Rapport d'information n° 376 - L'afrique centrale : un nouveau départ ? Les exemples du Cameroun et du Congo
MM. Xavier de VILLEPIN, Guy PENNE et Mme Paulette BRISEPIERRE, Sénateurs
Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces arméesRapport d'information n° 376 - 1997-1998
Table des matières
-
INTRODUCTION
- I. LE CAMEROUN : LE DÉFI DE L'OUVERTURE DANS LA STABILITÉ
- II. LE CONGO : LE DÉFI DE LA RECONSTRUCTION
- CONCLUSION
- EXAMEN EN COMMISSION
-
ANNEXE -
PROGRAMME DE LA MISSION AU CAMEROUN ET AU CONGO DU 15 AU 20 FÉVRIER 1998
N° 376
__
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 7 avril 1998
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires
étrangères, de la Défense et des forces armées (1)
à la suite d'une
mission
effectuée au
Cameroun
et au
Congo
du
15 au 20 février
1998,
Par MM. Xavier de VILLEPIN, Guy PENNE
et Mme Paulette BRISEPIERRE,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, François Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, Charles-Henri de Cossé-Brissac, vice-présidents ; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires ; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jacques Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, André Gaspard, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, André Rouvière, André Vallet.
Afrique centrale.
-
Rapports d'information.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
L'Afrique centrale a connu, au cours de l'année 1997, une succession de
crises qui ont, dans l'ancien Zaïre, emporté le régime du
maréchal Mobutu après trente années d'un pouvoir sans
partage et conduit, au Congo, au terme d'une guerre civile sanglante et
destructrice, au départ forcé du président Lissouba.
Ces événements, liés d'abord à l'évolution
intérieure de chaque Etat (la déliquescence de l'autorité
politique à Kinshasa, le choc d'ambitions rivales de l'autre
côté du fleuve), revêtaient cependant une dimension
internationale, ne serait-ce que par l'intervention dans les deux cas de forces
étrangères (rwandaises au Zaïre, angolaises au Congo). En
outre, la déstabilisation de ces deux pays menaçait, par effet de
contagion, de se communiquer aux pays voisins rendus vulnérables par les
difficultés économiques, mais aussi par les rigidités des
pouvoirs en place. Le Gabon, le Cameroun ne risquaient-ils pas à leur
tour de s'embraser ?
La maîtrise des richesses économiques d'une région dont les
ressources pétrolières attisent les convoitises pouvait-elle
dès lors se décider à l'occasion de ces
événements ? A l'enjeu économique s'ajoutait pour la
France la mise en cause possible de son influence dans une zone où sa
présence reste traditionnellement forte.
Certes, le scénario annoncé par les tenants de la théorie
des dominos ne s'est pas vérifié. Cependant, avec le recul du
temps, quatre interrogations majeures demeurent :
- Les régimes actuels peuvent-ils combiner stabilité politique et
transition démocratique ?
- Le retour à la croissance observé dans la plupart des pays de
la zone constitue-t-il une orientation durable ?
- De nouveaux équilibres diplomatiques à l'échelle
régionale se sont-ils formés à la suite des
événements de 1997 ?
- Quel rôle les grandes puissances et en particulier les Etats-Unis et la
France comptent-elles jouer sur le continent ?
Cette question présente une importance particulière au moment
où la France met en place un nouveau dispositif de coopération.
Soucieuse de contribuer à apporter des réponses à ces
différentes interrogations, votre commission a décidé
d'organiser une mission, du 15 au 21 février dernier, au Cameroun et au
Congo, deux pays dont l'évolution importe particulièrement
à la France et joue un rôle essentiel dans l'équilibre de
l'ensemble de l'Afrique centrale. A Brazzaville, il s'agissait également
de renouer les liens avec les nouvelles autorités et de prendre la
mesure des besoins soulevés par la reconstruction du pays.
Au Cameroun, la délégation présidée par M. Xavier
de Villepin, et composée de M. Guy Penne et de Mme Paulette Brisepiere,
a rencontré, en l'absence du président Biya -en voyage
privé en Europe pendant la durée de la mission- le premier
ministre, M. Peter Musonge, les principaux ministres d'Etat (défense,
relations extérieures, économie et finances), plusieurs
ministres, le secrétaire général de la présidence,
M. Hamidou Marafa, le président de l'Assemblée nationale et de
nombreux députés parmi lesquels plusieurs représentants de
l'opposition.
Au Congo, la délégation a pu s'entretenir avec le chef de l'Etat,
M. Denis Sassou-Nguesso, le président du conseil national de
transition, M. Justin Koumba, ainsi que les principaux ministres
(planification et privatisation, reconstruction, justice, relations avec le
parlement) et l'administrateur-maire de Brazzaville, M. Yoka. Elle a
également rencontré M. Milongo, membre du conseil national
de transition et ancien président de l'Assemblée et M.
Thystère-Tchikaya, ancien député-maire de Pointe-Noire.
Enfin, tant au Cameroun qu'au Congo, de nombreux contacts avec la
communauté française ont pu être ménagés.
La qualité de l'accueil qui nous a été
réservé par les personnalités camerounaises et congolaises
témoigne de la force de l'amitié qui unit la France à ces
deux pays.
L'intérêt des entretiens a permis d'éclairer votre
délégation sur la situation présente du Cameroun et du
Congo et sur les perspectives d'évolution de la région. Elle
tient à cet égard à remercier MM. Philippe Selz,
ambassadeur de France à Yaoundé, Hervé Bollot, ambassadeur
de France à Brazzaville, ainsi que l'ensemble de leurs collaborateurs,
dont le concours précieux a permis le parfait déroulement des
travaux de la délégation.
I. LE CAMEROUN : LE DÉFI DE L'OUVERTURE DANS LA STABILITÉ
Le Cameroun présente
une double
singularité
, la première liée à la
géographie, la seconde à l'histoire.
En effet, d'une part ce pays occupe une position stratégique
particulière à la charnière entre l'Afrique occidentale et
l'Afrique centrale, mais aussi entre le monde soudanais au nord et le monde
bantou au sud.
D'autre part, le Cameroun a hérité de son histoire coloniale
plusieurs traits spécifiques, au premier rang desquels le bilinguisme
franco-anglais. Colonie allemande de 1884 à 1918, le Cameroun a
été placé sous mandat de la Société des
Nations (puis sous tutelle par l'Organisation des Nations unies à partir
de 1946), administré par le Royaume-Uni pour sa partie occidentale et
par la France pour sa partie orientale, de loin la plus étendue. En
1961, la zone anglaise se détermina par référendum pour le
rattachement au Cameroun dans le cadre d'un Etat fédéral,
à l'exception de sa partie septentrionale qui opta pour
l'intégration au Nigéria.
Cependant, éprouvé par la longue rébellion animée
par l'Union des populations du Kamerun (UPC) dans la partie sud-occidentale du
pays -en pays bassa et bamiléké-, le pouvoir camerounais se
prononça en 1972 pour un Etat unitaire considéré comme
mieux à même de conjurer le spectre du séparatisme.
Aujourd'hui, sur une population estimée à 14 millions
d'habitants, le pays compte 80 % de francophones et 20 % d'anglophones et les
relations entre les deux communautés linguistiques du pays demeurent un
facteur d'incertitude pour le pays.
Cependant, malgré ces clivages, le Cameroun a connu une
stabilité politique
remarquable. Deux présidents seulement
se sont succédé depuis l'indépendance, M. Ahmadou Ahidjo
(premier ministre en février 1958, président de 1960 à
1982) et après son retrait volontaire du pouvoir en 1982, M. Paul Biya ;
un sudiste d'origine Béti prenait ainsi la suite d'un homme du nord,
d'origine peuhle et musulman.
De la capacité du Cameroun à surmonter le défi de la
transition démocratique et à retrouver les voies de la croissance
dépendra la sauvegarde, dans les années à venir, de la
stabilité de ce pays.
A. LA DIFFICULTÉ D'UNE TRANSITION DÉMOCRATIQUE DANS UNE SOCIÉTÉ MARQUÉE PAR DE NOMBREUX CLIVAGES
Le Cameroun est souvent apparu au cours de la dernière
décennie comme l'"homme malade" de l'Afrique francophone. La
succession
des crises en Afrique centrale, au cours de l'année 1997, a même
laissé croire à certains, adeptes de la théorie des
dominos, que le Cameroun constituerait la prochaine étape d'un large
processus de déstabilisation à l'oeuvre dans toute cette partie
du continent.
Force est d'observer que ces sombres pronostics ne se sont pas
confirmés. Certes, les facteurs de faiblesse ne manquent pas mais le
pouvoir politique a su neutraliser les nombreux clivages de la
société camerounaise, à la faveur d'équilibres
délicats mais finalement durables. Il lui faut maintenant
préserver la stabilité du pays sans le "confort" procuré
par un système de parti unique mais, au contraire, en s'engageant sur
les voies de l'ouverture politique.
1. Un équilibre politique complexe mais nécessaire
a) Les facteurs de faiblesse
Les facteurs de faiblesse apparaissent de plusieurs sortes.
En
premier lieu, le Cameroun, sur fond de mosaïque ethnique (quelque 240
ethnies avec une dizaine de regroupements influents), connaît un double
clivage linguistique (entre les anglophones de l'ouest et les francophones) et
religieux entre les musulmans du nord et les chrétiens du sud. Certes,
cette multiplicité n'appartient pas en propre au Cameroun mais elle
paraît très accusée dans ce pays et représente
à coup sûr un
frein à l'affirmation d'un Etat
national
.
En second lieu, la crise économique des années 80 a
entraîné une
forte dégradation de l'esprit public.
La corruption et les détournements de fonds se sont répandus
à de nombreux échelons de l'administration et pèsent
certainement sur la reprise économique.
En outre, les principes de la démocratie ont quelques difficultés
à entrer dans les usages de la classe politique camerounaise. Le
décalage assez souvent observé entre les taux de participation
annoncés -de l'ordre de 80 à 90 % du corps électoral-
et les taux de participation effectifs traduit une certaine nostalgie pour les
pratiques anciennes. L'opposition n'est pas loin de partager un état
d'esprit comparable quand elle récuse systématiquement les
résultats électoraux qui ne lui sont pas favorables. Dans ces
conditions, le débat politique ne peut pas réellement s'engager ;
les partis ne s'opposent pas vraiment sur des projets de société
différents mais paraissent surtout guidés par l'attrait du
pouvoir.
Enfin, le souci de préserver les équilibres existants comme
l'extrême
centralisation
du pouvoir confèrent au processus
de décision une lenteur excessive. Dans bien des cas, le pouvoir se
décide à réagir sous la seule pression extérieure.
b) Les facteurs d'équilibre
Toutefois, malgré ces éléments de
vulnérabilité, le Cameroun connaît une stabilité
dont les pays voisins n'offrent pas toujours l'exemple. Trois facteurs
principaux expliquent l'équilibre présent.
En premier lieu, les quinze premières années du Cameroun
indépendant ont été marquées par les violences
entretenues par les mouvements de dissidence. En 1984 encore, une tentative de
coup d'Etat était sévèrement réprimée. Ces
souvenirs constituent désormais pour l'opinion publique un garde-fou
contre la violence.
En second lieu, la stabilité du Cameroun repose sur un
compromis
implicite entre les ethnies de la mosaïque camerounaise : aux
chrétiens bamilékés de l'Ouest (francophones comme
anglophones) l'essentiel du pouvoir économique et commercial, aux
ethnies du Nord et du Sud -principalement les Bétis- la maîtrise
de l'autorité politique. Depuis l'indépendance du Cameroun
l'alliance des Bétis chrétiens du centre sud, des Foulbès
animistes et des Kirdis animistes ou chrétiens du nord, répond au
souci d'assurer un contrepoids au dynamisme économique des populations
bamilékés. Au sein de cette alliance les équilibres
peuvent certes varier sans que soit, toutefois, remise en cause une
solidarité de principe. A titre d'exemple, sur une quarantaine de
membres, le gouvernement actuel ne compte que deux Bamilékés. La
volonté de perpétuer ces équilibres explique en partie la
centralisation des décisions nécessaires pour répartir les
postes aux différents échelons de l'administration.
L'autre force du Cameroun réside sans doute, enfin, dans un
encadrement administratif solide
(du gouvernement au chef de quartier en
passant par les préfets, sous-préfets, maires, chefs de quartier)
et dans une
armée loyale
et régulièrement
payée.
2. Les signes d'une ouverture politique
Le souci de sauvegarder les équilibres savamment
élaborés au temps du monopartisme explique sans doute, en partie,
les difficultés du Cameroun à s'engager sur les voies de la
démocratie au début des années 90. Plus conscient
peut-être aujourd'hui qu'hier qu'une démocratisation
maîtrisée constitue, à terme, le meilleur gage de
stabilité, le pouvoir a, au terme des différents scrutins de
l'année 1997, donné les témoignages d'une véritable
ouverture politique.
Au cours des années qui ont suivi l'introduction, sous la pression
populaire, du multipartisme fin 1990, le contexte politique s'est
modifié :
le pouvoir présidentiel, d'abord
ébranlé par les premières élections pluralistes de
1992, s'est renforcé à la suite des différents scrutins de
1997.
a) Une transition difficile pour le régime de M. Biya
En effet, le parti du Président Biya, le Rassemblement
Démocratique du peuple camerounais (RDPC), n'avait emporté les
élections de 1992
qu'à une courte majorité (88
sièges sur 180) alors même qu'une partie de l'opposition dont le
Front social démocratique (Social Democratic Front -SDF) dirigé
par l'anglophone John Fru Ndi avait choisi l'abstention. Par ailleurs aux
présidentielles d'octobre 1992, au scrutin majoritaire à un tour,
le Président Biya obtenait une réélection difficile avec
40 % seulement des suffrages contre 36 % à M. Fru Ndi et 19 % à
M. Bello Bouba Maïgari (Union nationale pour la démocratie et le
progrès -UNDP).
La fragilité des résultats a placé le pouvoir dans une
position défensive.
D'une part, il s'est refusé à tout dialogue avec l'opposition. La
contestation par M. Fru Ndi de la régularité du scrutin
-également mise en cause par certains observateurs internationaux- a
même eu pour conséquence l'assignation à résidence
du chef du SDF et la proclamation de l'état d'urgence dans le nord-ouest
pendant deux mois. D'autre part, la réforme institutionnelle a
marqué le pas. Ainsi la révision constitutionnelle engagée
par la "conférence tripartite" de 1991 (création d'un
Sénat, d'une Cour constitutionnelle et mise en place d'une large
décentralisation), adoptée par l'Assemblée en
décembre 1995 seulement, n'a reçu pour l'heure aucune traduction
.
Enfin, les autorités n'ont trouvé d'autres réponses aux
critiques d'une presse indépendante -mais pas toujours rigoureuse- que
la censure ou la condamnation des journalistes à des peines de prison.
Le succès du SDF et de l'UNDP lors des
élections municipales
de janvier 1996
dans la plupart des grandes villes n'a pas contribué
à décrisper les relations entre la majorité et
l'opposition. Il a conduit, en effet, le gouvernement à désigner
au printemps 1996, dans des conditions juridiques controversées, des
délégués à la tête des principales villes
camerounaises. Le SDF a réagi en appelant à des journées
"ville morte". Cependant ce mot d'ordre ne rencontra pas, cette fois,
beaucoup
d'écho au sein d'une opinion quelque peu désabusée.
Les échéances électorales de 1997 (législative de
mai et présidentielle d'octobre) se sont ainsi engagées dans un
climat de tension encore alourdi par les troubles dans le nord du pays
fomentés selon toute vraisemblance par un mouvement irrédentiste,
le Southern Cameroon National Council.
L'opposition (SDF, UNDP et l'Union Démocratique du Cameroun -UDC-)a
critiqué les conditions d'organisation des deux scrutins et même
appelé au boycott à l'élection présidentielle
d'octobre faute d'une réforme de la loi électorale.
