B. UNE ÉCONOMIE TRÈS AFFAIBLIE DANS UN CONTEXTE RÉGIONAL DEGRADÉ

Mois après mois, l'économie indonésienne s'est enfoncée dans la crise et doit désormais affronter une récession sans précédent. Elle subit avec une acuité extrême une dégradation économique commune à tous les pays de la zone. Elle reste largement dépendante de l'aide internationale qui ne lui sera accordée qu'en contrepartie de profondes et difficiles réformes.

1. L'affaiblissement durable de l'économie indonésienne

Quelques mois après le déclenchement de la crise monétaire, en août 1997, puis de sa généralisation et de son amplification en janvier 1998, l'économie indonésienne paraît gravement et durablement affaiblie.

Aux facteurs qui entraînent la plupart des pays d'Asie dans la récession s'ajoutent des facteurs proprement nationaux.

En premier lieu, l'Indonésie se trouve au coeur d'une grave dépression qui touche toutes les économies de la région . Contrairement à certaines prévisions, les effets de la crise asiatique se prolongent et ce sont les structures de ces économies elles-mêmes qui sont en cause. La chute des marchés financiers et la dépréciation des devises s'accompagnent dans la plupart des pays de la zone d'une brutale récession.

Tout d'abord, l'afflux des financements qui avait permis un niveau d'investissement considérable, et sans doute excessif, est désormais stoppé. La prudence des investisseurs internationaux, le retrait des banques étrangères qui s'avèrent trop exposées dans la région et les difficultés des banques nationales conduisent à un arrêt du crédit qui amplifie les effets de la récession.

D'autre part, la relance des exportations sous l'effet des dépréciations monétaires, qui pouvait contribuer à une sortie de crise, ne s'est pas produite. Les industries exportatrices, souvent dépendantes de matières premières ou de produits intermédiaires importés, sont finalement plus pénalisées que favorisées par la dépréciation monétaire. Elles ne sont pas venues compenser la baisse de la demande intérieure.

Enfin, le haut niveau des échanges à l'intérieur de la zone asiatique a contribué à amplifier la crise, les pays s'entraînant mutuellement dans la récession du fait de leur interdépendance.

Dans cet environnement régional très défavorable, l'Indonésie paraît la plus touchée et durablement affaiblie.

Sur le plan macroéconomique, les prévisions déjà pessimistes établies en début d'année ont été revues à la baisse. Selon les autorités indonésiennes, la régression du PIB a atteint 8,5 % au premier trimestre et s'élèverait à 10 % sur l'ensemble de l'année. L'inflation devrait approcher voire dépasser les 50 %. Alors que les finances publiques indonésiennes étaient traditionnellement équilibrées, le déficit public prévu se monterait à 3,8 % du PIB.

Dans le cadre des discussions avec le FMI, une stabilisation de la roupie indonésienne au cours de 6 000 roupies pour un dollar à partir du second semestre était escomptée. Quand bien même cette hypothèse très optimiste se réaliserait, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui, elle signifierait une dépréciation de 60 % de la monnaie sur une année, ce qui demeure considérable et traduit un appauvrissement du pays.

La détérioration du tissu industriel n'a pas encore produit tous ses effets et le chômage, déjà en forte hausse depuis le début de l'année, devrait s'amplifier sous l'effet de nouveaux licenciements et de l'arrivée sur le marché du travail des jeunes générations. Bien qu'il soit difficile de disposer d'évaluations statistiques précises, en raison de l'importance du secteur informel, les services officiels estiment que le nombre de chômeurs pourrait atteindre 9 millions de personnes d'ici la fin de l'année 1998 , soit deux fois plus qu'en 1996. Encore ce chiffre peut-il apparaître comme une estimation basse. Par ailleurs, on estime qu'en raison de la croissance démographique l'Indonésie ne peut absorber les 2,7 millions de personnes qui se présentent chaque année sur le marché du travail qu'au prix d'une croissance supérieure à 5 % par an. La récession, si elle perdure, se traduira donc par une montée considérable du chômage.

Chômage et hausse des prix, en particulier pour les produits de première nécessité, provoquent un appauvrissement rapide de la population . En effet, si l'Indonésie a pu se prévaloir d'un revenu annuel par habitant supérieur à 1 000 dollars à partir de 1996, et d'un recul spectaculaire du pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, il faut préciser qu'avant la crise 80 % de sa population disposait d'un revenu annuel moyen de 250 dollars seulement.

L'élévation du niveau de vie reste donc un acquis fragile que la récession risque de brutalement remettre en cause. On peut s'attendre, sous l'effet de la chute des revenus et de la hausse des prix, à une augmentation massive des situations de pauvreté.

2. Un redressement suspendu à la question des réformes économiques et de la dette privée

Alors que la plupart des pays asiatiques en crise ont rapidement réagi en engageant de profondes réformes économiques, l'Indonésie a pour sa part tardé à appliquer de telles mesures et a laissé se détériorer tant sa situation intérieure que la confiance extérieure.

Près de neuf mois après le déclenchement de la crise, deux questions majeures pour le redressement ne sont pas totalement éclaircies : la mise en oeuvre des réformes économiques et la renégociation de la dette privée.

