B. UN ACTEUR AMOINDRI EN ASIE DU SUD-EST
Depuis sa création en 1967, l'association des Nations du sud-est asiatique (ASEAN) constitue l'axe majeur de la politique extérieure indonésienne. Cette organisation, dans laquelle l'Indonésie a jusqu'ici joué un rôle pivot, ressent aujourd'hui les effets de la crise mais au-delà des turbulences qui affectent l'ASEAN, c'est la question du maintien de l'équilibre régional qui se pose.
1. La remise en cause du rôle de l'Indonésie dans l'ASEAN
Après avoir mis fin à la confrontation avec la
Malaisie, l'Indonésie s'est résolument engagée, à
partir de 1967 dans la
création de l'ASEAN,
laquelle comportait
également la Thaïlande, les Philippines et Singapour parmi ses
membres fondateurs. L'ASEAN s'est élargie au Brunei en 1984 et au
Vietnam en 1995, puis au Laos et à la Birmanie en 1997.
L'adhésion du Cambodge a été reportée à la
suite de la crise politique de l'été 1997.
L'Indonésie a fait de l'ASEAN la priorité de sa politique
étrangère
et de fait, elle constitue l'épine dorsale
de l'organisation. Elle a oeuvré pour son élargissement -y
compris à la Birmanie, contestée en raison de son régime
politique- et pour l'affirmation de son identité face aux principales
puissances de la zone Asie-Pacifique. Elle a orienté l'ASEAN vers des
objectifs de sécurité régionale, en particulier avec la
création du Forum régional de sécurité (ARF) en
1993 et la signature d'un traité de dénucléarisation de
l'Asie du sud-est en 1995.
Régie par des règles souples, qui se veulent respectueuses de la
souveraineté des Etats et du principe de non-ingérence, l'ASEAN a
permis à l'Indonésie d'affirmer sinon un leadership, du moins une
position de tout premier plan sur la scène régionale, comme en a
témoigné son implication dans le dossier cambodgien lors des
accords de Paris en 1991, ou sa médiation réussie entre le
gouvernement philippin et le front de libération national moro.
Par ailleurs, souhaitant développer une industrie exportatrice pour
diversifier son économie, l'Indonésie a oeuvré en faveur
de la création d'une zone de libre-échange (AFTA) au sein de
l'ASEAN, dont le principe a été décidé en 1992 et
qui devrait être effective en 2003. Cet engagement pour la
libéralisation des échanges est cependant prudent. Après
avoir soutenu des positions très ouvertes lors du sommet de l'APEC
(coopération économique Asie-Pacifique qui regroupe l'ASEAN, la
Chine, le Japon, la Corée du Sud, le Canada, les Etats-Unis, le Mexique
et d'autres pays riverains du Pacifique) à Bogor en 1994, elle s'est
montrée plutôt réticente sur leurs modalités de mise
en oeuvre.
La crise asiatique et les difficultés indonésiennes affectent
aujourd'hui l'efficacité de l'ASEAN.
Plus active en matière de coopération politique que sur le plan
économique, l'ASEAN n'a guère contribué à organiser
une riposte concertée à la crise financière, même si
certains de ses membres ont manifesté, sous forme d'engagement d'aide
bilatérale, leur solidarité avec l'Indonésie. L'ampleur de
la crise peut provoquer, entre ses membres, des sujets de friction, liés
par exemple à des mouvements migratoires incontrôlés
provoqués par l'appauvrissement des populations, comme ceux que l'on a
constatés de Sumatra vers la Malaisie.
Le développement de
feux de forêts
à Kalimantan,
dans la partie indonésienne de Bornéo, amplifiés par la
sécheresse liée au phénomène climatique El
Niño mais souvent provoqués par une déforestation sauvage
et des pratiques peu encadrées, constitue également un sujet de
conflit potentiel entre l'Indonésie, parfois jugée trop passive
face à ces incendies, et ses voisins tels que la Malaisie et le Brunei,
directement touchés par l'extension des incendies eux-mêmes et par
les immenses nuages de fumée polluants qu'ils provoquent.