En effet, au moment de la préparation de l'élection
présidentielle, les autorités n'ont tenu aucun compte des
critiques faites par les observateurs internationaux sur l'organisation des
élections législatives (obstacles aux inscriptions sur les listes
électorales et cas avérés de fraude). Elles ont même
conféré à l'administration territoriale, en septembre
dernier, un pouvoir quasi discrétionnaire d'accepter ou de refuser toute
candidature.
b) Un pouvoir consolidé
Malgré ce contexte difficile, les scrutins successifs
se sont déroulés dans le calme, signe sans doute de la lassitude
de la population. Ils ont contribué à renforcer le pouvoir en
place. Les élections législatives ont permis au RDPC
d'accroître le nombre de ses élus (116 sièges sur 180).
Elles ont également confirmé l'enracinement régional des
deux principaux mouvements d'opposition : l'emprise du SDF
-représenté pour la première fois à
l'Assemblée nationale avec 43 sièges- sur l'ouest anglophone et
l'influence de l'UNDP dans le nord -même si les sièges acquis
à ce parti se contractent de 68 à 13 d'une législature
à l'autre.
Aux présidentielles, l'incapacité de l'opposition à
s'entendre sur un candidat unique en raison de rivalités personnelles
mais aussi de considérations ethniques, puis sa décision de
boycotter le scrutin, garantissait à M. Paul Biya une
réélection sans difficultés, même si par ailleurs le
nombre des suffrages -92,57 % des voix- comme le taux de participation
-80 %- laissent prise à la contestation.
Fragile, le pouvoir s'était cantonné à une position
défensive. Désormais renforcé, il semble prêt
à donner les signes d'une réelle ouverture. Il en a
apporté du moins un double témoignage.
En premier lieu, le Président de la République a offert à
l'opposition la
possibilité de participer au gouvernement :
si le
SDF et l'UDC ont refusé cette proposition, l'UNDP l'a, quant à
elle, acceptée et obtenu deux portefeuilles (le ministère d'Etat
au développement industriel et commercial qui revient au
président de ce parti, M. Bello Bouba Maïgari, et le
secrétariat d'Etat aux transports). L'équipe gouvernementale
toujours dirigée par M. Peter Mafany Musonge a, du reste,
été en partie renouvelée et rajeunie, même si les
principaux titulaires des ministères économiques ont
été reconduits afin d'inscrire l'action du nouveau gouvernement
dans la continuité des orientations adoptées par le Cameroun au
cours des derniers mois -et en particulier l'effort pour nouer de bonnes
relations avec la communauté financière internationale.
En second lieu, le parti majoritaire, le RDPC, et le principal mouvement
d'opposition sont convenus d'engager
un dialogue
consacré aux
modalités d'organisation des élections. Les discussions ouvertes
au début de l'année ont toutefois été suspendues
avant que le comité d'études conjoint mis en place ne puisse
rendre , comme prévu, ses conclusions à la fin du mois de
février. Les divergences se cristallisent en effet sur la
création d'une commission électorale nationale
indépendante souhaitée par le SDF. La majorité estime
avoir concédé un point important sur le fonctionnement des
organismes de contrôle existants en acceptant que leur présidence
revienne à des magistrats et non à des représentants de
l'administration. Aux yeux du SDF, ces avancées demeurent très en
deçà de l'objectif qu'elle poursuit de dessaisir l'administration
de l'ensemble de l'organisation de la procédure électorale.
Votre délégation a pour sa part plaidé auprès des
responsables du SDF en faveur du dialogue au moment où le Cameroun doit
mobiliser toutes ses forces pour poursuivre son redressement économique.
Par ailleurs, interrogé par votre délégation sur la
situation des
droits de l'homme
au Cameroun, le Premier ministre M.
Musonge a exprimé sa volonté de donner à ce thème
ainsi qu'à "la bonne gouvernance" une place accrue dans les
préoccupations du nouveau gouvernement. Sur ce chapitre, votre
délégation a d'ailleurs évoqué devant les
autorités camerounaises l'affaire de l'incarcération du
journaliste d'opposition Pius Njawe.
Comme l'a observé le Premier ministre, les progrès dans ce
domaine doivent s'inscrire dans le cadre d'un effort continu et ne pourront se
juger que sur le moyen terme.
B. LA RECHERCHE D'UNE CRÉDIBILITÉ NOUVELLE DANS LE DOMAINE DE LA GESTION ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
Au lendemain d'une période de croissance soutenue (en
particulier de 1980 à 1985, années au cours desquelles le PIB a
été multiplié par trois), le Cameroun s'est enfoncé
dans la crise sous l'effet d'un double facteur : la baisse du prix du
pétrole (de l'ordre de 65 %) aggravée par l'érosion du
dollar et la contraction des cours des matières premières (- 11 %
pour le café, - 24 % pour le cacao) et une gestion laxiste.
Les finances publiques se sont profondément dégradées et
l'alourdissement de la dette publique a contraint le Cameroun à mettre
en oeuvre un premier programme d'ajustement structurel approuvé par le
FMI. Cette crise ouvre une période de récession de huit
années (1986-1994) pendant lesquelles le produit intérieur brut a
été divisé par deux. Elle a eu pour conséquence une
chute spectaculaire du revenu par habitant que traduit en particuler la
réduction de moitié de la consommation en dix ans ; contraint de
limiter les dépenses publiques, le gouvernement camerounais a choisi,
dans un premier temps, de baisser les traitements de la fonction publique
plutôt que le nombre de fonctionnaires.
La dévaluation du franc CFA, en 1994, est venue, dans un premier temps,
redoubler les effets de cette contraction. Le changement de parité a
toutefois jeté les bases d'un retour à la croissance même
si celle-ci demeure encore insuffisante pour faire sentir ses effets dans la
population.
1. Les moyens d'une croissance durable
L'économie camerounaise présente de nombreux atouts que la dévaluation du franc CFA a permis de mieux valoriser.
a) De nombreux atouts
Le Cameroun dispose de quatre atouts décisifs.
En premier lieu, malgré des disparités régionales, la
production vivrière
(et au premier chef, le sorgho) permet, dans
l'ensemble, de satisfaire les besoins de la population.
En outre, le Cameroun bénéficie de
richesses naturelles
dont la commercialisation constitue une source importante de recettes à
l'exportation. La production de bois (de l'ordre de 3 millions de mètres
cubes sur la période 1996-1997, même si 2 millions seulement se
prêtent à l'exploitation) place le Cameroun au second rang des
pays africains derrière l'ancien Zaïre et représente 16 %
des recettes d'exportations. Le café (100 000 tonnes, 7 % des recettes
d'exportation), le coton (230 000 tonnes, 6,6 % des recettes d'exportation), le
cacao (126 000 tonnes, 6,4 % des recettes d'exportation) représentent
aussi des sources appréciables de devises. Surtout,
le
pétrole
a pris une place prépondérante dans
l'économie camerounaise depuis le début des années 80,
même si la production a décru (5 millions de tonnes en 1995 contre
10 millions en 1989) en raison de l'épuisement des réserves du
pays ; il assure aujourd'hui
41,5 % des recettes d'exportations du pays
.
Le pays avec un PIB de 5 135 milliards de Francs CFA représente
ainsi la moitié du potentiel économique des Etats de l'Union
douanière et économique de l'Afrique centrale (UDEAC).
Grâce à sa
position de carrefour
entre le Nigeria, le
Tchad, la RCA, le Gabon, le Congo et la Guinée équatoriale, il
peut, et c'est là son troisième atout, servir de couloir de
transit pour les pays enclavés.
Enfin, le Cameroun dispose en partie grâce à un taux de
scolarisation supérieur à la moyenne des Etats d'Afrique
francophone, d'une
main-d'oeuvre de qualité
et d'une élite
bien formée.
b) Une orientation économique plus favorable
L'évolution économique du Cameroun lui
permettra-t-elle de valoriser ce potentiel important ? Trois
éléments permettent de l'espérer : le retour de la
croissance, l'assainissement des finances publiques et l'amélioration
des relations avec les bailleurs de fonds internationaux.
.
Le retour de la croissance
A suite de la dévaluation, le Cameroun a renoué avec la
croissance, estimée à 3,3 % en 1994-1995 et à 5 % au cours
des deux dernières années. La compétitivité accrue
des productions camerounaises a relancé les exportations. Ainsi, les
échanges ont progressé de 21 % en valeur au cours de l'exercice
1996-1997 par rapport à l'exercice précédent. La balance
commerciale enregistre un excédent de 274 milliards de francs CFA en
hausse de 25 milliards, lié essentiellement aux ventes de pétrole
(hors pétrole, en effet les échanges se soldent par un
déficit de près de 25 milliards de francs CFA).
En outre, certains projets ouvrent au Cameroun les perspectives d'une
croissance plus durable. Les espoirs se concentrent en particulier sur
l'oléoduc Tchad-Cameroun
dont les travaux commenceront cette
année. L'oléoduc d'une longueur de 1 500 km reliera les champs
pétrolifères tchadiens de Doba (riches de réserves
estimées à 135 millions de tonnes) au port camerounais de Kribi.
Le projet représente un investissement de 3,2 milliards de dollars dont
l'essentiel financera la construction de l'oléoduc (enterré
à 1 mètre de profondeur) confiée, pour la partie
camerounaise, à une société de transport d'hydrocarbures
(formée par un consortium auquel participent le Cameroun, 8,3 % ; le
Tchad, 5 % ; Elf, 17,3 % ; Shell, 34,5 % ; Exxon, 34,5 %).
La crise asiatique
demeure un facteur d'incertitude car si elle peut
favoriser un renouveau d'intérêt pour l'Afrique, elle risque en
revanche d'affecter les secteurs bois et coton pour lesquels le marché
asiatique représente respectivement 38 % et 65 % des exportations.
.
L'assainissement des finances publiques et la mise en oeuvre
de réformes de structures
Le retour à la croissance s'est inscrit dans un climat économique
assaini. L'inflation reste maîtrisée et n'a pas
dépassé 4,3 % sur l'exercice 1996-1997 alors qu'elle approchait
30 % en 1994. Par ailleurs, les autorités ont limité les
dépenses publiques. Parallèlement, les recettes
budgétaires ont progressé de 17 % sur la période 1996-1997
grâce à une conjoncture favorable et à une meilleure
budgétisation des recettes (en hausse de 43 %) procurées par le
secteur pétrolier. Ainsi la situation financière de l'Etat s'est
améliorée en 1996-1997. Le solde primaire (solde
budgétaire dont sont retranchés les intérêts de la
dette) est passé de 28 milliards de francs CFA en 1993-1994 (moins de 1
% du PIB) à 297 milliards de francs en 1996-1997 (près de 6 % du
PIB). Cette évolution a permis de financer sur
ressources propres
une grande partie des versements au titre de la dette extérieure. Ce
dernier point a été déterminant dans la décision
des bailleurs de fonds à d'accorder une nouvelle facilité
d'ajustement structurel au Cameroun.
Par ailleurs, les autorités camerounaises, après plusieurs
années d'immobilisme, paraissent montrer plus de résolution dans
la réforme d'une économie marquée par le poids excessif de
l'Etat. Certes, le
programme des privatisations
a enregistré
plusieurs retards
1(
*
)
. En effet, il se heurte au
souci manifesté par certains responsables des sociétés
publiques de préserver des sources de revenu avantageuses ou des
réseaux de financement opaque. La restructuration du secteur bancaire
paraît quant à elle bien avancée. Les mesures
adoptées dans ce domaine se sont traduites notamment en 1997 par la mise
en liquidation du Crédit agricole du Cameroun et la reprise des actifs
sains de la plus grande banque du pays, la Banque internationale pour le
commerce et l'industrie (BICI). Toutefois cette restructuration a fortement
réduit l'implantation nationale des banques (77 agences contre 120 avant
la restructuration) et limité leurs activités aux seules
opérations rentables. Les besoins de financement dans les domaines de
l'habitat social, de l'agriculture et des PME demeurent insatisfaits sans que
le développement d'un réseau financier coopératif puisse
vraiment prendre le relais d'un système financier déficient.
.
L'amélioration des relations avec les bailleurs de
fonds
Le non-respect par le Cameroun des quatre précédents accords
signés avec le FMI avait considérablement affecté la
crédibilité de ce pays auprès de la communauté
financière internationale. L'octroi, le 21 août 1997, d'une
nouvelle facilité d'ajustement structurel renforcé
(FASR)
de 162 millions DTS (environ 222 millions de dollars sur trois ans) a
ouvert la voie à un accord sur le réaménagement de la
dette publique extérieure dans le cadre du Club de Paris en octobre
dernier. Les pays créanciers se sont engagés à annuler une
partie de la dette publique extérieure (soit 540 millions de dollars sur
9 milliards de dollars).
La Banque mondiale pourrait débloquer prochainement un crédit
d'ajustement structurel de 150 millions de dollars tandis qu'un nouveau
programme indicatif national (PIN) de 113 millions d'écus a
été conclu avec l'Union européenne. Le ministre des
finances a souligné devant votre délégation la ferme
résolution des autorités camerounaises de respecter le programme
d'ajustement structurel négocié avec le FMI. Une mission de revue
à mi-parcours de la première année du programme FASR
organisée par le FMI a d'ailleurs pu faire état, en
février dernier, de résultats encourageants. Le respect des
critères de performance du programme pendant six mois consécutifs
constitue une "première" dans le processus d'ajustement structurel.
Le Cameroun paraît ainsi déterminé à restaurer sa
crédibilité auprès des bailleurs de fonds dont le soutien,
il est vrai, lui demeure indispensable.
2. Une économie encore fragile
L'économie camerounaise souffre encore de nombreux facteurs de vulnérabilité. Aujourd'hui la nécessité d'un second souffle pour étayer la croissance sur des bases plus durables ne fait pas de doute.
a) Les sources de vulnérabilité
L'économie camerounaise connaît encore deux
facteurs de fragilité : une dépendance excessive vis-à-vis
des recettes à l'exportation et le poids de la dette.
Les exportations reposent principalement sur un nombre limité de
matières premières et placent ainsi la conjoncture camerounaise
sous l'influence de facteurs non maîtrisables, qu'il s'agisse des
conditions climatiques ou de l'évolution du cours du dollar et des
produits concernés. En outre, le pétrole représente plus
de 40 % des exportations tandis que le montant des réserves connues
ne dépasse pas, à ce jour, 10 ans.
Par ailleurs, la
dette publique extérieure
reste lourde (9
milliards de dollars fin 1996, soit 90 % du PIB) même si, dans le
cadre du programme FASR et après la conclusion du nouvel accord de
rééchelonnement avec le Club de Paris, la part des revenus
budgétaires consacrés au service de la dette se réduira
(de 32 % en 1996-1997 à 29 % en 1997-1998 puis 27 % en 1998-1999 et
enfin 24 % en 1999-2000). L'allégement relatif de la contrainte
extérieure permettra de dégager de nouvelles ressources pour
l'investissement public mais aussi un relèvement des traitements des
fonctionnaires, aujourd'hui nécessaire pour remobiliser
l'administration, après les inévitables ponctions subies depuis
le début des années 1990.
b) La nécessité d'un second souffle
Excessivement dépendante à l'égard de
quelques produits de base, l'économie camerounaise doit rechercher une
plus grande diversification. Dans cette perspective? le rôle des
investissements privés apparaît comme la clef du
développement. Encore faut-il lever auparavant deux hypothèques :
l'insuffisance des infrastructures et, surtout peut-être, l'état
préoccupant de l'environnement des affaires.
La situation des
infrastructures
n'apparaît pas, malgré
quelques réussites (la route Yaoundé-Douala, par exemple),
satisfaisant. Douala, la capitale économique du pays, ne dispose pas
ainsi des infrastructures nécessaires à sa population (plus de
1,5 million d'habitants) ni à sa vocation de métropole
économique. Sur 4 000 km de voirie, 400 seulement sont
bitumés, alors même que le niveau de pluviométrie
(4 000 mm d'eau) provoque pendant la saison des pluies une saturation de
la nappe phréatique sur 60 % du territoire de la ville.
