coût des films
d'initiative française :
- n'est pas la conséquence directe de méthodes de travail et/ou
pratiques professionnelles trop rigides ou inefficaces. La comparaison
internationale montre au contraire que :
• l'organisation de la production est en règle
générale plus efficace en France que dans les pays
européens voisins, ou aux Etats Unis ;
• la force des organisations professionnelles ou syndicales en France
n'est pas plus importante que celle connue aux Etats-Unis ;
• que les facteurs d'inflation ou de non compétitivité du
système français viennent plutôt des différences de
législation générale en matière de travail ;
- n'est pas corrélée à une amélioration de la
performance commerciale. Au contraire, dans le contexte actuel, elle entretient
un risque de crise financière du secteur et met en question l'exercice
de la fonction de producteur délégué.
A. UNE BONNE PROTECTION SOCIALE DES PROFESSIONNELS, MALGRÉ UN POIDS RELATIVEMENT FAIBLE DES SYNDICATS
1. La force des syndicats des techniciens français est moindre que celle des syndicats américains
•
Etats-Unis : un pouvoir énorme, mais des engagements
respectés.
- Le pouvoir des syndicats
("unions" ou "guilds"
) est énorme
dans la production cinématographique. Tous les corps de métier
ont leur syndicat :
• Writers Guild of America (WGA): scénaristes
• Screen Actors Guild (SAG): acteurs
• Directors Guild of America (DGA): réalisateurs
• Alliance of Motion Picture & TV Producers (AMPTP): producteurs
• International Alliance of Theatrical Stage Employees, Moving Picture
Technicians, Artists and Allied Crafts of the United States and Canada (IATSE):
tous métiers techniques
- Des contrats lient l'AMPTP et chacun des autres syndicats. Ils encadrent les
conditions de travail et les rémunérations de manière
très précise. En théorie il faut être
syndiqué pour travailler sur un film, sauf pour les films
indépendants à petit budget pour lesquels des exceptions sont
prévues ("
non-union films "
) afin que les salaires des
techniciens et acteurs puissent être adaptés au budget du film.
• Les salaires minima pour chaque type de poste doivent être
respectés
• De même que les minima syndicaux concernant le nombre de personnes
employés sur chaque poste de travail
• Les métiers sont bien distingués : un
électricien ne pourra pas travailler sur un autre poste que le sien
même s'il possède les compétences requises
• Les contrats définis entre AMPTP définissent aussi la
durée hebdomadaire de travail (50h), l'amplitude maximum de la
journée de travail (16h), les temps de repos et prévoient que des
repas soient fournis aux techniciens 2 fois par jour.
- Les syndicats ont donc le pouvoir de paralyser totalement l'activité
du fait du nombre de leurs membres et de leurs ressources financières
(gestion des fonds de pension des membres). Les renégociations de
contrats (tous les 3 ans ) sont donc toujours délicates.
• L'industrie audiovisuelle américaine affronte
régulièrement (tous les 3 ans) la difficile étape de la
renégociation des contrats liant les Guilds (syndicats d'acteurs,
scénaristes, réalisateurs ou autres artistes) à l'Alliance
of Motion Picture & TV Producers (AMPTP).
• Récemment la Screen Actors Guild (SAG) et l'American Federation
of TV & Radio Artists (AFTRA) ont renégocié leur accord avec
l'AMPTP.
• Après des menaces de grève, un pré-accord a
finalement été conclu, accordant notamment des hausses des minima
salariaux. Il laisse cependant de côté la revendication
principale, concernant les revenus ("residuals") provenant des droits
dérivés (câble, DBS, marchés étrangers),
jugés trop faibles face à l'explosion de ces
débouchés. En revanche, les 2 parties se sont mises d'accord pour
lancer conjointement une étude économique sur ce sujet.
• La Writers Guild of America, en négociations finales avec
l'AMPTP actuellement, devrait s'y joindre et obtenir un deal similaire, en
vertu du pattern bargaining qui a cours aux Etats-Unis (chaque Guild exige au
moins l'équivalent de ce qu'ont obtenu les autres).