D'une manière plus générale, l'inégale
capacité de réaction des différents pays de la zone face
à la crise, mais aussi l'effacement du plus ancien Chef d'Etat,
père fondateur de l'association, à savoir le
général Soeharto, pourraient entraîner une profonde
redéfinition de la hiérarchie entre les différents membres
de l'ASEAN, au détriment de l'Indonésie et à l'avantage de
pays qui ont mieux résisté aux turbulences économiques,
comme la Malaisie.
2. Un regain d'inquiétude pour le stabilité régionale
La
création, puis l'élargissement de l'ASEAN, a jeté les
bases d'une entente politique qui joue un rôle positif pour la
stabilité régionale.
Les différends ou les conflits potentiels entre pays membres ont pu
être abordés dans le cadre d'un règlement amiable. Ainsi,
après la fin de la confrontation entre l'Indonésie et la
Malaisie, les contentieux territoriaux qui les opposaient ont-ils pu être
traités de façon non conflictuelle, comme l'a montré par
exemple la saisine de la Cour internationale de justice au sujet du
différend sur les îles Ligitan et Sipadan.
Parallèlement, l'ASEAN a constitué un facteur d'équilibre
dans les
relations parfois difficiles entre les pays de la zone et la
Chine.
Le principal foyer de tension se situe en
mer de Chine du sud
, zone
stratégique pour les échanges économiques en Asie du
sud-est, riche en réserves d'hydrocarbures et en ressources halieutiques.
La Chine a adopté en 1992 une loi maritime qui inclut dans le territoire
chinois les
îles Spratly et Paracel
, également
revendiquées par le Vietnam, Taïwan, les Philippines, Brunei et la
Malaisie. De surcroît, elle revendique autour de ces îles une zone
économique exclusive qui empiéterait sur
l'archipel des
Natuna
, siège d'un important gisement gazier, qui appartient
à l'Indonésie. Ainsi, au travers de ces prétentions, la
Chine placerait sous sa souveraineté la plus grande partie de la mer de
Chine du sud.
Ce contentieux n'a pu trouver de règlement dans le cadre de la
Convention de Montego Bay sur le droit de la mer, dont les parties font des
interprétations divergentes. Il s'est traduit par une certaine escalade,
chaque pays tentant d'affirmer sa souveraineté en installant sur des
îles jusqu'alors souvent inoccupées des équipements
militaires ou des bases de pêcheurs, et en délivrant des
concessions d'exploration pétrolière.
L'ASEAN s'est jusqu'à présent révélée un
cadre approprié pour faire face aux ambitions chinoises sans rompre pour
autant le dialogue avec Pékin. Dans ce dispositif, l'Indonésie a
rempli une fonction stabilisatrice.
Un effacement de l'Indonésie et un affaiblissement de l'ASEAN pourraient
fragiliser cet équilibre précaire et raviver des tensions
jusqu'alors contenues.
Même si les Etats concernés, y compris la Chine, donnent la
priorité au règlement de leurs difficultés
intérieures, la crise économique qui secoue la région et
ses répercussions politiques ne peuvent qu'influer négativement
sur le contentieux autour de la mer de Chine du sud.
A ce foyer de tension peuvent s'ajouter
deux nouvelles sources
d'inquiétudes.
La première concerne le
risque de développement de la
piraterie, des violences en mer et des trafics
en tout genre, qui pourrait
s'amplifier sous le double effet de la crise économique et d'une moindre
capacité de l'Indonésie à jouer son rôle dans le
contrôle et la surveillance des routes maritimes.
La seconde, aujourd'hui hypothétique, est liée aux
interrogations sur l'évolution politique à moyen terme de
l'Indonésie
. Pays le plus important de la zone, elle a
contribué à sa stabilité et à son
développement en renonçant aux ambitions territoriales qu'elle
affichait encore au début des années 1960. Cette ligne politique
"pacifique" reste aujourd'hui d'actualité et ne semble en aucun cas
remise en cause par les opposants au général Soeharto. En
revanche, une poursuite de la dégradation de la situation politique
indonésienne qui s'accompagnerait de dérives nationalistes
pourrait, à moyen terme, susciter des craintes sur une modification de
l'attitude du pays et le retour de tensions avec ses voisins.