Quant au
port de Douala
, véritable poumon économique pour
l'ensemble de la région, il souffre d'une gestion peu rigoureuse. A
titre d'exemple, les délais de sortie de marchandises
s'élèvent à 25 jours en moyenne contre trois jours
à Libreville. En outre, les responsables n'organisent pas avec la
régularité nécessaire les opérations de drague
indispensables pour lutter contre l'envasement d'un port situé en effet
à l'embouchure d'un fleuve peu profond. L'impéritie
administrative a pour conséquence de limiter fortement la
capacité du port.
L'esprit de réforme se heurte ici, comme dans d'autres domaines,
à la défense de rentes de situations souvent fort profitables.
L'assainissement du climat général des affaires passe par une
restauration de l'esprit public
.
En effet, la compression des dépenses publiques, si elle revêtait
un caractère indispensable après les excès des
années 80, a pesé sur l'organisation et le fonctionnement des
services publics.
La dégradation des revenus des fonctionnaires au début de la
présente décennie n'a pas eu pour conséquence une
explosion sociale mais plutôt le développement de
l'absentéisme et de la corruption. Ces pratiques aujourd'hui très
largement répandues nuisent beaucoup à l'efficacité des
services publics et, par contrecoup, à l'activité des entreprises.
Par ailleurs, l'essor corrélatif d'une économie parallèle
qui échappe à tout contrôle a pour effet de réduire
la ressource imposable et de faire porter tout le poids de la fiscalité
sur les sociétés -en particulier les entreprises
françaises- respectueuses de la légalité.
Ainsi l'effort doit-il porter en priorité sur la motivation des
fonctionnaires grâce aux marges de manoeuvre que pourrait dégager
la croissance si elle se confirmait ainsi que sur l'amélioration des
conditions de la
collecte fiscale.
Ce dernier point apparaît
d'ailleurs, comme l'a souligné le ministre d'Etat chargé de
l'économie et des finances, M. Edouard Akame Mfoumou, devant votre
délégation, comme une priorité de l'action gouvernementale.
Par ailleurs, le Premier ministre nous a indiqué que dès le mois
de mars 1998 serait mis en oeuvre, avec le soutien du Programme des Nations
unies pour le développement (PNUD), un programme de "bonne
gouvernance".
Cette initiative s'inscrit dans le sillage du comité installé
auprès de M. Musonge pour lutter contre la corruption.
Enfin la situation préoccupante des secteurs sociaux, qu'il s'agisse de
la santé et de l'éducation demeurent des obstacles à un
véritable développement durable. A ce titre elle justifie un
effort particulier des autorités mais aussi des bailleurs de fonds.
Aujourd'hui la population camerounaise n'a pas encore perçu les fruits
du retour à la croissance. La politique économique du nouveau
gouvernement se jugera à l'aune de sa capacité à
promouvoir une répartition plus équitable du revenu national dans
le respect des grands équilibres financiers.
C. LA FRANCE, UN PARTENAIRE PRIVILÉGIÉ POUR UN PAYS CONFRONTÉ A UN ENVIRONNEMENT RÉGIONAL INCERTAIN
Les préoccupations diplomatiques du Cameroun
apparaissent dominées par ses relations avec le grand voisin, le
Nigeria, le pays le plus peuplé d'Afrique avec plus de 100 millions
d'habitants, représente un point d'interrogation majeur tant son
évolution pour les années à venir apparaît
imprévisible. Dans ce contexte, l'intégration régionale
reste trop peu développée pour que le Cameroun puisse trouver
chez ses autres voisins l'appui nécessaire.
Au delà même de ce cercle, et malgré l'appartenance du
Cameroun au Commonwealth, le pays apparaît souvent isolé.
L'amitié de la France et son soutien -qui sait être critique
lorsque les circonstances l'exigent- représentent dès lors un
atout précieux.
1. Un certain isolement diplomatique
a) Cameroun-Nigeria : des relations difficiles
Les relations avec le Nigeria présentent une triple
dimension :
économique
, d'une part, en raison de l'importance du
commerce informel entre les deux pays,
humaine,
d'autre part, avec la
présence au Cameroun de quelque trois millions de Nigérians,
contentieuse
enfin.
En effet, la vitalité démographique du Nigeria ne se traduit pas
seulement par la présence pacifique d'une forte communauté
immigrée au Cameroun, mais aussi par
une pression constante sur toute
la longueur de la frontière (1 800 km)
-et en particulier
autour du lac Tchad dont l'assèchement partiel favorise une extension
nigériane au delà des frontières reconnues. Mais surtout,
le contentieux a pris un tour particulièrement menaçant
après l'occupation, en décembre 1993, de la moitié de la
péninsule de Bakassi
par les troupes nigérianes.
Ce territoire d'un millier de kilomètres carrés, principalement
constitués de mangroves, commande l'accès au port nigérian
de Calabar ; surtout, sa possession détermine la souveraineté sur
les eaux territoriales et la zone économique exclusive dans une
région présumée riche en ressources
pétrolières. L'enjeu explique l'importance accordée par
chacune des deux parties à cette question.
Sur le plan militaire, la position camerounaise paraît précaire.
Certes l'armée camerounaise bénéficie de plusieurs atouts
: le paiement régulier des soldes, un encadrement de qualité par
des officiers formés, pour leur majorité, en France et, enfin,
une attitude de neutralité vis-à-vis du pouvoir politique qui
s'explique en partie grâce au brassage ethnique dont l'armée est
l'instrument.
Cependant les effectifs (30 000 hommes dont 10 000 pour la seule
gendarmerie), même si les deux tiers d'entre eux sont mobilisés
pour la surveillance de la frontière nigériane, ne peuvent
rivaliser avec la puissance militaire du grand voisin. Le budget de la
défense, principalement consacré aux dépenses de
rémunérationS (55 milliards de francs CFA sur un total de 62
milliards de francs) laisse peu de moyens pour les matériels. En outre,
à l'image du fonctionnement de l'administration camerounaise dans son
ensemble, le processus de décision souffre d'une centralisation
excessive. Enfin l'entraînement, comme la formation des troupes, est
demeuré trop longtemps négligé. Autant de facteurs qui
font peser quelques doutes sur la valeur opérationnelle de
l'armée.
Du reste, les autorités camerounaises en sont conscientes et ont
privilégié la voie diplomatique pour régler le conflit sur
Bakassi. Elles ont ainsi saisi en mars 1994 la Cour internationale de justice
de La Haye. Cette juridiction devrait prochainement se prononcer sur sa
compétence, première étape d'une longue procédure
qui ne devrait pas aboutir avant deux ans.
Le Cameroun, convaincu de son bon droit au terme des accords territoriaux
passés entre les deux anciennes puissances coloniales -le Royaume-Uni et
l'Allemagne- a fait savoir qu'il se rendrait aux conclusions de la Cour quel
qu'en soit le sens. Il n'est pas sûr toutefois que le Nigeria se soumette
à une solution juridictionnelle.
Le ministre d'Etat délégué à la présidence
chargé de la défense, M. Amadou Ali, a regretté
devant votre délégation la faiblesse de la réaction
internationale face aux manoeuvres nigérianes. Il est vrai que le
Cameroun, dont la diplomatie s'est montrée jusqu'à présent
peu active, rencontre quelques difficultés à obtenir des soutiens
extérieurs.
b) Une intégration régionale à pas comptés
Sur le plan régional, le Cameroun ne peut pas
réellement compter sur la solidarité de ses voisins -ou trop
faibles ou peu conciliants- pour faire contrepoids à la puissance
nigériane.
Les relations avec la Guinée équatoriale demeurent tendues
même si le Cameroun n'a aucune raison objective de se sentir
menacé par ce pays. Les liens avec le Tchad souffrent de
l'insécurité entretenue aux frontières par les actes de
banditisme souvent conduits par les mouvements de rébellion hostiles au
pouvoir en place à N'Djamena. L'exploitation de l'oléoduc
Tchad-Cameroun apparaît comme le gage d'une coopération
appelée à s'affermir au cours des prochaines années.
Les relations avec la République centrafricaine et avec le Gabon ne
présentent pas de contentieux majeur mais elles ne sont pas non plus
empreintes d'une grande chaleur du fait, parfois, des relations difficiles
entre les chefs d'Etat respectifs de ces pays.
Dans ce contexte, l'intégration régionale, dans le cadre de la
communauté des Etats d'Afrique centrale, marque le pas en raison des
troubles sociaux dont plusieurs Etats de la région sont le
théâtre mais aussi des craintes suscitées chez les pays
voisins par une éventuelle hégémonie du Cameroun.
Le Cameroun assure 65 % des échanges au sein de l'UDEAC -les relations
avec la zone ne représentent que 5 % du commerce camerounais. Dans
ce domaine, les statistiques ne traduisent cependant qu'une part de
vérité et les échanges informels occupent parfois une
place prépondérante.
Après avoir obtenu le siège du secrétariat permanent de
l'Organisation pour l'harmonisation du droit des affaires (OHADA), le Cameroun
a revendiqué avec succès le poste de secrétariat
exécutif au sein de la
Communauté économique et
monétaire de l'Afrique Centrale
(CEMAC), destinée à se
substituer à l'UDEAC. Les nouvelles institutions, dont la mise en place
avait été longtemps bloquée par le Cameroun, devraient
donc pouvoir fonctionner rapidement.
Yaoundé a accueilli, en juillet 1996, le sommet de l'Organisation de
l'unité africaine (OUA) et assuré à partir de cette date
la présidence annuelle de l'organisation panafricaine sans prendre
cependant d'initiative particulière dans une période
marquée par plusieurs crises.
Le Cameroun acceptera-t-il de participer à la mise en place d'une force
interafricaine destinée à prendre le relais de la MISAB en
Centrafrique ? Si les ministres rencontrés par votre
délégation n'ont pas exprimé d'opposition de principe, le
ministre de la défense, M. Amadou Ali nous a cependant manifesté
quelques réticences à engager des contingents camerounais sur un
théâtre extérieur au moment même où les
tensions avec le Nigeria nécessitaient une vigilance maintenue sur les
frontières.
Au-delà du cercle régional, la diplomatie camerounaise semble
avoir toujours connu quelques difficultés à valoriser l'image du
pays auprès des pays occidentaux et singulièrement auprès
des Etats anglo-saxons.
Certes, le Cameroun a été admis en novembre 1995 au sein du
Commonwealth -au moment où le Nigeria en était exclu pour deux
ans. Cependant, le Royaume-Uni a critiqué les conditions dans lesquelles
se sont déroulées les élections législatives de
1997 et notamment le rejet, par les autorités camerounaises, d'un projet
anglo-saxon de formation d'observateur. Les Etats-Unis, quant à eux,
montrent une vigilance particulière pour le respect des droits de
l'homme. Ils témoignent une certaine attention pour les revendications
du SDF comme l'a montré la suspension des deux tiers de leur programme
d'assistance au Cameroun à la suite des élections
contestées de 1992.
Le nouveau gouvernement cherche à donner un nouvel élan à
la politique étrangère du Cameroun comme en témoigne la
nomination auprès du ministre des relations extérieures de deux
ministres délégués : le premier, chargé des
relations avec le Commonwealth, le second, chargé des relations avec le
monde islamique.
Cependant dans un contexte diplomatique difficile, l'amitié de la France
apparaît comme un point stable sur lequel le Cameroun peut compter.
2. Des relations bilatérales étroites
Le 14 février dernier, l'explosion de deux
wagons-citernes à Yaoundé causait la mort de plus d'une centaine
de personnes. Arrivée le lendemain au Cameroun, votre
délégation a pu prendre, dans ces circonstances tragiques, la
mesure de la solidarité entre nos deux pays. La France a en effet
dépêché dans les délais les plus rapides une
équipe d'urgence dont le travail remarquable a valu à notre pays
la gratitude de l'opinion et des responsables camerounais comme l'ont
attesté les nombreux témoignages recueillis par la
délégation lors de ses entretiens et de sa visite à
l'hôpital central de Yaoundé.
Si la force des liens bilatéraux s'exprime ainsi de façon
exemplaire dans l'épreuve, elle se manifeste aussi au quotidien par une
coopération très étroite et par une présence
économique forte.
a) Un soutien très apprécié
La qualité des relations franco-camerounaises repose en
particulier sur une coopération militaire très
appréciée par le Cameroun dans le contexte régional auquel
il se trouve exposé et par une aide au développement très
importante.
.
La sécurité : une préoccupation majeure
Le Cameroun a conclu avec la France un accord de défense et des accords
de coopération en 1974. Le rôle militaire de la France en Afrique
centrale est directement intéressé à cette
coopération car le Cameroun, de par sa position clé, constitue
une plate-forme éventuelle pour le transit et l'acheminement des
matériels lourds destinés aux forces françaises
déployées au Tchad.
Outre le dispositif Aramis de surveillance aux frontières, la France
procure au Cameroun un soutien apprécié, sous trois formes
principales : la mise à disposition d'une quarantaine de
coopérants, la fourniture d'une aide directe en matériels de
l'ordre de 10 millions de francs par an, la formation en France d'une
soixantaine de stagiaires chaque année.
L'action de la France tend à s'inscrire de plus en plus dans le cadre de
projets contractuels ; sur cette base deux orientations prioritaires se
dessinent : la mise en place, d'une part, d'une école à vocation
régionale pour la délivrance des diplômes
d'état-major et d'autre part, de centres de formation à la police
judiciaire et au maintien de l'ordre pour la gendarmerie.
.
Une aide économique essentielle
La France figure au premier rang des bailleurs de fonds du Cameroun et procure
près de
la moitié
de l'aide publique au
développement dont bénéficie ce pays. Si notre
contribution s'était réduite en 1996 du fait de l'absence de
programme avec le FMI et des difficultés à conduire à bien
divers projets, elle a de nouveau augmenté à la suite de la
signature de l'accord avec le FMI pour laquelle notre pays a d'ailleurs
joué un rôle décisif. Ainsi la France a versé une
aide budgétaire de 600 millions de francs pour 1997. Un soutien de
l'ordre de 50 millions de francs sera par ailleurs accordé dans le cadre
de l'enveloppe du Fonds d'aide et de coopération (FAC) pour 1998. L'aide
au développement privilégie deux axes : l'aide aux secteurs
sociaux et le renforcement de l'Etat de droit.
La situation sanitaire du Cameroun a appelé une intervention de la
France dans trois domaines : le renforcement des services publics urbains en
matière de santé (votre délégation a pu visiter les
nouveaux locaux de la maternité de l'hôpital central de
Yaoundé financés par l'aide française), la
décentralisation de l'offre de soins et enfin l'appui aux programmes de
lutte contre les grandes endémies, en particulier le SIDA qui, dans les
métropoles urbaines comme Douala, continue de s'étendre de
façon préoccupante.
Malgré la crise du secteur éducatif le taux de scolarisation
reste, au Cameroun, supérieur à la moyenne des Etats francophones
africains. Ce domaine concentre 60 % de l'aide française (hors
assistance technique et hors bourse).
Si les secteurs primaire et secondaire ne sont pas négligés (un
projet de 20 millions de francs finance l'appui au système
éducatif), une priorité certaine s'attache à la formation
des nouvelles élites nationales et donc à l'enseignement
supérieur. Un projet Universités du Cameroun (UNICAM 2000) mis en
oeuvre depuis octobre dernier mobilisera sur trois ans 15 millions de francs.
Inscrit dans la logique de diminution de l'assistance technique, il vise au
renforcement du partenariat avec les structures universitaires
françaises dans le cadre de programmes de bourses et d'échanges.
