Mission en Indonésie
VILLEPIN (Xavier de) ; BIDARD-REYDET (Danielle) ; ALLONCLE (Michel) ; BOYER (André) ; DEMERLIAT (Jean-Pierre) ; DULAIT (André)
RAPPORT D'INFORMATION 457 (97-98) - COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGERES
Table des matières
- PRESENTATION GÉNÉRALE DE L'INDONÉSIE
-
PREMIERE PARTIE -
LA SITUATION INTÉRIEURE DE L'INDONÉSIE : UN SYSTÈME POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE FRAGILISÉ- I. UN QUART DE SIÈCLE DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DANS LA STABILITÉ POLITIQUE
- II. UNE RUPTURE BRUTALE : DE LA CRISE ÉCONOMIQUE AU CHANGEMENT POLITIQUE
- III. L'INDONÉSIE APRÈS SOEHARTO : DE LOURDES HYPOTHÈQUES SUR L'ÉVOLUTION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE
-
DEUXIÈME PARTIE -
LES IMPLICATIONS DE LA CRISE INDONÉSIENNE
SUR LE PLAN INTERNATIONAL
ET SUR LES RELATIONS FRANCO-INDONÉSIENNES- I. UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE CONFRONTÉE À UN ENVIRONNEMENT DÉFAVORABLE
- II. LES RELATIONS FRANCO-INDONÉSIENNES EN ATTENTE D'UNE RELANCE
- CONCLUSION
- EXAMEN EN COMMISSION
-
ANNEXE -
COMPTE RENDU DES ENTRETIENS
ET DES VISITES DE LA DÉLÉGATION- 1. Les audiences du général Soeharto et de M. Habibie
- 2. Les entretiens au ministère des Affaires étrangères et au ministère de la Défense
- 3. Les contacts au Parlement indonésien
- 4. Les autres rencontres avec des personnalités du monde politique et économique et des représentants de la société civile
- 5. Les contacts avec la communauté et les entreprises françaises
N°
457
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 27 mai 1998
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée en Indonésie du 11 au 18 avril 1998,
Par M.
Xavier de VILLEPIN, Mme Danielle BIDARD-REYDET,
MM. Michel ALLONCLE, André BOYER,
Jean-Pierre DEMERLIAT et André DULAIT,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, Charles-Henri de Cossé-Brissac, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, André Gaspard, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, André Rouvière, André Vallet.
Asie du Sud-Est. - Indonésie.
Mesdames, Messieurs,
Du 11 au 18 avril 1998, une délégation de votre commission des
Affaires étrangères, de la Défense et des Forces
armées s'est rendue en Indonésie afin de s'informer sur la
situation politique et économique de ce pays, affaibli par une grave
crise monétaire et financière qui a provoqué une
contestation politique et sociale de plus en plus vive, jusqu'à la
démission du chef de l'Etat le 21 mai dernier.
Conduite par M. Xavier de Villepin, président, cette
délégation était composée de Mme Danielle
Bidard-Reydet et de MM. Michel Alloncle, André Boyer, Jean-Pierre
Demerliat et André Dulait.
A l'occasion de ce déplacement, des contacts ont pu être
établis avec les principales autorités politiques du pays,
-notamment avec le général Soeharto, alors président de la
République, M. Habibie, alors vice-président de la
République et M. Ali Alatas, ministre des Affaires
étrangères-, avec des parlementaires et des personnalités
politiques de l'opposition ainsi qu'avec de nombreux représentants du
monde économique et de la société civile
indonésienne, notamment des étudiants. Ces échanges ont
été complétés par plusieurs contacts avec la
communauté et les sociétés françaises
établies en Indonésie.
Le séjour de la délégation coïncidait
également avec le déroulement d'une exposition sur les
technologies françaises, associant plus de 80 entreprises de notre pays
intéressées par le marché indonésien, qui a
été inaugurée par M. Jacques Dondoux, secrétaire
d'Etat au commerce extérieur.
Immense archipel s'étendant sur 5 000 kilomètres de long,
composé de plus de 17 000 îles, et peuplé de 200 millions
d'habitants, l'Indonésie compte assurément parmi les grands pays
du monde. Situé au 4e rang, après la Chine, l'Inde et les
Etats-Unis, par sa population, c'est aussi le premier pays de l'Islam. Sa
position géographique et son vaste espace maritime lui confèrent
une importance géostratégique évidente, notamment par le
contrôle des détroits entre l'océan Indien, la mer de Chine
et le Pacifique. Le pétrole, le gaz naturel, les minerais, le
caoutchouc, le riz, le café ou encore le bois issu de sa forêt
sont quelques-unes des importantes ressources naturelles qui lui assurent un
incontestable potentiel économique.
L'objet de la mission décidée par votre commission était
de mieux comprendre l'évolution de ce pays, acteur majeur dans l'Asie du
sud-est qui, après avoir connu plusieurs années de forte
croissance et de développement économique, apparaît
aujourd'hui comme l'un des foyers les plus aigus de la crise asiatique et voit
par là même son mode d'organisation politique remis en cause. Il
s'agissait aussi d'évaluer la situation régionale, au travers
d'un pays qui constitue l'épine dorsale de l'Association des Nations de
l'Asie du sud-est (ANSEA). Enfin, il était utile d'apprécier les
perspectives des relations bilatérales franco-indonésiennes.
Sur place, la délégation a pu mesurer la vivacité de la
contestation à l'encontre d'un régime marqué par
l'imbrication étroite entre les intérêts économiques
et le pouvoir politique. Elle s'est intéressée aux forces
appelées à jouer un rôle dans l'évolution politique
du pays, qu'il s'agisse de l'armée, de l'islam ou d'une opposition
encore peu préparée à l'exercice du pouvoir.
Après avoir rappelé, dans une brève présentation
générale, les données essentielles relatives à la
géographie, l'histoire, le régime politique et l'économie
indonésienne, le présent rapport abordera successivement la
situation intérieure de l'Indonésie, marquée par une
brutale remise en cause de son modèle économique et de son
système politique, puis les implications de cette crise sur le
rôle de l'Indonésie au niveau international et en Asie du sud-est
ainsi que l'avenir des relations franco-indonésiennes encore très
modestes.
La délégation tient enfin à exprimer sa plus vive
gratitude à S. Exc. M. Gérard Cros, ambassadeur de
France en Indonésie, ainsi qu'à l'ensemble de ses collaborateurs,
pour leur compétence et leur disponibilité qui ont
favorisé l'excellent déroulement des travaux de la
délégation.
PRESENTATION GÉNÉRALE DE L'INDONÉSIE
Officiellement indépendante depuis 1949, la
République
indonésienne constitue le plus vaste archipel de la planète,
composé de plus de 17 000 îles. Son territoire correspond
très largement aux zones sur lesquelles les Hollandais, à partir
du XVIIe siècle, ont progressivement étendu leur
souveraineté pour former l'Empire des Indes néerlandaises. Avec
200 millions d'habitants, c'est le 4e pays du monde par sa population. Celle-ci
est très inégalement répartie sur l'archipel, l'île
de Java s'affirmant de très loin par son poids démographique,
économique et politique. Le peuple indonésien est marqué
par une forte diversité ethnique, linguistique et religieuse, bien que
90 % de la population se réclame de confession musulmane. Sur son
vaste territoire, l'Indonésie dispose d'immenses ressources naturelles
qui sont à la base de son développement économique. Sur le
plan politique, l'Indonésie a vécu durant plus de trente ans sous
le régime de l'Ordre nouveau, défini par le général
Soeharto à partir de 1965.
.
La naissance de l'Etat indonésien
Avant l'arrivée des premiers européens, au début du XVIe
siècle, l'archipel indonésien se composait d'une
multitude de
royaumes et de principautés.
Dans cet ensemble très
composite, on trouvait à la fois des Etats côtiers, axés
sur le commerce et la navigation, et des Etats de l'intérieur,
représentatifs des civilisations agraires. Chacune des grandes
îles de l'archipel était elle-même divisée en
plusieurs Etats.
Arrivés au début du XVIe siècle, les Portugais, qui
avaient établi plusieurs comptoirs dans l'archipel, ont
été supplantés à partir du XVIIe siècle par
les Hollandais, désireux de s'adjuger le monopole du commerce des
épices au travers de la compagnie unie des Indes orientales.
Etablis en 1619 à Jakarta, qu'ils baptisèrent Batavia, les
Hollandais vont durant tout le XVIIIe et le XIXe siècle, étendre
progressivement leur souveraineté à l'ensemble de l'île de
Java tout d'abord, puis à Sumatra, à une large partie de
Bornéo, aux Célèbes, aux Moluques, aux îles de la
Sonde et à la Nouvelle-Guinée occidentale, non sans que cette
expansion ne se heurte à la résistance des populations et des
souverains locaux. C'est donc
la colonisation hollandaise qui a donné
ses contours actuels à l'Etat indonésien,
à
l'exception toutefois de l'est de Timor, resté sous souveraineté
portugaise jusqu'en 1976.
Après trois années d'occupation japonaise, de 1942 à la
fin de la guerre, l'indépendance de l'Indonésie est
proclamée le
17 août 1945
par le leader nationaliste
Soekarno. Mais le retour des Hollandais et leur refus de reconnaître
l'indépendance allaient entraîner quatre années de tensions
et de conflits qui feront près de 100 000 morts. Après avoir
tenté de susciter, dans plusieurs provinces, la création d'Etats
indépendants, confédérés au sein des Etats Unis
d'Indonésie, les Pays-Bas, sous la pression internationale et notamment
celle des Etats-Unis, reconnaissaient
l'indépendance de
l'Indonésie le 27 décembre 1949.
Le nouvel Etat allait revendiquer la province d'Irian Jaya
(Nouvelle-Guinée occidentale), restée provisoirement sous
administration hollandaise. Après le lancement d'une opération
militaire indonésienne, elle passa sous le contrôle de l'ONU en
1962 puis revint définitivement en 1963 à l'Indonésie, qui
vit ainsi son territoire doté d'une 26e province.
Enfin, lorsque éclate la révolution portugaise en 1974 et que se
produit un coup d'Etat indépendantiste au
Timor oriental
,
l'Indonésie, qui convoitait ce territoire, l'envahit en décembre
1975. Le Timor oriental est officiellement déclaré 27e province
de l'Indonésie en juillet 1976 mais ce "rattachement" n'a jamais
été reconnu par la communauté internationale.
.
Le plus vaste archipel de la planète, doté d'importantes
ressources naturelles
S'étendant sur 5 000 km d'est en ouest et 2 000 km du nord au sud,
l'archipel indonésien est le plus vaste du monde. D'après les
résultats obtenus avec les techniques cartographiques récentes,
il compte
17 508 îles,
dont 6 000 environ sont
habitées.
Les terres émergées représentent 1 919 000 km² et
font de l'Indonésie le 15e pays au monde par sa superficie.
Son
espace maritime
a été porté à 5 900 000
km² depuis l'entrée en vigueur de la Convention des Nations unies
sur le droit de la mer de Montego Bay qui a consacré la notion d'eaux
archipélagiques. Ces dernières, qui s'avancent jusqu'aux
côtes de la Malaisie et des Philippines et forment une pointe,
au-delà des îles Natuna, en mer de Chine méridionale,
représentent 2 900 000 km² et ont un statut comparable
à celui des eaux territoriales (300 000 km²). A cela
s'ajoutent 2 700 000 km² de zone économique exclusive.
L'Indonésie se situe au contact entre l'Océan Indien,
l'Océan Pacifique et la mer de Chine méridionale. Elle commande
donc les
routes maritimes
qui assurent les communications les plus
directes entre ces zones et qui empruntent les détroits de Malacca, de
Karimata, de la Sonde, de Lombok et de Macassar ou encore la mer de Timor et la
mer des Moluques. C'est dire l'importance géostratégique de
l'Indonésie pour les communications dans toute cette région du
monde.
Sur ses vastes territoires, l'Indonésie dispose de
ressources
naturelles très importantes.
Elle produit du pétrole et du
gaz naturel et dispose de réserves conséquentes. Elle produit
également du charbon. Les ressources minières sont
également notables, principalement le cuivre (5e producteur mondial),
l'étain (2e producteur mondial) et le nickel (5e producteur mondial),
mais aussi l'or et l'argent. Sur le plan agricole, l'Indonésie
bénéficie de sols fertiles. Elle est le 3e producteur mondial
pour le riz, le 3e pour le café, le 4e pour le cacao, le 5e pour le
thé et le 2e pour le caoutchouc naturel. Sa forêt, qui couvre
près de 65 % du territoire, concentre de nombreuses espèces de
bois tropicaux.
.
La 4e population mondiale : vitalité démographique,
disparité de peuplement et migrations intérieures
L'Indonésie compte aujourd'hui
200 millions d'habitants.
C'est le
4e pays au monde
après la Chine, l'Inde et les Etats-Unis. Cette
population s'accroît au rythme de 1,6 % par an, ce qui se situe dans la
moyenne des pays d'Asie. Pour un tiers, elle est composée de jeunes de
moins de 15 ans.
La densité moyenne dépasse les 100 habitants au km² mais
elle est très inégale selon les différentes îles de
l'archipel.
Le tableau suivant, établi à partir du recensement de 1990,
illustre ces différences de peuplement :
Iles |
Superficie |
Population |
Java |
6,9 % |
60,0 % |
Sumatra |
24,7 % |
20,3 % |
Célèbes |
9,9 % |
7,0 % |
Iles de la Sonde |
4,6 % |
5,7 % |
Kalimantan |
28,1 % |
5,1 % |
Moluques |
3,9 % |
1,0 % |
Irian Jaya |
22,0 % |
0,9 % |
Ainsi,
sur les 200 millions d'habitants de l'Indonésie, près de
120
millions vivent à Java,
où la densité moyenne avoisine
900 habitants au km². A Sumatra, où vivent 40 millions d'habitants,
la densité n'est que de l'ordre de 80 habitants au km². Les
Célèbes, les îles de la Sonde et Kalimantan comptent, pour
chacune d'elles, un peu plus de 10 millions d'habitants, mais la densité
qui est de 120 habitants au km² aux îles de la Sonde, est
inférieure à 20 habitants au km² à Kalimantan. Enfin,
les Moluques et l'Irian Jaya sont peu peuplées, leur population
respective se situant autour de 2 millions d'habitants.
L'inégale répartition de la population
entraîne deux
phénomènes importants.
Le premier est l'incontestable
prépondérance de Java,
liée à son poids démographique, qui s'étend
également au domaine économique et politique.
Le second, lié au surpeuplement de Java et, dans une moindre mesure de
Bali, réside dans les transferts de population initiés dès
le début du siècle par les Hollandais et poursuivis après
l'indépendance sous l'appellation de
transmigration.
Depuis 1969,
plus de 5,5 millions de personnes ont ainsi participé à ce vaste
programme de colonisation agricole et se sont installées à
Sumatra, à Kalimantan, aux Célèbes et en Irian Jaya.
Censée atténuer les difficultés liées à la
surpopulation rurale à Java et mettre en valeur les terres
inexploitées des autres îles, cette politique n'a pas
été sans difficultés, notamment quant à la
cohabitation des colons et des populations traditionnelles.
.
Le défi de l'unité indonésienne
Objectif premier des pères de l'indépendance indonésienne,
l'unité de la République ne va pas de soi.
L'Indonésie compte plus de
300 groupes ethniques
parlant tout
autant de langues et de dialectes. Même au sein du groupe dominant, de
souche malaise, on observe d'une île à l'autre de nombreuses
différences dans les langues. Il en va de même des
Mélanésiens qui peuplent l'est de l'archipel. Après
l'indépendance, les autorités indonésiennes ont
imposé une langue nationale, le
bahasa indonesia
, commune
à l'ensemble du pays. Il faut également signaler l'importance de
la
minorité d'origine chinoise,
qui ne représente 3 % de
la population mais est très impliquée dans la vie
économique et commerciale du pays. Selon les estimations, cette
communauté détiendrait les trois quarts de la richesse nationale.
Elle est fréquemment la cible de la vindicte populaire dans les
périodes de crise, comme on l'a vu lors des événements
récents.
Durant ces cinquante dernières années, l'unité de
l'Indonésie n'a cessé d'être contestée par des
revendications autonomistes ou indépendantistes
émanant de
diverses parties du pays.
Parmi ces
foyers de conflits internes,
on peut citer la
province
d'Aceh,
à l'extrême nord de Sumatra, région de forte
tradition musulmane qui s'est souvent heurtée au pouvoir central, et en
dernier lieu lors d'une rébellion en 1990, ou les tensions et les heurts
violents apparus à Kalimantan en 1997 entre les Dayak et les colons
venus de Madura.
Les revendications indépendantistes sont fortes en
Irian Jaya
,
qui a été annexé par l'Indonésie en 1962 et qui a
été définitivement rattaché en 1969 après
consultation des populations locales. Une lutte armée oppose toujours
les forces indonésiennes et l'Organisation pour l'indépendance de
la Papouasie.
Enfin, après avoir été annexée par la force en
1976, au prix de plusieurs dizaines de milliers de morts, la province du
Timor oriental
reste le théâtre d'affrontements entre les
indépendantistes regroupés au sein du FRETILIN et l'armée
indonésienne.
A la diversité ethnique s'ajoute la
diversité religieuse.
Dans un pays où il est obligatoire de décliner une
appartenance religieuse, 88 % de la population se réclame de l'islam
alors que l'on compte 9 % de chrétiens, principalement protestants, 2 %
d'hindouistes et 1 % de bouddhistes, surtout chez les Chinois d'origine.
L'idéologie nationale du Pancasila, définie lors de
l'indépendance, professe le monothéisme sans pour autant
privilégier l'islam et garantit le respect des religions minoritaires.
On assiste cependant depuis quelques années à un
renouveau de
l'islam
et de la pratique de la religion musulmane qui pourrait tendre
à accentuer les clivages religieux dans la société
indonésienne, ce qui n'est pas indifférent dans la mesure
où les religions minoritaires sont essentiellement
représentées dans l'est de l'archipel.
.
L'ordre nouveau, régime politique de l'Indonésie depuis
1966
La démocratie parlementaire à l'occidentale n'entre guère
dans la tradition politique de l'Indonésie.
La Constitution de 1945, qui dotait l'Indonésie d'une République
unitaire a été suspendue en 1950 puis, après une
brève expérience de régime parlementaire classique, a
été rétablie et demeure toujours en vigueur aujourd'hui.