- Avant de commencer le tournage d'un film, un producteur sait donc qu'il doit
observer certaines règles, ce qui laisse peu de place aux
imprévus quand aux méthodes et aux conditions d'emplois des
techniciens : les engagements doivent être respectés des deux
côtés.
• France : des exigences découlant de la baisse des offres d'emploi
- La convention collective nationale de la production
cinématographique, faisant force de loi, définit un certain
nombre critères à respecter pour l'embauche de techniciens.
• Elle définit notamment les salaires minima pour chaque type de
postes
• Elle définit la durée hebdomadaire de travail (39h) et les
majorations de salaires pour les heures supplémentaires, les jours
fériés et les jours de week-end.
• Elle prévoit en outre des indemnités de repas et de
casse-croûte, ainsi que les defraiements liés aux
déplacements.
• Elle définit enfin l'amplitude maximum de la journée de
travail (12h), la durée maximale de travail hebdomadaire (48h- code du
travail) et le temps de repos (12h)
- A l'embauche, le producteur doit respecter ces critères dans le
contrat qu'il passe avec chaque technicien.
2. Les équipes de techniciens français sont plus productives que les américains et au moins aussi compétentes que les britanniques
•
Etats-Unis : des équipes moins productives qu'en France
- Trois facteurs alimentent ce manque de productivité.
• Leurs salaires sont relativement plus élevés qu'en Europe
Exemples de minima salariaux syndicaux
Base hebdomadaire de 5 jours
•
Les équipes de tournage étant plus conséquentes, les
déficits d'organisation se font plus vite sentir : l'information circule
plus lentement, les inerties sont fortes.
• La durée quotidienne maximale de travail étant de 16
heures, la productivité de ces équipes a tendance à
baisser rapidement.
- En France les équipes étant plus petites, leurs salaires moins
élevés, et la durée maximale de travail étant plus
courte, l'efficacité de tournage est au total plus élevée.
• Grande Bretagne : des équipes qui capitalisent sur
l'expérience
- Les salaires moins élevés qu'aux Etats-Unis (mais au niveau
français), des cotisations sociales basses, l'absence de contraintes sur
la durée quotidienne du travail, la faiblesse des syndicats, la
qualité des infrastructures et les compétences des techniciens
britanniques ont conduit les américains à délocaliser de
façon sensible une part de leur production cinématographique en
Grande Bretagne.
- En outre, la pratique du " two weeks notice " et la " pleine
activité " abaissent les barrières au licenciement.
- Les industries techniques britanniques tournent donc à plein
régime, et les équipes de tournage ne connaissent pas de
problèmes de chômage, d'autant que le cinéma britannique
connaît une période de renouveau. De ce fait, la courbe
d'apprentissage des techniciens est optimale : le plein emploi favorise
l'amélioration des compétences et touche un grand nombre de
techniciens.
- Les équipes françaises sont moins nombreuses à
présenter des compétences identiques à celles des
britanniques.
3. En France, les professionnels bénéficient d'une meilleure protection, par le code du travail
•
Une grande partie des critères retenus par la convention collective
nationale reprend des points du code du travail s'appliquant à
l'ensemble de l'économie française (majorations pour les heures
supplémentaires, pour les heures de nuit, les jours fériés
et de week-end, préavis et primes de licenciement).
• Ainsi, l'écart de compétitivité réside moins
dans les méthodes et les pratiques, que dans la législation du
travail.
• Par ailleurs, la France présente le désavantage par
rapport à la Grande Bretagne ou d'autres pays européens d'avoir
un niveau de cotisations sociales plus élevé.
• Ce niveau important de protection sociale, dans un secteur de prototypes
soumis à une forte saisonnalité et à une charge de travail
irrégulière, contribue à expliquer le recours accru aux
intermittents et le relatif désintérêt des producteurs
étrangers pour des tournages en France.