Le renforcement de l'Etat de droit constitue une autre priorité de notre
coopération. A cet égard deux exemples peuvent être
relevés ; en premier lieu l'action conduite en faveur de la justice,
indispensable pour restaurer la confiance chez les acteurs économiques,
se traduira au cours des prochains mois, grâce à un financement du
FAC, par la mise en place effective des nouvelles juridictions de
contrôle de l'action juridique et financière de l'Etat (notamment
l'organisation d'un système juridictionnel spécialisé
coiffé par une Cour des comptes).
En second lieu, la mise en oeuvre de la nouvelle Constitution de 1996
(consolidation de la décentralisation avec l'autonomie communale et la
création des régions, perfectionnement du système
représentatif et de la fonction législative avec la
création d'un Sénat), appellera sans doute également un
soutien de la France. Dans la perspective de la création d'un
Sénat, votre délégation a fait savoir, à la demande
du Président de l'Assemblée nationale camerounaise ainsi
qu'à celle d'autres parlementaires, que notre Haute Assemblée
pouvait, dans le cadre de la coopération interparlementaire, apporter
une contribution précieuse.
.
Une forte présence française
L'activité économique, comme la coopération, requiert une
présence française forte même si le nombre de
coopérants s'est beaucoup réduit au cours des dernières
années. Aujourd'hui le Cameroun compte en effet 210 coopérants
(112 enseignants et 98 techniciens). Au total la communauté
française représente quelque
7 000 personnes
. Elle
constitue sans doute le lien le plus puissant entre nos deux pays. Elle
rencontre au Cameroun des difficultés liées à
l'insécurité -en particulier dans le nord du pays très
affecté par le phénomène des "coupeurs de route", comme
l'a indiqué devant votre délégation, notre consul à
Garoua- et à l'arbitraire juridique. Votre délégation a
attiré l'attention des autorités camerounaises et tout
particulièrement du Premier ministre sur ces problèmes. Mais la
bonne volonté affichée au plus haut niveau ne trouve pas
toujours, faute d'une administration motivée, les relais
nécessaires pour se traduire sur le terrain.
Les services de notre ambassade et de nos consulats assurent un travail
remarquable pour notre communauté même s'ils disposent de moyens
parfois très limités. De nouvelles restrictions, comme la non
reconduction des emplois de vacataires chargés des visas et de l'accueil
du public au consulat de Yaoundé, risqueraient d'affecter gravement la
capacité de certains services appréciés par les
Français comme par les Camerounais.
b) La France : un partenaire économique de premier plan
.
L'orientation nouvelle des
échanges
L'année 1997 marque certainement une nouvelle étape dans les
échanges économiques qui se traduisent pour la première
fois par un excédent en notre faveur (13 milliards de francs CFA). La
France, jusqu'ici premier client du Cameroun, passe au troisième rang
(17 %), derrière l'Espagne (21 %) et l'Italie (20 %), deux pays auxquels
le Cameroun fournit en effet d'importantes livraisons de pétrole brut.
En revanche, la France reste le principal fournisseur du Cameroun avec 27 % de
parts de marché (soit 167 milliards de francs CFA). Cette orientation
devrait se poursuivre dans les mois à venir compte tenu de la croissance
soutenue, supérieure à 5 %, dont bénéficie le
Cameroun et des retombées progressives pour nos entreprises du projet
d'oléoduc Tchad-Cameroun.
.
Une présence économique française forte
Malgré la crise des années 86-94, la présence
française s'est maintenue avec quelque 130 filiales de
sociétés françaises et plus d'une centaine
d'établissements de droit local. Ces entreprises représentent
près de 63 % du capital investi au Cameroun (soit 107 milliards de
francs CFA). Elles jouent ainsi un rôle essentiel dans la vie
économique du pays.
A titre d'exemple, le groupe Elf assure par sa filiale
d'exploration-production, Elf Serepca, près des trois quarts de la
production pétrolière du pays. En 1997, la production
opérée par cette filiale représentait 3,75 millions de
tonnes.
II. LE CONGO : LE DÉFI DE LA RECONSTRUCTION
L'unité du Congo, compte tenu de la diversité de
la géographie et du peuplement du pays, ne peut procéder que
d'une volonté politique.
.
Les contrastes de la géographie
Si le fleuve Congo et son affluent, l'Oubangui, tracent sur la frontière
orientale du Congo un puissant axe nord-sud, le nord du Congo, dominé
à l'est par des terres alluviales couvertes par la forêt dense et
à l'ouest par un relief d'altitude moyenne (le mont Nabemba dans la
région de la Shanga culmine à 1100 mètres) demeure
inhabité et peu actif. La population se concentre en fait, au sud du
pays, entre la plaine côtière, zone sablonneuse riche en
pétrole et gaz naturel et la région du Pool, autour de
Brazzaville. La construction du chemin de fer "Congo-Océan" (CFCO)
achevée en 1934 a favorisé l'essor de cette région.
Brazzaville et Pointe-Noire, la capitale économique du pays, regroupent
la moitié de la population congolaise.
.
La diversité ethnique
La population congolaise (plus de 2,5 millions d'habitants) se partage en trois
groupes : les Kongos -48 % de la population-, les Tékés dans
le centre (22 %) et les Mbochis dans le nord (13 %). Les Kongos se
reconnaissent surtout dans l'un des sous-groupes auxquels ils sont
rattachés -les Laris (région du Pool), les Bembés
(Bouenza), les Vilis sur le littoral.
Les rapports de force ont placé successivement ces différentes
ethnies au devant de la scène, sans toutefois que les groupements
partisans s'identifient de façon exclusive aux ethnies. Ainsi, les Vilis
ont été les premiers au contact des Européens. Les Laris
ont dominé les premières années de l'indépendance
marquée par la présidence de l'abbé Fulbert Youlou. Enfin,
les Mbochis, bien qu'isolés au nord du pays, ont joué un
rôle déterminant à partir de la prise du pouvoir par
l'armée.
.
L'héritage de l'histoire coloniale
Au moment où le premier Européen, Diego Cao, débarque
à l'embouchure du fleuve Congo en 1482, le territoire actuel du Congo se
partage entre plusieurs royaumes placés dans l'orbite du royaume du
Kongo. Le développement de la traite des esclaves donne bientôt
à ces royaumes vassaux -notamment le Loango situé dans la
région de l'actuelle ville de Pointe-Noire- une influence politique
accrue, avant que l'abolition de la traite n'entraîne un déclin et
parfois même l'éclatement de ces royaumes en entités plus
ou moins autonomes. Ce moment est mis à profit par l'explorateur Pierre
Savorgnan de Brazza qui, en 1880, signe avec le roi Makoko du
Batéké les traités par lesquels la France prend possession
de cet ensemble de territoires. Brazzaville devient, en 1910, la capitale de
l'Afrique équatoriale française (AEF). En 1940, le Congo sert de
point de ralliement à la France libre, avec la création, par le
général de Gaulle, à Brazzaville, du Conseil de
défense de l'Empire. L'indépendance est proclamée le 15
août 1960.
L'unité léguée par la période coloniale demeure
fragile et la sauvegarde de la cohésion du pays, dans le respect des
équilibres ethniques du pays, apparaît comme le principal enjeu de
l'histoire contemporaine marquée par des convulsions
répétées et la tentation du pouvoir autoritaire.
En 1963, un mouvement populaire conduit à la chute de l'Abbé
Fulbert Youlou, président de la République depuis le
28 novembre 1958. Un régime socialiste se met en place. Ce
"socialisme scientifique" fondé sur le parti unique devait perdurer
jusqu'en février 1991, au moment où le président
Sassou-Nguesso ouvre
une conférence nationale
souveraine
chargée de fixer la date des élections pluralistes.
Jusqu'en 1991, les changements politiques avaient toujours
procédé d'une action violente : départ de Fulbert Youlou
en 1963, démission d'Alphonse Massemba-Debat, initiateur du Mouvement
national de la révolution, à la suite de manifestations
populaires en 1968, assassinat de Marien Ngouabi, président de la
république congolaise, en mars 1977. Denis Sassou-Nguesso demeure le
seul chef d'Etat a avoir organisé, dans un contexte international
marqué, il est vrai, par la chute du mur de Berlin et sous la pression
conjuguée des églises et des syndicats notamment, un transfert de
pouvoirs conforme aux principes démocratiques.
La transition démocratique s'est toutefois soldée par un
échec. Pourquoi ? Quelles leçons peut-on tirer de cette
expérience pour la nouvelle période qui s'ouvre dans l'histoire
du Congo ?
A. UNE STABILISATION POLITIQUE EN COURS
1. L'échec de la transition démocratique
a) Une transition mouvementée
La vie politique au Congo, depuis les premières
élections pluralistes de 1992, s'est jouée autour de
trois
pôles
incarnés par des personnalités contrastées
: Denis Sassou-Nguesso, responsable du Parti congolais du travail (PCT),
influent surtout dans le nord du pays où se recrutent traditionnellement
les cadres de l'armée depuis la fin des années soixante, Pascal
Lissouba, responsable de l'Union panafricaine pour la démocratie sociale
(UPADS), dont le fief se trouve dans les trois provinces du sud (Niari,
Bouenza, Lekoumou), communément appelées "Nibolek" et
peuplées en majorité par les Babembés et Bernard Kolelas,
fondateur du Mouvement congolais pour la démocratie et le
développement intégral (MCDDI). Ce mouvement domine la capitale
et la province adjacente, le Pool, et sa composition se confond en pratique
avec l'ethnie Lari à laquelle appartient M. Kolelas. Le rapport de
forces entre ces trois mouvements a rythmé la vie politique congolaise
depuis 1992. Ainsi trois étapes peuvent être distinguées.
.
L'élection de Pascal Lissouba
Pascal Lissouba est élu président de la République, le
16 août 1992, avec 61,3 % des suffrages. Il a pu compter, avant le
second tour, sur le soutien du général Sassou-Nguesso
accordé en contrepartie d'une promesse de participation au futur
gouvernement. L'entente ne devait pas cependant survivre à la formation
du gouvernement où la place dévolue aux représentants du
PCT apparaissait très en deçà des souhaits de M.
Sassou-Nguesso (trois portefeuilles accordés au lieu des sept
escomptés).
Pascal Lissouba n'apparaissait pas a priori comme le représentant d'une
ethnie particulière. Cette caractéristique, qui devait
précisément l'appeler à dépasser les antagonismes
traditionnels, le conduisit à adopter une attitude défensive.
Certes, le nouveau président se trouvait dans une position
vulnérable avec une majorité fondée sur l'alliance fragile
entre le parti présidentiel et le PCT et une armée dominée
par les cadres du nord traditionnellement attachés à M.
Sassou-Nguesso. Il chercha dès lors à former des milices dans sa
région natale, sans peser les graves conséquences de cette
initiative, appelée à servir d'exemple pour ses adversaires
politiques.
.
La première guerre civile de 1993
Une deuxième période marquée par de nouvelles violences
s'ouvre à la suite de la dissolution, en décembre 1992, par
Pascal Lissouba, de l'Assemblée nationale élue en juin de la
même année. Au premier tour des élections
législatives, en mai 1993, l'UPADS remporte 62 des 125 sièges.
L'opposition dénonce la fraude.
Immédiatement contestés par l'opposition, ces résultats
provoquent une grave crise, exacerbée par les agissements des milices
rivales. Le second tour permettra à l'opposition d'emporter les
sièges litigieux sans lui donner cependant les moyens de gouverner,
faute de majorité. Les affrontements opposèrent principalement
les milices de MM. Lissouba et Kolelas et se soldèrent par quelque
2 000 morts, 300 000 personnes déplacées et environ
15 000 habitations détruites. Le calme revint après
l'organisation d'élections locales décidées à la
suite de la loi sur la décentralisation de juin 1994. L'opposition prit
le contrôle de la moitié des collectivités locales -deux de
ses principales figures devenant maires des deux métropoles du Congo :
Bernard Kolelas à Brazzaville, Jean-Pierre Thystère-Tchicaya
à Pointe-Noire.
.
La deuxième guerre civile (5 juin-15 octobre 1997)
Le déroulement de la deuxième crise congolaise a connu trois
temps forts.
-
La montée des violences
. Malgré l'engagement, souscrit
en mai 1997, des partis politiques à renoncer à l'usage des armes
pour résoudre les conflits, les violences prennent une intensité
croissante à l'approche de l'élection présidentielle
prévue pour juillet 1997. Le 5 juin, les troubles gagnent la capitale et
opposent l'armée régulière aux partisans de M.
Sassou-Nguesso. Parallèlement, la France organisait, dans des conditions
difficiles, le rapatriement de quelque 6 000 personnes parmi lesquelles
1 800 de nos compatriotes.
-
L'échec des tentatives de médiation
. Tandis que
redoublaient les violences, le président Lissouba paraît
animé à la fois par le souci de sauvegarder les apparences
(arrêté du ministère de l'intérieur du
7 juillet 1997 annonçant trois candidatures pour l'élection
présidentielle -MM. Lissouba, Kolelas, Milongo) et la volonté de
conserver le pouvoir : prorogation, le 19 juillet, de son mandat
arrivé à échéance le 31 août par un
Conseil constitutionnel peu représentatif mis en place le 23 juin,
sous les bombardements, devant une vingtaine de parlementaires sur 185,
nomination de M. Kolelas -dont la milice avait observé jusque là
une certaines neutralité- comme premier ministre, suivie de la
constitution d'un gouvernement dit "d'union nationale", même s'il
excluait en fait les partisans de M. Sassou-Nguesso.
Dans le même temps, les deux parties se prêtaient à la
médiation internationale dirigée par le président Bongo en
liaison avec M. Shahnoun, représentant spécial conjoint de l'ONU
et de l'OUA, pour trouver une solution politique négociée
à la crise. Mais les adversaires n'ont cessé d'entretenir
l'ambiguïté sur leur volonté réelle de parvenir
à une solution négociée.
-
La victoire de M. Sassou-Nguesso
. Tandis que les deux camps
s'opposaient avec une violence redoublée, appuyés par des armes
de plus en plus sophistiquées, l'issue de la crise est restée
indécise jusqu'au moment de l'intervention, aux côtés des
forces du PCT, des forces angolaises. L'appui apporté par l'Unita au
président Lissouba, comme les menées séparatistes du Front
de libération du Cabinda, enclave angolaise dans l'ex-Zaïre
dotée d'une frontière commune avec le Congo, et au large de
laquelle se trouve l'essentiel des ressources pétrolières de
l'Angola, constituaient un double argument décisif aux yeux des
autorités de Luanda pour répondre à l'appel de M. Sassou.
En octobre dernier, fort du soutien angolais, les "Cobras" se
rendaient
successivement maîtres de Brazzaville et de Pointe-Noire.
b) Les causes d'un échec
Les nouvelles institutions démocratiques mises en place
au Congo, au lendemain de la conférence nationale de 1991, n'ont pas
vraiment fonctionné. L'Assemblée nationale élue en 1992,
dissoute la même année, n'a jamais pu réunir le nombre de
députés prévus compte tenu d'un contentieux
électoral dans une région. Parallèlement, les principales
libertés publiques et, en particulier, la liberté de la presse
subissaient de nombreuses entraves.
Le dévoiement des principes affichés dans la constitution de 1991
s'explique en partie par la politique conduite par le président
Lissouba. Le Haut Conseil de la Magistrature et le Haut Conseil de la
Communication n'ont été mis en place qu'en 1997. Quant au Conseil
constitutionnel, ses membres désignés au terme du quinquennat
présidentiel ont prêté serment sous les bombes et ont tenu
leur première réunion le 21 juillet 1997 pour proroger, on
le sait, le mandat présidentiel.
Toutefois, au-delà de l'attitude du président de l'époque,
l'ensemble des acteurs de la vie politique congolaise paraît avoir
refusé de se plier aux règles du jeu démocratique.
Héritiers d'un système de parti unique, les responsables
politiques n'ont pas vraiment adopté les principes du pluralisme. Comme
l'a noté un observateur
2(
*
)
, les partis ne
se distinguent aucunement par leurs projets politiques : tous prônent en
effet le libéralisme économique et la rigueur de la gestion.