Le Président
Soekarno
réoriente les institutions en 1957
en définissant la
notion de "démocratie dirigée",
assise sur le consensus et s'appuyant sur des "groupes fonctionnels",
jugés plus représentatifs que les partis politiques
traditionnels, mais se traduisant dans les faits, par un renforcement de
l'exécutif. De cette époque date également la
reconnaissance du rôle "socio-politique" de l'armée.
La période qui s'ensuit est marquée par une succession de
troubles, en particulier à Sumatra et aux Célèbes et une
tension de plus en plus vive entre l'armée et le parti communiste
indonésien.
Le 30 septembre 1965, une tentative de coup d'Etat qui se traduit par
l'assassinat du plusieurs chefs militaires, imputée au parti communiste,
entraîne une vive réaction de l'armée, sous l'impulsion du
général Soeharto, et une importante répression, qui a fait
plusieurs centaines de milliers de victimes.
Soupçonné de complaisance envers les communistes, le
Président Soekarno est contraint en 1966 de transférer
l'essentiel des pouvoirs exécutifs au général Soeharto,
qui interdit le parti communiste. Soekarno sera déposé par
l'Assemblée du peuple en 1967, le général Soeharto
devenant Président de la République en mars 1968.
Le nouveau régime, qui se reconnaît dans la notion d' "ordre
nouveau" infléchit la politique indonésienne dans le sens d'un
ralliement au bloc occidental et d'une libéralisation de
l'économie, désormais ouverte aux investisseurs étrangers.
Tout en maintenant les institutions parlementaires, le nouveau régime
regroupe autoritairement les partis politiques en trois formations et organise
une vie politique étroitement encadrée, dans laquelle
l'armée se voit reconnaître un rôle essentiel.
Le Président Soeharto a été réélu par
l'Assemblée du peuple en 1973, 1978, 1983, 1988, 1993 et 1998, avant de
démissionner, sous la pression d'une contestation de plus en plus vive,
le 21 mai dernier et d'être remplacé, comme le prévoit la
Constitution, par le Vice-Président,
M. Habibie
.
PREMIERE PARTIE -
LA SITUATION INTÉRIEURE DE
L'INDONÉSIE : UN SYSTÈME POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE
FRAGILISÉ
Il y a
quelques mois encore, la plupart des observateurs saluaient les remarquables
performances économiques de l'Indonésie qui, après plus
d'un quart de siècle de forte croissance ininterrompue et
d'élévation constante du niveau de vie, semblait en mesure de
rejoindre les fameux "dragons" asiatiques. La stabilité politique du
régime fondé par le général Soeharto apparaissait
à la fois comme l'un des facteurs mais également l'une des
conséquences de ce succès.
La tourmente provoquée par les événements
monétaires de l'été 1997 a entraîné une
brutale régression de l'économie indonésienne
, qui
est aujourd'hui beaucoup plus affectée que ses voisins par ce qu'il est
convenu d'appeler la crise asiatique. Faillites, chômage, hausse
vertigineuse du coût de la vie témoignent d'une profonde cassure
dans les ressorts de l'économie du pays. Cette violente secousse a
provoqué une
remise en cause du système
politique
allant au-delà des mouvements sociaux animés par les
étudiants ou des émeutes provoquées par les populations
urbaines défavorisées pour toucher certaines fractions de la
classe dirigeante, alors qu'à l'extérieur, le discrédit
pesant sur le régime empêchait le retour de la confiance de la
communauté internationale. La dégradation
accélérée de la situation ne laissait au
général Soeharto que l'issue d'une démission.
Face à cette situation,
la "sortie de crise" est loin d'être
évidente,
sur le plan économique mais aussi en matière
politique. A l'heure où le pays doit engager des réformes
profondes et où il dépend largement de l'assistance
financière internationale, la
"transition"
que semble engager le
nouveau président
demeure chargée
d'incertitudes.
I. UN QUART DE SIÈCLE DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DANS LA STABILITÉ POLITIQUE
Le régime de l'Ordre nouveau, établi par le général Soeharto, a concentré le pouvoir entre les mains d'un exécutif fort et posé des limites étroites à l'action des forces politiques, en étouffant toute velléité d'opposition. L'Indonésie a ainsi connu une longue période de stabilité politique au cours de laquelle elle a mis en oeuvre avec constance un programme de développement économique qui a permis une croissance forte et régulière et un recul de la pauvreté.
A. UNE PRATIQUE AUTORITAIRE DU POUVOIR
Le
Président Soekarno, avec son concept de "démocratie
dirigée", avait dès la fin des années cinquante rompu avec
le modèle parlementaire à l'occidentale pour mettre en place un
système politique à ses yeux plus conforme à la culture et
aux traditions indonésiennes, qui privilégieraient la
négociation à l'affrontement, la recherche du consensus à
l'application de la règle majoritaire, la représentation des
intérêts économiques et sociaux au jeu des partis
politiques.
A ces caractéristiques, l'Ordre nouveau en ajoutera deux autres,
liées aux circonstances de son arrivée au pouvoir : un
exécutif fort et une vie politique étroitement encadrée
d'une part, un rôle accru dévolu aux forces armées d'autre
part.
1. Un exécutif fort et une vie politique étroitement encadrée
Le cadre
institutionnel indonésien repose toujours sur la Constitution du 18
août 1945 qui avait instauré la République et défini
une idéologie nationale, le Pancasila, s'appuyant sur cinq principes
constitutionnels :
. la
croyance en un seul Dieu
, qui implique la reconnaissance officielle
de cinq religions monothéistes (islam, catholicisme, protestantisme,
bouddhisme et hindouisme) sans privilégier l'islam, et garantit donc le
respect des religions minoritaires,
.
l'
humanitarisme
reposant sur la justice et la civilisation,
.
l'
unité de l'Indonésie
,
.
la
démocratie
guidée par l'esprit de sagesse et
de consensus,
.
la
justice sociale
pour l'ensemble du peuple indonésien.
Ces principes constituent une idéologie officielle à laquelle
toutes les organisations et les formations politiques sont tenues de se
conformer.
La référence à la démocratie et à la
souveraineté populaire se manifeste par les
élections
législatives
, organisées tous les cinq ans pour le
renouvellement de la Chambre des Représentants.
Si l'Indonésie n'avait pas connu de consultation électorale
nationale depuis 1955, l'organisation des élections dans le
régime de l'Ordre nouveau obéit pour sa part à des
règles strictes, qui limitent sévèrement l'expression
démocratique.
En premier lieu, seules participent aux élections les formations
reconnues par la loi. Depuis la
fusion forcée
, dans un but de
"simplification", de nombreux mouvements,
les partis politiques
autorisés sont au nombre de trois :
.
le
GOLKAR,
parti de gouvernement, s'apparente davantage à
une organisation officielle qu'à un parti politique. Il
fédère plusieurs dizaines de "groupes fonctionnels"
représentant les organisations de défense et de
sécurité, les professions, le syndicat des travailleurs
indonésiens ou encore les coopératives. Les fonctionnaires sont
également, ès qualités, membres du GOLKAR,
.
le
Parti de Unité pour le développement
(PPP) a
regroupé les quatre partis musulmans,
.
le
Parti Démocratique d'Indonésie
(PDI) constitue
le regroupement hétérogène des formations restantes.
Autour du Parti national indonésien, formation historique de la lutte
pour l'indépendance, il associe notamment les anciens partis catholique
et protestant.
Le Parti communiste indonésien est quant à lui interdit depuis
1966.
Limités dans leur nombre, les partis indonésiens le sont
également dans leur marge de manoeuvre. Seul le GOLKAR peut
véritablement agir sur l'ensemble du territoire, les deux autres partis
(le PPP et le PDI) devant restreindre leur présence au seul niveau du
district et se voyant interdire toute activité militante dans les
villages. D'autre part, le gouvernement a instauré un mécanisme
de contrôle de la moralité politique des candidats aux
élections qui permet, au sein de ces partis, de filtrer les candidatures.
Le régime sait par ailleurs user de la répression lorsqu'il se
sent trop fortement mis en cause par certains mouvements ou dirigeants
politiques. Cet arsenal législatif et judiciaire, et le souvenir de la
répression qui a suivi l'arrivée du général
Soeharto au pouvoir, contribuent à maintenir un climat de crainte qui
neutralise de fait les velléités de contestation trop directe ou
trop ouverte.
Dans ces conditions, le PPP et le PDI constituent une opposition "officielle",
très surveillée et encadrée par le pouvoir. Ce dernier a
par exemple fait pression pour l'éviction de la présidence du PDI
de Mme Megawati Soekarnoputri, fille de l'ancien président
Soekarno, jugée trop combative, lors d'un congrès extraordinaire
organisé en juin 1996, et a obtenu son remplacement par une
personnalité plus complaisante. Mme Megawati a été
radiée de la liste des candidats autorisés à se
présenter aux élections législatives de mai 1997.
Sur la base de ces règles, et compte tenu du contrôle de
l'information, le Golkar a jusqu'à présent largement
remporté les élections législatives auxquelles il a obtenu
62,8 % des voix en 1971, 62,1 % en 1977, 64 % en 1982, 73 % en 1987, 69 % en
1992 et 74 % en 1997.
Le parti musulman, le PPP, s'affirme comme la seconde force électorale
du pays, avec un score qui est passé de 29 % en 1977 à 15 % en
1987, avant de remonter à 23 % en 1997.
Quant au PDI, après avoir stagné autour de 10 % des voix, il
avait réalisé 15 % aux élections de 1992.
L'éviction de sa présidence de Mme Megawati, fille du
président Soekarno, en 1996, explique largement son très faible
score (3 %) en 1997.
Le Golkar, formation vouée au soutien de l'action gouvernementale,
domine donc très nettement les consultations électorales
organisées depuis vingt-cinq ans.
Encore faut-il ajouter que sur 500 membres de la
chambre des
représentants
, 425 seulement sont élus au suffrage universel
(par scrutin proportionnel au niveau national),
75 étant choisis par
le Président au sein des
forces armées.
Cette
particularité a été justifiée par la
nécessité d'associer les militaires, privés du droit de
vote, à la vie politique du pays. Les forces armées constituent
donc, aux côtés des trois organisations autorisées, le
quatrième groupe parlementaire de la Chambre des Représentants.
Les décisions de la Chambre des Représentants sont prises
à l'unanimité, après recherche du consensus. Cette
pratique reflète la conception indonésienne de la
démocratie, prônée par Soekarno et reprise par Soeharto,
dans laquelle la notion d'opposition n'a guère sa place.
La plus haute autorité de l'Etat est l'
Assemblée consultative
du peuple.
Elle est composée des membres de la Chambre des
Représentants et de 500 délégués
désignés par le chef de l'Etat pour représenter les
intérêts des collectivités territoriales et des
associations ou organisations sociales. Ce collège de 1 000
membres, dont 575 sont donc directement désignés par le chef de
l'Etat, se réunit une fois tous les 5 ans et assure une double
fonction :
- il élit le Président et le Vice-Président appelé
éventuellement à le remplacer en cours de mandat,
- il se prononce sur les modifications de la Constitution et approuve les
grandes lignes de la politique gouvernementale pour les cinq années
à venir.
Le personnage dominant des institutions indonésiennes est bien entendu
le
Président de la République
.
Chef du pouvoir exécutif, le Président de la République
nomme et révoque les ministres, qui ne sont responsables que devant lui.
L'Indonésie ne connaît pas la pratique du Conseil des Ministres,
les ministres recevant directement leurs instructions du Président.
Le Président détient également des pouvoirs
législatifs étendus qu'il exerce au travers de décrets ou
de décisions présidentiels. Titulaire du pouvoir exécutif
depuis 1966, le général Soeharto a été élu
Président de la République en mars 1968 par l'Assemblée du
peuple, qui avait une année auparavant déposé le
Président Soekarno. Il a par la suite été
réélu à six reprises, et en dernier lieu le 10 mars 1998,
étant précisé qu'il était dans tous les cas le seul
candidat en lice.
Elu par l'Assemblée consultative du peuple en même temps que le
Président, le Vice-Président a pour principale vocation de
remplacer le Président pour le restant du mandat en cas de
décès ou de cessation de fonctions. Ici encore, la
compétition entre plusieurs candidats n'est pas d'usage, le choix
réel relevant du Président. M. Habibie, ancien ministre d'Etat
pour la recherche et la technologie, a été élu
vice-président le 11 mars dernier. Il est devenu chef de l'Etat le 21
mai 1998 à la suite de la démission du général
Soeharto.
En résumé, le système politique indonésien se
caractérise par une
concentration des pouvoirs aux mains du
Président
qui dispose d'autre part des moyens constitutionnels de
poser des limites très étroites à l'action des forces
politiques.
Ce contrôle de l'exécutif s'exerce tout autant dans le domaine
social, où les organisations syndicales ont également
été encadrées, que dans celui de l'information : une
organisation unique est seule habilitée à délivrer
l'autorisation d'exercer la profession de journaliste.
Ainsi, tout en maintenant des institutions parlementaires et des
élections et en reconnaissant un certain pluralisme, le régime de
l'Ordre nouveau n'a-t-il laissé que de très faibles marges de
manoeuvre à l'expression d'une quelconque opposition
politique.
2. L'armée indonésienne au coeur du système politique
Depuis l'indépendance
,
l'armée n'a
cessé de jouer un rôle clé dans le système politique
indonésien
, se portant garante de l'unité du pays et
s'opposant aux tentatives d'instauration d'un Etat islamique.
Après l'échec de l'expérience libérale des
années 1950-1957, les forces armées de la République
d'Indonésie (ABRI), sous l'impulsion de leur chef d'état-major,
le général Nasution, réclamèrent ouvertement la
reconnaissance d'un rôle plus important dans l'appareil d'Etat, une
"double fonction"
sociale et politique autant que militaire. La
période de la "démocratie guidée" qui s'ouvre en 1957, et
qui est également marquée par une succession de troubles sociaux
ou séparatistes entraînant l'application de la loi martiale, verra
la satisfaction d'une partie des revendications des forces armées.
C'est à cette époque que l'armée se voit
reconnaître, au même titre que les organisations économiques
ou religieuses, la qualité de "groupe fonctionnel", avec les
prérogatives politiques et institutionnelles qui s'y rattachent.
Dans un autre domaine, la nationalisation d'entreprises détenues par les
Hollandais et transférées à l'armée, à
partir de 1957, va s'accompagner de l'entrée de nombreux cadres
militaires dans le secteur économique. L'armée se voit
reconnaître, hors de la sphère militaire, un
rôle dans le
développement économique et social
.
La prise de pouvoir par l'armée, en 1965, en réaction au coup
d'Etat communiste permettra de consacrer la
théorie de la "double
fonction" des forces armées
:
-
fonction de sécurité et de défense
, autant sinon
plus orientée vers la menace interne que vers un agresseur
extérieur,
-
fonction socio-politique
, qui justifie son implication dans des pans
entiers de la vie civile et dans la direction politique de l'Etat.
L'armée indonésienne, placée sous l'autorité du
chef de l'Etat, son commandant suprême, compte aujourd'hui environ
460 000 hommes.
Le gouvernement indonésien donne la
priorité au maintien de la cohésion nationale et de l'ordre
public, qui entre dans les missions de l'armée, par rapport à une
menace extérieure jugée secondaire. Aussi les crédits
d'équipement sont-ils faibles, souvent mis en place au coup par coup
pour satisfaire des besoins ponctuels, l'essentiel du budget étant
consacré au fonctionnement.
Par ailleurs, les effectifs sont concentrés dans l'armée de terre
et la police.
Avec 216 000 hommes,
l'armée de terre
s'appuie sur un maillage
très serré du territoire, s'étendant jusqu'à
l'échelle des villages. Elle comporte des unités d'élite
bien entraînées, les forces spéciales d'intervention
(KOPASSUS).
La police
, avec 180 000 hommes,
fait partie intégrante de
l'armée
et dispose en particulier de compétences et de
matériels anti-émeutes étendus.
Comme on l'a signalé plus haut, l'armée dispose en tant que telle
de
75 sièges sur les 500 que compte la Chambre des
Représentants
. Nombreux sont les membres des forces armées
qui occupent des positions non militaires dans les ministères, dans
l'administration territoriale ou dans les entreprises.
Par l'intermédiaire de ses coopératives, l'armée est
impliquée dans la
gestion de plusieurs secteurs de
l'économie
comme le transport maritime, les plantations, les mines,
l'exploitation forestière ou le secteur bancaire.
De l'avis des observateurs, l'évolution récente du régime
s'était cependant traduite par un relatif recul de l'influence des
militaires dans la marche de la nation. Il s'agirait à la fois d'une
conséquence du développement du pays, qui favorise
l'émergence d'une nouvelle élite, et d'une volonté
politique du chef de l'Etat, dont les liens avec l'armée se seraient
distendus. Dans l'administration et les entreprises, des cadres civils ont pris
désormais le pas sur des militaires. Au plan économique, les
intérêts de l'armée ne pouvaient rivaliser avec les grands
groupes privés qui se sont développés durant la
période de croissance économique. La nomination, en mars dernier,
d'un civil, M. Habibie, au poste de Vice-Président, jusqu'alors le
plus souvent dévolu à un militaire, aurait constitué la
dernière manifestation de ce phénomène qui a
atténué, sans le remettre fondamentalement en cause, le poids
considérable de l'armée dans la société
indonésienne.
B. UNE LONGUE PÉRIODE DE CROISSANCE FORTE ET CONTINUE
Le programme de développement économique engagé par le régime du général Soeharto dès la fin des années soixante s'est appuyé sur une action volontariste de l'Etat et sur une importante aide étrangère. Vingt-cinq années plus tard, le décollage économique de l'Indonésie a suscité, jusqu'à il y a quelques mois, bien des appréciations élogieuses, alors qu'aux côtés de résultats flatteurs ont subsisté certaines zones d'ombre, annonciatrices des déboires futurs.
1. Une action volontariste en faveur du développement économique
L'autorité politique a incontestablement donné
l'impulsion décisive à la mise en oeuvre du développement
économique de l'Indonésie depuis la fin des années
soixante, illustrant une
conception dirigiste
qui ne s'est guère
atténuée au fil du temps. Avec méthode et constance, elle
a défini des plans de développement à long terme, couvrant
une période de vingt-cinq ans, eux-mêmes décomposés
en cinq plans quinquennaux, assortis d'objectifs en termes d'investissements et
de croissance.
