C. LA FRANCE, UN PARTENAIRE PRIVILÉGIÉ POUR UN PAYS CONFRONTÉ A UN ENVIRONNEMENT RÉGIONAL INCERTAIN
Les préoccupations diplomatiques du Cameroun
apparaissent dominées par ses relations avec le grand voisin, le
Nigeria, le pays le plus peuplé d'Afrique avec plus de 100 millions
d'habitants, représente un point d'interrogation majeur tant son
évolution pour les années à venir apparaît
imprévisible. Dans ce contexte, l'intégration régionale
reste trop peu développée pour que le Cameroun puisse trouver
chez ses autres voisins l'appui nécessaire.
Au delà même de ce cercle, et malgré l'appartenance du
Cameroun au Commonwealth, le pays apparaît souvent isolé.
L'amitié de la France et son soutien -qui sait être critique
lorsque les circonstances l'exigent- représentent dès lors un
atout précieux.
1. Un certain isolement diplomatique
a) Cameroun-Nigeria : des relations difficiles
Les relations avec le Nigeria présentent une triple
dimension :
économique
, d'une part, en raison de l'importance du
commerce informel entre les deux pays,
humaine,
d'autre part, avec la
présence au Cameroun de quelque trois millions de Nigérians,
contentieuse
enfin.
En effet, la vitalité démographique du Nigeria ne se traduit pas
seulement par la présence pacifique d'une forte communauté
immigrée au Cameroun, mais aussi par
une pression constante sur toute
la longueur de la frontière (1 800 km)
-et en particulier
autour du lac Tchad dont l'assèchement partiel favorise une extension
nigériane au delà des frontières reconnues. Mais surtout,
le contentieux a pris un tour particulièrement menaçant
après l'occupation, en décembre 1993, de la moitié de la
péninsule de Bakassi
par les troupes nigérianes.
Ce territoire d'un millier de kilomètres carrés, principalement
constitués de mangroves, commande l'accès au port nigérian
de Calabar ; surtout, sa possession détermine la souveraineté sur
les eaux territoriales et la zone économique exclusive dans une
région présumée riche en ressources
pétrolières. L'enjeu explique l'importance accordée par
chacune des deux parties à cette question.
Sur le plan militaire, la position camerounaise paraît précaire.
Certes l'armée camerounaise bénéficie de plusieurs atouts
: le paiement régulier des soldes, un encadrement de qualité par
des officiers formés, pour leur majorité, en France et, enfin,
une attitude de neutralité vis-à-vis du pouvoir politique qui
s'explique en partie grâce au brassage ethnique dont l'armée est
l'instrument.
Cependant les effectifs (30 000 hommes dont 10 000 pour la seule
gendarmerie), même si les deux tiers d'entre eux sont mobilisés
pour la surveillance de la frontière nigériane, ne peuvent
rivaliser avec la puissance militaire du grand voisin. Le budget de la
défense, principalement consacré aux dépenses de
rémunérationS (55 milliards de francs CFA sur un total de 62
milliards de francs) laisse peu de moyens pour les matériels. En outre,
à l'image du fonctionnement de l'administration camerounaise dans son
ensemble, le processus de décision souffre d'une centralisation
excessive. Enfin l'entraînement, comme la formation des troupes, est
demeuré trop longtemps négligé. Autant de facteurs qui
font peser quelques doutes sur la valeur opérationnelle de
l'armée.
Du reste, les autorités camerounaises en sont conscientes et ont
privilégié la voie diplomatique pour régler le conflit sur
Bakassi. Elles ont ainsi saisi en mars 1994 la Cour internationale de justice
de La Haye. Cette juridiction devrait prochainement se prononcer sur sa
compétence, première étape d'une longue procédure
qui ne devrait pas aboutir avant deux ans.
Le Cameroun, convaincu de son bon droit au terme des accords territoriaux
passés entre les deux anciennes puissances coloniales -le Royaume-Uni et
l'Allemagne- a fait savoir qu'il se rendrait aux conclusions de la Cour quel
qu'en soit le sens. Il n'est pas sûr toutefois que le Nigeria se soumette
à une solution juridictionnelle.