Les différences recouvrent en fait des oppositions régionales,
plus encore d'ailleurs que des antagonismes ethniques -dans la mesure où
l'urbanisation a entraîné des brassages importants- ; du reste,
les deux grands groupes ethniques, les Kongos (48 % de la population) et les
Tékés (22 % de la population) ne se sont pas dotés d'une
représentation partisane propre. Le vote des grandes ethnies se
fractionne en fait entre les différents mouvements représentatifs
des régions où elles résident. Les Kongos, à titre
d'exemple, se reconnaissent plutôt dans des sous-groupes attachés
à une zone particulière : les Laris dans la région du
Pool, les Bembés à Bouenza et les Vilis dans le Kouilou ; "tout
se passe donc comme si le parti unique avait éclaté en plusieurs
formations couvrant chacune une portion de territoire mais continuant à
pratiquer le même monolithisme". Plus familiers de l'anathème que
du dialogue, ces mouvements n'hésitent pas à porter leurs
querelles hors de l'espace politique et à s'opposer par milices
interposées.
La décomposition du paysage politique congolais associée à
la pérennité des habitudes politiques propres à la
période du "marxisme-léninisme" constitue sans doute l'un des
facteurs décisifs de l'instabilité politique du Congo depuis le
début des années 1990.
Ces observations permettent de prendre la mesure des difficultés que
devra surmonter M. Sassou-Nguesso pour pacifier le pays.
2. Le défi de la pacification
La tâche que doit maintenant accomplir M. Sassou-Nguesso relève de la gageure car il s'agit de restaurer l'autorité de l'Etat tout en conjurant le spectre de l'autoritarisme pratiqué pendant près de trente ans dans ce pays. Si le nouveau président a donné des gages d'une véritable volonté d'ouverture politique, les risques liés à l'exercice d'un pouvoir personnel ne peuvent être exclus.
a) Une volonté d'ouverture politique
Depuis sa prise du pouvoir, M. Sassou-Nguesso a donné
trois témoignages d'un souci d'ouverture politique que l'avenir devra
bien sûr confirmer.
En premier lieu la composition du
"gouvernement d'union
nationale"
même s'il compte -à l'instar d'ailleurs du précédent
gouvernement- peu de figures nouvelles, fait une place à des
représentants d'autres sensibilités que celle du mouvement de M.
Sassou-Nguesso. En effet, aux côtés des fidèles du chef de
l'Etat, titulaires des postes les plus importants (MM. Lekoundzou au
ministère de la reconstruction et Nze à celui de la justice), ou
simples proches mieux à même, sans doute, de faire valoir une
influence modératrice, le gouvernement compte également des
personnalités venant d'horizons plus divers. Dans ce dernier cercle,
celui de l'ouverture, M. Paul Kaha, démocrate chrétien
modéré occupe une place privilégiée. Ministre
d'Etat chargé de la programmation et des privatisations -au premier rang
dans l'ordre protocolaire du gouvernement-, il a exercé les fonctions de
secrétaire général du Conseil de l'Entente et s'est acquis
de la sorte une réputation internationale, aujourd'hui précieuse
pour renouer les liens avec la communauté financière
internationale. La présence de M. Martin Mberi, ministre des transports,
proche du mouvement de M. Lissouba jusqu'en 1996 et de M. Jean-Martin Mbemba,
principale personnalité politique de la région du Pool et ancien
allié de M. Kolelas, permettent également au gouvernement
d'échapper au reproche du monolithisme.
Compte tenu de la difficulté de désigner des personnalités
de l'ancienne majorité qui ne se soient pas compromises à
l'excès aux côtés du président Lissouba, l'effort
d'ouverture apparaît indéniable et permet en outre, malgré
la place dominante qui revient aux hommes du Nord, une représentation de
toutes les régions du pays.
En second lieu, M. Sassou-Nguesso a repris dans
l'acte fondamental de
transition,
promulgué le 24 octobre dernier, les dispositions de la
Constitution de 1992 en matière de libertés et de droits :
exercice par le peuple de la souveraineté nationale, liberté
d'association et de création des partis politiques et, enfin, principes
fondamentaux du droit (égalité devant la loi, principe de non
discrimination, inviolabilité de la personne et du domicile, garanties
fondamentales pour la protection de la propriété, liberté
de circulation, de réunion et de manifestation, secret de la
correspondance, liberté de l'information).
Enfin et surtout, le "
forum national pour l'unité, la
démocratie et la reconstruction du Congo
" convoqué par le
président Sassou-Nguesso entre les 5 et 14 janvier dernier a su poser
les jalons d'une transition démocratique. La tenue dans les
délais prévus, soit moins de trois mois après la fin des
combats de Brazzaville, d'un forum national, constituait en soi un signe
positif. En effet, cette assemblée de quelque 1 000
délégués représentant l'ensemble des partis ainsi
que la société civile congolaise a confirmé l'attachement
du pays aux principes de la démocratie pluraliste et fixé
à trois ans la durée maximale de transition. Ce délai
pourrait être abrégé si les circonstances le justifiaient ;
il ne pourrait être prolongé au delà selon les termes
mêmes du porte-parole du gouvernement. Compte tenu des traumatismes subis
par le Congo dans sa transition démocratique, il apparaît
réaliste. Les deux premières années devraient être
consacrées à la remise en ordre du pays (reconstruction
économique, réconciliation nationale, mise en place d'une
véritable force publique nationale) et à la préparation
(recensement, réforme de la loi électorale) de la série de
scrutins qui marqueront la troisième année
(référendum sur la nouvelle constitution, élections
présidentielles, législatives et locales).
Le Forum a par ailleurs désigné les 75 membres du
Conseil
national de transition
(CNT)
3(
*
)
, organe
législatif unique et assemblée constituante. Dominé,
certes, par les partisans de M. Sassou-Nguesso, il n'a toutefois par le
caractère monolithique que souhaitait lui donner l'aile dure du parti
présidentiel, nostalgique du régime du parti unique. Il importe
de relever ainsi la participation de deux personnalités proches de
l'ancienne majorité : MM. Milongo et Boukoulou représentants
respectifs de la région du Pool et du "Nibolek". Le souci d'une
représentativité diversifiée à la fois politique et
géographique a donc prévalu sur la logique de revanche et
d'exclusion. Le président du Conseil national de transition
lui-même, M. Justin Kumba, ancien ministre de l'éducation dans un
des gouvernements de la première transition et fonctionnaire
international à l'Unesco, n'appartient pas au groupe des caciques du PCT
et représente du reste le Niari (la région de M. Lissouba).
Composé d'une majorité de membres peu connus localement, le
Conseil national de sécurité ouvre également la voie au
renouvellement des élites politiques. Il témoigne aussi d'une
meilleure prise en compte des femmes dans la vie politique (2 femmes sur les 7
membres du bureau du Conseil) où elles pourront exercer l'influence
modératrice, pratique et constructive qui leur est souvent reconnue dans
la société congolaise.
Enfin, le Forum national, malgré la pression de l'aile dure du PCT et
certaines outrances verbales, a observé une certaine retenue à
l'égard des partisans de l'ancien pouvoir. Certes, il a retenu le
principe de poursuites à l'encontre des anciens dirigeants pour
"génocide et crimes de guerre", mais les conclusions du forum
s'abstiennent de citer quelque nom que ce soit. Il a renvoyé à
l'autorité judiciaire le soin d'identifier les coupables
présumés. En outre, de manière plus constructive, il a
proposé la création d'une "autorité morale"
chargée, sur le modèle de la commission sud-africaine
"vérité et réconciliation", de favoriser la
réconciliation nationale.
Si les nouvelles autorités congolaises ont ainsi donné les
témoignages d'une véritable volonté d'ouverture, elles
n'en auront pas moins à relever un défi ardu, car il leur faudra
rétablir l'autorité de l'Etat tout en évitant un retour
aux pratiques du parti unique.
b) Les défis à relever
Pour le nouveau président, le principal risque,
à court terme, n'est pas dans une opposition aujourd'hui réduite
à l'impuissance mais plutôt dans l'insécurité que
suscitent les agissements des milices.
.
Une opposition sous contrôle
?
M. Sassou-Nguesso paraît aujourd'hui tenir sous bride l'opposition
représentée par l'ancienne majorité, du moins dans la
limite des frontières congolaises. Les "barons" de l'ancien
régime et les personnalités ralliées comme
l'éphémère Premier ministre Kolelas -qui se montre
paradoxalement le plus actif- aujourd'hui en exil, n'ont peut-être pas
dit leur dernier mot. Cependant ils n'ont pas vraiment su obtenir un soutien
international.
D'autre part, l'ensemble des délégués au Forum national
-où tout l'éventail des partis politiques se trouvait
représenté- a donné son assentiment aux grandes
orientations du pouvoir, même s'il entrait dans cette unanimité
une part d'opportunisme politique.
L'organisation du pouvoir apparaît aujourd'hui dominée par le
Président de la République. Celui-ci cumule de droit les
fonctions de chef de l'Etat et de chef du Gouvernement. Dans certains domaines
essentiels, la politique économique et financière, la
défense et la sécurité, il exerce le pouvoir
législatif concouramment avec le Conseil national de la transition. Les
ministres ne sont responsables que devant le président. En outre,
l'indépendance de la justice dont le principe est
réaffirmé, ne bénéficie d'aucune garantie
précise. Les trois institutions prévues par le forum national -le
Conseil constitutionnel, la Cour suprême, le Conseil supérieur de
la magistrature- ne se mettront pas en place avant l'élection du
président à l'échéance de la période de
transition. Enfin, les circonscriptions administratives du pays -dont la
qualité de collectivité territoriale n'est pas mentionnée
- seront gérées pendant toute la période de transition par
des administrateurs nommés par le gouvernement. Il n'existe donc pas,
sur les trois années à venir, de contre-pouvoir à
l'autorité du chef de l'Etat.
Celui-ci a donné, il faut le souligner, les signes certains d'une
volonté d'ouverture dont la tenue du forum national constitue le
meilleur témoignage. Il n'est pas indifférent par ailleurs qu'il
ait refusé la dignité de maréchal que lui avaient
proposée les délégués de cette assemblée.
Mais il lui faudra aussi résister à la pression de l'aile dure de
son parti encore nostalgique de l'ère du parti unique ainsi qu'à
la pente naturelle d'un pouvoir sans contrepoids.
.
Le foyer d'instabilité représenté par les
milices
Les difficultés se cristallisent aujourd'hui cependant sur le
contrôle des anciennes
milices
. A court terme, les soldats ou
miliciens démobilisés, même s'ils peuvent entretenir une
atmosphère d'insécurité dans certaines régions,
apparaissent trop isolés et insuffisamment organisés pour menacer
le nouveau pouvoir. A moyen terme, ils représentent un foyer permanent
d'instabilité pour l'autorité de l'Etat.
Le précédent pouvoir avait mené une politique
excessivement ambiguë vis-à-vis des milices. Le "
Pacte pour la
paix
" du 24 décembre 1995 prévoyait en particulier le
désarmement et l'intégration des milices dans la gendarmerie et
la police mais laissait en fait de côté plus de la moitié
des effectifs armés, soit 3 000 jeunes. Certes, dans l'immédiat,
tous les détenteurs d'armes ont l'obligation de les déposer. De
même une partie des miliciens a trouvé place dans les forces de
sécurité régulières. Mais la portée de ces
mesures demeure limitée ; le ressentiment des "refusés" à
l'incorporation dans la police et l'armée, associé au grand
nombre d'armes en circulation (principalement d'origine russe, chinoise et
sud-africaine), constitue un risque indéniable de tension pour le
nouveau pouvoir.
Par ailleurs, une partie des milices membres des anciennes forces
gouvernementales se sont repliées dans le centre du pays (dans les
provinces de Niari, Bouenza, Lekoumou) où elles entretiennent un climat
d'insécurité particulièrement préjudiciable
à la libre circulation des personnes et des biens.
Les forces angolaises -entre 2 000 et 2 500 hommes- ont contribué,
à Pointe-Noire, aux côtés des forces de
sécurité congolaises, au désarmement des bandes
militaires. A Brazzaville elles assurent principalement la
sécurité de l'aéroport. En outre une partie du contingent
angolais participe à la formation des futures recrues de la garde
républicaine. A cette fin, un accord de coopération militaire a
d'ailleurs été signé le 8 janvier dernier.
Le président Sassou-Nguesso a donné des témoignages de sa
volonté d'engager son pays sur la voie de la transition
démocratique. En outre, en l'absence de véritable contre-pouvoirs
intérieurs, il agira du moins sous le regard vigilant de la
communauté internationale dont il a un impérieux besoin pour
mener à bien la reconstruction économique du pays.
B. UNE ÉCONOMIE SINISTRÉE
Au delà de la situation d'urgence provoquée par une guerre civile destructrice, l'économie congolaise devra surmonter les faiblesses qui se sont aggravées au cours des dernières années même si elle peut faire valoir aussi des atouts remarquables.
1. Une situation d'urgence
a) Un bilan très lourd
Brazzaville, principal théâtre de la guerre
civile congolaise, a supporté l'essentiel du coût humain et
économique de la crise. Une simple visite de la ville permet de prendre
la mesure des dommages, certes inégalement répartis selon les
quartiers : immeubles de prestige dont il ne reste que les murs -couverts de
mitrailles-, maisons incendiées... Le vandalisme semble avoir eu une
part essentielle dans ces destructions dont aucune ne répondait vraiment
à un objectif de guerre rationnel. Mais la vue des façades ne
donne qu'une idée partielle de l'étendue des dommages ; il faut
entrer dans les espaces intérieurs dépouillés de meubles
ou de tout effet personnel pour évaluer les effets du pillage auquel se
sont livrés, en toute impunité, milices et autres bandes
armées.
Brazzaville donne ainsi une image de désolation même si
aujourd'hui la vie a repris ses droits. Peut-on, au-delà de ces
impressions rapides, donner un bilan plus précis de la guerre ? Faute
des moyens d'évaluation nécessaires, seules des estimations
peuvent être avancées.
Les pertes humaines
-entre 5 000 et 10 000 morts, sans doute-
ont surtout touché la jeune population des combattants même si les
civils, frappés par les bombardements à l'arme lourde, n'ont pas
été épargnés. Compte tenu du poids
démographique de la capitale, la guerre a entraîné des
déplacements massifs de quelque 500 000 personnes. Les
réfugiés se sont répartis entre Pointe-Noire
(200 000), Kinshasa (38 000), les villages au nord du pays dans la
première partie des combats, puis vers le sud après
l'entrée en lice des "Ninjas" de M. Kolelas. Une partie de la
population
est aujourd'hui revenue à Brazzaville mais quelque 200 000
personnes demeurent encore réfugiées à la campagne dans
des conditions parfois extrêmement précaires.
Les
destructions matérielles
apparaissent considérables.
Elles ont touché les administrations et les habitations mais aussi les
infrastructures et l'appareil productif. Aussi, malgré la renaissance
d'un secteur informel dynamique, l'économie est totalement
désorganisée. Beaucoup de Congolais n'ont pas retrouvé de
travail et rejoignent parfois ces bandes de jeunes condamnés à
l'oisiveté mais dotés d'un nombre d'armes souvent impressionnant.
Ces groupes contribuent à entretenir une atmosphère
d'insécurité que les nouvelles autorités s'efforcent de
réduire.
b) Les besoins
Une évaluation des besoins les plus immédiats
fait apparaître quatre priorités :
- la nécessité de matériaux de construction, de tôle
et de ciment nécessaires à la reconstruction des habitations,
- le fonctionnement des services essentiels (eau, électricité,
communications),
- la remise en ordre des circuits économiques et financiers
particulièrement affectés par la dégradation du
système bancaire,
- la restauration du système sanitaire.