Le premier plan à long terme a couvert la période 1969-1994. Un
deuxième plan a été défini pour la période
1994-2019 et il a été amorcé par le 6e plan quinquennal
1994-1999.
Au travers de ces plans,
trois orientations
ont successivement
été mises en oeuvre, avec des concours financiers
extérieurs : la
mise en valeur des ressources naturelles du pays
,
le
développement d'une industrie nationale et enfin, l'ouverture
à l'extérieur et l'insertion dans l'économie
internationale
.
L'
aide extérieure
a essentiellement transité par le groupe
intergouvernemental sur l'Indonésie, devenu
groupe consultatif sur
l'Indonésie
. Le Japon, les Etats-Unis et la Banque mondiale en sont
les principaux bailleurs de fonds. Cette aide s'est maintenue à un haut
niveau et représentait encore ces dernières années plus de
cinq milliards de dollars par an.
L'
ouverture
aux investissements étrangers
a
été engagée par une loi de 1967. Il s'agissait
essentiellement à l'époque de faire appel aux capitaux
étrangers pour l'exploitation des ressources énergétiques
et minières.
A partir de 1973, l'Etat a favorisé la création de joint-ventures
entre partenaires étrangers et locaux afin de développer une
industrie nationale, tournée vers la satisfaction des besoins du
marché intérieur.
Enfin, les années 1980 voient se réduire les ressources
tirées du pétrole, en raison de la chute des cours, imposant la
nécessité d'une diversification de l'économie et le
développement, toujours grâce à des capitaux
étrangers, d'industries exportatrices, en particulier dans le textile,
la transformation du bois, les produits alimentaires et la chimie.
Ainsi, à partir des années 1980, le développement
économique, jusqu'alors marqué par l'emprise de l'Etat et un
certain protectionnisme, s'oriente davantage vers la libéralisation de
l'économie et l'ouverture aux marchés internationaux.
D'importantes
réformes structurelles
ont été
engagées pour réviser le système fiscal,
déréglementer le secteur financier, ce qui s'est traduit par un
développement très rapide du réseau bancaire, lever un
grand nombre de restrictions aux investissements étrangers, et
réduire progressivement les protections tarifaires et non tarifaires, en
particulier pour les produits en provenance de l'ASEAN. C'est ainsi qu'ont
été abaissés, en mai 1995, les droits de douane sur
6 000 produits, ce qui a permis une réduction immédiate du
taux tarifaire moyen, ramené de 19,5 % à 15 %. En ce qui concerne
le régime préférentiel commun de l'ASEAN, l'objectif est
de ramener le taux tarifaire moyen à 7 % en 2003.
Bien que se déroulant à un rythme plutôt lent, ce processus
de déréglementation a été continu depuis quelques
années, en grande partie à la suite d'orientations
définies dans le cadre de l'ASEAN.
L'Indonésie est jusqu'à présent restée prudente en
matière de
privatisations
, se limitant à ouvrir le capital
de quelques entreprises publiques à des intérêts
privés.
2. Des résultats flatteurs
Année après année, l'Indonésie a
reçu les
satisfecit des autorités internationales
et des
observateurs pour les résultats de sa politique économique.
Ainsi, dans son
rapport annuel 1997, le Fonds Monétaire
International
soulignait qu
e "ces dernières années,
l'Indonésie est parvenue à maintenir le rythme de
développement économique impressionnant atteint dans les
années 70 et 80 grâce à des réformes axées
sur le marché".
Il précisait que
"les administrateurs ont
félicité les autorités pour les résultats
économiques de l'Indonésie au cours des dernières
années, en particulier la réduction appréciable de la
pauvreté et l'amélioration de nombreux indicateurs sociaux, ainsi
que la moindre dépendance à l'égard des secteurs du
pétrole et du gaz et la libéralisation d'importants secteurs de
l'économie".
Dans le même esprit, la Banque Mondiale dans son rapport annuel sur
l'Indonésie publié en juin 1997 soulignait la forte croissance,
la modération de l'inflation, la vigueur des investissements, tant
nationaux qu'étrangers, l'excédent des finances publiques, le
haut niveau des réserves de change, autant de facteurs qui semblaient
garantir de
bons "fondamentaux
" à l'économie
indonésienne.
De fait, selon les chiffres cités par la Banque Mondiale, le
taux de
croissance annuel moyen
qui était de 6,1 % sur la période
1980-1990 est passé à
7,6 % sur la période
1990-1995
.
L'effet premier de ce dynamisme de l'activité économique a
été de permettre un
recul spectaculaire de la pauvreté.
La proportion des habitants vivant en dessous du seuil de pauvreté a
été ramenée, selon la Banque Mondiale, de 56 % en 1970
à 15 % en 1990. Au début de l'année 1997, elle
n'était plus que de 11 % d'après les autorités
indonésiennes. Le
PNB par habitant
, qui était de 70
dollars en 1969, était de 970 dollars en 1995 et a franchi la barre
symbolique du millier de dollars (1 125 dollars) en 1996. Les indicateurs
sociaux tels que la mortalité infantile, l'espérance de vie, le
taux de scolarisation, se sont considérablement améliorés
durant la même période.
Parallèlement, l'Indonésie a atteint en 1984 son
autosuffisance en riz
, principal ingrédient du régime
alimentaire indonésien, et elle est parvenue depuis lors à le
maintenir malgré l'accroissement de la population.
En troisième lieu, l'Indonésie a entrepris avec succès la
diversification de son économie,
en réduisant sa
dépendance à l'égard des exportations en pétrole et
en gaz. Les ressources tirées des exportations d'hydrocarbures, qui
représentaient 80 % des ressources en devises en 1969 et encore 75 % en
1980, n'en représentent qu'à peine plus de 20 % à l'heure
actuelle. Ce recul est lié à la chute des cours, qui a
réduit le volume des ressources pétrolières, mais
également à la forte progression des autres activités,
reflétant la transition d'une économie essentiellement
fondée sur l'exploitation des ressources naturelles vers une
économie créatrice de valeur ajoutée. Cette
diversification a permis l'émergence de nouveaux secteurs tels que le
textile, la transformation de bois (contreplaqué, pâte à
papier, meubles) et du caoutchouc, le petit appareillage électrique,
l'industrie de la chaussure ou encore les produits chimiques.
3. Les limites du décollage économique et les signes avant-coureurs de difficultés
La
première limite du décollage économique de
l'Indonésie réside dans la
très inégale
répartition des dividendes de la croissance
, qu'il s'agisse d'une
inégalité géographique, entre l'ouest de l'archipel,
essentiellement Java, et les provinces orientales, qui demeurent assez
largement à l'écart du processus de développement, on
d'inégalités sociales, qui se sont creusées.
La deuxième limite tient aux
goulets d'étranglement
qui
freinent les possibilités d'expansion : une
sous-qualification de la
population active
, notamment en ce qui concerne les techniciens et les
cadres intermédiaires, et un
fort retard en matière
d'infrastructures
routières et ferroviaires et d'alimentation en eau
et en électricité.
Enfin, l'importance de la corruption, à tous les niveaux, et le
maintien, dans de multiples secteurs d'activités, de monopoles ou de
privilèges peu justifiés faussent le jeu du marché et ne
contribuent pas à assainir les structures de l'économie.
Au-delà de ces facteurs structurels, les bons résultats
affichés par les indicateurs macroéconomiques ont quelque peu
occulté les signes avant-coureurs de difficultés. Le
développement non contrôlé du secteur bancaire a
entraîné une expansion très rapide du crédit au
secteur privé, pour le financement de projets ou d'entreprises ne
présentant pas toujours les meilleures garanties de rentabilité.
La
dette extérieure
du pays s'est rapidement accrue, dans des
proportions encore plus fortes -et sous-estimées par les
autorités financières du pays- pour le secteur privé que
pour le secteur public.
Enfin, la détérioration de la balance des paiements courants,
à partir de 1996, témoignait d'une
dépendance
persistante de l'économie indonésienne vis-à-vis de
l'extérieur
. L'épargne nationale, tant publique que
privée, s'est en effet révélée très
inférieure au niveau requis pour réaliser les investissements qui
ont permis le développement économique. Le
recours à
l'emprunt extérieur
demeure essentiel et pèse lourdement sur
la dette extérieure, en accroissant sa composante à court
terme.
II. UNE RUPTURE BRUTALE : DE LA CRISE ÉCONOMIQUE AU CHANGEMENT POLITIQUE
Enclenchée à l'été 1997 avec la
chute de
la roupie, la crise économique et financière s'est étendue
à partir de janvier 1998 à tous les secteurs d'activité.
Il s'agit d'une véritable
rupture dans le cycle d'expansion
continue
qu'a connu l'Indonésie depuis près de trente ans et
d'une régression sans précédent entraînant un
appauvrissement brutal et immédiat du pays
.
L'ampleur de la crise justifiait l'appel à l'aide internationale et en
premier lieu au Fonds monétaire international. Mais les
réticences des autorités indonésiennes à mettre en
oeuvre certaines recommandations de la communauté internationale ont
pleinement mis en lumière les imbrications étroites entre
politique et économie en Indonésie.
Il était donc logique que les graves difficultés
économiques se répercutent dans la sphère politique,
d'autant que de longue date, l'année 1998, année du
renouvellement présidentiel, avait été
présentée comme sensible au regard de l'avenir du régime.
Venue de la communauté étudiante, renforcée par les
victimes de la crise, la contestation politique a gagné des secteurs de
plus en plus nombreux de la société indonésienne, le
maintien du "système Soeharto" apparaissant désormais comme un
obstacle au retour de la confiance internationale et au rétablissement
de l'économie du pays.
A. UNE CRISE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE SANS PRÉCÉDENT
Par son ampleur et ses conséquences, la crise indonésienne dépasse de beaucoup les difficultés que rencontrent les autres pays de la région. Elle constitue la manifestation la plus aiguë et la plus spectaculaire de la crise asiatique en raison du recul brutal qu'elle inflige à une économie jusqu'alors réputée florissante.
1. L'enchaînement de la crise économique indonésienne
Amorcée par un effet de contagion de la crise
monétaire asiatique, la crise indonésienne s'est amplifiée
au fur et à mesure que se révélaient les faiblesses
profondes de l'économie.
Ainsi, depuis l'été 1997, on assiste à une sorte de
dynamique négative qui provoque une dégradation continue de la
situation économique et financière.
L'origine de la crise est d'abord monétaire
. La roupie
indonésienne était depuis plus de dix ans ancrée au
dollar, moyennant une dépréciation de 3 à 5% par an
destinée à compenser le différentiel d'inflation. La crise
monétaire thaïlandaise de juillet 1997 a mis en lumière, au
delà de la dégradation des paiements extérieurs, les
déséquilibres profonds affectant les systèmes
économiques et financiers des pays de la région. A partir du mois
d'août, la roupie indonésienne a elle aussi fait l'objet de
très vives attaques spéculatives que les autorités,
obligées de laisser flotter la devise, ont tenté de contrer, en
consacrant près de 10 milliards de dollars de réserve de change
à la défense de la monnaie et en imposant un relèvement
drastique des taux d'intérêts.
Le
rapport roupie indonésienne/dollar américain
, qui
était
au début de l'année 1997 de 2 400 roupies
pour un dollar, a franchi la barre des 3 000 en septembre 1997.
Dans un deuxième temps, au cours de l'automne 1997, les autorités
indonésiennes ont tenté de retrouver la confiance de la
communauté internationale, en élargissant les possibilités
d'investissements étrangers, en gelant ou rééchelonnant
des projets représentant une charge financière pour le secteur
public et en faisant appel à l'assistance du Fonds monétaire
international.
Cette réaction n'a pas eu les effets escomptés et dès le
mois de décembre le rapport roupie/dollar dépassait les 4 000
pour terminer l'année à plus de 5 000. Malgré cette
dépréciation de plus de 50 %,
l'économie du pays a
continué à bénéficier des acquis des premiers mois
de 1997.
A partir de
janvier 1998
,
la crise s'est étendue à
l'ensemble des sphères de l'économie
.
Les doutes sur la capacité du régime à engager le
programme de réforme du FMI, qui impliquait la remise en cause
d'intérêts proches du pouvoir, la présentation d'un projet
de budget 1998/1999 jugé irréaliste par ses prévisions de
croissance et de taux de change, ont provoqué une
seconde tourmente
monétaire, le seuil de 10 000 roupies pour un dollar étant
franchi le 8 janvier 1998.
En cinq mois, la monnaie perdait ainsi les
trois-quarts de sa valeur.
Depuis le début de l'année 1998, tous les efforts pour enrayer la
crise monétaire ont été vains. Le général
Soeharto a dû renoncer au projet, inspiré par un économiste
américain, de "currency board" qui aurait conduit à une
parité fixe entre le dollar et la roupie indonésienne. Un tel
projet paraissait peu réaliste compte tenu des faibles réserves
de change du pays et il a constitué un nouveau motif de conflit entre le
gouvernement indonésien et les institutions financières
internationales. Cet épisode n'a finalement contribué qu'à
affaiblir la monnaie et alors que l'objectif était de ramener le dollar
à un cours proche de 5 000 ou 6 000 roupies, le taux de change n'est
guère passé en dessous de 8 000 roupies pour un dollar, avant de
franchir à nouveau le seuil de 10 000 au mois de mai.
Les conséquences de la crise sont multiples.
Elles concernent tout d'abord la
chute de l'activité
économique,
elle-même liée à plusieurs facteurs
: l'effondrement du système bancaire indonésien et l'arrêt
des financements étrangers, alors que les entreprises
indonésiennes ne peuvent régler leurs dettes en devises, le
niveau élevé des taux d'intérêt, le
renchérissement des importations, qui pénalise l'industrie, y
compris dans les activités exportatrices, la contraction de la demande
intérieure qui provoque des effets très sensibles sur les
secteurs de l'automobile et des transports, l'annulation ou le report de grands
projets, notamment dans la construction.
La crise se manifeste également par une
hyper-inflation
qui
dépassera très largement 50 % sur l'année 1998.
Elle se traduit par la multiplication des
faillites de banques ou
d'entreprises
, prises en tenaille entre une dette en devises insupportable
et un brutal arrêt de l'activité.
Elle entraîne des licenciements massifs, une
montée du
chômage et de la pauvreté
.
Tous ces facteurs agissent les uns sur les autres pour entretenir une
véritable
spirale récessive
.
A cette crise sévère s'ajoutent
deux facteurs aggravants :
-
le
faible cours du pétrole,
alors que les recettes
énergétiques assurent 20 % du financement du budget de
l'Indonésie ;
- la
sécheresse persistante,
imputée au
phénomène climatique El Niño, qui laisse entrevoir une
production de riz inférieure à celle des deux dernières
années et un déficit important. La difficulté de couvrir
par ailleurs les besoins en blé, soja ou poudre de lait,
réglés en devises, la hausse des denrées alimentaires de
première nécessité et les effets de la crise sur le revenu
des familles pourraient provoquer, dans certaines régions, une
situation alimentaire critique.
2. Les causes profondes de la crise
Comme
dans d'autres pays d'Asie, mais avec plus de relief encore, la crise
indonésienne met en lumière le caractère fragile et
souvent malsain des fondements de la forte expansion économique des
dernières années.
Le
développement incontrôlé du secteur bancaire,
alors que l'absence de cadre réglementaire solide favorisait les
pratiques imprudentes, voire frauduleuses, a permis de financer au delà
du raisonnable des investissements à la rentabilité douteuse, que
ce soit dans l'immobilier ou l'industrie. Le système bancaire s'est
effondré sous l'effet de la crise monétaire. Seize banques ont
été liquidées à l'automne et sept autres au
printemps, plusieurs autres voyant leurs activités suspendues.
La croissance économique a également fait appel à un
endettement extérieur considérable
, lui aussi
incontrôlé et d'ailleurs sous-estimé par les
autorités indonésiennes. La réussite économique du
pays et le maintien artificiel d'un taux de change ancré au dollar ont
favorisé un
endettement en devises excessif
. La dette
extérieure indonésienne est évaluée à 140
milliards de dollars, dont environ 65 milliards de dollars de dette publique
(Etat et banques publiques) et 75 milliards de dollars de dette privée.
En raison de la déficience des moyens de contrôle, cette
dernière a été sous-estimée, les observateurs
estimant que l'essentiel de la dette extérieure émanait de l'Etat
indonésien. Le niveau élevé de la dette extérieure
publique ne suscitait pas d'inquiétude, dans la mesure où il
était stable, bien échelonné dans le temps et que l'Etat
n'avait jamais été pris en défaut de paiement. Cette
réalité a occulté
l'emballement de la dette
extérieure privée
qui constitue pour l'essentiel une
dette
à court terme
et porte sur des entreprises fragiles.
Les résultats flatteurs de l'économie indonésienne ont
également masqué un
manque de compétitivité et
d'efficacité dû à l'opacité et au peu de
transparence du système
, qui entravaient le jeu des règles du
marché. On touche ici aux imbrications étroites entre les
dirigeants politiques et les milieux économiques, qui expliquent le
maintien de monopoles ou de cartels disposant de rentes de situation
liées à des concessions ou des privilèges divers, des
droits de douane protecteurs pour certaines activités, une politique de
crédit marquée par le favoritisme, et d'une manière
générale, une tendance très forte à la corruption,
au népotisme, à la collusion d'intérêts, qui allait
bien souvent à l'encontre de la rationalité économique.
Enfin, dans les causes profondes de la crise, une mention particulière
doit être faite au
facteur politique
, qui a pour une large part
ruiné la confiance de la communauté internationale dans
l'économie indonésienne. Dès le déclenchement de la
crise à l'été 1997, il est apparu que les réformes
structurelles annoncées par les autorités indonésiennes
trouvaient leurs limites dans la préservation des intérêts
de la famille du général Soeharto et de ses proches. Si une
banque contrôlée par un fils du Président était
fermée, ce dernier était autorisé quelques jours plus tard
à en racheter une autre. De même, le gouvernement est-il revenu
sur sa décision de reporter des grands projets d'infrastructures qui
impliquaient des amis ou des enfants du Président. De fortes
réticences sont également apparues face à la suppression,
réclamée par le FMI, de privilèges réglementaires,
fiscaux ou douaniers attribués à des proches, comme pour la
voiture nationale Timor ou le monopole de commercialisation du clou de girofle.
Il en va de même pour la suppression des cartels dans le secteur du
papier, du ciment ou du contreplaqué.
