IV. ADAPTER LE REGIME DES SANCTIONS DE LA GESTION DE FAIT A LEUR VERITABLE OBJET
A. REMÉDIER AUX INCONVÉNIENTS DU DISPOSITIF EN VIGUEUR
L'objet
de la procédure de gestion de fait est avant tout de rétablir la
règle de la séparation des ordonnateurs et des comptables,
règle fondamentale dans notre organisation administrative et
financière.
Dans la pratique de la gestion locale, des élus peuvent de bonne foi se
mettre dans une situation irrégulière au regard de cette
règle.
Or, les inéligibilités et démissions d'office
prévues par le code électoral apparaissent
inadaptées
à l'objet de cette procédure de gestion
de fait.
Comme votre rapporteur l'a déjà indiqué, sont mises en
oeuvre pour les comptables de fait des règles normalement prévues
pour les comptables patents. Elles ne sont donc pas des sanctions
complémentaires que le juge des comptes pourrait appliquer.
Ainsi conçu ce dispositif présente plusieurs
inconvénients :
- il place la chambre régionale des comptes qui relève une
situation de gestion de fait en position d'être juge du mandat de
l'ordonnateur ;
- il prévoit un délai de régularisation
(
six mois
) trop bref et mal adapté à la
diversité des situations rencontrées ;
- il applique une sanction automatique extrêmement lourde et
disproportionnée à la nature des irrégularités
constatées.
On rappelera qu'en matière pénale, s'applique le principe
général de l'individualisation judiciaire de la peine (
article
132-24
du code pénal).
Pour ces motifs, il conviendrait d'adapter les sanctions applicables à
leur véritable objet qui est de rétablir la règle
fondamentale
et
intangible
de la séparation des ordonnateurs
et des comptables.
B. POUR UNE MISE EN OEUVRE GRADUÉE DES SANCTIONS APPLICABLES
Le
groupe de travail se prononce pour le remplacement de la démission
d'office -sanction automatique et inadaptée- par une procédure de
suspension
des fonctions de l'ordonnateur jusqu'à l'apurement de
la situation de la gestion de fait.
Une telle solution -moins brutale que celle en vigueur- permettrait de
rétablir sans délai la règle fondamentale de
séparation des ordonnateurs et des comptables, tout en incitant
l'ordonnateur à régulariser au plus vite sa situation.
Elle n'aboutirait pas à une pratique différente de celle
actuellement observée pour la régularisation qui peut être
effectuée dans un délai de six mois, depuis la loi du
26 juillet 1991. Comme il est actuellement conduit à
régulariser sa situation afin d'éviter la démission
d'office, l'ordonnateur suspendu serait en effet incité à prendre
les dispositions dans les plus brefs délais pour rétablir la
régularité comptable, afin de retrouver ses prérogatives.
Cette régularisation pourrait néanmoins s'effectuer dans des
délais
plus réalistes
(douze mois par exemple) et non pas
dans le " délai-couperet " de six mois, souvent difficile
à tenir.
Les sanctions électives ne seraient pas pour autant
écartées pour les gestions de fait dont le caractère
frauduleux conduirait à la mise en oeuvre d'une procédure
pénale. Au terme de celle-ci, des peines complémentaires
d'inéligibilité peuvent, le cas échéant, toujours
être prononcées à titre complémentaire.
Enfin, le
caractère non suspensif de l'appel
peut avoir, dans ce
cas précis, des conséquences
difficilement
réparables
. En effet, en application des dispositions du code
électoral, la démission d'office d'un élu
déclaré comptable de fait peut être prononcée,
lorsque quitus de sa gestion ne lui a pas été
délivré dans les six mois de l'expiration du délai de
production des comptes imparti par le jugement. Cette règle joue alors
même que le jugement aurait été frappé d'appel.
Quel que soit par la suite le résultat du recours engagé, la
démission d'office aura produit ses effets. L'élu se trouve
ainsi, en pratique, privé du bénéfice du
double
degré de juridiction,
ce qui n'est pas sans poser problème au
regard des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des
droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Or il ressort des travaux préparatoires de la loi n° 91-716 du 26
juillet 1991, qui a prévu la suspension de l'intervention de la
démission prononcée par le préfet pendant un délai
de six mois pour permettre au juge des comptes de déclarer, le cas
échéant, l'élu quitte de sa gestion, que l'intention du
législateur a été
d'éviter qu'une
démission d'office ne soit prononcée de façon
précipitée pour une gestion de fait bénigne et, en toute
hypothèse, exempte de tout caractère frauduleux.
Le rapporteur général du budget à l'Assemblée
nationale, M. Alain Richard, avait ainsi noté dans son rapport
écrit qu'en prévoyant qu'un élu ne peut être
déclaré comptable de fait que par un jugement du juge des comptes
statuant définitivement, cette disposition impliquait "
en
premier lieu, que le jugement provisoire d'une chambre régionale des
comptes ne peut provoquer la déclaration de démission d'un
élu et, en second lieu
, que les voies de recours ont
été épuisées
".
Saisi d'une demande d'interprétation de ces dispositions relatives au
"
jugement du juge des comptes statuant
définitivement
", le Conseil constitutionnel n'a pas
donné suite à cette demande, considérant qu'il ne lui
appartenait de procéder à l'interprétation du texte qui
lui est déféré que dans la mesure où cette
interprétation est nécessaire à l'appréciation de
sa constitutionnalité. Ce qui, selon le Conseil, n'était pas le
cas en l'espèce
(décision n ° 91-298 DC du 24 juillet
1991).
Cette clarification devrait donc résulter de la loi
elle-même.