Le ministre d'Etat délégué à la présidence
chargé de la défense, M. Amadou Ali, a regretté
devant votre délégation la faiblesse de la réaction
internationale face aux manoeuvres nigérianes. Il est vrai que le
Cameroun, dont la diplomatie s'est montrée jusqu'à présent
peu active, rencontre quelques difficultés à obtenir des soutiens
extérieurs.
b) Une intégration régionale à pas comptés
Sur le plan régional, le Cameroun ne peut pas
réellement compter sur la solidarité de ses voisins -ou trop
faibles ou peu conciliants- pour faire contrepoids à la puissance
nigériane.
Les relations avec la Guinée équatoriale demeurent tendues
même si le Cameroun n'a aucune raison objective de se sentir
menacé par ce pays. Les liens avec le Tchad souffrent de
l'insécurité entretenue aux frontières par les actes de
banditisme souvent conduits par les mouvements de rébellion hostiles au
pouvoir en place à N'Djamena. L'exploitation de l'oléoduc
Tchad-Cameroun apparaît comme le gage d'une coopération
appelée à s'affermir au cours des prochaines années.
Les relations avec la République centrafricaine et avec le Gabon ne
présentent pas de contentieux majeur mais elles ne sont pas non plus
empreintes d'une grande chaleur du fait, parfois, des relations difficiles
entre les chefs d'Etat respectifs de ces pays.
Dans ce contexte, l'intégration régionale, dans le cadre de la
communauté des Etats d'Afrique centrale, marque le pas en raison des
troubles sociaux dont plusieurs Etats de la région sont le
théâtre mais aussi des craintes suscitées chez les pays
voisins par une éventuelle hégémonie du Cameroun.
Le Cameroun assure 65 % des échanges au sein de l'UDEAC -les relations
avec la zone ne représentent que 5 % du commerce camerounais. Dans
ce domaine, les statistiques ne traduisent cependant qu'une part de
vérité et les échanges informels occupent parfois une
place prépondérante.
Après avoir obtenu le siège du secrétariat permanent de
l'Organisation pour l'harmonisation du droit des affaires (OHADA), le Cameroun
a revendiqué avec succès le poste de secrétariat
exécutif au sein de la
Communauté économique et
monétaire de l'Afrique Centrale
(CEMAC), destinée à se
substituer à l'UDEAC. Les nouvelles institutions, dont la mise en place
avait été longtemps bloquée par le Cameroun, devraient
donc pouvoir fonctionner rapidement.
Yaoundé a accueilli, en juillet 1996, le sommet de l'Organisation de
l'unité africaine (OUA) et assuré à partir de cette date
la présidence annuelle de l'organisation panafricaine sans prendre
cependant d'initiative particulière dans une période
marquée par plusieurs crises.
Le Cameroun acceptera-t-il de participer à la mise en place d'une force
interafricaine destinée à prendre le relais de la MISAB en
Centrafrique ? Si les ministres rencontrés par votre
délégation n'ont pas exprimé d'opposition de principe, le
ministre de la défense, M. Amadou Ali nous a cependant manifesté
quelques réticences à engager des contingents camerounais sur un
théâtre extérieur au moment même où les
tensions avec le Nigeria nécessitaient une vigilance maintenue sur les
frontières.
Au-delà du cercle régional, la diplomatie camerounaise semble
avoir toujours connu quelques difficultés à valoriser l'image du
pays auprès des pays occidentaux et singulièrement auprès
des Etats anglo-saxons.
Certes, le Cameroun a été admis en novembre 1995 au sein du
Commonwealth -au moment où le Nigeria en était exclu pour deux
ans. Cependant, le Royaume-Uni a critiqué les conditions dans lesquelles
se sont déroulées les élections législatives de
1997 et notamment le rejet, par les autorités camerounaises, d'un projet
anglo-saxon de formation d'observateur. Les Etats-Unis, quant à eux,
montrent une vigilance particulière pour le respect des droits de
l'homme. Ils témoignent une certaine attention pour les revendications
du SDF comme l'a montré la suspension des deux tiers de leur programme
d'assistance au Cameroun à la suite des élections
contestées de 1992.
Le nouveau gouvernement cherche à donner un nouvel élan à
la politique étrangère du Cameroun comme en témoigne la
nomination auprès du ministre des relations extérieures de deux
ministres délégués : le premier, chargé des
relations avec le Commonwealth, le second, chargé des relations avec le
monde islamique.
Cependant dans un contexte diplomatique difficile, l'amitié de la France
apparaît comme un point stable sur lequel le Cameroun peut compter.