A cet égard, la présence au sein du gouvernement formé au
mois de mars de la propre fille du Président et du "roi du
contreplaqué" Bob Hassan augurait mal de la volonté de mettre fin
à ces pratiques, ce sentiment étant conforté à
l'occasion du spectaculaire "bras de fer" opposant le régime au FMI.
Aussi, le régime, qui avait durant plusieurs décennies
incarné la réussite économique, est-il apparu de plus en
plus, en raison de son mode de gouvernement, comme
un obstacle au
rétablissement de la confiance internationale
et un facteur
d'aggravation de la situation économique.
B. L'AMPLIFICATION DE LA CONTESTATION POLITIQUE
La réélection à la présidence, pour un 7e mandat, du général Soeharto, l'accession de M. Habibie à la vice-présidence et la formation d'un nouveau gouvernement au mois de mars semblaient indiquer un "verrouillage" plus fort que jamais du système politique indonésien. Celui-ci n'a pas résisté à une contestation de plus en plus ouverte du "système Soeharto" qui ne laissait plus au Chef de l'Etat que l'issue de la démission.
1. Des apparences trompeuses : la réélection du général Soeharto et la mise en place d'un nouveau gouvernement
De
l'avis de nombreux observateurs, l'année 1998 devait s'avérer
particulièrement délicate, sur le plan politique, pour
l'Indonésie, car elle devait conduire à poser clairement la
question de la
succession du général Soeharto,
âgé de 76 ans, arrivant à l'échéance de
son 6e mandat.
Déjà, la campagne électorale pour les élections
législatives du mois de mai 1997 s'était
caractérisée comme la plus violente de ces trente
dernières années, avec près de 300 morts. Le score
élevé du Golkar, le parti officiel, ne pouvait masquer une
montée du mécontentement populaire qui n'avait pas
hésité à se manifester sur le thème de la
corruption ou des inégalités sociales.
A ces signes d'usure du pouvoir s'est ajouté l'effet de la crise
économique
, qui ne pouvait que renforcer la contestation de
l'équipe dirigeante.
Toutefois, le général Soeharto est apparu plus imperméable
que jamais aux turbulences politiques.
Alors que l'Indonésie s'enfonçait dans la crise, sa
réélection par acclamation le 10 mars
par
l'Assemblée consultative du peuple est apparue une fois encore comme une
formalité.
Le choix d'un civil, en l'occurrence le
Dr Habibie,
pour la
vice-présidence,
alors que le poste était occupé
depuis plusieurs années par un militaire, apparaissait comme une marque
d'affirmation de l'autorité présidentielle sur l'armée. En
confiant cette responsabilité à un proche, il s'agissait
également de montrer que le Président n'entendait pas se laisser
déstabiliser par les attaques visant son entourage. Enfin, le choix d'un
homme qui symbolisait le volontarisme industriel national, si critiqué
par le FMI au nom du libéralisme, signifiait également que
l'Indonésie ne voulait pas se laisser dicter sa conduite par
l'étranger.
Le
nouveau gouvernement
portait également la marque du
Président. Sa fille "Tutut" recevait le portefeuille des Affaires
sociales tout en étant appelée à jouer un rôle
réel beaucoup plus important. Certains observateurs envisageaient sa
candidature à la présidence du Golkar, ce qui pouvait, à
terme, la désigner en vue de la succession.
De même, des proches étaient nommés aux principaux postes
de l'armée, tel le général Wiranto, ancien aide de camp du
Président, au ministère de la défense, et le
général Prabowo, gendre de Soeharto, à la tête des
réserves stratégiques.
Une fois encore, le général Soeharto semblait renforcer son
emprise sur le régime, en alliant une pratique autoritaire du pouvoir
à un subtil jeu d'équilibre qui s'est appuyé
successivement sur l'armée, l'islam et certains milieux d'affaires.
Mais la gravité de la crise économique allait faire perdre au
pouvoir, aux yeux d'un nombre grandissant d'Indonésiens, sa
légitimité politique et conduire à une contestation
massive du "système Soeharto".
2. La contestation grandissante du "système Soeharto"
Pour
beaucoup d'observateurs, la solidité et la stabilité du
régime du général Soeharto tenaient à une sorte
de
consensus tacite
aux termes duquel le développement
économique et l'élévation rapide du niveau de vie avaient
pour contrepartie l'acceptation du pouvoir en place, malgré son
caractère autoritaire et son inclination pour la corruption ou le
népotisme. Il faut d'ailleurs souligner que si les proches du
Président ont particulièrement profité du décollage
économique, c'est un ensemble très large de fonctionnaires ou
d'entrepreneurs qui ont également tiré des dividendes du
système, et qui avaient d'une certaine manière
intérêt à son maintien.
Il est également reconnu que l'essentiel des intérêts
financiers accumulés par la famille présidentielle, quel que soit
le caractère contestable des méthodes utilisées pour les
acquérir, proviennent d'investissements réalisés en
Indonésie qui ont contribué au développement du pays.
De manière plus générale, on évoque volontiers la
tradition javanaise de soumission à l'autorité
établie
, de déférence envers le détenteur du
pouvoir, surtout s'il est âgé, de refus du conflit frontal.
La brutale remise en cause du développement économique a fait
voler ce consensus en éclat.
La délégation de votre commission a été
frappée, lors de ses rencontres avec des étudiants, de la
vigueur de la contestation universitaire
dans sa condamnation de
l'exercice autoritaire du pouvoir et des liens entre pouvoir politique et
intérêts économiques. Confinée dans un premier temps
à l'enceinte des campus, sous contrôle étroit de
l'armée, cette contestation s'est élargie à l'ensemble de
la société.
La délégation a pu également constater que
la
presse
, réputée docile et peu audacieuse,
s'est fait
l'écho de plus en plus ouvertement des revendications des
étudiants
, des aspirations aux réformes économiques et
politiques et de la condamnation de la corruption, de la collusion et du
népotisme, reprises sous l'acronyme "KKN".
Les ressorts de ce que l'on appelle sans détour "le système
Soeharto", jusqu'alors allusivement évoqués, sont devenus
très clairement dénoncés par les contestataires et
reconnus par bon nombre de responsables politiques, économiques ou de la
société civile.
Le
"système Soeharto"
se caractérise à la fois par
l'ampleur considérable des intérêts économiques
et financiers de la famille du Président
et par
la protection que
leur accorde le pouvoir politique
.
Chacun des six enfants du général Soeharto est en effet
impliqué dans l'économie indonésienne, souvent en
partenariat avec des hommes d'affaires indonésiens ou étrangers.
La fille aînée du Président, "Tutut", intervient ainsi dans
les autoroutes à péage, les infrastructures et l'audiovisuel,
tout en ayant des participations dans le système bancaire. Parmi les
fils de Soeharto, Sigit est présent dans le domaine bancaire, la
pétrochimie et l'automobile, Bambang dans l'automobile, les
télécommunications et le textile, Tommy dans le transport
pétrolier et l'automobile. A vrai dire, peu de secteurs de
l'économie indonésienne n'intéressent pas, de près
ou de loin, la famille du général Soeharto.
Dans ces conditions, de multiples décisions gouvernementales ont fait
apparaître la
collusion entre pouvoir politique et
intérêts familiaux
.
On citera par exemple les protections tarifaires dont bénéficie
la société pétrochimique détenue par Bambang, le
monopole sur la vente du clou de girofle, élément essentiel dans
la fabrication des cigarettes indonésiennes, dont
bénéficie Tommy. Ce dernier avait également obtenu
l'exemption des lourdes taxes qui frappent l'importation d'automobiles
étrangères pour lancer en partenariat avec un constructeur
sud-coréen et avec le soutien de banques publiques, la fabrication d'une
automobile nationale, la "Timor".
Ce constat pourrait également être étendu à d'autres
membres de la famille du général Soeharto, et à nombre de
ses amis proches.
Aux yeux de l'opinion publique, l'enrichissement considérable de
l'équipe dirigeante est devenu de moins en moins supportable à
mesure que le pays s'enfonçait dans la crise. Par ailleurs, les
pratiques de collusion allaient à l'encontre des aspirations des classes
moyennes issues du développement économique, soucieuses d'une
répartition plus équitable des fruits de la croissance et d'une
plus grande égalité des chances.
L'
amplification de la contestation
a résulté de la
conjugaison de trois facteurs :
- la
généralisation des mouvements étudiants
et
leur expansion en dehors des campus avec le soutien des puissantes associations
musulmanes, sans que l'armée, malgré quelques disparitions
inexpliquées d'opposants qui lui sont imputées, n'intervienne,
- le
développement des émeutes liées à la crise
économique
dans les grandes villes, qui
dégénèrent en pillages prenant principalement pour cible
la communauté chinoise, et qui contribuent à entretenir un climat
de chaos,
-
l'évolution de nombreux responsables politiques, militaires,
économiques
, qui prennent conscience de la dégradation
accélérée de la situation et qui considèrent que le
maintien du général Soeharto à la tête de l'Etat
entraîne le pays dans le chaos et devient un obstacle majeur au retour de
la confiance et au rétablissement de l'économie.
La généralsiation des désordres et des émeutes a
fait basculer une large part de ces responsables qui avaient jusqu'alors
campé dans un attentisme prudent, tout en reconnaissant, mais pas
publiquement, la nécessité de réformes politiques.
A cet égard, la décision prise le 20 mai, sous la pression des
étudiants, par le parti majoritaire, le Golkar, de demander une session
extraordinaire de l'Assemblée consultative du peuple devant se prononcer
sur la démission du Président et du Vice-Président, a
été décisive.
Ainsi, le Parlement s'est-il affranchi de la tutelle que lui imposait
l'exécutif, au point d'envisager la mise en oeuvre d'une
procédure de destitution à l'encontre du Président. Pour
éviter une telle issue, le
général Soeharto
présentait sa démission le 21 mai dernier
, permettant au
vice-président Habibie, d'accéder, selon les formes
constitutionnelles, à la Présidence de la
République.
III. L'INDONÉSIE APRÈS SOEHARTO : DE LOURDES HYPOTHÈQUES SUR L'ÉVOLUTION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE
La démission du général Soeharto sur fond de crise politique aiguë ouvre pour l'Indonésie une période d'incertitude, à la fois quant à la nature de la transition qui semble s'amorcer et quant aux perspectives d'une éventuelle alternance. Au plan économique, l'Indonésie paraît durablement affaiblie dans un environnement régional très dégradé.
A. UNE TRANSITION POLITIQUE CHARGÉE D'INCERTITUDES
La
démission du général Soeharto, le 21 mai dernier, ne met
en rien un point final à la crise
qui secoue l'Indonésie
depuis 9 mois. L'Indonésie entre dans une transition dont il est
aujourd'hui difficile de mesurer l'ampleur et le rythme et qui appelle
plusieurs questions :
- quelle est la marge de manoeuvre du nouveau président ?
- quelle peut être l'alternative au régime actuel ?
- va-t-on assister à une montée de l'islam, en tant que force
politique ?
- quel rôle peut jouer l'armée dans les mois à venir
?
1. Quelle sera la marge de manoeuvre du nouveau pouvoir ?
Dès la démission du général
Soeharto, le
vice-président Habibie s'est vu transmettre, conformément
à la Constitution, les pouvoirs présidentiels.
Ingénieur aéronautique de formation, ayant longtemps
séjourné en Allemagne, le Dr Bacharuddin Jusuf Habibie, ministre
de la recherche et de la technologie depuis 1988, apparaît comme le
collaborateur le plus proche et le plus fidèle du général
Soeharto. Musulman pratiquant, il a fondé avec l'appui de ce dernier,
l'association des intellectuels musulmans (ICMI) en 1990, qui se veut le tenant
d'un islam moderniste et réformiste. Sur le plan politique, il symbolise
les projets ambitieux visant à doter l'Indonésie d'une industrie
nationale de haute technologie, ce qui lui a valu de sévères
critiques sur les dérives financières de tels projets.
Le nouveau gouvernement mis en place le 21 mai a repris l'ossature du cabinet
précédent, en écartant toutefois les personnalités
les plus proches du général Soeharto, tels sa fille Tutut ou
l'homme d'affaires Bob Hasan, et en favorisant l'arrivée de ministres
n'appartenant pas au parti officiel et issus du parti musulman (PPP) ou du
parti démocratique indonésien (PDI). Ce nouveau gouvernement se
caractérise également par le recours à un nombre important
de "technocrates".
Le nouveau Chef de l'Etat, dans ses premières déclarations, s'est
engagé sur la mise en chantier de réformes politiques, juridiques
et économiques dont le contour reste cependant imprécis.
La question principale tient à l'organisation d'élections
législatives anticipées
, éventuellement suivies d'une
nouvelle élection présidentielle. Il s'agit là d'une
échéance déterminante pour l'évolution du pays dans
la mesure où elle permettrait de trancher l'alternative suivante :
une reconduction du parti au pouvoir qui pourrait faciliter le maintien du
Président Habibie ou du moins de ceux qui l'entourent, ou un
succès des forces d'opposition qui déboucherait sur la mise en
place d'une nouvelle équipe dirigeante.
Pour l'heure, aucune de ces deux éventualités ne paraît
s'imposer. Les conditions d'organisation d'une consultation électorale
en 1999 font toujours l'objet de débats.
Il faut rappeler que les élections de 1997 s'étaient
déroulées sous l'empire d'une législation limitant
sévèrement l'expression du suffrage, seuls trois partis
étaient autorisés, dont deux ne pouvaient en pratique mener
campagne sur l'ensemble du territoire national.
Si l'organisation d'élections législatives, annoncée pour
la fin de l'année 1999, peut satisfaire les aspirations d'une opinion
publique avide de changement, encore faudra-t-il d'ici là, pour que ces
élections aient un sens, modifier profondément la
législation sur les partis politiques et la propagande électorale.
D'une manière plus générale,
la marge de manoeuvre du
nouveau Chef de l'Etat paraît étroite
, limitée par la
montée des oppositions et la gravité de la crise
économique. Très lié au général Soeharto, il
incarne la continuité et aucune des personnalités qui ont pris
part à la contestation politique ou l'ont soutenue ne se sont
ralliées à son gouvernement. Aussi devra-t-il satisfaire
rapidement, par des actes concrets, les aspirations aux réformes d'une
large partie de la population, faute de quoi l'instabilité politique
pourrait à nouveau gagner le pays. Mais par ailleurs,
l'Indonésie, aujourd'hui plus dépendante que jamais de la
solidarité internationale, ne peut se permettre de nouveaux
désordres politiques ou un vide du pouvoir, ce qui pourrait plaider en
faveur d'une transition mesurée.
2. Existe-t-il des alternatives au régime actuel ?
Le
contrôle étroit imposé par le général
Soeharto sur la vie politique durant trente ans a étouffé toute
velléité d'opposition et contrecarré l'émergence de
mouvements organisés.
Les deux partis dits "d'opposition", c'est-à-dire le parti musulman
(PPP) et le parti démocratique indonésien (PDI) ont
été contenus dans des limites très strictes et ne se sont
guère émancipés de la tutelle qu'exerçait le
pouvoir à leur endroit. A aucun moment ces deux formations ne sont
apparues en mesure de se poser en alternative crédible en cas de
changement politique.
S'agissant de l'
opposition extra-parlementaire
, la
délégation, lors de son séjour à Jakarta, a
constaté qu'elle tardait à prendre le relais de la contestation
estudiantine.
Mme Megawati Soekarnoputri,
fille de l'ancien président Soekarno,
a dû mener son combat en dehors de toute organisation politique depuis
son éviction forcée, à l'instigation du pouvoir, de la
présidence du parti démocratique indonésien. La
délégation de votre commission a rencontré Mme Megawati et
a constaté qu'elle jouissait d'une popularité réelle, et
disposait de collaborateurs déterminés. Pour autant, ses moyens
d'action demeurent limités.
La délégation a également rencontré les
représentants de la
Muhammadiyah
, puissante organisation qui
regroupe 28 millions de musulmans, dirigée par
Amien Rais
. Ce
dernier a pris une part très active dans les événements,
en multipliant les réunions au contact des étudiants. La
délégation a pu constater que cette organisation s'était
consacrée à l'élaboration d'un programme
détaillé, en vue d'une éventuelle transition : les
réformes politiques, la lutte contre la corruption et le
népotisme, le démantèlement des monopoles ainsi que
diverses propositions rejoignant celle du FMI en sont les principaux
éléments.
Tout en annonçant son intention d'être candidat à la
prochaine élection présidentielle, Amien Rais a adopté
depuis le 21 mai une
attitude temporisatrice
, soucieuse de ne pas
brusquer les étapes de la transition. Son organisation est apparue
à la délégation comme l'une des seules forces
constituées de nature à proposer, d'une manière
relativement précise bien qu'embryonnaire, une alternative politique.
Il n'en demeure pas moins qu'au stade actuel, les forces d'opposition
semblaient souffrir de plusieurs handicaps :
- leur dispersion, qui pourrait s'accroître encore si les partis
politiques étaient désormais librement autorisés,
- et leur inexpérience du pouvoir à un moment où le
relèvement du pays passe par la restauration de la confiance
internationale.
3. Va-t-on vers l'émergence d'un islam politique ?
En se
dotant en 1945 d'une idéologie nationale, le Pancasila, qui professe le
monothéisme sans privilégier l'islam et garantit le respect des
religions minoritaires, la République indonésienne dans ses
fondements même, semble indissolublement liée à la
neutralité religieuse.
Durant la première partie de sa présidence, le
général Soeharto s'est appliqué à
"dépolitiser" l'islam.
De fait, les puissantes organisations musulmanes se sont cantonnées
à des fonctions sociales et éducatives, sans interférence
avec la sphère politique.
La plus importante d'entre elles, le
Nahdlatul Ulama
, regroupe 35
millions de membres, surtout dans les zones rurales. Dirigé par un
intellectuel modéré,
Abdurrahman Wahid
, il incarne un
islam traditionaliste. Il intervient dans le secteur éducatif, avec
notamment plusieurs milliers d'écoles coraniques, dans le secteur
social, en matière de prévention nationale et infantile, ou
encore dans le secteur économique, avec des coopératives et des
banques de crédit rural.
La
Muhammadiyah
, dirigée par
Amien Rais
, a pour sa part
été fondée en 1912, dans un objectif réformiste et
moderniste. Elle s'apparente à un islam plus urbain, proche des classes
moyennes, et se consacre elle aussi à des tâches caritatives et
éducatives. Elle regrouperait 28 millions de membres.
