N°
520
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 23 juin 1998
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) et de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (2), par le groupe de travail (3) sur les chambres régionales des comptes ,
Par M.
Jacques OUDIN,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
MM. Christian Poncelet,
président
; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart,
Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Philippe Marini, René
Régnault,
vice-présidents
; Emmanuel Hamel,
Gérard Miquel, Michel Sergent, François Trucy,
secrétaires
; Alain Lambert,
rapporteur
général
; Philippe Adnot, Bernard Angels, Denis Badré,
René Ballayer, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse
Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy
Cabanel, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques
Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert
Haenel, Claude Haut, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Marc
Massion, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin,
Henri Torre, René Trégouët.
(2) Cette commission est composée de :
MM.
Jacques
Larché,
président
; René-Georges Laurin, Germain
Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, Georges
Othily,
vice-présidents
; Michel Rufin, Jacques Mahéas,
Jean-Jacques Hyest, Paul Masson,
secrétaires
; Guy Allouche,
Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François
Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing,
Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière,
Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye,
Christian Demuynck, Jean Derian, Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour,
Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien
Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Jean-Claude Peyronnet,
Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice
Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
(3) Ce groupe de travail est composé de :
MM. Jean-Paul
Amoudry, Joël Bourdin, Philippe de Bourgoing, Henri Collard, Jean-Paul
Delevoye, Michel Dreyfus-Schmidt, Yann Gaillard, Patrice Gélard, Paul
Girod, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Jacques Oudin, Robert
Pagès.
Chambres régionales des comptes.
INTRODUCTION
Fidèle à sa vocation constitutionnelle de
représentant des collectivités territoriales de la
République, le Sénat ne se contente pas d'apporter une
contribution positive, car éclairée par l'expérience
locale de ses membres, à l'amélioration des textes relatifs aux
communes, aux départements et aux régions.
" Veilleur de
la décentralisation ",
il suit, avec une particulière
attention et une constante vigilance, le déroulement de ce processus de
redistribution des rôles entre l'Etat et les collectivités de
proximité.
C'est ainsi que depuis l'avènement de la loi fondatrice du 2 mars
1982, le Sénat a constitué, à trois reprises, des
missions d'information sur la décentralisation, communes à
plusieurs de ses commissions permanentes.
Les travaux de ces trois missions d'information, qui avaient pour objet de
dresser un état des lieux de la décentralisation, dans toutes ses
dimensions, ont débouché sur la publication de rapports proposant
des ajustements, des infléchissements et des améliorations
répondant à l'attente des élus locaux et des
citoyens
1(
*
)
. Par ailleurs,
deux des commissions du Sénat (la commission des finances et la
commission des lois) constituent, au sein de la Haute assemblée, des
observatoires permanents de la décentralisation
2(
*
)
.
Dans le prolongement de ces travaux, consacrés principalement aux
compétences des collectivités locales et à leur
nécessaire clarification, à la réforme de la
fiscalité directe locale, à la compensation financière des
transferts de compétences, aux relations financières entre l'Etat
et les
collectivités locales, à l'intercommunalité
et au statut de la fonction publique territoriale, il est apparu
nécessaire de traiter, de manière plus approfondie, du
thème du contrôle des actes financiers et budgétaires des
collectivités locales.
En effet, depuis quelques années, un certain malaise semble affecter le
climat dans lequel s'inscrivent les relations entre les élus locaux et
les chambres régionales des comptes, qui assurent trois fonctions
aussi essentielles que complémentaires : le jugement des comptes
des comptables publics des collectivités locales, la participation au
contrôle des actes budgétaires et l'examen de la gestion des
collectivités locales.
Aujourd'hui, trois types de griefs sont parfois formulés à
l'encontre sinon des missions des chambres régionales des comptes, du
moins de leurs pratiques dans la mise en oeuvre du contrôle financier.
Tout d'abord, nombre d'élus locaux déplorent la
médiatisation, jugée
excessive
, des observations
provisoires que les chambres régionales des comptes peuvent être
amenées à formuler sur la gestion des collectivités
locales. Cette publicité exacerbée jetterait l'opprobre sur
l'ensemble des élus locaux, alors même que la quasi
totalité des collectivités locales sont gérées de
manière régulière, prudente et avisée.
Elle contribuerait ainsi à alimenter les fantasmes des mouvements
extrémistes qui se nourrissent, par amalgame, des éventuels
dysfonctionnements de la gestion locale, et de manière plus
générale, des incidents de parcours de la démocratie
représentative, pour tenter de déstabiliser notre système
politique
3(
*
)
.
