DEUXIÈME PARTIE -
LES IMPLICATIONS DE LA CRISE
INDONÉSIENNE
SUR LE PLAN INTERNATIONAL
ET SUR LES RELATIONS
FRANCO-INDONÉSIENNES
Les
dernières décennies avaient vu une
affirmation progressive de
l'Indonésie sur la scène internationale
.
Quatrième pays du monde par sa population, l'Indonésie entendait
jouer un rôle diplomatique significatif, en particulier par son
engagement dans le mouvement des non-alignés. Mais c'est essentiellement
à l'échelle régionale qu'elle s'est
révélée comme un acteur majeur, par son rôle
très actif dans l'ASEAN.
L'émergence de l'Indonésie sur le plan international allait de
pair avec le décollage économique du pays. La crise
économique profonde que traverse le pays, alliée aux incertitudes
politiques, conduit bien entendu à reconsidérer cette
évolution, et au travers d'un certain
affaiblissement de
l'Indonésie au plan régional
, ce sont de nouvelles
interrogations sur l'avenir de l'Asie du sud-est et sur l'équilibre de
l'ensemble de la zone qui apparaissent.
En ce qui concerne les
relations franco-indonésiennes
, la crise
intervient au moment où celles-ci, encore modestes, prenaient leur
essor. C'est sur le plan des échanges économiques que les
répercussions négatives de la crise seront les plus fortes. Cette
période difficile ne doit pas pour autant conduire la France à
négliger un grand pays qui demeurera, quoi qu'il arrive, un acteur
important dans l'ensemble asiatique.
I. UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE CONFRONTÉE À UN ENVIRONNEMENT DÉFAVORABLE
Les efforts déployés durant ces dernières années par l'Indonésie pour mener une politique extérieure active au service de son rayonnement international viennent désormais se heurter à un environnement beaucoup moins favorable, tant au niveau mondial, où elle pouvait prétendre occuper une place de premier plan, qu'à l'échelle régionale où l'ASEAN, axe majeur de sa diplomatie, traverse une période de turbulences.
A. UNE POSITION FRAGILISÉE SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE
La crise politique et économique pourrait conduire l'Indonésie à revoir les ambitions qu'elle affichait sur la scène internationale, tout en ravivant le contentieux du Timor oriental, principal point de friction avec la communauté internationale.
1. Des ambitions diplomatiques qui pourraient être contrariées
Le
rôle international de l'Indonésie s'est affirmé dès
les années 1950, dans le cadre de la création du mouvement des
non-alignés et de l'émergence des pays nouvellement
indépendants. L'arrivée au pouvoir du général
Soeharto allait consacrer la normalisation des relations avec les pays
occidentaux mais aussi, dans un premier temps, un relatif effacement de la
scène internationale.
A partir des années 1980, l'Indonésie a renoué avec des
ambitions diplomatiques plus affirmées.
S'appuyant sur sa stabilité politique et sa relative réussite
économique,
l'Indonésie a pu revendiquer un rôle de
premier plan,
à la mesure de sa population de 200 millions
d'habitants, de sa position stratégique en Asie et de son potentiel de
développement.
Cette ambition s'est particulièrement déclarée en
septembre 1997 lorsque devant l'Assemblée générale des
Nations unies, le ministre des Affaires étrangères officialisait
le souhait de l'Indonésie d'occuper à l'avenir un
siège
de membre permanent au Conseil de sécurité.
Reflet de cette ambition, la politique étrangère
indonésienne s'est révélée active et
indépendante. Elle s'articule autour de deux axes : la
solidarité entre pays du sud
dans un dialogue constructif avec
les pays du nord d'une part, et la
solidarité du monde musulman
d'autre part.
En occupant la présidence du
mouvement des non-alignés
de
1992 à 1995 puis celle du groupe des 77 en 1997, l'Indonésie a pu
conforter son assise auprès des pays du sud, en souhaitant porter ses
efforts sur les questions économiques et en veillant à
éviter une confrontation avec les pays du nord. Elle participe
également au G15, groupe de pays du sud à l'économie
émergente.