Depuis le début des années 1980, on assiste à un
renforcement progressif de l'influence politique de ces organisations
et
parallèlement, le régime Soeharto a cherché dans l'islam
un nouvel appui pour consolider son assise, avec la création en 1990 par
le Dr Habibie de
l'association des intellectuels musulmans
d'Indonésie
(ICMI).
Cette
montée de l'islam
se manifeste à un double niveau.
Tout d'abord, les
références à la religion
se font
de plus en plus fréquentes et nombreuses dans la vie politique et
sociale. On observe un
renouveau de la pratique religieuse
, alors que le
gouvernement a encouragé la construction de mosquées.
L'observation des rites
se fait plus rigoureuse, le
port du
foulard
se généralise, y compris chez les jeunes, le
pèlerinage
à La Mecque attire chaque année un
nombre grandissant de fidèles. Lors des échanges informels
qu'elle a pu tenir avec de jeunes étudiants, la délégation
de votre commission a ressenti l'importance du facteur religieux, d'autant que
dans des universités où toute activité politique et
syndicale était proscrite, les associations musulmanes
s'avéraient les seuls lieux de réunion et d'échange pour
les étudiants.
Cette tendance de fond se traduit également par une
réapparition de l'islam sur la scène politique.
On le voit
par l'intérêt porté par le régime Soeharto à
l'islam, potentiel allié politique, et le rôle de l'ICMI. On le
voit également avec l'émergence d'Amien Rais et la participation
active de la Muhammadiyah à la campagne de contestation du
régime. Le Nahdlatul Ulama, souvent jugé plus proche du pouvoir,
n'est pas resté à l'écart des événements et
a lui aussi lancé des appels en faveur des réformes, contre la
corruption et le népotisme. Ainsi
l'islam semble-t-il s'affirmer
comme un nouvel enjeu de la politique indonésienne,
entraînant
les acteurs de la vie politique dans une sorte de surenchère.
Cette évolution appelle deux questions complémentaires.
Tout d'abord
, l'Indonésie peut-elle s'orienter vers le modèle
d'une république islamique
, qu'elle avait rejeté lors de
l'indépendance ? Un tel scénario suscite des réserves au
sein de l'armée et bien sûr dans les religions minoritaires. Elle
pourrait également mettre en cause l'unité du pays, compte tenu
de la forte proportion de non musulmans dans des îles de l'est de
l'archipel. Pour autant,
le facteur religieux parait appelé à
jouer un rôle plus important dans la vie politique
indonésienne
.
Ensuite, existe-t-il
un risque de développement du fondamentalisme
intégriste
? Pour le moment, l'islamisme radical semble
extrêmement minoritaire et réprouvé par les principaux
dirigeants. Il est peu conforme aux traditions indonésiennes, qui ont
façonné un islam tolérant et modéré.
L'extrémisme s'est cependant manifesté à l'occasion
d'attentats par le passé et dans une certaine mesure, les violences qui
ont accompagné la campagne électorale de 1997 ont pu avoir un
caractère religieux. Les organisations musulmanes sont toutefois
traversées de tendances diverses, qui ne se retrouvent pas toujours dans
les positions modérées des dirigeants principaux. Bien
qu'aujourd'hui très minoritaire, l'extrémisme islamiste pourrait
trouver un terreau favorable dans la crise économique, l'appauvrissement
des masses et le désordre politique, en tirant argument de
l'échec du modèle de développement à l'occidentale
mis en oeuvre dans les trente dernières années.
4. Quel sera le rôle de l'armée dans l'évolution politique ?
Comme on
l'a déjà souligné, l'armée joue un rôle
politique de premier plan en Indonésie depuis 1945, et ce rôle
s'est bien entendu accru avec l'arrivée au pouvoir du
général Soeharto.
De tous les piliers du régime, l'armée est apparue comme le
plus solide.
L'armée n'a pu enrayer la contestation politique, mais elle a
conservé un certain contrôle de la situation. Elle a dans un
premier temps contenu l'agitation étudiante au sein des campus, et
lorsque celle-ci a gagné l'ensemble du territoire, elle a observé
une certaine retenue, de manière à ne jamais totalement se couper
des contestataires.
Lors de son séjour, la délégation a constaté que
plusieurs chefs militaires avaient tenu à rappeler que l'armée
constituait une émanation du peuple, dont elle était le
protecteur naturel.
L'évacuation sans violence des étudiants qui occupaient le
Parlement ou son souci du respect des formes constitutionnelles pour le
départ du chef de l'Etat semblent montrer qu'elle se considère
plus que jamais comme la garante de la République et de l'unité
du pays.
Les déclarations du général Wiranto, ministre de la
Défense et commandant en chef des forces armées, à propos
du maintien de l'ordre et du nécessaire respect de la constitution,
illustrent la volonté de l'armée de ne pas laisser dériver
la transition politique en cours.
Certes, les événements récents ont également
révélé les clivages qui traversent l'armée. On l'a
vu avec le rôle controversé du général Prabowo,
gendre de Soeharto et chef des réserves stratégiques. Mais on
peut présumer que l'ordre public, l'intégrité et
l'unité du pays constitueront pour l'armée des motifs
d'intervention dans le cours des événements politiques.
B. UNE ÉCONOMIE TRÈS AFFAIBLIE DANS UN CONTEXTE RÉGIONAL DEGRADÉ
Mois après mois, l'économie indonésienne s'est enfoncée dans la crise et doit désormais affronter une récession sans précédent. Elle subit avec une acuité extrême une dégradation économique commune à tous les pays de la zone. Elle reste largement dépendante de l'aide internationale qui ne lui sera accordée qu'en contrepartie de profondes et difficiles réformes.
1. L'affaiblissement durable de l'économie indonésienne
Quelques
mois après le déclenchement de la crise monétaire, en
août 1997, puis de sa généralisation et de son
amplification en janvier 1998, l'économie indonésienne
paraît gravement et durablement affaiblie.
Aux facteurs qui entraînent la plupart des pays d'Asie dans la
récession s'ajoutent des facteurs proprement nationaux.
En premier lieu,
l'Indonésie se trouve
au coeur d'une grave
dépression qui touche toutes les économies de la
région
. Contrairement à certaines prévisions,
les
effets de la crise asiatique se prolongent
et ce sont les structures de ces
économies elles-mêmes qui sont en cause. La chute des
marchés financiers et la dépréciation des devises
s'accompagnent dans la plupart des pays de la zone d'une brutale
récession.
Tout d'abord, l'afflux des financements qui avait permis un niveau
d'investissement considérable, et sans doute excessif, est
désormais stoppé. La prudence des investisseurs internationaux,
le retrait des banques étrangères qui s'avèrent trop
exposées dans la région et les difficultés des banques
nationales conduisent à un arrêt du crédit qui amplifie les
effets de la récession.
D'autre part, la relance des exportations sous l'effet des
dépréciations monétaires, qui pouvait contribuer à
une sortie de crise, ne s'est pas produite. Les industries exportatrices,
souvent dépendantes de matières premières ou de produits
intermédiaires importés, sont finalement plus
pénalisées que favorisées par la
dépréciation monétaire. Elles ne sont pas venues compenser
la baisse de la demande intérieure.
Enfin, le haut niveau des échanges à l'intérieur de la
zone asiatique a contribué à amplifier la crise, les pays
s'entraînant mutuellement dans la récession du fait de leur
interdépendance.
Dans cet environnement régional très défavorable,
l'Indonésie paraît la plus touchée et durablement
affaiblie.
Sur le plan macroéconomique, les prévisions déjà
pessimistes établies en début d'année ont
été revues à la baisse. Selon les autorités
indonésiennes, la régression du PIB a atteint 8,5 % au premier
trimestre et s'élèverait à 10 % sur l'ensemble de
l'année. L'inflation devrait approcher voire dépasser les
50 %. Alors que les finances publiques indonésiennes étaient
traditionnellement équilibrées, le déficit public
prévu se monterait à 3,8 % du PIB.
Dans le cadre des discussions avec le FMI, une stabilisation de la roupie
indonésienne au cours de 6 000 roupies pour un dollar à
partir du second semestre était escomptée. Quand bien même
cette hypothèse très optimiste se réaliserait, ce qui est
loin d'être le cas aujourd'hui, elle signifierait une
dépréciation de 60 % de la monnaie sur une année, ce qui
demeure considérable et traduit un appauvrissement du pays.
La détérioration du tissu industriel n'a pas encore produit tous
ses effets et le
chômage,
déjà en forte hausse
depuis le début de l'année, devrait s'amplifier sous l'effet de
nouveaux licenciements et de l'arrivée sur le marché du travail
des jeunes générations. Bien qu'il soit difficile de disposer
d'évaluations statistiques précises, en raison de l'importance du
secteur informel, les services officiels estiment que
le nombre de
chômeurs pourrait atteindre 9 millions de personnes d'ici la fin de
l'année 1998
, soit deux fois plus qu'en 1996. Encore ce chiffre
peut-il apparaître comme une estimation basse. Par ailleurs, on estime
qu'en raison de la croissance démographique l'Indonésie ne peut
absorber les 2,7 millions de personnes qui se présentent chaque
année sur le marché du travail qu'au prix d'une croissance
supérieure à 5 % par an. La récession, si elle
perdure, se traduira donc par une montée considérable du
chômage.
Chômage et hausse des prix, en particulier pour les produits de
première nécessité, provoquent un
appauvrissement
rapide de la population
. En effet, si l'Indonésie a pu se
prévaloir d'un revenu annuel par habitant supérieur à
1 000 dollars à partir de 1996, et d'un recul spectaculaire du
pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, il
faut préciser qu'avant la crise 80 % de sa population disposait d'un
revenu annuel moyen de 250 dollars seulement.
L'élévation du niveau de vie reste donc un acquis fragile que la
récession risque de brutalement remettre en cause. On peut s'attendre,
sous l'effet de la chute des revenus et de la hausse des prix, à une
augmentation massive des situations de pauvreté.
2. Un redressement suspendu à la question des réformes économiques et de la dette privée
Alors
que la plupart des pays asiatiques en crise ont rapidement réagi en
engageant de profondes réformes économiques, l'Indonésie a
pour sa part tardé à appliquer de telles mesures et a
laissé se détériorer tant sa situation intérieure
que la confiance extérieure.
Près de neuf mois après le déclenchement de la crise,
deux questions majeures pour le redressement ne sont pas totalement
éclaircies
: la mise en oeuvre des
réformes
économiques
et la renégociation de la
dette
privée.
L'absence de réaction rapide face à la crise a été
manifeste en ce qui concerne le processus de réforme économique,
sans doute en raison d'une prise de conscience tardive de la profondeur de la
crise, mais aussi parce que de telles réformes mettaient en cause le
fonctionnement même d'un système mêlant politique et
économie.
Dès l'automne 1997, à la suite de l'appel à l'assistance
financière du Fonds monétaire international, la question des
réformes structurelles a été posée. Ces
réformes concernaient l'assainissement du secteur bancaire, le report ou
la suppression de certaines dépenses publiques d'investissement, la
libéralisation du commerce international et des investissements
étrangers et le démantèlement des monopoles. Il s'agissait
à la fois de
favoriser un fonctionnement plus transparent et plus
compétitif de l'économie et de mettre fin à certains
privilèges indus,
instaurés au profit de quelques uns
à l'abri de mesures protectionnistes ou dirigistes, au détriment
de l'économie nationale.
C'est en contrepartie d'engagements de cette nature que
le FMI avait mis au
point, en octobre 1997, un programme d'intervention d'un montant total proche
de 30 milliards de dollars
, associant des aides multilatérales du
FMI lui-même, de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de
développement, et des aides bilatérales du Japon, de Singapour,
des Etats-Unis, de Brunei, de la Malaisie et de l'Australie. Dans ce cadre, une
première tranche de 3 milliards de dollars a été
versée dès le mois de novembre.
Très rapidement, un contentieux s'est créé entre les
autorités indonésiennes et le FMI sur la mise en oeuvre effective
de ce plan.
A la décharge du gouvernement indonésien, on doit souligner que
certaines mesures préconisées par le FMI entraînaient des
conséquences sociales sévères. Ainsi, la suppression des
subventions à certains produits de consommation courante ne pouvait que
provoquer une brutale hausse des prix et le démantèlement de
certains monopoles de distribution risquait de créer de réelles
difficultés dans l'approvisionnement des populations en produits de
première nécessité, surtout dans les territoires les plus
reculés de l'archipel.
Pour autant, d'autres mesures n'ont été différées
ou atténuées que parce qu'elles touchaient des
intérêts proches du Président et de sa famille. Il en
allait ainsi de certains investissements publics, suspendus dans un premier
temps, puis maintenus ensuite. C'était également le cas des
privilèges fiscaux, douaniers ou de crédit accordés
à la voiture nationale " Timor ", du monopole de la
commercialisation du clou de girofle, de la dissolution des cartels du ciment,
du papier et du contre-plaqué, ou encore des aides publiques au
constructeur aéronautique IPTN.
La réticence des autorités indonésiennes dans
l'application du plan de réforme a eu deux conséquences. La
première, immédiate, s'est traduite par un véritable
" bras de fer " avec le FMI
qui, après avoir
imposé un accord complémentaire le 15 janvier 1998, a suspendu le
versement d'une deuxième tranche de 3 milliards de dollars en mars,
avant que ne soit conclu, le 8 avril, un troisième accord. La seconde,
tout aussi dommageable, touchait à la confiance de la communauté
internationale en l'Indonésie, qui loin de se rétablir, a
continué à s'effriter.
A l'heure où le nouveau Chef de l'Etat prenait ses fonctions, la
question des réformes économiques était plus que jamais
à l'ordre du jour. Ces réformes impliquent une remise en cause
profonde du mode de fonctionnement de l'économie indonésienne et
par ailleurs, elles ne seront pas sans conséquence sur la situation
sociale. Elles ont été au coeur de la contestation politique qui
a provoqué la démission du général Soeharto, sont
attendues par la communauté internationale et conditionnent
également le versement d'une assistance financière dont le pays a
un besoin pressant.
Les premiers messages adressés par le Président Habibie semblent
reconnaître l'urgence de ces réformes, mais on peut encore se
demander si les fortes réticences apparues lors des derniers mois sont
aujourd'hui réellement vaincues.
Le second point d'achoppement pour une éventuelle sortie de crise est
celui de la
dette extérieure privée
.
Largement sous-estimée jusqu'à une date récente, elle se
monterait à 70 milliards de dollars. Ici encore, le
phénomène a été évalué tardivement et
son traitement n'a guère avancé durant plusieurs mois. Les
négociations engagées entre les banques
créancières, les autorités indonésiennes et le FMI
n'ont réellement débuté que le 15 avril. Après
avoir écarté un règlement "à la mexicaine", dans
lequel l'Etat se serait engagé à garantir aux débiteurs un
taux fixe pour la conversion en roupie de leur dette libellée en dollar,
les négociations se sont enlisées, laissant entrevoir aux
établissements bancaires étrangers des pertes très
importantes, dans une fourchette que les experts situaient entre 30% et 70%.
Un accord a finalement été conclu le 4 juin à Francfort.
Il prévoit une restructuration sur huit ans de la dette
extérieure des entreprises privées indonésiennes, avec un
délai de grâce de trois ans pendant lequel les
sociétés ne paieront que les intérêts. Le
gouvernement indonésien créera une agence de restructuration de
la dette indonésienne qui garantira aux débiteurs le montant de
leur dette en roupies et qui assurera aux créanciers le remboursement en
dollars.
Un rééchelonnement et également envisagé pour les
dettes interbancaires indonésiennes.
Enfin, les banques internationales se sont engagées à reprendre
les crédits nécessaires à l'exportation, avec la garantie
de la banque d'Indonésie.
Cet accord était considéré comme susceptible de
débloquer les financements internationaux du FMI et à la Banque
mondiale.
Il ouvre une période de répit pour les entreprises privées
débitrices tout en reportant sur l'Etat une partie du risque
financier.
DEUXIÈME PARTIE -
LES IMPLICATIONS DE LA CRISE
INDONÉSIENNE
SUR LE PLAN INTERNATIONAL
ET SUR LES RELATIONS
FRANCO-INDONÉSIENNES
Les
dernières décennies avaient vu une
affirmation progressive de
l'Indonésie sur la scène internationale
.
Quatrième pays du monde par sa population, l'Indonésie entendait
jouer un rôle diplomatique significatif, en particulier par son
engagement dans le mouvement des non-alignés. Mais c'est essentiellement
à l'échelle régionale qu'elle s'est
révélée comme un acteur majeur, par son rôle
très actif dans l'ASEAN.
L'émergence de l'Indonésie sur le plan international allait de
pair avec le décollage économique du pays. La crise
économique profonde que traverse le pays, alliée aux incertitudes
politiques, conduit bien entendu à reconsidérer cette
évolution, et au travers d'un certain
affaiblissement de
l'Indonésie au plan régional
, ce sont de nouvelles
interrogations sur l'avenir de l'Asie du sud-est et sur l'équilibre de
l'ensemble de la zone qui apparaissent.
En ce qui concerne les
relations franco-indonésiennes
, la crise
intervient au moment où celles-ci, encore modestes, prenaient leur
essor. C'est sur le plan des échanges économiques que les
répercussions négatives de la crise seront les plus fortes. Cette
période difficile ne doit pas pour autant conduire la France à
négliger un grand pays qui demeurera, quoi qu'il arrive, un acteur
important dans l'ensemble asiatique.
I. UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE CONFRONTÉE À UN ENVIRONNEMENT DÉFAVORABLE
Les efforts déployés durant ces dernières années par l'Indonésie pour mener une politique extérieure active au service de son rayonnement international viennent désormais se heurter à un environnement beaucoup moins favorable, tant au niveau mondial, où elle pouvait prétendre occuper une place de premier plan, qu'à l'échelle régionale où l'ASEAN, axe majeur de sa diplomatie, traverse une période de turbulences.
A. UNE POSITION FRAGILISÉE SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE
La crise politique et économique pourrait conduire l'Indonésie à revoir les ambitions qu'elle affichait sur la scène internationale, tout en ravivant le contentieux du Timor oriental, principal point de friction avec la communauté internationale.
1. Des ambitions diplomatiques qui pourraient être contrariées
Le
rôle international de l'Indonésie s'est affirmé dès
les années 1950, dans le cadre de la création du mouvement des
non-alignés et de l'émergence des pays nouvellement
indépendants. L'arrivée au pouvoir du général
Soeharto allait consacrer la normalisation des relations avec les pays
occidentaux mais aussi, dans un premier temps, un relatif effacement de la
scène internationale.