Les besoins alimentaires doivent être couverts par les ressources du
pays, même si une aide pourrait utilement porter sur la mise à
disposition de semences à bas prix convenablement
sélectionnées ou encore la fourniture de produits destinés
à aider les producteurs à faire la soudure. En tout état
de cause, la distribution de cette aide doit répondre au souci de ne pas
susciter un afflux de la population dans les villes mais plutôt de la
fixer sur place, dans les campagnes où il est souvent plus facile de
subsister.
2. Une économie duale
a) L'atout majeur représenté par le pétrole
Grâce à ses ressources naturelles, le Congo
dispose en principe d'un très fort potentiel de développement
économique.
L'économie congolaise est dominée par l'exploitation du
pétrole
. Le Congo figure en effet au quatrième rang des
producteurs de pétrole en Afrique derrière le Nigeria, le Gabon
et l'Angola. Même si la qualité du pétrole -une huile
lourde- produit par ce pays est inférieure en moyenne de 2 à 3
dollars au baril de brut, cette ressource représente 20 % du PIB, 70 %
des recettes budgétaires et 90 % des exportations.
L'ouverture d'un nouveau champ à N'Kossa -sans doute le plus important
système de production flottant du monde- ouvre des perspectives
très prometteuses au secteur pétrolier : elle permettra de porter
la production de 12 millions de tonnes aujourd'hui à 15 millions de
tonnes en 2000.
Le
bois
représente une autre richesse naturelle encore largement
inexploitée. La forêt couvre plus de 60 % du territoire congolais.
Le sud constitue le domaine de l'okoumé et du limba, le nord, celui des
bois rouges. Dans les années 70, le bois restait encore la principale
ressource du Congo avant d'être supplanté par le pétrole.
Depuis lors, la situation financière de la dizaine d'exploitations
forestières s'est fortement dégradée en raison notamment
de la fluctuation des cours mondiaux des bois et de la difficulté
d'évacuation des grumes par voie de chemin de fer.
Enfin, le dernier atout du Congo réside dans une situation
géographique privilégiée au coeur d'une région
où il peut constituer une
voie de passage
à destination et
en provenance de l'ex-Zaïre et des autres pays voisins membres de l'Union
douanière et économique de l'Afrique centrale (UDEAC) -Cameroun,
Gabon et Tchad.
b) Des handicaps structurels
Cependant lorsque les besoins les plus urgents du Congo
auront
été satisfaits, le pays se retrouvera face aux faiblesses
structurelles de l'économie depuis plusieurs années. Le pays aura
alors à relever le défi.
.
La remise en état et le développement des
infrastructures
Avant même la guerre civile, les infrastructures apparaissaient largement
délabrées. L'Agence transcongolaise de communication (ACT) dont
dépend le Chemin de fer Congo-Océan (CFCO) enregistrait un
déficit chronique. Les carences du chemin de fer représentent un
handicap certain pour l'approvisionnement de la capitale et l'évacuation
vers le port du bois du nord du pays comme d'ailleurs pour les
sociétés installées le long de la voie ferrée.
.
L'assainissement des finances publiques
Le
déficit budgétaire
reste considérable en raison,
d'une part, du poids excessif des entreprises publiques et, d'autre part, d'une
fonction publique pléthorique avec un effectif de 60 000 personnes
(équivalent au nombre de fonctionnaires en Côte d'Ivoire avec une
population cinq fois moindre).
Le gouvernement a pu assurer à la fin de l'année le paiement de
trois mois de salaire (octobre, novembre, décembre) et marquer ainsi sa
différence par rapport aux autorités précédentes.
Mais le budget accusera sans doute en 1997 un déficit important.
.
La recherche de l'apaisement avec les institutions
financières internationales
Compte tenu des besoins considérables suscités par l'insuffisance
des infrastructures et de la situation désastreuse des finances
publiques, le Congo a un besoin impérieux de l'appui des bailleurs de
fonds internationaux. Or, le Congo présente un double handicap aux yeux
de la communauté financière. D'une part, il supporte
déjà une dette extérieure très lourde -de l'ordre
de 5,7 milliards de dollars- dont le remboursement mobilisera chaque
année 60 % des recettes pétrolières du pays jusqu'en 2005.
Le Congo apparaît ainsi comme l'un des pays les plus endettés de
la planète par habitant (soit plus de 12 000 francs
français).
D'autre part, le Congo conserve plusieurs contentieux avec les institutions de
Bretton Woods. En effet, l'accord de confirmation, approuvé par le FMI
en 1994 au lendemain de la dévaluation, avait très vite
été déclaré inopérant, privant le Congo de
tout nouveau concours à l'ajustement. Le retour, provisoire, à la
paix civile au début de l'année 1995 et la croissance des
recettes pétrolières à partir de 1996 ont contribué
à rétablir la situation économique et à permettre
au Congo de renouer avec le FMI ; un nouveau programme d'ajustement en vue de
l'octroi d'une facilité d'ajustement structurel renforcée (FASR)
a été approuvé le 28 juin 1996 afin de soutenir le
programme de réformes économiques du gouvernement jusqu'en juin
1999. Toutefois, après plusieurs mises en garde devant les
dérives des dépenses publiques, et faute des mesures correctives
nécessaires, le FMI a suspendu le versement de la deuxième
tranche semi-annuelle de la FASR.
En dépit de certains retards techniques, le Congo est à jour de
ses échéances envers le FMI dont les versements sont
effectués par la Banque des Etats d'Afrique Centrale (BEAC) à
Yaoundé. En revanche, du fait des arriérés
accumulés (18 millions de dollars passant à 28 millions de
dollars en juin 1998), le Congo supporte le niveau de sanctions maximal
imposé par la Banque mondiale, et en particulier la suspension de la
totalité des versements.
Les nouvelles autorités congolaises ont adopté des
orientations économiques encourageantes
qui doivent encore se
concrétiser :
- la reconnaissance de l'ensemble des dettes du gouvernement
précédent -même celles contractées dans des
conditions discutables (dette gagée) ;
- la réduction des effectifs de la fonction publique à
50 000 personnes -niveau qui peut paraître encore
élevé mais répond à la nécessité de
reconstituer les forces de l'ordre tout en intégrant une partie des
anciennes milices ;
- la mise en oeuvre rapide des privatisations pour les principales banques, la
compagnie des eaux (SNE), la compagnie de production et de distribution
d'électricité (SNDE) et enfin, la compagnie d'Etat des transports
regroupant le port de Pointe-Noire, le chemin de fer (CFCO), le port de
Brazzaville et la navigation fluviale. Ces opérations pourront-elles
s'achever, comme le prévoit l'objectif gouvernemental, avant la fin de
l'année ? Il est permis d'en douter. En effet, les entreprises
désireuses ou capables de mobiliser les ressources nécessaires
pour remettre en état des infrastructures très
dégradées, ne sont pas légion.
Il convient toutefois d'encourager un mouvement qui, conduit à son
terme, donnera plus d'efficacité à des services publics
aujourd'hui défaillants.
La normalisation des relations avec les bailleurs de fonds dépendra,
pour une large part, du retour à la confiance de la communauté
internationale à l'égard du Congo.
C. L'APPUI DE LA FRANCE POUR ROMPRE L'ISOLEMENT DIPLOMATIQUE DU CONGO
1. Un impératif : la reconnaissance du Congo
a) D'importants handicaps à surmonter
La diplomatie congolaise souffre d'un double handicap. Elle
doit à la fois éviter les défauts d'une politique
étrangère d'avant-guerre plutôt brouillonne et surmonter
l'isolement dans lequel les conditions de prise de pouvoir par M.
Sassou-Nguesso ont placé le Congo.
Le Congo n'a pas su s'imposer comme un acteur influent sur la scène
régionale. Par ailleurs, au delà du seul cercle des relations de
voisinage, la crédibilité du Congo a été assez
sérieusement entamée aux yeux des bailleurs de fonds.
Sur le plan régional, le précédent régime a fait
des choix contestables, à l'origine dans une certaine mesure, de la
faiblesse des soutiens dont il a souffert au moment de la dernière
guerre civile. Ainsi la latitude laissée par M. Lissouba à
l'UNITA et au Front de libération de la province de Cabinda (FLEC)
d'utiliser le territoire du Congo comme base arrière de leurs
entreprises de déstabilisation de l'Angola lui a valu l'hostilité
affirmée de M. Dos Santos. Cette inconséquence s'est
révélée fatale au moment de la dernière guerre
civile. Les relations avec le Zaïre n'ont pas démontré plus
de clairvoyance : le soutien accordé au maréchal Mobutu aux
derniers moments de son règne, après de longues années de
silence, hypothéquait les chances de la diplomatie congolaise de
s'attacher, comme elle le rechercha un moment, le soutien des parrains rwandais
de M. Kabila. Les relations avec le Gabon bénéficièrent,
quant à elles, de la solidarité ethnique entre le
président Bongo et Lissouba même si les ambitions concurrentes et
surtout le parti-pris d'hostilité au Gabon adopté par M. Lissouba
dans les dernières semaines qui précédèrent sa
chute ruinèrent cet atout.
Au-delà du cercle régional, l'incapacité du Congo à
tenir le cap du programme signé avec le FMI, la recherche de sources de
financement parallèles, peu conformes avec les principes admis par la
communauté internationale, affectèrent grandement le
crédit du Congo aux yeux des bailleurs de fonds au cours des cinq
dernières années.
Mais le Congo ne doit pas seulement effacer le souvenir des travers
traditionnels de sa politique étrangère, il lui faut aussi
surmonter l'impression laissée à l'extérieur par la
prise de pouvoir de M. Sassou-Nguesso par les armes
. M. Lissouba
bénéficiait d'une légitimité démocratique
liée aux premières élections pluralistes de l'histoire du
Congo. Les violences dont les différentes milices parmi lesquelles les
"Cobras" de M. Sassou-Nguesso, se sont rendues coupables à l'encontre
de
certaines représentations diplomatiques et en particulier le pillage des
ambassades allemande et américaine ont affecté l'image du nouveau
pouvoir à Brazzaville. Enfin, la présence des troupes angolaises,
bien qu'elle ait été "normalisée" dans le cadre d'un
accord de coopération militaire, constitue pour certains pays et, au
premier chef, pour les Etats-Unis, un obstacle à une reprise des
relations diplomatiques.
b) Des efforts certains pour mettre fin à l'isolement diplomatique
Sur le plan régional, le nouveau pouvoir a su conforter
sa légitimité même s'il reste confronté aux
incertitudes liées aux relations avec les autorités de la
nouvelle République démocratique du Congo (RDC).
Au niveau régional, la reconnaissance de l'autorité de M.
Sassou-Nguesso s'est déroulée en quatre étapes : appel des
chefs d'Etat des principaux pays voisins du Congo (Angola, Gabon, RDC) au
sommet de Luanda, le lendemain même de la prestation de serment du
général Sassou-Nguesso, le 26 octobre, en faveur d'une aide pour
la reconstruction du Congo ; participation du nouveau chef d'Etat au
premier sommet Union européenne -pays de la zone
Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) de Libreville (6 7 novembre
1997) et de la francophonie à Hanoi (14-15 novembre 1997), ainsi
qu'à la 32e session du Conseil des chefs d'Etat de l'UDEAC (5-6
février 1998). Par ailleurs, M. Sassou-Nguesso s'est rendu en
Côte d'Ivoire et en Afrique du sud où il a reçu l'appui de
ses homologues africains.
Ces efforts ont porté leurs fruits. Dès le mois de novembre,
d'ailleurs, l'OUA à travers son organe central pour la prévention
des conflits, adoptait une position modérée. S'abstenant de
condamner la prise de pouvoir par les armes, elle rendait un hommage
appuyé au président Bongo pour ses efforts de médiation et
invitait le Congo à oeuvrer en faveur de la réconciliation
nationale et de la restauration du processus démocratique.
Par ailleurs, le pays peut se prévaloir d'un double atout : la
proximité des liens entre M. Sassou-Nguesso et le président
Bongo
4(
*
)
, même si les aspirations
concurrentes à jouer le premier rôle régional peuvent
susciter quelque agacement de part et d'autre et, surtout, la qualité
des relations entre le Congo et l'Angola dont les troupes sont encore
présentes au sud du pays.
La principale incertitude, dans ce contexte, concerne les
rapports avec
l'ancien Zaïre
. Le poids démographique et économique de
la nouvelle RDC ne laisse au Congo d'autre choix que de composer avec son
puissant voisin d'outre fleuve.
Mais il lui faut également compter avec les positions en partie
imprévisibles de la nouvelle équipe de M. Kabila. Aussi,
malgré quelques initiatives conjointes comme la réouverture du
trafic fluvial entre Brazzaville et Kinshasa, immédiatement après
la fin de la guerre, les relations entre les deux Etats demeurent empreintes
d'une forte méfiance où les rumeurs ont leur part -l'appui
accordé par les anciennes troupes de M. Mobutu à M.
Sassou-Nguesso- mais aussi les choix diplomatiques des deux pays et en
particulier le souci manifesté par M. Sassou-Nguesso de renouer des
liens étroits avec la France.
Si la légitimation de M. Sassou-Nguesso par ses pairs africains
constitue un facteur essentiel de la stabilité du nouveau pouvoir, la
reconnaissance, au delà du seul cercle africain, par les bailleurs de
fonds internationaux représente un préalable au soutien
international à la reconstruction du Congo.
Grâce au soutien de la France, le Congo commence à sortir de
l'isolement diplomatique des premières semaines qui suivirent la prise
de pouvoir par M. Sassou-Nguesso. Cependant toutes les préventions
n'ont pas été levées. Certes, la Commission
européenne a accordé une aide d'urgence au titre du programme
Echo de 12 millions d'écus. Mais l'envoyé spécial de
l'Union européenne pour les grands Lacs, M. Aldo Ajello, a dû
renoncer à se rendre à Brazzaville lors de sa tournée en
Afrique centrale en mars dernier car les Quinze n'ont pu s'entendre sur le
message à délivrer à M. Sassou-Nguesso -les Allemands et
les Britanniques notamment prônant, contre l'avis de la France, un
langage beaucoup plus dur à l'égard du nouveau Président
congolais que vis-à-vis de M. Kabila. L'accord n'est pas acquis, par
ailleurs, sur la mobilisation des reliquats importants de ressources
destinées au Congo au titre des septième et huitième fonds
européen de développement (FED).
De même, s'agissant des organes des Nations unies, l'assouplissement de
la position américaine apparaît comme une condition
préalable à la mise en oeuvre des moyens financiers disponibles.
Pour l'heure, au delà de l'aide d'urgence (17 millions de dollars)
versée sous les auspices du programme des Nations unies pour le
développement (PNUD), les initiatives sont demeurées
limitées aux propositions présentées par le
secrétaire général des Nations unies, le 21 octobre
dernier, devant le Conseil de sécurité pour la reconstruction du
Congo et aux prises de contact organisées par les institutions de
Bretton Woods (visite en décembre dernier du représentant de la
Banque mondiale chargé du Congo, mission informelle du FMI à
Brazzaville les 29 et 30 janvier 1998).
La
lenteur de la mobilisation internationale
alors même que
l'importance des besoins justifie une action rapide et de grande envergure
contraste avec le sort réservé à la République
démocratique du Congo. M. Kabila a renversé par la force un
pouvoir sans légitimité démocratique,
M. Sassou-Nguesso a pris le pouvoir par la force au terme du mandat d'un
président, certes démocratiquement élu, mais dont les
dernières initiatives ne témoignaient pas d'un respect scrupuleux
des principes de l'Etat de droit. L'attitude des deux pays vis-à-vis de
la légitimité démocratique justifie-t-elle une telle
différence de traitement ? Même si ce devait être le cas,
les positions adoptées par la RDC dans ce domaine au cours des
dernières semaines (arrestation de M. Tshisekedi) appelleraient
sans doute une analyse plus nuancée de la situation.