Elle est par ailleurs très impliquée dans l'
Organisation de la
Conférence islamique,
dont elle a assuré la présidence
ministérielle en 1997. Dans cette enceinte, elle s'est
particulièrement engagée dans le soutien à la cause
palestinienne et pour la mise en oeuvre des accords de Dayton en Bosnie. Elle
montre ainsi qu'elle entend bien assurer son rôle de premier pays
musulman du monde.
A l'évidence, la crise économique et politique actuelle a
sérieusement ébranlé les fondements du crédit
international de l'Indonésie et la contraindra, dans un premier temps,
à limiter une action internationale qui allait en s'affirmant.
2. Vers une résurgence de la question du Timor oriental ?
La
communauté internationale n'a jamais reconnu l'invasion puis l'annexion
du Timor oriental par l'Indonésie et, pour l'ONU, le Portugal demeure la
puissance administrative de ce territoire.
Alors que sur le terrain, où l'Indonésie maintient une forte
présence militaire, les
affrontements violents
n'ont jamais
cessé, et que la population timoraise -850 000 habitants essentiellement
catholiques- est confrontée à une
situation économique
de plus en plus difficile
, les négociations tripartites associant
l'Indonésie, le Portugal et les Nations unies depuis 1984 n'ont
guère progressé.
Le Portugal a jusqu'à présent posé comme préalable
la reconnaissance du droit à l'autodétermination du Timor
oriental alors que l'Indonésie subordonnait toute évolution du
statut du territoire à la reconnaissance de son appartenance à
l'ensemble indonésien.
Parallèlement ont été engagées, toujours sous
l'égide des Nations unies, des rencontres "intra-timoraises" portant sur
les aspects économiques, sociaux et culturels de la question timoraise
et associant les Timorais exilés à l'étranger et ceux
résidant en Indonésie.
La création, en avril dernier à Lisbonne, d'un "conseil national
de la résistance nationale timoraise" qui entend rassembler l'ensemble
des sensibilités timoraises de l'intérieur et de
l'étranger, a été ressentie par Jakarta comme une
initiative "court-circuitant" le dialogue engagé par les Nations unies.
Dans la province, la résistance armée organisée par le
FRETILIN, mouvement indépendantiste qui avait pris le pouvoir en 1975,
se manifeste par des actions sporadiques visant moins les forces
indonésiennes que les Timorais jugés trop proches des
autorités de Jakarta.
Avec un degré d'intensité variable, la question du Timor oriental
revient périodiquement à l'ordre du jour et demeure
l'un des
handicaps majeurs de la diplomatie indonésienne
et son principal
point de friction avec les pays occidentaux, notamment avec l'Union
européenne, qui a adopté une position commune sur ce sujet.
Au cours des années récentes, l'Indonésie s'est ainsi
trouvée en difficulté face aux pressions internationales en
faveur d'une évolution de la situation.
L'attribution, en 1996, du prix Nobel de la Paix à Mgr Belo,
évêque timorais, et à M. Ramos Horta, porte-parole de la
résistance en exil, a constitué pour l'Indonésie un
sérieux revers. De même, la commission des droits de l'homme des
Nations unies a-t-elle adopté en 1997 une résolution,
coparrainée par l'Union européenne, sur ce point.
Longtemps au "point mort",
la question du Timor oriental pourrait revenir au
devant de la scène
sous l'effet de la démission du
général Soeharto, qui avive les espoirs de libéralisation
du régime, et de
l'accentuation de la pression internationale
sur
un pays affaibli. Celle-ci portera notamment sur la libération des
prisonniers politiques, notamment M. Xanana Gusmao, ex-dirigeant du FRETILIN
condamné à vingt ans de prison, et sur une évolution du
statut du territoire vers une autonomie accrue.
Ici encore, le nouveau gouvernement devra opter entre des signes d'ouverture,
tels que la reconnaissance d'une certaine autonomie de la province dans le
cadre d'un statut spécial, et le risque, en cas de blocage persistant de
la situation, d'une radicalisation de la jeunesse timoraise, fortement
touchée par le chômage et la pauvreté, et de l'explosion
d'un conflit latent depuis plusieurs années.