A partir des années 1980, l'Indonésie a renoué avec des
ambitions diplomatiques plus affirmées.
S'appuyant sur sa stabilité politique et sa relative réussite
économique,
l'Indonésie a pu revendiquer un rôle de
premier plan,
à la mesure de sa population de 200 millions
d'habitants, de sa position stratégique en Asie et de son potentiel de
développement.
Cette ambition s'est particulièrement déclarée en
septembre 1997 lorsque devant l'Assemblée générale des
Nations unies, le ministre des Affaires étrangères officialisait
le souhait de l'Indonésie d'occuper à l'avenir un
siège
de membre permanent au Conseil de sécurité.
Reflet de cette ambition, la politique étrangère
indonésienne s'est révélée active et
indépendante. Elle s'articule autour de deux axes : la
solidarité entre pays du sud
dans un dialogue constructif avec
les pays du nord d'une part, et la
solidarité du monde musulman
d'autre part.
En occupant la présidence du
mouvement des non-alignés
de
1992 à 1995 puis celle du groupe des 77 en 1997, l'Indonésie a pu
conforter son assise auprès des pays du sud, en souhaitant porter ses
efforts sur les questions économiques et en veillant à
éviter une confrontation avec les pays du nord. Elle participe
également au G15, groupe de pays du sud à l'économie
émergente.
Elle est par ailleurs très impliquée dans l'
Organisation de la
Conférence islamique,
dont elle a assuré la présidence
ministérielle en 1997. Dans cette enceinte, elle s'est
particulièrement engagée dans le soutien à la cause
palestinienne et pour la mise en oeuvre des accords de Dayton en Bosnie. Elle
montre ainsi qu'elle entend bien assurer son rôle de premier pays
musulman du monde.
A l'évidence, la crise économique et politique actuelle a
sérieusement ébranlé les fondements du crédit
international de l'Indonésie et la contraindra, dans un premier temps,
à limiter une action internationale qui allait en s'affirmant.
2. Vers une résurgence de la question du Timor oriental ?
La
communauté internationale n'a jamais reconnu l'invasion puis l'annexion
du Timor oriental par l'Indonésie et, pour l'ONU, le Portugal demeure la
puissance administrative de ce territoire.
Alors que sur le terrain, où l'Indonésie maintient une forte
présence militaire, les
affrontements violents
n'ont jamais
cessé, et que la population timoraise -850 000 habitants essentiellement
catholiques- est confrontée à une
situation économique
de plus en plus difficile
, les négociations tripartites associant
l'Indonésie, le Portugal et les Nations unies depuis 1984 n'ont
guère progressé.
Le Portugal a jusqu'à présent posé comme préalable
la reconnaissance du droit à l'autodétermination du Timor
oriental alors que l'Indonésie subordonnait toute évolution du
statut du territoire à la reconnaissance de son appartenance à
l'ensemble indonésien.
Parallèlement ont été engagées, toujours sous
l'égide des Nations unies, des rencontres "intra-timoraises" portant sur
les aspects économiques, sociaux et culturels de la question timoraise
et associant les Timorais exilés à l'étranger et ceux
résidant en Indonésie.
La création, en avril dernier à Lisbonne, d'un "conseil national
de la résistance nationale timoraise" qui entend rassembler l'ensemble
des sensibilités timoraises de l'intérieur et de
l'étranger, a été ressentie par Jakarta comme une
initiative "court-circuitant" le dialogue engagé par les Nations unies.
Dans la province, la résistance armée organisée par le
FRETILIN, mouvement indépendantiste qui avait pris le pouvoir en 1975,
se manifeste par des actions sporadiques visant moins les forces
indonésiennes que les Timorais jugés trop proches des
autorités de Jakarta.
Avec un degré d'intensité variable, la question du Timor oriental
revient périodiquement à l'ordre du jour et demeure
l'un des
handicaps majeurs de la diplomatie indonésienne
et son principal
point de friction avec les pays occidentaux, notamment avec l'Union
européenne, qui a adopté une position commune sur ce sujet.
Au cours des années récentes, l'Indonésie s'est ainsi
trouvée en difficulté face aux pressions internationales en
faveur d'une évolution de la situation.
L'attribution, en 1996, du prix Nobel de la Paix à Mgr Belo,
évêque timorais, et à M. Ramos Horta, porte-parole de la
résistance en exil, a constitué pour l'Indonésie un
sérieux revers. De même, la commission des droits de l'homme des
Nations unies a-t-elle adopté en 1997 une résolution,
coparrainée par l'Union européenne, sur ce point.
Longtemps au "point mort",
la question du Timor oriental pourrait revenir au
devant de la scène
sous l'effet de la démission du
général Soeharto, qui avive les espoirs de libéralisation
du régime, et de
l'accentuation de la pression internationale
sur
un pays affaibli. Celle-ci portera notamment sur la libération des
prisonniers politiques, notamment M. Xanana Gusmao, ex-dirigeant du FRETILIN
condamné à vingt ans de prison, et sur une évolution du
statut du territoire vers une autonomie accrue.
Ici encore, le nouveau gouvernement devra opter entre des signes d'ouverture,
tels que la reconnaissance d'une certaine autonomie de la province dans le
cadre d'un statut spécial, et le risque, en cas de blocage persistant de
la situation, d'une radicalisation de la jeunesse timoraise, fortement
touchée par le chômage et la pauvreté, et de l'explosion
d'un conflit latent depuis plusieurs années.
B. UN ACTEUR AMOINDRI EN ASIE DU SUD-EST
Depuis sa création en 1967, l'association des Nations du sud-est asiatique (ASEAN) constitue l'axe majeur de la politique extérieure indonésienne. Cette organisation, dans laquelle l'Indonésie a jusqu'ici joué un rôle pivot, ressent aujourd'hui les effets de la crise mais au-delà des turbulences qui affectent l'ASEAN, c'est la question du maintien de l'équilibre régional qui se pose.
1. La remise en cause du rôle de l'Indonésie dans l'ASEAN
Après avoir mis fin à la confrontation avec la
Malaisie, l'Indonésie s'est résolument engagée, à
partir de 1967 dans la
création de l'ASEAN,
laquelle comportait
également la Thaïlande, les Philippines et Singapour parmi ses
membres fondateurs. L'ASEAN s'est élargie au Brunei en 1984 et au
Vietnam en 1995, puis au Laos et à la Birmanie en 1997.
L'adhésion du Cambodge a été reportée à la
suite de la crise politique de l'été 1997.
L'Indonésie a fait de l'ASEAN la priorité de sa politique
étrangère
et de fait, elle constitue l'épine dorsale
de l'organisation. Elle a oeuvré pour son élargissement -y
compris à la Birmanie, contestée en raison de son régime
politique- et pour l'affirmation de son identité face aux principales
puissances de la zone Asie-Pacifique. Elle a orienté l'ASEAN vers des
objectifs de sécurité régionale, en particulier avec la
création du Forum régional de sécurité (ARF) en
1993 et la signature d'un traité de dénucléarisation de
l'Asie du sud-est en 1995.
Régie par des règles souples, qui se veulent respectueuses de la
souveraineté des Etats et du principe de non-ingérence, l'ASEAN a
permis à l'Indonésie d'affirmer sinon un leadership, du moins une
position de tout premier plan sur la scène régionale, comme en a
témoigné son implication dans le dossier cambodgien lors des
accords de Paris en 1991, ou sa médiation réussie entre le
gouvernement philippin et le front de libération national moro.
Par ailleurs, souhaitant développer une industrie exportatrice pour
diversifier son économie, l'Indonésie a oeuvré en faveur
de la création d'une zone de libre-échange (AFTA) au sein de
l'ASEAN, dont le principe a été décidé en 1992 et
qui devrait être effective en 2003. Cet engagement pour la
libéralisation des échanges est cependant prudent. Après
avoir soutenu des positions très ouvertes lors du sommet de l'APEC
(coopération économique Asie-Pacifique qui regroupe l'ASEAN, la
Chine, le Japon, la Corée du Sud, le Canada, les Etats-Unis, le Mexique
et d'autres pays riverains du Pacifique) à Bogor en 1994, elle s'est
montrée plutôt réticente sur leurs modalités de mise
en oeuvre.
La crise asiatique et les difficultés indonésiennes affectent
aujourd'hui l'efficacité de l'ASEAN.
Plus active en matière de coopération politique que sur le plan
économique, l'ASEAN n'a guère contribué à organiser
une riposte concertée à la crise financière, même si
certains de ses membres ont manifesté, sous forme d'engagement d'aide
bilatérale, leur solidarité avec l'Indonésie. L'ampleur de
la crise peut provoquer, entre ses membres, des sujets de friction, liés
par exemple à des mouvements migratoires incontrôlés
provoqués par l'appauvrissement des populations, comme ceux que l'on a
constatés de Sumatra vers la Malaisie.
Le développement de
feux de forêts
à Kalimantan,
dans la partie indonésienne de Bornéo, amplifiés par la
sécheresse liée au phénomène climatique El
Niño mais souvent provoqués par une déforestation sauvage
et des pratiques peu encadrées, constitue également un sujet de
conflit potentiel entre l'Indonésie, parfois jugée trop passive
face à ces incendies, et ses voisins tels que la Malaisie et le Brunei,
directement touchés par l'extension des incendies eux-mêmes et par
les immenses nuages de fumée polluants qu'ils provoquent.
D'une manière plus générale, l'inégale
capacité de réaction des différents pays de la zone face
à la crise, mais aussi l'effacement du plus ancien Chef d'Etat,
père fondateur de l'association, à savoir le
général Soeharto, pourraient entraîner une profonde
redéfinition de la hiérarchie entre les différents membres
de l'ASEAN, au détriment de l'Indonésie et à l'avantage de
pays qui ont mieux résisté aux turbulences économiques,
comme la Malaisie.
2. Un regain d'inquiétude pour le stabilité régionale
La
création, puis l'élargissement de l'ASEAN, a jeté les
bases d'une entente politique qui joue un rôle positif pour la
stabilité régionale.
Les différends ou les conflits potentiels entre pays membres ont pu
être abordés dans le cadre d'un règlement amiable. Ainsi,
après la fin de la confrontation entre l'Indonésie et la
Malaisie, les contentieux territoriaux qui les opposaient ont-ils pu être
traités de façon non conflictuelle, comme l'a montré par
exemple la saisine de la Cour internationale de justice au sujet du
différend sur les îles Ligitan et Sipadan.
Parallèlement, l'ASEAN a constitué un facteur d'équilibre
dans les
relations parfois difficiles entre les pays de la zone et la
Chine.
Le principal foyer de tension se situe en
mer de Chine du sud
, zone
stratégique pour les échanges économiques en Asie du
sud-est, riche en réserves d'hydrocarbures et en ressources halieutiques.
La Chine a adopté en 1992 une loi maritime qui inclut dans le territoire
chinois les
îles Spratly et Paracel
, également
revendiquées par le Vietnam, Taïwan, les Philippines, Brunei et la
Malaisie. De surcroît, elle revendique autour de ces îles une zone
économique exclusive qui empiéterait sur
l'archipel des
Natuna
, siège d'un important gisement gazier, qui appartient
à l'Indonésie. Ainsi, au travers de ces prétentions, la
Chine placerait sous sa souveraineté la plus grande partie de la mer de
Chine du sud.
Ce contentieux n'a pu trouver de règlement dans le cadre de la
Convention de Montego Bay sur le droit de la mer, dont les parties font des
interprétations divergentes. Il s'est traduit par une certaine escalade,
chaque pays tentant d'affirmer sa souveraineté en installant sur des
îles jusqu'alors souvent inoccupées des équipements
militaires ou des bases de pêcheurs, et en délivrant des
concessions d'exploration pétrolière.
L'ASEAN s'est jusqu'à présent révélée un
cadre approprié pour faire face aux ambitions chinoises sans rompre pour
autant le dialogue avec Pékin. Dans ce dispositif, l'Indonésie a
rempli une fonction stabilisatrice.
Un effacement de l'Indonésie et un affaiblissement de l'ASEAN pourraient
fragiliser cet équilibre précaire et raviver des tensions
jusqu'alors contenues.
Même si les Etats concernés, y compris la Chine, donnent la
priorité au règlement de leurs difficultés
intérieures, la crise économique qui secoue la région et
ses répercussions politiques ne peuvent qu'influer négativement
sur le contentieux autour de la mer de Chine du sud.
A ce foyer de tension peuvent s'ajouter
deux nouvelles sources
d'inquiétudes.
La première concerne le
risque de développement de la
piraterie, des violences en mer et des trafics
en tout genre, qui pourrait
s'amplifier sous le double effet de la crise économique et d'une moindre
capacité de l'Indonésie à jouer son rôle dans le
contrôle et la surveillance des routes maritimes.
La seconde, aujourd'hui hypothétique, est liée aux
interrogations sur l'évolution politique à moyen terme de
l'Indonésie
. Pays le plus important de la zone, elle a
contribué à sa stabilité et à son
développement en renonçant aux ambitions territoriales qu'elle
affichait encore au début des années 1960. Cette ligne politique
"pacifique" reste aujourd'hui d'actualité et ne semble en aucun cas
remise en cause par les opposants au général Soeharto. En
revanche, une poursuite de la dégradation de la situation politique
indonésienne qui s'accompagnerait de dérives nationalistes
pourrait, à moyen terme, susciter des craintes sur une modification de
l'attitude du pays et le retour de tensions avec ses voisins.
II. LES RELATIONS FRANCO-INDONÉSIENNES EN ATTENTE D'UNE RELANCE
Au cours des années récentes, la France a cherché à renforcer notablement ses relations avec l'Indonésie, tant sur le plan politique qu'économique. La crise actuelle a bien entendu entravé cet objectif, qui demande désormais à être relancé.
A. LES RELATIONS POLITIQUES ET LA COOPÉRATION FRANCO-INDONÉSIENNE : UN PARTENARIAT MODESTE
Les relations franco-indonésiennes s'appuient sur certaines convergences politiques et sur de nombreuses actions de coopération.
1. Un dialogue politique conforté par de réelles convergences
Si
l'Indonésie tend naturellement à privilégier ses relations
avec les grands partenaires de la zone Asie-Pacifique, en particulier avec le
Japon, l'Australie ou les Etats-Unis, non sans quelques tensions avec ces
derniers, elle cherche également à développer ses contacts
avec l'Union européenne.
Parmi les pays européens, l'Allemagne, pour des raisons
économiques, et les Pays-Bas, pour des raisons historiques,
entretiennent des relations étroites avec l'Indonésie. La France,
pour sa part, a développé des relations qui s'appuient sur un
certain nombre de
convergences politiques
.
Tout d'abord, les diplomaties française et indonésienne se sont
trouvées côte-à-côte au sujet de la
question
cambodgienne
, l'Indonésie ayant co-parrainé les accords de
Paris de 1991. L'implication française sur ce dossier, mais aussi l'aide
importante de la France au Cambodge sont approuvées par
l'Indonésie.
D'autre part, l'Indonésie reconnaît et approuve un certain nombre
de lignes de force de la diplomatie française, qu'il s'agisse de
l'action en faveur de l'allégement de la dette des pays en
développement ou du dossier du Proche-Orient, qu'elle suit avec une
particulière attention au sein de l'Organisation de la conférence
islamique.
Enfin, la France bénéficie aux yeux de l'Indonésie de son
implication active dans l'institution des
sommets Europe-Asie
(ASEM). A
cet égard, le sommet de Londres en avril dernier a été
perçu très positivement, comme un témoignage de
l'intérêt que l'Europe apporte à l'Asie et une
reconnaissance des implications mondiales de la crise asiatique, dont le
règlement ne se limitait pas aux seuls pays de la zone.
Aux côtés de ces points positifs, la question du Timor oriental,
sur laquelle la France, comme les autres pays de l'Union européenne,
soutient la position des Nations unies, demeure la seule ombre au tableau de
relations par ailleurs confiantes.
C'est sur ces bases que se sont amplifiés, après 1994, les
contacts ministériels
entre les deux pays, soit lors de visites
bilatérales, soit en marge des sommets de l'ASEM.
En dernier lieu, la visite à Jakarta, au mois d'avril, de M. Jacques
Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à
l'occasion d'une exposition sur les technologies françaises, a
montré qu'au delà de ses difficultés actuelles, la France
porte sur le long terme un intérêt à l'Indonésie et
à son développement.
Cet intérêt se manifeste également par la
candidature au
forum
régional de l'ASEAN sur la sécurité
,
l'ARF, créé en 1993 qui associe autour des neuf pays de l'ASEAN,
la Chine, la Russie, les Etats-Unis, le Canada, le Japon, l'Australie, la
Nouvelle-Zélande, la Corée du sud, l'Inde et l'Union
européenne, représentée par sa présidence. Ainsi
que l'a confirmé le ministre des affaires étrangères, M.
Alatas, à la délégation, l'examen des nouvelles demandes
d'adhésion, dont celle de la France, est pour l'instant suspendu et
reporté à moyen terme. La présence de l'Union
européenne d'une part et le souhait de ne pas
déséquilibrer l'ARF au détriment des pays de l'ASEAN
d'autre part ont en effet jusqu'à présent été
invoqués pour différer une candidature française, tout
comme d'ailleurs la candidature britannique.
L'intervention de la crise économique et politique a quelque peu remis
en cause les jalons que notre pays avait posés pour intensifier son
dialogue avec l'Indonésie.
La délégation a constaté qu'au delà des marques
d'attention portées à l'évolution de la situation du pays,
la France avait quelque peu hésité à apporter une
réponse claire à des demandes telles que l'octroi d'une aide
humanitaire d'urgence, formulée par les autorités
indonésiennes.
Certes, la France a souligné à juste titre la part qu'elle prend
au
financement des nombreuses actions multilatérales d'aide à
l'Indonésie
. Mais sans doute y aurait-il intérêt
à ce que notre pays apparaisse désormais comme partenaire plus
visible et plus présent.
2. Une coopération bilatérale perturbée par la crise
En
affectant la capacité politique et financière de
l'Indonésie de conduire des projets conjoints, la crise a freiné
la mise en oeuvre d'une coopération bilatérale qui prenait son
essor.
Sur le
plan financier
, la France s'est affirmée comme l'un des
principaux donateurs à titre bilatéral, le troisième, loin
derrière le Japon mais juste après l'Allemagne, avec une
aide
de près de 10 milliards de francs au cours dix dernières
années.