La France s'efforce pour sa part de défendre une position
équilibrée à l'égard des deux Congo. Elle a en
partie réussi à convaincre ses partenaires européens sans
les déterminer, comme on l'a vu, à débloquer les fonds
disponibles pour le Congo (alors que le soutien à la RDC rendrait
nécessaire de nouveaux moyens dans la mesure où la
coopération avec l'ancien Zaïre restait très modeste).
Le Congo place beaucoup d'espoir dans notre pays et dans sa capacité
d'influence. Cette situation, dont la France doit savoir tirer parti, n'est
toutefois pas sans risque dans la mesure où les retards et la lenteur de
mise en oeuvre de l'aide attendue pourraient également être
portés à notre débit.
2. Une situation favorable à la mise en place d'une relation bilatérale privilégiée
La familiarité des élites congolaises avec la
France où elles séjournent régulièrement
après s'y être formées explique en partie le
caractère affectif, voire passionnel, des relations bilatérales.
Aujourd'hui, contrairement aux augures qui tablaient un peu rapidement sur
l'effacement de l'influence française en Afrique centrale, la France
dispose d'atouts importants au Congo. Sauf à perdre le
bénéfice de sa position actuelle, il lui faut toutefois agir vite.
a) Les atouts
Trois facteurs déterminants ont conduit aujourd'hui
à imposer la France comme un partenaire privilégié aux
autorités congolaises.
.
Le souci de non ingérence
En premier lieu, la France a cherché au moment de la guerre civile
à ne pas s'ingérer dans les affaires intérieures
congolaises (retrait du détachement français dès
l'achèvement des opérations d'évacuation) tout en appuyant
une solution pacifique au conflit (soutien à la mise en place d'une
force multinationale souhaitée par le Comité international de
médiation dirigé par M. Bongo). M. Lissouba a
interprété cette position de neutralité comme la
légitimation d'une tentative de coup de force. Le parti pris
d'hostilité adopté en conséquence à notre encontre
par l'ancien chef de l'Etat n'a pu que servir nos intérêts
auprès du nouveau pouvoir congolais.
.
Le maintien d'une présence française
La France est le seul pays à avoir maintenu, au paroxysme de la crise
intérieure congolaise, une présence diplomatique. Il convient de
rendre ici hommage à l'action de notre ambassadeur et au courage de
l'ensemble des personnels demeurés en poste dans des conditions
extrêmement difficiles. Ce maintien n'était pas seulement le gage
de la pérennité de la présence française dans le
pays mais manifestait aussi notre volonté de ne pas abandonner les
Congolais au moment de l'épreuve. Cette préoccupation nous vaut
aujourd'hui une large reconnaissance qui va bien au-delà du cercle des
élites politiques acquises à M. Sassou-Nguesso.
Enfin, cette présence maintenue a permis à la France de nouer, la
première, des contacts avec les nouvelles autorités.
.
Des relations avec les nouvelles autorités
engagées dans un délai rapide
Après des premiers entretiens bilatéraux avec le président
de la République et le secrétaire d'Etat à la
coopération et à la francophonie, lors du Sommet de Hanoï en
novembre 1997, le président Sassou-Nguesso s'est rendu en visite
privée à Paris du 15 au 21 décembre où il a
été reçu par le chef de l'Etat et le premier ministre. Il
s'est également entretenu à cette occasion avec le ministre des
affaires étrangères et le secrétaire d'Etat à la
coopération et à la francophonie.
Aujourd'hui le Congo espère beaucoup de la France. S'il est clair que
notre pays ne pourra appuyer seul les efforts de reconstruction, il peut et il
doit jouer un rôle déterminant dans cette entreprise.
Notre pays saura préserver son influence s'il conjugue trois
éléments : une présence française confortée,
une coopération adaptée et une action dynamique auprès des
autres bailleurs de fonds.
b) Les priorités de l'action française
.
Conforter une communauté
française éprouvée
L'influence de notre pays a pour relais essentiel l'action de nos compatriotes
au Congo. Notre communauté a été gravement
éprouvée par les derniers événements.
L'opération Pélican conduite avec une efficacité
remarquable par notre armée a permis l'évacuation de quelque
6 000 ressortissants étrangers dont 1 800 Français.
Brazzaville compte désormais quelque 170 Français (dont 74
religieux) et Pointe-Noire 2 300 immatriculés.
Nos compatriotes commencent à revenir dans l'espoir de ranimer
l'activité de leur entreprise ou, du moins, de sauver ce qui peut
l'être de leur ancien outil de travail quand tout, comme c'est
hélas le cas le plus souvent, n'a pas été perdu,
pillé, détruit. Les représentatns des Français de
Brazzaville ont fait connaître à votre délégation
trois sujets majeurs de préoccupation : la sécurité, les
financements et l'encadrement institutionnel.
La
sécurité
, votre délégation a pu le
vérifier, demeure précaire ; beaucoup d'armes circulent encore,
l'impunité s'est généralisée : les Français
ont souvent le désagrément de voir réapparaître
leurs véhicules volés conduits par d'autres mains.
A Brazzaville, les retours n'apparaissent pas encore suffisants pour permettre
de recréer par îlot ou par quartier une sécurité de
densité. Dans la perspective de retours plus importants à
l'automne 1998, les autorités consulaires auront à concevoir et
à organiser un dispositif de sécurité (réseau VHF,
îlotage, logistique de crise, constitution d'au moins deux zones
sécurisables).
Nos compatriotes se heurtent ensuite aux contrôles tatillons d'une
administration peu coopérative. A Pointe-Noire en particulier, les chefs
d'entreprise réunis au sein de l'organisation patronale Unicongo ont
regretté devant votre délégation que les autorités
locales ignorent les ordonnances présidentielles relatives à
l'exemption de la douane et de la TVA sur certaines importations
nécessaires à la reconstruction du pays. Votre
délégation a attiré l'attention des autorités sur
ces difficultés et souligné tout l'intérêt pour le
Congo lui-même et la reprise de l'activité économique
d'encourager les entreprises qui ont beaucoup souffert de la crise, par des
mesures de compensation sous la forme d'allègements fiscaux ou de
simplification des contrôles.
Que peut la France ? Si le principe même d'une indemnité ne
paraît guère envisageable, en revanche, la mise en oeuvre d'un
mécanisme de
bonification de prêts
apparaît comme une
solution réaliste. La Caisse française de développement
(CFD) paraît favorable à une telle option qui doit encore,
toutefois, recevoir l'aval de Bercy. Si l'absence de relais locaux (la Banque
centrale ne fonctionnera pas avant fin mars et les banques de
dépôt se trouvent souvent dans une situation désastreuse)
représente une difficulté, l'obstacle n'est pas insurmontable. Du
reste, le nombre de dossiers ne devrait pas être trop
élevé, ni d'ailleurs le niveau d'endettement de chaque emprunteur.
Par ailleurs, plusieurs de nos entreprises, pour la plupart importatrices de
produits français, ne parviennent pas à obtenir de la Compagnie
française d'assurances pour le commerce extérieur (COFACE),
qu'elle garantisse leurs opérations. La suspension de la
garantie
COFACE
pour toutes les opérations qui n'entrent pas dans le domaine
"humanitaire" se justifie moins aujourd'hui, au moment où la France
appelle de ses voeux le succès de la reconstruction du Congo.
Enfin, le renforcement de la présence française suppose,
parallèlement, la
restauration des services français à
Brazzaville
. Le volet consulaire apparaît déjà bien
avancé (réouverture des immatriculations en décembre, de
l'état-civil en février et, sans doute en mars, des visas) et il
faut à cet égard saluer l'effort particulier de nos diplomates
compte tenu des difficultés particulières de l'action sur place.
Dans le domaine culturel, le lycée Saint-Exupéry et le centre
culturel français à Brazzaville ont échappé aux
destructions. La réouverture de ces structures -et en particulier de la
première, déterminante pour les familles- constitue une
priorité.
.
Une reprise de l'aide
Avant la crise, la France assurait 80 % des concours reçus par le Congo
au titre de l'aide publique au développement (soit 800 millions de
francs par an depuis 1987). La succession des crises politiques comme les
carences de la maîtrise d'ouvrage congolaise expliquent la faiblesse du
taux d'exécution des programmes d'aide. A titre d'exemple, parmi les
interventions de la CFD, deux seulement ont pu vraiment être conduites
à leur terme : la réhabilitation des locomotives du CFCO
(25 millions de francs) et un programme d'urgence en faveur de la
société de distribution de l'eau à Brazzaville (14
millions de francs).
Dans le secteur privé, la Caisse avait accordé un prêt de
440 millions de francs à Elf-Congo pour l'exploitation du gisement de
N'Kossa et un crédit (160 millions de francs) destiné à la
restructuration financière de la filière Eucalyptus en 1996. La
faiblesse du système bancaire congolais a constitué un handicap
sérieux pour le développement de l'aide accordée
habituellement par la CFD, à travers sa filière Proparco, aux PME.
Parallèlement à l'aide-projet, la France a également
consenti un soutien financier important dans le cadre de l'ajustement
structurel : prêt d'ajustement structurel (PAS) de 400 millions de francs
aux lendemains de la dévaluation (destiné principalement à
la "sécurisation" de la dette mais aussi, dans une moindre mesure
à l'accompagnement des privatisations et aux dépenses
prioritaires de santé et d'éducation), PAS de 280 millions
accordé en 1996 à la suite du programme d'ajustement avec le FMI
conclu au terme d'une nouvelle période d'arriérés et de
sanctions
5(
*
)
.
La crise de juin 1997 a conduit le Congo à suspendre tous ses
remboursements et à encourir de nouveau les sanctions du FMI et de la
Banque Mondiale. Les échéances dues au premier semestre 1998
représentent un montant de 160 millions de francs dont 130 millions de
francs non rééchelonnables.
Les orientations arrêtées dans le domaine institutionnel et
économique par M. Sassou Nguesso, la stabilisation politique, enfin,
tout invite la France à reprendre une aide, aujourd'hui, peut
être, plus indispensable que jamais.
Toutefois, il convient de tenir compte d'une double contrainte.
En premier lieu, les arriérés dus à la Caisse
française de développement s'élèvent à 270
millions de francs français dont plus de 230 millions non
rééchelonnables. A la fin du mois de juin 1998, ces montants
augmenteront encore de 160 millions de francs. Le non-règlement des
échéances interdira à la CFD, du moins dans un premier
temps, de reprendre le cours normal de ses activités.
Dans son ensemble, la
dette bilatérale
du Congo à
l'égard de la France place notre pays au premier rang des
créanciers de Brazzaville. Les échéances dues au cours du
premier semestre 1998 représentent 660 millions de francs dont 160
millions de francs non rééchelonnables.
Aussi convient-il sans doute d'envisager dans l'immédiat, en l'absence
d'un accord entre le Congo et le FMI, préalable à une aide
financière de la France, de concevoir des relais aux instruments
financiers habituels.
Dès la fin des combats, la France a accordé une
aide
humanitaire
d'urgence de l'ordre de 6 millions de francs
(hôpital de campagne à Brazzaville mis en place par une
équipe médicale de la sécurité civile, programme
d'aide à la production vivrière, rétablissement des
services publics de base -eau, électricité,
télécommunications, navigation aérienne). Toutefois,
au-delà de la situation d'urgence, l'aide française doit
maintenant chercher à mettre en oeuvre des orientations plus durables.
L'exercice doit satisfaire à une double contrainte en partie
contradictoire. Il s'agit en effet de répondre rapidement aux attentes
des congolais, alors même que la France, dans un premier temps, se trouve
condamnée à agir seule en raison du régime de sanction que
subit ce pays.
Dans cette perspective, M. Hervé Bolot, notre nouvel ambassadeur
à Brazzaville, a présenté en mars 1998 une première
évaluation des besoins du pays. Une double priorité s'attache
aujourd'hui, d'une part, à la restauration d'un Etat efficace et
démocratique et, d'autre part, à la satisfaction des besoins
essentiels des populations.
L'appui à l'Etat de droit
a pour
condition première un retour à l'ordre public et une
réorganisation de l'administration. Une fois les structures solidement
établies, il sera possible de développer la formation aux
règles du droit et aux principes démocratiques. Aussi
convient-il, dès maintenant, d'apporter une assistance technique et de
conseil à la réforme de la fonction publique sous la forme de
missions de quelques semaines axées sur des objectifs précis
(statuts, grilles, émoluments, contrôle de gestion). Dans
l'immédiat, la mise à disposition d'uniformes pour la gendarmerie
représenterait à la fois un geste peu coûteux mais
très apprécié dans le cadre de la restauration de l'ordre
public.
Dans le
domaine économique et social
, trois secteurs en
particulier pourraient être distingués. La production
vivrière bénéficie du programme Agricongo initié
par la CFD. Celui-ci contribue à l'alimentation de Brazzaville en vivres
frais et dans le même temps à l'emploi de jeunes travailleurs. Il
apparaît donc nécessaire, dans l'attente de la reprise des
décaissements de la caisse, que le FAC prenne le relais des financements
nécessaires. En second lieu, il est impératif que la France
relance dans le secteur de la santé où les besoins sont immenses,
différents projets déjà engagés tels que la
transfusion sanguine, la lutte contre la tuberculose et contre le sida. Enfin,
le développement des villes, et, en particulier, leurs infrastructures,
constitue une autre priorité. Si la situation de Brazzaville appelle une
action urgente, le cas de Pointe-Noire, où les infrastructures urbaines
souffrent de longue date de nombreuses insuffisances ne peut être
négligé. Aussi, les programmes de la Caisse -une aide de
68 millions de francs pour Pointe-Noire décidée en 1996 mais
non exécutée et un projet d'assainissement à Brazzaville-
demeurent-ils plus que jamais à l'ordre du jour.
Il est certain, toutefois, que pour les projets de dimension plus ambitieuse,
la France devra s'adjoindre le concours d'autres bailleurs de fonds et au
premier chef, de ses partenaires européens.
La reprise de la coopération avec le Congo fournit l'occasion de revoir
dans le sens d'une plus
grande efficacité
nos modalités
d'aide et, ainsi, de concrétiser les nouveaux principes qui inspirent la
réforme actuelle de notre politique de coopération.
La France, il convient de le rappeler, dispose d'intérêts
importants au Congo, comme l'atteste d'ailleurs l'importance de notre
communauté dans ce pays. Le rôle d'Elf -qui produit depuis la mise
en exploitation du gisement de Nkossa, 8 millions de tonnes de
pétrole sur une production totale de 12 millions en 1997 et emploie
700 agents dont 107 expatriés- apparaît évidemment
essentiel dans la vie économique du pays. En outre, les perspectives de
développement du groupe apparaissent importantes avec un important
programe d'exploration orienté vers les grands fonds. En effet, en
complément du permis haute mer dont le potentiel reste
élevé et doit être reconnu avant l'an 2000, Elf Congo a
obtenu en 1996 et 1997, deux permis en tant qu'opérateur en mer profonde
et négocie également son entrée sur deux autres. La
société pourra ainsi être présente sur tout le grand
offshore congolais.
Les enjeux économiques ne se limitent pas cependant à
l'exploitation des gisements pétroliers. Quelque 200 entreprises
françaises (Bolloré, Vilgrain, Bouygues...) animent le tissu
économique du pays et assurent les deux tiers des emplois du secteur
privé.
Par ailleurs, en 1996, 40 % des parts du marché congolais
revenaient à la France et les exportations avaient beaucoup
progressé entre 1995 et 1996 (de 1 233 millions de francs à
4 872 millions de francs) sans toutefois dépasser le montant de nos
importations (512 millions de francs).
CONCLUSION
Quelles conclusions peut-on tirer de l'analyse de la
situation
présente du Cameroun et du Congo pour la politique de la France en
Afrique ? Votre délégation présentera ici les principaux
enseignements que lui inspire son séjour, bref mais dense, dans ces deux
pays.