Ensuite, l'absence d'articulation entre le contrôle de
légalité mis en oeuvre par les préfets et le
contrôle financier exercé par les chambres régionales des
comptes constituerait
un facteur d'insécurité juridique
pour les élus locaux. En effet, ces derniers admettent difficilement
qu'un acte d'une collectivité locale qui a franchi, avec succès,
l'épreuve du contrôle de légalité puisse, quelques
années plus tard, se voir
"mis en cause"
par une chambre
régionale des comptes, dans le cadre d'une vérification des
décisions financières ou d'un examen de la gestion de la
collectivité locale.
Ce sentiment d'insécurité juridique, très répandu
chez les élus locaux, serait conforté par des
inégalités entre les chambres régionales au regard de
leurs ressources humaines, des disparités territoriales de traitement
entre les collectivités locales, des contradictions ou des
contrariétés dans les jugements et des divergences dans
l'interprétation des textes.
Enfin, les exécutifs territoriaux sont sans cesse plus nombreux à
contester les modalités d'exercice de l'examen de la gestion des
collectivités locales comme en témoignent les réponses
à " l'enquête " conduite par l'association des maires de
France auprès des présidents des associations
départementales de maires. Les élus locaux déplorent
l'absence de hiérarchisation des observations, regrettent l'accent mis
par les chambres sur les seuls aspects négatifs de la gestion et
s'insurgent contre une dérive -réelle ou supposée- vers un
contrôle de l'opportunité des choix politiques effectués
par la collectivité locale.
Tel est le climat de suspicion dans lequel est intervenue la proposition de loi
n° 229, déposée le 25 février 1997 et dont
les deux premiers signataires étaient nos collègues
Patrice Gélard et Jean-Patrick Courtois. Ce texte, qui fut
renvoyé pour examen à la commission des finances, avait pour
objet de modifier le code des juridictions financières afin de
préciser les compétences des chambres régionales des
comptes.
Pour les auteurs de la proposition de loi, le fonctionnement des chambres
régionales des comptes irait à l'encontre de la volonté du
législateur, exprimée notamment dans la loi n° 88-13 du
5 janvier 1988 : loin de se cantonner à un contrôle de
la régularité de l'emploi des fonds publics, elles exerceraient
un
"véritable contrôle de l'opportunité sur les
décisions prises par les assemblées élues au suffrage
universel direct".
Cette situation heurterait
"les principes mêmes de la
décentralisation qui a précisément tendu à
supprimer le contrôle financier a priori sur les actes des
collectivités locales".
En outre, une telle dérive serait
"en contradiction avec les
dispositions de l'article L. 231-5 du code des juridictions
financières qui dispose que la chambre régionale des comptes n'a
pas juridiction sur les ordonnateurs, sauf sur ceux qu'elle a
déclarés comptables de fait".
Cet exposé des motifs trouvait son prolongement dans un dispositif qui
consistait à exclure de l'examen de la gestion d'une collectivité
locale
"les choix de gestion qui résultent de
délibérations prises par l'assemblée
délibérante de cette collectivité".
Certaines voix se sont alors élevées pour faire valoir que ce
dispositif conduirait à vider de sa substance l'examen de la gestion
d'une collectivité locale. Deux arguments furent mis en avant.
Tout d'abord, il a été souligné que la rédaction
retenue conduirait à soustraire à l'examen de la gestion,
l'ensemble des délibérations prises par la collectivité
locale. Or, les décisions "délibérées" ne se
limitent pas à la définition des politiques que les élus
locaux entendent conduire. La plupart des décisions de gestion
inhérentes à la mise en oeuvre de ces politiques font
également l'objet d'une délibération, le plus souvent
prévue par la nomenclature des pièces justificatives des
dépenses. C'est le cas, par exemple, pour la dévolution des
marchés publics, la conclusion des contrats et des conventions, et
l'attribution de subventions.
Ensuite, il a été objecté que le dispositif proposé
aboutirait à mettre les collectivités locales à l'abri des
investigations du juge financier puisqu'il suffirait, pour atteindre ce
résultat, de soumettre volontairement à l'assemblée
délibérante les décisions relevant, en principe, de la
compétence de l'ordonnateur
4(
*
)
.
Pour restituer toute sa sérénité à ce débat,
les présidents des deux commissions compétentes pour l'examen de
la proposition de loi Gélard-Courtois, M. Christian Poncelet pour
la commission des finances et M. Jacques Larché, pour la commission
des lois, ont alors décidé de proposer à leurs commissions
respectives, qui les ont suivis, de créer un groupe de travail commun.