L'absence de réaction rapide face à la crise a été manifeste en ce qui concerne le processus de réforme économique, sans doute en raison d'une prise de conscience tardive de la profondeur de la crise, mais aussi parce que de telles réformes mettaient en cause le fonctionnement même d'un système mêlant politique et économie.

Dès l'automne 1997, à la suite de l'appel à l'assistance financière du Fonds monétaire international, la question des réformes structurelles a été posée. Ces réformes concernaient l'assainissement du secteur bancaire, le report ou la suppression de certaines dépenses publiques d'investissement, la libéralisation du commerce international et des investissements étrangers et le démantèlement des monopoles. Il s'agissait à la fois de favoriser un fonctionnement plus transparent et plus compétitif de l'économie et de mettre fin à certains privilèges indus, instaurés au profit de quelques uns à l'abri de mesures protectionnistes ou dirigistes, au détriment de l'économie nationale.

C'est en contrepartie d'engagements de cette nature que le FMI avait mis au point, en octobre 1997, un programme d'intervention d'un montant total proche de 30 milliards de dollars , associant des aides multilatérales du FMI lui-même, de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement, et des aides bilatérales du Japon, de Singapour, des Etats-Unis, de Brunei, de la Malaisie et de l'Australie. Dans ce cadre, une première tranche de 3 milliards de dollars a été versée dès le mois de novembre.

Très rapidement, un contentieux s'est créé entre les autorités indonésiennes et le FMI sur la mise en oeuvre effective de ce plan.

A la décharge du gouvernement indonésien, on doit souligner que certaines mesures préconisées par le FMI entraînaient des conséquences sociales sévères. Ainsi, la suppression des subventions à certains produits de consommation courante ne pouvait que provoquer une brutale hausse des prix et le démantèlement de certains monopoles de distribution risquait de créer de réelles difficultés dans l'approvisionnement des populations en produits de première nécessité, surtout dans les territoires les plus reculés de l'archipel.

Pour autant, d'autres mesures n'ont été différées ou atténuées que parce qu'elles touchaient des intérêts proches du Président et de sa famille. Il en allait ainsi de certains investissements publics, suspendus dans un premier temps, puis maintenus ensuite. C'était également le cas des privilèges fiscaux, douaniers ou de crédit accordés à la voiture nationale " Timor ", du monopole de la commercialisation du clou de girofle, de la dissolution des cartels du ciment, du papier et du contre-plaqué, ou encore des aides publiques au constructeur aéronautique IPTN.

La réticence des autorités indonésiennes dans l'application du plan de réforme a eu deux conséquences. La première, immédiate, s'est traduite par un véritable " bras de fer " avec le FMI qui, après avoir imposé un accord complémentaire le 15 janvier 1998, a suspendu le versement d'une deuxième tranche de 3 milliards de dollars en mars, avant que ne soit conclu, le 8 avril, un troisième accord. La seconde, tout aussi dommageable, touchait à la confiance de la communauté internationale en l'Indonésie, qui loin de se rétablir, a continué à s'effriter.

A l'heure où le nouveau Chef de l'Etat prenait ses fonctions, la question des réformes économiques était plus que jamais à l'ordre du jour. Ces réformes impliquent une remise en cause profonde du mode de fonctionnement de l'économie indonésienne et par ailleurs, elles ne seront pas sans conséquence sur la situation sociale. Elles ont été au coeur de la contestation politique qui a provoqué la démission du général Soeharto, sont attendues par la communauté internationale et conditionnent également le versement d'une assistance financière dont le pays a un besoin pressant.

Les premiers messages adressés par le Président Habibie semblent reconnaître l'urgence de ces réformes, mais on peut encore se demander si les fortes réticences apparues lors des derniers mois sont aujourd'hui réellement vaincues.

Le second point d'achoppement pour une éventuelle sortie de crise est celui de la dette extérieure privée .

Largement sous-estimée jusqu'à une date récente, elle se monterait à 70 milliards de dollars. Ici encore, le phénomène a été évalué tardivement et son traitement n'a guère avancé durant plusieurs mois. Les négociations engagées entre les banques créancières, les autorités indonésiennes et le FMI n'ont réellement débuté que le 15 avril. Après avoir écarté un règlement "à la mexicaine", dans lequel l'Etat se serait engagé à garantir aux débiteurs un taux fixe pour la conversion en roupie de leur dette libellée en dollar, les négociations se sont enlisées, laissant entrevoir aux établissements bancaires étrangers des pertes très importantes, dans une fourchette que les experts situaient entre 30% et 70%.

Un accord a finalement été conclu le 4 juin à Francfort. Il prévoit une restructuration sur huit ans de la dette extérieure des entreprises privées indonésiennes, avec un délai de grâce de trois ans pendant lequel les sociétés ne paieront que les intérêts. Le gouvernement indonésien créera une agence de restructuration de la dette indonésienne qui garantira aux débiteurs le montant de leur dette en roupies et qui assurera aux créanciers le remboursement en dollars.

Un rééchelonnement et également envisagé pour les dettes interbancaires indonésiennes.

Enfin, les banques internationales se sont engagées à reprendre les crédits nécessaires à l'exportation, avec la garantie de la banque d'Indonésie.

Cet accord était considéré comme susceptible de débloquer les financements internationaux du FMI et à la Banque mondiale.

Il ouvre une période de répit pour les entreprises privées débitrices tout en reportant sur l'Etat une partie du risque financier.

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