Ainsi, des
protocoles financiers
d'un montant
important ont-ils été signés avec l'Indonésie
chaque année depuis 1990, pour permettre, à l'aide de prêts
à long terme du Trésor français l'achat
d'équipement d'origine française ou le financement de projets de
développement. En dernier lieu, deux protocoles financiers totalisant
plus de 500 millions de francs ont été signés au mois
de décembre 1997, pour le financement d'un navire
océanographique, l'aménagement de voies de communication et des
projets dans le secteur de la santé. Mais l'impossibilité
financière, pour la partie indonésienne, de mettre en place les
contreparties aux financements français rend hypothétique la mise
en oeuvre de ces protocoles.
En matière culturelle, scientifique et technique
,
l'Indonésie est notre deuxième partenaire de l'ASEAN et le
sixième d'Asie, avec une enveloppe de 26 millions de francs en
1997. La coopération comporte un important volet scientifique et
technique, avec la formation de cadres de l'administration et de l'industrie.
Plus de 3 000 boursiers ont ainsi été formés en
France. Notre coopération s'appuie également sur la
présence d'experts français dans les ministères techniques
tels que l'industrie, le développement technologique et les transports.
Sur le plan culturel, quatre centres culturels sont implantés à
Jakarta, Surabaya, Bandung et Yogyakarta et on compte par ailleurs 4 Alliances
françaises implantées dans le pays. Ces établissements
enseignent la langue française, qui occupe cependant une place
très modeste en Indonésie. Ici encore, les difficultés
liées aux cofinancements indonésiens contraindront à
réviser dans l'immédiat les programmes de coopération
culturelle, scientifique et technique.
Trois
écoles françaises
assurent l'enseignement des
enfants d'expatriés : le lycée international français de
Jakarta, qui relève du réseau de l'Agence pour l'enseignement
français à l'étranger, et les écoles mises en place
respectivement par Total et Dumez à Balikpapan et Padang.
Une mention particulière doit être faite au sujet du
lycée international français de Jakarta
qui, avant la
crise, scolarisait plus de 550 élèves, essentiellement
français puisque le lycée n'est pas autorisé à
accueillir des Indonésiens. Le retour en France de familles
expatriées en raison de la crise va entraîner pour la
rentrée scolaire 1998 une chute des effectifs inscrits au lycée
français qui provoque de multiples difficultés de gestion.
On doit également signaler, toujours sur le plan culturel et
scientifique, l'existence d'un centre de documentation scientifique et
technique chargé de diffuser les informations sur l'actualité
scientifique française.
En matière de recherche, le CIRAD, dans le domaine des plantations, des
forêts et des technologies agro-alimentaires, et l'ORSTOM dans des
activités liées à l'agronomie ou à
l'océanographie, sont présents en Indonésie.
En
matière militaire
, une coopération s'est
développée sur la base d'un arrangement conclu en 1985 et sous la
forme de visites, d'organisation d'escales et d'actions de formation.
S'agissant des équipements, l'armée de terre a acquis
auprès de GIAT Industries des véhicules de l'avant blindés
(VAB) qui lui avaient été prêtés, dans un premier
temps, au titre des opérations de maintien de la paix en ex-Yougoslavie.
L'armée de l'air possède des hélicoptères
Super-Puma fabriqués sous licence en Indonésie et des radars de
défense aérienne ont été fournis par Thomson. Alors
que l'Indonésie ne consacrait déjà qu'un budget
réduit à ses dépenses d'équipement et que la
concurrence entre fournisseurs était vive, la crise suspend, dans le
court terme, les perspectives de poursuite de certaines coopérations
engagées, en particulier pour la construction d'une base navale à
Teluk Ratai, sur l'île de Sumatra.
B. UNE PRÉSENCE ÉCONOMIQUE LIMITÉE
Avec un
peu plus de 2 000 immatriculés, et une population estimée
à 800 personnes non immatriculées, la
communauté
française en Indonésie,
concentrée pour plus des
deux-tiers à Jakarta, reste très modeste. La crise
économique pourrait en outre entraîner une diminution notable de
ses effectifs.
Par ailleurs, la France ne représente moins de 2 % du stock
d'investissement français en Indonésie et 2 à 3 %
seulement des parts de marché.
1. Le faible niveau des investissements français en Indonésie
Avec
environ 150 entreprises françaises présentes, dont plus de 40
entreprises implantées à un niveau significatif et
1 % du
stock d'investissements étrangers
, la présence
française en Indonésie reste particulièrement modeste, si
on la compare à celle constatée dans les pays voisins (sa part
moyenne dans les investissements directs étrangers y dépasse le
plus souvent 2 %) et des potentialités qui caractérisaient le
marché indonésien avant la crise.
En dépit de la continuité et de l'importance de son aide
bilatérale, la France n'occupe que le 15e rang mondial pour le montant
cumulé des autorisations données par l'agence gouvernementale
chargée de l'instruction des dossiers d'investissement, le BKPM, depuis
1967 et la part de la France (1 %) est très inférieure
à celle de l'Allemagne (3%), des Pays-Bas (6,2 %) ou du Royaume-Uni
(17,4 %).
Toutefois, ces statistiques ne tiennent pas compte des investissements
effectués dans le domaine énergétique (les investissements
réalisés par TOTAL se situent autour de 1 milliard de dollars) et
dans le domaine financier (le cumul des investissements des Banques -BNP,
Crédit Lyonnais et Société Générale
principalement -représentant un montant supérieur à 200
millions de dollars).
Première entreprise française en Indonésie
,
Total y est implantée depuis 1968
. Dans le cadre d'un contrat de
partage de production, elle est associée à la
société publique indonésienne Pertamina. Elle se situe,
pour la production, au 3e rang des opérateurs pétroliers
étrangers après Caltex (partenariat Texaco Chevron) et Mobil.
Alors que sa production de pétrole, après avoir culminé
à la fin des années 1970, s'est aujourd'hui réduite et se
stabilise, Total a fortement accru sa production de gaz qui devrait encore
pratiquement doubler d'ici 2005, grâce à la
mise en
exploitation des gisements de Balikpapan
, sur l'île de Bornéo.
La délégation de votre commission a pu mesurer l'ampleur des
investissements réalisés par Total sur ce site et les
perspectives prometteuses ouvertes à cette entreprise.
Outre les hydrocarbures et le secteur bancaire, la France est surtout
représentée par des grands groupes dans des secteurs à
forte intensité capitalistique : électricité, chimie,
traitement des eaux, bâtiment et travaux publics (Groupe Alcatel-Alsthom,
Groupe Schneider, Rhône-Poulenc, L'Oréal, Degrémont, Dumez,
SAE...).
Des implantations récentes sont à noter dans le domaine des
travaux publics (Groupe Bouygues), du tourisme (Groupe ACCOR), de
l'agro-alimentaire (DANONE), de l'environnement (LYONNAISE DES EAUX et CIE
GÉNÉRALE DES EAUX), de la chimie (AIR LIQUIDE), du ciment
(LAFARGE COPPEE) et des assurances (AGF, AXA).
En outre, les entreprises françaises sont encore très peu
présentes auprès des grands groupes locaux, financiers et
industriels (notamment les groupes chinois qui constituent l'essentiel du
secteur privé indonésien et possèdent les trois-quarts des
actifs du pays). Les petites et moyennes entreprises sont également
très peu présentes, souvent découragées par les
démarches administratives ou commerciales ainsi que par les coûts
d'approche élevés du marché.
En revanche, France Telecom et la Lyonnaise des Eaux ont pris l'initiative de
concessions privées de services publics. La première concerne le
réseau téléphonique de l'ensemble de l'île de
Sumatra, la seconde la gestion de l'eau potable de la partie ouest de Jakarta.
D'autres groupes travaillaient sur des concessions semblables dans le domaine
des transports ferroviaires (Générale des Eaux), des transports
urbains (tramways de Surabaya et Medan avec GEC-Alsthom et Bandung avec
CEGELEC), des aéroports (Dumez à Solo) ou des ponts entre
l'île de Java et les îles voisines (avec Campenon-Bernard, Bouygues
ou Dumez).
Certains de ces investissements (principalement la concession de France
Telecom) et l'ensemble des projets en cours d'étude ont
été remis en question au fil des huit derniers mois. On peut
estimer que 2 à 3 années seront nécessaires pour envisager
à nouveau des perspectives positives.
Aucune entreprise n'a décidé de cesser ses activités en
Indonésie. La plupart ont réduit leurs charges, parfois
fortement, notamment en rapatriant des collaborateurs expatriés ou
même en licenciant des employés locaux mais l'objectif de chacune
est de se préparer à une période de transition dans
l'attente d'une nouvelle phase de croissance. Les banques ont cependant
aujourd'hui quelques inquiétudes spécifiques, devant le risque
d'une application stricte de la nouvelle législation leur faisant
obligation d'un capital minimum de l'ordre de 100 millions de dollars. La
plupart affirment, à ce stade, préférer fermer leurs
établissements plutôt d'apporter des liquidités
complémentaires.
Le souhait des entreprises françaises de renforcer, à moyen et
à long terme, et malgré les difficultés actuelles, leur
présence en Indonésie s'est illustré lors de l'exposition
France High Tech, que la délégation a pu visiter, au cours de
laquelle plus de 80 d'entre elles ont présenté leur offre
technologique et industrielle.
2. Des échanges commerciaux en expansion
Les
exportations françaises
vers l'Indonésie ont connu au
cours des dernières années une
évolution erratique
,
fortement influencée par les fluctuations liées à
l'exécution des grands contrats. Elles ont atteint un premier sommet en
1992 grâce à des livraisons d'Airbus, puis ont fortement
décliné en 1993 et 1994, en dépit de livraisons
exceptionnelles de produits énergétiques, avant d'enregistrer une
reprise marquée en 1995, imputable à une forte progression de nos
ventes de biens d'équipement professionnels (matériel
électrique, électronique, construction aéronautique et
navale).
En 1996
, les
exportations françaises à destination de
l'Indonésie
ont atteint
6,5 milliards
de francs et
enregistré une
progression de 26 %,
un résultat
encourageant qui devait toutefois beaucoup à la livraison en
décembre de deux Airbus A330.
Ce sont de nouveau les livraisons aéronautiques (quatre Airbus A330
livrés entre janvier et avril) qui ont fait de
l'année
1997
celle
du record absolu d'exportations françaises
à destination de l'Indonésie, avec
8,7 milliards de
francs
, soit une progression de 33 % par rapport à l'année
précédente.
L'Indonésie était en 1997
notre 31e client
, avec un
courant d'exportation représentant 0,53 % de nos exportations totales.
En faisant abstraction des livraisons aéronautiques de 1996 et 1997, nos
exportations vers l'Indonésie ont progressé que de 3,4 % en 1996,
et de 15,1 % en 1997, des chiffres qui sont la résultante
d'évolutions disparates selon les secteurs. A l'instar de celles
enregistrées d'une année sur l'autre, ces fluctuations
sectorielles traduisent le manque de consolidation de nos courants d'affaires.
Ce phénomène s'explique par une implantation encore insuffisante
de nos entreprises mais également par la structure du marché
d'importation indonésien (caractérisé par un marché
des biens de consommation importés encore embryonnaire et par une
composante biens d'équipements tributaire du caractère ponctuel
des investissements productifs et des grands projets d'infrastructures).
De leur côté, les
importations françaises
en
provenance d'Indonésie ont globalement stagné entre 1992 et 1995.
Elles ont progressé de 13 % en 1996, puis de 17 % en 1997, où
elles ont atteint un niveau record de
6 milliards de francs
.
L'Indonésie était en 1997 notre
33e fournisseur
, avec 0,39
% de nos importations totales. Les importations françaises en provenance
d'Indonésie ont progressé de 17 % par rapport à 1996, un
résultat qui témoigne d'une diversification de la structure de
nos importations, qui affecte à des degrés divers l'ensemble des
secteurs, mais également de la compétitivité croissante du
tissu exportateur indonésien. Nos importations en provenance
d'Indonésie demeurent fortement concentrées dans un nombre
limité de secteurs, en premier lieu le textile et l'habillement (25,9 %
du total), puis les produits agricoles et agro-alimentaires (16,5 %), la
chaussure (13,8 %), les meubles (13,5 %), et l'électronique
professionnelle et grand public (13,2 %). Parmi ces grands postes, les
progressions les plus marquantes ont concerné l'électronique
professionnelle (+ 35 %), et les meubles (+ 28 %), tandis que le
textile-habillement et la chaussure ont tous deux progressé de 19 %.
L'excédent commercial de 2,6 milliards de francs et le taux de
couverture de 144 % enregistrés en 1997 revêtent toutefois un
caractère ponctuel. Une fois décomptés les échanges
aéronautiques, les échanges bilatéraux étaient en
réalité proches de l'équilibre, aussi bien en 1997 qu'en
1996.
Les exportations françaises vers l'Indonésie demeurent fortement
tributaires de la mise en oeuvre de grands projets, en particulier dans les
secteurs du matériel électrique et téléphonique.
La crise économique se traduit par l'annulation ou le report d'un
nombre grandissant de projets privés, dont les effets se feront d'autant
plus sentir sur les flux d'importations que l'investissement étranger ne
sera pas immédiatement en mesure de prendre le relais de
l'investissement domestique. On peut s'attendre à une baisse d'au moins
10 % de l'ensemble des importations indonésiennes sur l'année
1998.
Cette évolution affectera d'autant plus les exportations
françaises qu'aucune livraison d'Airbus ne prendra le relais, si bien
que
nos perspectives d'exportation à destination de
l'Indonésie en 1998 se situent au mieux entre 5 et 5,5 milliards de
francs, ce qui représenterait une baisse de 36 à 42 % par rapport
aux chiffres de 1997.
Cette estimation devra par ailleurs être
ajustée à la baisse si aucun mécanisme fiable de
financement des importations n'est mis en place à brève
échéance.
CONCLUSION
Alors
que l'année 1998 avait été annoncée comme une
échéance politique importante pour l'Indonésie, avec la
fin du 6e mandat présidentiel du général Soeharto, la
crise économique brutale déclenchée à
l'été 1997 est venue fortement ébranler un système
politique qui semblait immuable.
Salué par l'ensemble de la communauté internationale, le
développement économique continu du pays durant les trente
dernières années apparaissait à la fois comme une
conséquence et un facteur de la solidité d'un régime aux
tendances autoritaires, dont la stabilité était l'objectif
principal.
La crise économique a enclenché une logique rigoureusement
inverse. La régression brutale de l'économie a été
mise au débit d'un système qui, en raison de la collusion entre
politique et économie et d'un manque de transparence de plus en plus
ouvertement critiqué, est apparu comme un obstacle au redressement du
pays.
A l'issue des événements qui ont conduit à la
démission du général Soeharto,
deux constatations
peuvent être effectuées.
D'une part,
l'avenir politique demeure incertain.
L'Indonésie,
dans sa situation actuelle, ne peut se permettre de sombrer dans le
désordre politique mais pour autant, l'aspiration au changement qui
s'est vivement manifestée dans les dernières semaines ne pourra
se satisfaire d'évolutions marginales. Disposant d'une marge de
manoeuvre réduite, le nouveau Chef de l'Etat devra gérer une
transition délicate
entre une pratique autoritaire du pouvoir et
un régime permettant désormais l'expression de
sensibilités jusqu'alors bridées. Des interrogations subsistent
sur
le rythme et l'ampleur de cette
transition
. Si elle demeure
trop limitée, et que l'aspiration aux réformes n'est pas
satisfaite, le risque est grand de voir la rue s'exprimer à nouveau. Si
elle provoque l'effacement brutal des structures héritées du
régime précédent, alors que les forces d'opposition ne
paraissent pas totalement prêtes à assurer la relève du
pouvoir, elle peut entraîner un vide politique propice à toutes
les dérives.
Durant cette période incertaine, l'attention devra se porter sur deux
acteurs particulièrement importants :
- l'
islam
, qui bénéficie d'un regain du sentiment
religieux, se constitue rapidement en force politique et qui bien que
traversé par des courants divers, ne remet pas pour l'instant en cause
l'idéologie de Pancasila, fondement de la neutralité religieuse
de la République. La crise économique et les désordres
politiques font toutefois planer un risque réel d'émergence de
tendances intégristes.
- l'
armée
, qui conserve un rôle fondamental et qui a
montré qu'elle ne resterait pas indifférente à
l'évolution politique du pays.
La deuxième constatation porte sur
l'affaiblissement
économique durable du pays.
Comme ses voisins asiatiques,
l'Indonésie est gravement touchée par une crise qui met en
lumière les dérives financières de ces dernières
années. Elle présente, avec un caractère accentué,
tous les défauts d'économies qui ont artificiellement
prospéré sur la base d'un financement aveugle des entreprises, en
particulier dans l'immobilier, et de pratiques peu transparentes, finalement
nocives pour la compétitivité sur le marché mondial. Elle
est cependant plus sévèrement frappée que ses voisins dans
les fondements même de son système économique. Ses
performances économiques des dernières années s'appuyaient
sur des bases fragiles et la brutale récession intervenue cette
année peut faire replonger une large partie de la population dans la
pauvreté. Alors que sur tous les fronts, les perspectives de sortie de
crise paraissent lointaines et incertaines, et que la confiance internationale
tarde à revenir, l'Indonésie semble avoir perdu pour plusieurs
années son statut de futur "dragon" et pourrait risquer une dramatique
"marche arrière" vers le sous-développement.
Ces deux constats relatifs à la situation politique et économique
du pays débouchent sur une conséquence supplémentaire :
l'affaiblissement de l'Indonésie sur la scène régionale
où elle s'était affirmée comme un acteur de premier
plan. S'il devait se confirmer durablement, il constituerait un facteur
négatif pour la stabilité de la région.
Ce contexte défavorable ne doit pas pour autant conduire la France
à renoncer aux efforts qu'elle avait entrepris au cours de ces
dernières années pour tenter de devenir un partenaire plus
important de l'Indonésie.
Si les perspectives économiques ne sont plus aujourd'hui les mêmes
pour ses entreprises, l'Indonésie demeure par sa population, ses
ressources et sa position stratégique le plus important pays de l'Asie
du sud-est. Il ne peut rester à l'écart des préoccupations
de la politique française en Asie.
EXAMEN EN COMMISSION
La
commission des Affaires étrangères, de la défense et des
forces armées a entendu le présent compte rendu
présenté par M. Xavier de Villepin, président, au cours de
sa réunion du 27 mai 1998.