Composé de sept représentants de la commission des finances
et de sept représentants de la commission des lois, ce groupe de
travail, qui a été constitué en avril 1997, s'est
assigné pour mission de dresser un bilan, après
quinze années de pratique, des modes d'exercice du contrôle
exercé par les chambres régionales des comptes et, le cas
échéant, de proposer les voies et moyens d'une
normalisation
des relations
entre les élus locaux et les chambres
régionales des comptes ainsi que d'une
modernisation des
modalités
du contrôle financier.
Le groupe de travail a alors procédé, lors des huit derniers
mois de l'année 1997, à l'audition des principaux "acteurs" du
contrôle financier
5(
*
)
: les représentants des
associations d'
élus locaux
(Association des maires de France,
Association des districts et communautés de France, Association des
présidents de conseils généraux, Association des
présidents de conseils régionaux), les représentants des
juridictions financières
(M. le Premier président,
Mme le procureur général, M. le chef de la mission
d'inspection des chambres régionales des comptes,
six présidents de chambres régionales des comptes et le
président de l'association professionnelle des magistrats des chambres
régionales des comptes), le
ministère de
l'Intérieur
(M. le directeur général des
collectivités locales et M. le président de l'Association du
corps préfectoral), les
comptables publics
(les trésoriers
payeurs généraux par le truchement du président de leur
association et le directeur de la comptabilité publique au
ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie), des
avocats
spécialisés dans le conseil aux
collectivités locales, et les
fonctionnaires territoriaux
(par la
voix du président de l'Association nationale des directeurs de service
des conseils généraux et régionaux).
A l'issue de ce programme d'auditions, qui s'est achevé à la fin
du mois de février 1998, le groupe de travail était en
mesure de présenter ses conclusions.
Toutefois, afin d'éviter d'interférer avec la campagne en vue des
élections cantonales et régionales, en risquant de l'alimenter
- si besoin en était - par une éventuelle
polémique sur le contrôle financier des collectivités
locales, le groupe de travail a décidé de
"surseoir à
statuer"
jusqu'à la fin des opérations électorales.
Cette hypothèque étant levée, le groupe de travail peut
désormais présenter ses observations et propositions.
L'état d'esprit qui a présidé aux travaux du groupe peut
être résumé de la manière suivante : les
membres du groupe de travail ne contestent pas la nécessité d'un
contrôle
a posteriori
des collectivités locales qui
s'inscrit dans le droit fil de l'article 15 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Cet article
dispose, en effet, que
"la société a le droit de
demander
compte
à tout agent public de son administration".
Par ailleurs, le renforcement de l'autonomie et des responsabilités des
collectivités locales, qui sont devenues des acteurs majeurs de la vie
économique et sociale de notre pays, trouve sa contrepartie naturelle et
légitime dans l'existence d'un contrôle financier.
Ce contrôle, qui participe d'une mission de
régulation
de
la décentralisation, constitue un indéniable facteur de
transparence de la gestion publique locale.
Au-delà de son principe, qui n'est pas contesté, le
contrôle financier des collectivités locales peut faire l'objet de
critiques dans sa mise en oeuvre ou ses pratiques.
Il est vrai que ce contrôle, sous sa forme actuelle de contrôle
juridictionnel exercé
a posteriori
, est
récent
puisqu'il a été institué, il y a seulement seize ans,
par la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des
communes, des départements et des régions.
Il est vrai également que ce contrôle est
pluriel
et donc
complexe, puisqu'il fait intervenir les préfets et les tribunaux
administratifs au titre du contrôle de la légalité, les
trésoriers-payeurs généraux pour l'apurement des comptes
des petites collectivités, et les chambres régionales des comptes
pour le contrôle des actes budgétaires, en liaison avec les
préfets, la vérification des comptes et l'examen de la gestion
des collectivités locales.
Les chambres régionales des comptes, qui sont des juridictions
financières, apparaissent comme les
pièces
maîtresses
de ce dispositif.
Les investigations du groupe de travail, tout en envisageant l'ensemble du
dispositif, se sont donc plus particulièrement portées sur les
activités des chambres régionales des comptes.
Dans la
première partie
du présent rapport, le groupe
de travail tentera d'évaluer la portée de la novation introduite
en 1982 et de dresser un bilan de la mise en oeuvre du contrôle financier
qui apparaît comme
contrasté
et affecté par un
déficit
de
dialogue.
Dans la
seconde partie
de ce rapport, le groupe de travail
formulera des propositions qui lui paraissent de nature à constituer les
voies et moyens d'une
normalisation
des relations entre les élus
locaux et les chambres régionales des comptes et d'une
modernisation
du contrôle financier.
Ces propositions reposent sur l'idée que seul
l'établissement
de
relations confiantes
entre les contrôleurs et les
contrôlés conférera au contrôle financier toute
sa
légitimité démocratique
et partant,
toute son
efficacité
au service de la transparence de la gestion publique
locale
.