a) Les avantages d'une révision " générale "
La
suggestion d'une révision de portée générale est
effectivement séduisante. Les nouveaux développements de la
construction européenne l'amènent à aborder des domaines
traditionnellement considérés comme étant au coeur des
souverainetés nationales : affaires judiciaires et
policières, politique extérieure, sécurité et
défense, fiscalité. Les futurs traités européens
contiendront donc à peu près inévitablement des
dispositions "
affectant les
conditions essentielles d'exercice
de la souveraineté nationale
" selon la jurisprudence du
Conseil constitutionnel, et appelleront donc sans doute à chaque fois
une révision constitutionnelle.
Dans ce contexte, les partisans d'une " clause européenne
générale " soulignent que la formule qu'ils
préconisent simplifierait considérablement la ratification des
traités européens, en évitant d'avoir à passer
systématiquement par deux étapes, la révision
constitutionnelle puis la loi de ratification : seule cette
dernière resterait nécessaire. Simplifiée, la ratification
des futurs traités européens serait également
politiquement facilitée : la nécessité d'une
révision constitutionnelle préalable, en mettant l'accent sur les
questions de souveraineté nationale, peut ne pas prédisposer
favorablement l'opinion publique. Au contraire, la conformité à
la Constitution est toujours un argument positif.
Certains font également valoir qu'une révision de portée
générale constituerait un " signal politique "
important de la part de la France, à un moment où certains Etats
membres, dont l'Allemagne, semble adopter une attitude plus
réservée à l'égard d'un partage plus étendu
des souverainetés et d'un approfondissement de la solidarité
financière.
b) Les objections
L'idée d'une " clause européenne
générale " se heurte cependant à d'importantes
objections.
Tout d'abord, il n'est pas certain qu'une telle clause suffirait à
régler une fois pour toutes le problème de la
constitutionnalité des traités européens. Car, à
moins de modifier également les articles de la Constitution relatifs
à la souveraineté, une marge d'appréciation subsisterait
pour le Conseil constitutionnel sur la combinaison de ces articles et des
articles concernant la construction européenne. Une révision de
portée générale ne rendrait donc pas inutile tout
contrôle de constitutionnalité des traités
européens, et ne mettrait pas ceux-ci à l'abri d'une
déclaration d'inconstitutionnalité.
Ainsi, malgré la " clause européenne " introduite en
1990 par l'Allemagne dans sa Loi fondamentale
(1(
*
))
, ce pays a dû procéder
à une révision constitutionnelle pour pouvoir appliquer les
dispositions du traité de Maastricht relatives au vote des
ressortissants communautaires aux élections municipales et
européennes ; en outre, saisi après la ratification du
traité par des opposants à celui-ci, le Tribunal constitutionnel
allemand a admis la recevabilité d'une des requêtes et s'est
livré à un minutieux examen du traité, n'admettant sa
constitutionnalité que sous certaines réserves
d'interprétation.
Ensuite, on doit souligner qu'un projet de révision de portée
générale se présenterait comme une modification importante
de la Constitution, pour laquelle l'approbation par référendum
pourrait paraître, aux yeux de certains, plus appropriée que la
voie du Congrès. Même si l'article 89 de la Constitution
n'établit aucune hiérarchie entre le recours au
référendum et la voie du Congrès, le choix entre ces deux
formules relevant de la seule responsabilité du président de la
République, il n'en est pas moins vrai que, sur un plan politique, la
position des partisans d'un référendum est toujours d'autant plus
forte que l'enjeu est plus important.
En revanche, une révision spécifique, limitée à ce
qui est nécessaire pour que le traité d'Amsterdam puisse
être ratifié, se présenterait comme une modification de
portée relativement restreinte, pour laquelle le recours au
Congrès aurait peu de chances de rencontrer une opposition
générale.
Or il est clair qu'un référendum sur la construction
européenne ne serait pas sans inconvénient dans le contexte
actuel. Intervenant peu d'années après celui sur le traité
de Maastricht, il ne manquerait pas d'apparaître comme une sorte de
procédure d'appel vis-à-vis de ses résultats, et cela au
moment même où le principal objet de ce traité,
l'unification monétaire, est en train de se concrétiser. De plus,
les difficultés économiques et sociales que connaît
actuellement notre pays, ainsi que le malaise politique qu'il traverse,
pourraient fausser le sens de la consultation.
Dès lors, il ne paraît guère opportun de choisir une forme
de révision prêtant le flanc à une demande de
référendum.
- • Enfin, à supposer qu'une révision de portée générale ait l'efficacité qu'on lui prête, elle ne serait pas sans effet sur l'équilibre des institutions. En effet, à supposer que des révisions constitutionnelles ne soient plus nécessaires pour ratifier les traités européens, ceux-ci relèveraient dès lors uniquement de la loi simple, pour laquelle le Gouvernement peut donner le " dernier mot " à l'Assemblée nationale. La nécessité d'une révision constitutionnelle est au contraire pour le Sénat un moyen de contrôle et d'influence, comme on a pu le constater dans le cas du traité de Maastricht. Il serait paradoxal, alors que les collectivités territoriales sont de plus en plus impliquées dans la construction européenne, de réduire, dans les délibérations les plus importantes concernant l'Union, le rôle de la Chambre qui les représente. Cela irait exactement à l'opposé de l'évolution observée en Allemagne, où l'accord du Bundesrat est désormais requis pour la ratification des traités européens, au motif que ceux-ci ont une influence sur certaines des compétences des collectivités territoriales.