Après avoir indiqué les différents contacts établis
par la délégation avec les autorités gouvernementales et
parlementaires indonésiennes, ainsi qu'avec les personnalités de
l'opposition,
M. Xavier de Villepin, président,
a rappelé
les principales caractéristiques de l'Indonésie, archipel
composé de 17.000 îles dont 6.000 habitées,
s'étendant sur 5.000 km et qui constitue, avec 210 millions d'habitants,
le quatrième pays du monde pour sa population. Il a souligné la
grande diversité ethnique, religieuse et linguistique de
l'Indonésie. Il a notamment précisé que 87 % des
Indonésiens appartenaient à l'Islam et a mentionné le
rôle de la minorité chinoise, qui représente 3 % de la
population.
M. Xavier de Villepin, président
, a ensuite
présenté les traits dominants du régime politique
fondé en 1965 par le général Soeharto, en soulignant le
rôle central de l'armée dans le pays, l'imbrication entre les
intérêts économiques et les dirigeants politiques, et la
faiblesse de l'opposition, divisée entre les associations musulmanes et
des personnalités comme Mme Megawati, fille de l'ancien président
Soekarno.
Il a toutefois rappelé que, sous le régime du président
Soeharto, l'Indonésie avait connu une longue période de fort
développement économique, le revenu annuel moyen par habitant
passant de quelque 70 dollars en 1969 à environ 1.000 dollars en 1996.
Abordant la crise économique déclenchée à
l'été 1997,
M. Xavier de Villepin, président,
a
rappelé qu'elle avait entraîné une chute vertigineuse de la
roupie indonésienne et une forte inflation. Il a également
souligné les difficultés des négociations engagées
par l'Indonésie avec le Fonds monétaire international (FMI),
notamment en ce qui concerne le démantèlement de certains
monopoles et la suppression des subventions à certains produits de
première nécessité, avant la conclusion d'un accord au
mois d'avril.
M. Xavier de Villepin, président
, a ensuite analysé
l'enchaînement de la contestation politique qui a conduit, le 21 mai
dernier, à la démission du général Soeharto, qui ne
saurait cependant -a-t-il estimé- mettre un point final à la
crise. Il a évoqué la personnalité du nouveau
président, M. Habibie, ancien ministre de la recherche et de la
technologie, très proche du général Soeharto, et
envisagé deux hypothèses pour l'évolution politique du
pays à savoir une période de transition conduisant à un
processus électoral ou une poursuite de l'agitation qui pourrait
favoriser l'émergence d'un islam politique.
M. Xavier de Villepin, président,
a conclu en donnant des
précisions sur les relations bilatérales
franco-indonésiennes et sur la place de la France, qui détient 2
à 3 % des parts de marché en Indonésie. Il a
souligné la forte diminution de la communauté française en
raison des récents événements politiques, avec notamment
pour conséquence une réduction des effectifs du lycée
français qui entraînera une rentrée difficile.
M. André Boyer
a évoqué l'incidence grave des
phénomènes climatiques de sécheresse sur les mauvaises
récoltes et l'appauvrissement de la population indonésienne et
sur le développement des feux de forêt dans le pays.
M. André Dulait
a souligné le rôle social important
joué par les associations musulmanes et a relativisé les
appréciations portées sur le contrôle de l'information en
Indonésie, compte tenu de la relative liberté de ton de la presse
locale.
Mme Danielle Bidard-Reydet
a insisté sur la profonde
volonté de réformes, tant politiques qu'économiques, des
étudiants indonésiens, tout en soulignant les limites d'une
alternative politique.
M. Michel Alloncle
a observé que la contestation politique
était surtout le fait des classes moyennes. Il a considéré
que la sévérité du plan imposé par le FMI avait
joué un rôle dans le développement de la contestation.
En réponse à
M. Charles-Henri de Cossé-Brissac, M.
Xavier de Villepin, président,
a rappelé le rôle
important joué par les Etats-Unis dans le départ du
président Soeharto mais aussi toute l'attention qu'ils portent à
une stabilisation politique dans un pays où leurs intérêts
économiques sont particulièrement importants.
La commission a alors autorisé la
publication
du compte rendu de
la mission sous la forme d'un
rapport d'information.
ANNEXE -
COMPTE RENDU DES ENTRETIENS
ET DES VISITES
DE LA DÉLÉGATION
La
délégation de la commission des Affaires
étrangères, de la Défense et des Forces armées a
séjourné en Indonésie du 11 au 18 avril 1998. Elle s'est
successivement rendue à Yogyakarta, principale ville universitaire du
pays, dans la capitale, Jakarta, où se sont déroulés la
plupart des entretiens avec les personnalités indonésiennes, et
à Balikpapan, sur l'île de Bornéo, centre des
activités de Total, première entreprise française en
Indonésie.
Ce programme, pour l'organisation duquel il convient de remercier une nouvelle
fois S. Exc. M. Gérard Cros, ambassadeur de France à Jakarta, et
l'ensemble de ses collaborateurs, ainsi que des responsables de la
société Total Indonésie, aura permis à la
délégation de recueillir dans un temps très court de
très nombreuses informations sur les données actuelles de la
situation politique, sociale et économique de l'Indonésie et sur
ses relations avec la France.
En dépit des profonds changements intervenus dans le mois qui a suivi la
visite de la délégation, et en premier lieu la démission
du Chef de l'Etat, il paraît utile de rappeler ces différents
contacts.
1. Les audiences du général Soeharto et de M. Habibie
M.
Xavier de Villepin, président, a participé le 16 avril 1998 aux
côtés de M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce
extérieur, à un entretien avec
M. Soeharto
, alors
président de la République indonésienne
, puis avec
M. Habibie, vice-président
.
Au cours de cet entretien, le général Soeharto a analysé
les conséquences de la crise monétaire et financière qui a
brutalement interrompu plusieurs années de développement
économique. Alors que l'Indonésie semblait disposer de
"fondamentaux solides", qu'elle avait réduit l'inflation, accru
considérablement le revenu par habitant, diversifié
l'économie au delà du secteur des hydrocarbures et
enregistré des excédents commerciaux, la
dépréciation de la roupie, entraînant l'effondrement du
secteur bancaire, avait selon lui anéanti plusieurs décennies
d'efforts. Il a rappelé les nombreux atouts, notamment les ressources
naturelles, dont dispose l'économie indonésienne pour sortir de
la crise et évoqué les principaux axes retenus, dans cette
perspective, par le gouvernement. Restant sur le terrain économique, il
a essentiellement mentionné ses objectifs en matière de
privatisations et d'infrastructures.
M. Habibie, alors vice-président, qui venait de participer à
Londres au sommet Europe-Asie, a lui aussi essentiellement évoqué
les aspects économiques de la crise indonésienne et en
particulier la question des négociations en cours entre les entreprises
indonésiennes et leurs créanciers, pour le règlement de la
dette privée. A ce propos, il a précisé que l'Etat
pourrait garantir aux sociétés débitrices un taux de
change fixe pour faciliter leurs achats en dollars en vue de s'acquitter de
leurs dettes.
2. Les entretiens au ministère des Affaires étrangères et au ministère de la Défense
Au cours
d'un entretien qui s'est déroulé le 14 avril 1998 avec
M. Ali
Alatas, ministre des Affaires étrangères
, qui a
été reconduit à son poste dans le nouveau gouvernement, la
délégation a pu évoquer les principales questions
d'actualité intéressant l'Indonésie.
En ce qui concerne la récente signature d'un accord
complémentaire avec le Fonds monétaire international, M. Alatas a
fait valoir que le précédent accord ne prenait pas suffisamment
en compte certaines réalités socio-économiques
indonésiennes. Le nouvel accord témoignait pour sa part d'une
approche plus réaliste, par exemple en prévoyant une
démarche progressive pour le démantèlement de certaines
subventions, ou surtout en permettant le maintien temporaire de certaines
prérogatives du Bulog, l'agence gouvernementale chargée de
l'approvisionnement en denrées alimentaires de base, cet organisme
étant le seul à même de garantir une distribution des
produits dans l'ensemble de l'archipel, y compris dans les zones les moins
accessibles.
M. Alatas a précisé les besoins de l'Indonésie en
matière d'aide alimentaire.
Il s'est félicité de la tenue du 2e sommet Europe-Asie à
Londres, qui a montré que l'Europe était consciente des
implications mondiales de la crise asiatique.
La délégation a également évoqué avec M.
Alatas l'évolution de la stillation au Cambodge, domaine dans lequel la
diplomatie indonésienne s'est beaucoup impliquée, et les
relations entre l'Indonésie et la Chine.
Au
ministère de la Défense,
la délégation a
rencontré, le 14 avril 1998, l'Amiral Sunardi, conseiller du ministre
pour les affaires internationales, et le général Agus Widjaya,
sous-chef d'état-major "Plans généraux" à
l'état-major des armées.
Cette entrevue a permis de faire le point sur la coopération
bilatérale franco-indonésienne dans le domaine de la
défense, qu'il s'agisse du dialogue entre les deux armées sur les
questions stratégiques ou de l'équipement de l'armée
indonésienne. A cette occasion ont été
évoqués les projets, actuellement suspendus, d'achat de
véhicules tactiques et de réalisation d'une base navale à
Sumatra.
L'amiral Sunardi a également abordé les questions de
sécurité régionale. En ce qui concerne les tensions qui
pourraient résulter des revendications territoriales en mer de Chine du
Sud, seule véritable source de menace extérieure pour
l'Indonésie, il a indiqué que des solutions étaient
recherchées dans le cadre d'un dialogue entre l'ASEAN et la Chine, qui
devait être considérée comme un acteur responsable,
intéressé à la stabilité de la région. Le
développement de la piraterie et du trafic de drogue est
également une préoccupation commune aux pays de l'ASEAN.
La délégation a obtenu des précisions sur le forum
régional de l'ASEAN sur la sécurité (ARF), enceinte
informelle consacrée aux questions politico-militaires à laquelle
participent les 9 pays de l'ASEAN et 10 "partenaires du dialogue", dont l'Union
européenne. Les demandes d'admission au sein de l'ARF, dont celle de la
France, sont actuellement en suspens, un moratoire de 5 ans ayant
été décidé par les actuels participants.
Après avoir évoqué la signature du traité
instaurant une zone exempte d'armes nucléaires en Asie du sud-est,
l'amiral Sunardi a précisé que les pays concernés
n'envisageaient pas d'instaurer un mécanisme de sécurité
collective, mais faisaient confiance aux coopérations entre pays voisins
pour garantir la stabilité de la région.
3. Les contacts au Parlement indonésien
La
délégation a tout d'abord rencontré le 13 avril 1998
M.
Syarwan Hamid, Vice-Président de la Chambre des représentants
(M. Hamid, qui a appuyé la demande de démission du
général Soeharto formulée par les étudiants, a
été nommé ministre de l'Intérieur le 21 mai). Avec
lui ont été abordés les développements de la crise
économique et sociale que traverse l'Indonésie, et tout
particulièrement la question des manifestations dans les
universités. M. Hamid s'est déclaré soucieux de permettre
le dialogue avec les étudiants.
La délégation a par ailleurs participé le 16 avril 1998
à une réunion de travail avec des membres des
commissions en
charge des affaires étrangères et de la défense à
la Chambre des représentants
. Cet échange de vues avec des
députés issus des différents groupes parlementaires a
porté sur les conséquences de la crise économique
actuelle, pour le règlement de laquelle l'Indonésie attend une
aide internationale, sur le problème de la dette extérieure
privée, sur le dialogue avec les étudiants qui manifestent sur
les campus, sur le fonctionnement de l'ASEAN et sur le rôle qu'y joue
l'Indonésie.
4. Les autres rencontres avec des personnalités du monde politique et économique et des représentants de la société civile
La
délégation a eu un long entretien le 13 avril 1998 avec
M. Aburizal Bakrie, président de la Chambre de commerce et
d'industrie indonésienne
. M. Bakrie a rappelé le
déclenchement, à partir de la Thaïlande, de la crise
monétaire et financière qui a eu des conséquences
particulièrement graves en Indonésie, au moment où
celle-ci était frappée par une sécheresse persistante. Il
a souligné que le récent accord complémentaire avec le FMI
était plus satisfaisant que l'accord initial, notamment en permettant de
garantir l'approvisionnement alimentaire du pays grâce à la
confirmation du rôle du Bulog, l'agence nationale de distribution. Il a
souligné l'effet positif du plan sur le cours de la roupie
indonésienne. Il a cependant rappelé la situation difficile de
beaucoup d'entreprises privées, confrontées à un fort
endettement et à des taux d'intérêt élevés,
le secteur du bâtiment et les petites et moyennes entreprises
étant les plus affectés. Il a précisé que pour
l'année fiscale 1997/1998, on prévoyait une croissance
négative de 4 %. Il a souhaité, pour ce qui est de la dette
privée, qu'un accord soit trouvé entre créanciers et
entreprises débitrices, par un effort réciproque de chaque partie.
La délégation a tenu une réunion de travail le 14 avril
1998 au
Centre d'études stratégiques et internationales
(Center for strategic and international studies), organisme de recherche
indépendant spécialisé dans les questions internationales.
Au cours de cette réunion, les membres de la délégation
ont pu débattre, avec des chercheurs indonésiens, des
spécificités de la crise économique en Indonésie,
par rapport à celle qui frappe d'autres pays d'Asie, sur les aspirations
d'une partie de la société indonésienne à une
réforme politique et sur les orientations économiques
préconisées par le FMI.
A ce propos, il a été souligné que le pouvoir politique
avait favorisé la constitution de monopoles et la collusion
d'intérêts aboutissant à mobiliser au profit d'un petit
nombre une large part des résultats de la croissance économique.
Aussi le redressement économique passait-il par une plus grande
transparence et par l'application des réformes préconisées
par le FMI.
La délégation a rencontré
Mme Megawati
Soekarnoputri
, fille de l'ancien Président Soekarno,
ancienne
présidente du parti démocratique indonésien
(PDI).
Evincée en 1996 de la présidence du parti démocratique,
Mme Megawati poursuit hors de tout cadre partisan son combat politique. Avec
elle et ses principaux conseillers ont été évoquées
les perspectives politiques après la réélection du
président Soeharto, les conséquences possibles de la contestation
étudiante, et les chances de constitution d'une réelle
alternative politique au gouvernement actuel.
La délégation a ensuite tenu deux réunions de travail le
15 avril 1998 avec les deux principales
organisations musulmanes
.
Représentant un islam traditionnel, bien implanté dans les zones
rurales, le
Nahdlatul Ulama
(NU) a été fondé en
1926 en vue de développer un enseignement musulman en Indonésie.
Au travers de ses différentes structures, il rassemble 35 millions
d'Indonésiens et entend privilégier un rôle culturel
(écoles), social (aide aux démunis) et religieux. Attaché
à l'idéologie du Pancasila, garante de la diversité
religieuse en Indonésie, et à l'unité des pays, il s'est
montré sensible aux revendications étudiantes pour une
réforme politique et économique tout en souhaitant éviter
une confrontation entre les étudiants et le gouvernement et en
prônant le dialogue.
Seconde organisation musulmane, forte de 28 millions de membres, la
Muhammadiyah,
active dans l'éducation et la santé
(hôpitaux), et plutôt implantée dans les zones urbaines,
veut incarner un islam moderne. Son dirigeant,
Amien Rais,
est
engagé dans une campagne politique très active en faveur de
réformes et d'un changement du Chef de l'Etat. Les représentants
de l'organisation ont confirmé à la délégation les
vues de M. Amien Rais sur les profondes réformes économiques et
politiques indispensables. Ils ont évoqué la campagne contre la
corruption et le népotisme, le programme politique et économique
préparé par un groupe d'experts et leur souhait de la mise en
place, après le départ du général Soeharto, d'un
directoire de 5 ou 6 personnes représentatives de l'opposition qui
serait chargé de gérer la transition en l'attente de nouvelles
élections.
Enfin, lors de son séjour à Yogyakarta, la
délégation a pu s'entretenir avec des
étudiants
des
mouvements de contestation qui se développent sur les campus
universitaires. Elle a perçu, de la part de ces jeunes, une vive
contestation du pouvoir politique actuel et une profonde aspiration à
des réformes politiques et économiques. Elle a également
évoqué avec les étudiants le rôle et l'influence des
organisations musulmanes auprès des jeunes. Il est apparu que dans les
universités où toute activité politique est proscrite, ces
organisations religieuses offraient pour les jeunes le seul cadre de
réunion et de réflexion.
5. Les contacts avec la communauté et les entreprises françaises
La
délégation a rencontré de nombreux membres de la
communauté française
en Indonésie, et
particulièrement les représentants des deux
associations de
Français d'Indonésie.
Ces contacts ont été
l'occasion d'évoquer la situation actuelle de l'Indonésie et les
conséquences de la crise sur les entreprises et les ressortissants
français. Une attention particulière a été
portée au fonctionnement du lycée international français
de Jakarta qui, entre autres difficultés, est confronté pour la
prochaine rentrée scolaire à une baisse des effectifs liée
au retour en métropole d'un nombre important d'expatriés.
La situation des entreprises françaises en Indonésie a
été abordée au travers de trois contacts
privilégiés :
. la participation de la délégation, aux côtés de M.
Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur,
à l'inauguration de l'
exposition
industrielle France High
Tech
, au cours de laquelle 82 entreprises françaises ont
présenté leur offre technologique et industrielle et qui a
accueilli plus de 15 000 visiteurs,
. une réunion de travail avec les représentants d'entreprises
françaises du
secteur de l'armement
, au cours de laquelle ont
été présentés les principaux résultats
obtenus par ces entreprises dans les années récentes et les
conséquences pour leur activité des difficultés
économiques actuelles de l'Indonésie,
. des contacts, à Jakarta, avec la société
Total
Indonésie
, et un déplacement à Balikpapan
(Kalimantan), consacré à la visite des installations de
production de cette société. Premier investisseur français
en Indonésie, et troisième opérateur pétrolier
étranger, la société Total y est présente depuis
1968 et exploite des gisements d'hydrocarbures dans le cadre d'un contrat de
partage de production avec la société d'Etat Pertamina. Alors que
la production pétrolière de Total a diminué, celle de gaz
naturel devait continuer à augmenter fortement au cours des prochaines
années. La délégation a pu visiter les sites de production
du delta de la Mahakam, à Kalimantan, sur lequel sont situés ces
importants gisements gaziers. Total Indonésie emploie près de 1
700 personnes, dont 10 % d'expatriés et 90 % de personnels
indonésiens.