Ces derniers, malgré des différences évidentes
liées à la démographie (14 millions d'habitants au
Cameroun et 2,5 millions d'habitants au Congo) et à leur
évolution récente demeurent confrontés à des
difficultés communes que d'autres pays du continent, à coup
sûr, connaissent également. A cet égard, la situation du
Cameroun et du Congo a certainement valeur exemplaire.
.
Un contexte social très difficile
Le Congo comme le Cameroun constituent des mosaïques ethniques. Au
Cameroun, cette diversité est encore redoublée par le
bilinguisme. Les solidarités ethniques ignorent d'ailleurs les
frontières héritées des découpages territoriaux de
l'époque coloniale. Dans ces conditions, la construction de
l'identité nationale constitue une gageure.
Au défi encore d'actualité d'une construction identitaire
s'ajoute aujourd'hui de façon encore plus aiguë la
nécessité
d'intégrer une jeunesse nombreuse.
Les
taux de croissance démographique du Cameroun et du Congo figurent parmi
les plus élevés du continent (respectivement 2,9 % et 3,3 %) et
dans les deux pays, près de la moitié de la population a moins de
quinze ans. Or, les conditions d'intégration de la jeunesse africaine
ont profondément changé. D'une part, le jeune africain est de
plus en plus un citadin (40 % de la population camerounaise résident
dans les villes, soit un doublement en 20 ans) ; il grandit ainsi dans un
environnement où les réseaux de solidarité familiale
tendent à se distendre. En outre, les perspectives de réussite ou
d'ascension sociale se sont fortement réduites depuis la fin des
années 70 en raison de la crise économique. Comment
s'étonner dès lors que de nombreux adolescents se laissent
enrôler dans des guerres dont les enjeux les dépassent et dont ils
sont aussi les premières victimes ?
.
Une transition démocratique difficile
Face à un contexte social aussi difficile, la tâche des
autorités politiques apparaît très délicate. Le
régime du parti unique a longtemps paru comme une formule assurée
pour unifier autour d'un chef incontesté une population unanime. Ce
régime, toutefois, n'a pas suffit à prémunir l'Afrique
contre les coups d'Etat sanglants. L'histoire du Congo le montre. Le souci des
équilibres ethniques apparaît un gage plus assuré de
stabilité. Et dans ce domaine, le Cameroun a réussi là
où le Congo échouait. Toutefois, l'évolution du contexte
international, mais aussi la pression d'une opinion publique plus soucieuse que
dans le passé de faire entendre sa voix, impose aujourd'hui à ces
Etats de s'engager sur les voies de la démocratie. Comment, tout en
organisant la transition démocratique, préserver, pour le
Cameroun, les équilibres savamment élaborés au temps
confortable du parti unique et, pour le Congo, mettre en place ces
équilibres qui ont toujours fait défaut, tel est sans doute l'un
des principaux défis de l'avenir. Si le régime
démocratique représente sans doute à long terme l'une des
meilleures garanties de stabilité politique, il doit se mettre en place
par étapes et se construire sur les bases durables que seul un Etat
consolidé peut procurer. L'effort doit donc porter sur la mise en place
d'un
Etat impartial et efficace
. En outre, dans ce processus, l'Afrique
peut emprunter des voies qui lui soient propres, sans suivre
nécessairement le modèle occidental.
.
Les conditions d'une croissance plus durable
Le Cameroun comme le Congo disposent l'un et l'autre de richesses
considérables et, au premier chef, du pétrole qui assure
l'essentiel des ressources à l'exportation. Cet atout peut aussi
être une faiblesse dans la mesure où il entretient une
dépendance excessive à l'égard d'un nombre limité
de produits et habitue également aux facilités d'une
économie de rente. L'échec successif de plusieurs programmes
d'ajustement négociés avec le FMI montre dans les deux pays les
difficultés de l'apprentissage de la rigueur.
Les moyens d'une croissance plus durable passent sans doute par une
diversification du tissu économique et, partant, par un
développement de
l'investissement privé
aujourd'hui
freiné par la corruption et les failles du système judiciaire. La
mise en oeuvre de l'Etat de droit constitue ici encore une priorité. Au
Cameroun, les autorités paraissent conscientes des difficultés
des entreprises mais les bonnes intentions ne trouvent pas dans une
administration souvent démobilisée et parfois même
compromise le relais nécessaire.
Au Congo, l'effort se concentre dans l'immédiat sur la reconstruction.
M. Sassou-Nguesso a incontestablement la stature d'un chef d'Etat ; il a la
volonté de relever son pays mais il peut paraître isolé
alors même que le chantier est immense. C'est pourquoi il compte sur
l'appui de la France.
.
La nécessité d'un lien privilégié mais
renouvelé avec la France
Quelle doit être la position de la France à l'égard du
Cameroun et du Congo ? Plus généralement, quel rôle notre
pays peut-il jouer sur le continent ?
La France, en vertu des liens tissés par l'histoire, du trésor
commun d'une langue partagée et enfin, d'un soutien continu à
travers les années, dispose d'une influence considérable en
Afrique centrale. Elle possède aussi des intérêts
économiques importants dans la région à travers le
contrôle exercé par Elf sur l'exploitation et la distribution
d'une partie des ressources pétrolières du Golfe de
Guinée.
La présence de notre pays est-elle aujourd'hui menacée comme
certains l'ont craint -ou espéré- au moment où le
régime de Mobutu s'est effondré ? Notre influence pourrait-elle,
en particulier, être battue en brêche par les Etats-Unis ? Qu'il
existe un intérêt renouvelé des Etats-Unis pour le
continent, le fait est assuré -le récent périple du
président Clinton sur le continent en témoigne- et il convient
plutôt de s'en réjouir. Que cet intérêt soit, dans
les faits, circonscrit au domaine économique, voilà qui
paraît plus que probable. Rappelons-le, l'aide au développement
représente 0,12 % du PIB américain, contre 0,43 % pour
la France. En Afrique, la disparité de l'effort financier consenti par
la France et les Etats-Unis apparaît de façon encore plus nette.
Quant au modèle démocratique que les Etats-Unis souhaiteraient
promouvoir en Afrique, faut-il en voir des exemples dans les régimes de
l'Ouganda ou de la République démocratique du Congo, parfois
cités à Washington ? Dans cette hypothèse, la plupart
des pays d'Afrique francophone apparaissent irréprochables.
Le débat sur le rôle des Etats-Unis en Afrique, ainsi remis en
perspective, a toutefois pour mérite de rappeler que la présence
de la France en Afrique s'inscrit dans un contexte plus concurrentiel ; un
contexte également où la relève des
générations aux postes de responsabilité suscite de
nouvelles attentes auprès des élites africaines. Dans ces
conditions, quelles doivent être les priorités de la France ?
Il convient d'abord de préserver les acquis. La
zone franc
représente l'un des témoignages les plus forts de la
solidarité entre notre pays et ses partenaires africains. Or la
perspective de la monnaie unique suscite des inquiétudes.
D'aucuns craignent une nouvelle dévaluation et les mouvements de
capitaux entretiennent les rumeurs. Ces appréhensions ne sont pas
fondées : la situation apparaît bien différente de celle
qui prévalait en 1994. Les pays africains connaissent des taux de
croissance élevés et enregistrent des excédents
commerciaux. Le gouvernement a par ailleurs donné les assurances
nécessaires. Il convient de ne pas relâcher le travail
d'explication entrepris.
Par ailleurs, la France dispose dans la présence des
communautés françaises
d'un autre atout essentiel en
Afrique. Nos compatriotes sont en effet les meilleurs relais de notre
influence. Il convient donc de leur apporter le soutien nécessaire en
utilisant l'influence dont dispose la France auprès des pouvoirs publics
africains pour les inviter à mieux prendre en considération les
intérêts de nos ressortissants. La question des pensions dues aux
rapatriés français par les caisses de retraite africaines
représente un problème particulièrement douloureux. Au
Cameroun et au Congo, votre délégation a attiré
l'attention des autorités sur la nécessité d'une solution
rapide. Une aide budgétaire fournie par les Etats africains
apparaît indispensable dans l'attente de la restructuration,
inévitable, de l'ensemble du système de protection sociale de ces
pays. Votre délégation estime pour sa part qu'en l'absence d'une
initiative de nos partenaires africains dans ce domaine, la France devra
refuser de signer et de ratifier de nouveaux accords de
réciprocité en matière de droits sociaux.
S'il convient de préserver les acquis d'une relations
privilégiée, il importe aussi d'adapter notre politique africaine
aux évolutions du continent. A cet égard,
la réforme de
la coopération
ouvre peut-être l'âge d'un
véritable partenariat entre la France et ses anciennes colonies. Ses
effets ne pourront être appréciés qu'avec le recul du
temps. Toutes les incertitudes sont loin d'être levées : en
particulier, la fusion des administrations de la coopération et des
affaires étrangères ne doit pas entraîner une dilution des
moyens consacrés à l'aide au développement de l'Afrique.
La France doit, pour sa part, prolonger son action dans une double direction ;
d'une part, elle aura à porter l'accent sur
la formation des
nouvelles élites
appelées à prendre la relève
des anciens responsables politiques ou économiques. C'est là la
condition de cette proximité humaine qui constitue le meilleur ciment de
nos relations. A cet égard, il convient de favoriser l'accueil des
étudiants africains les plus prometteurs au sein des
établissements d'enseignement français.
D'autre part, la France n'aura plus les moyens de soutenir seule le
développement de ses partenaires africains. Certes, elle a réussi
à intéresser l'Europe à l'Afrique : la
convention de
Lomé
en est le meilleur témoignage. Mais, dans deux ans, ces
accords seront renouvelés et certains de nos partenaires,
attachés à d'autres priorités et en particulier à
l'intégration des pays d'Europe centrale et orientale, semblent
tentés par un désengagement. L'enjeu de la négociation qui
s'ouvrira bientôt apparaît crucial pour le développement des
pays africains comme pour l'influence de la France sur le continent.
Pour mobiliser nos partenaires européens, il importe toutefois de leur
donner confiance dans le destin de l'Afrique. La crise asiatique, à cet
égard, contribuera sans doute à renouveler l'intérêt
pour le continent. Cependant, c'est aux Africains eux-mêmes de contribuer
à changer l'image de l'Afrique. A eux de créer les conditions
favorables à la croissance et de construire l'Etat de droit.
C'est à cette aune que les politiques conduites au Cameroun et au Congo
seront jugées, même si dans leur tâche les dirigeants
africains peuvent compter sur l'appui et l'amitié de la France.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des Affaires étrangères, de la
Défense et des Forces armées a examiné le présent
rapport au cours de sa séance du mercredi 25 mars 1998.
A l'issue de l'exposé du rapporteur, Mme Paulette Brisepierre a
rappelé la nécessité d'appuyer le Congo dans ses efforts
de reconstruction ; en effet, la situation laissée par la guerre civile
permettrait -a-t-elle estimé- une reconstruction rapide qui relancerait
à la fois l'activité économique et emploierait une
jeunesse désoeuvrée et parfois tentée par la
délinquance compte tenu du grand nombre d'armes en circulation. Elle a
relevé que M. Denis Sassou-Nguesso avait la stature d'un Chef
d'Etat qui avait besoin de former autour de lui une équipe solide et
pouvait réussir, s'il disposait des moyens nécessaires. Elle a
regretté à cet égard la résolution, adoptée
le 12 mars dernier par le Parlement européen, condamnant les
nouvelles autorités congolaises. D'après Mme Paulette
Brisepierre, l'aide européenne doit être débloquée
et il revient à la France, dans un premier temps, de prendre les mesures
nécessaires pour favoriser l'accès de nos entreprises
installées au Congo à des prêts bonifiés
indispensables à la reconstitution de leur outil de travail.
M. Jacques Habert a souligné le sentiment d'abandon
éprouvé par nos compatriotes installés au Congo. Il a
souhaité que puisse être rapidement mise en place par la France
l'aide nécessaire. Il a enfin déploré l'hostilité
manifestée par l'Union européenne à l'égard du
Congo.
M. Xavier de Villepin, président, a fait état des
réticences de l'Allemagne et du Royaume-Uni vis-à-vis des
nouvelles autorités congolaises et indiqué en particulier que le
gouvernement britannique, qui assure à l'heure actuelle la
présidence européenne, s'était opposé à
l'envoi d'un émissaire européen au Congo. Il a également
indiqué qu'il s'était entretenu avec le directeur de la Caisse
française de développement de la nécessité de
mettre en place un dispositif de soutien à nos entreprises
installées au Congo, sous la forme de prêts bonifiés, mais
que pour l'instant aucune initiative concrète n'avait été
prise dans ce sens.
Mme Paulette Brisepierre a souligné que si M. Denis Sassou-Nguesso
s'était rendu maître du pouvoir par les armes, son
prédécesseur n'avait pas témoigné d'un respect
scrupuleux des principes démocratiques.
Enfin, M. Xavier de Villepin, président, et Mme Paulette Brisepierre ont
exprimé la crainte que l'absence d'initiative vis-à-vis du Congo
ne décourage le pouvoir actuel et ne suscite par ailleurs le
mécontentement de la communauté française sur place.
La commission a alors autorisé la publication du rapport d'information
établi par MM. Xavier de Villepin, président, Guy Penne et Mme
Paulette Brisepierre.
ANNEXE -
PROGRAMME DE LA MISSION AU CAMEROUN ET AU
CONGO DU 15 AU 20 FÉVRIER 1998
CAMEROUN
Dimanche 15 février
:
Yaoundé
.
20 h 00
: Dîner de travail à l'ambassade.
Lundi 16 février
9 h 00
: Entretien avec l'attaché de défense sur les
questions de coopération militaire.
10 h 30
: Visite du consulat de France à Yaoundé.
13 h 00
: Déjeuner avec des parlementaires camerounais
16 h 00
: Entretien avec M. Amadou Ali, Ministre d'Etat
délégué à la Présidence, chargé de la
Défense.
17 h 00
: Visite du Centre de ressources pédagogiques et du
Centre culturel français de Yaoundé.
18 h 00
: Réception de la communauté française.
Mardi 17 février
08h 30
: Petit-déjeuner offert par M. Raymond Mengolo Avomo,
président du groupe RDPC à l'Assemblée Nationale et
président du groupe d'amitié Cameroun-France.
10 h 00
: Entretien avec M. Djibril Cavaye Yeguie, président de
l'Assemblée Nationale.
11 h 00
: Entretien avec M. Peter Musonge, Premier ministre.
12 h 00
: Entretien avec M. Edouard Akame Mfoumou, ministre de
l'Economie et des Finances.
13 h 00
: Déjeuner offert par M. Nicolas Amougou Noma,
vice-président de l'Assemblée Nationale.
15 h 00
: Visite du Lycée français de Yaoundé.
15 h 45
: Visite de l'hôpital central de Yaoundé.
16 h 00
: Entretien avec M. Augustin Kontchou Kouomegni, ministre des
Relations extérieures.
17 h 00
: Réunion d'information avec des représentants de
la communauté française de Yaoundé.
Mercredi 18 février : Douala
11 h 00
: Réunion d'information, à notre Consulat
général, avec les représentants de la communauté
française de Douala.
13 h 00
: Déjeuner avec des hommes d'affaires
français et camerounais offert par M. Bernard Boidin, conseiller
commercial, chef du service d'expansion économique.
15 h 30
: Visite du Centre culturel français de Douala.
17 h 00
: Réception de la communauté française.
CONGO
Jeudi 19 février : Brazzaville
08 h 00
: Petit déjeuner de travail à l'ambassade.
09 h 30
: Aperçu sur Brazzaville.
11 h 00
: Audience du Président de la République, M. Denis
Sassou- Nguesso.
11 h 30
: Réception de la Communauté française.
13 h 00
: Déjeuner : thème - la reconstruction.
- M. Paul Kaya, Ministre d'Etat, Chargé de la Programmation de la
privatisation, et de la Promotion de l'entreprise Privée Nationale.
- M. Lekoundzou Itihi Ossethoumba, Ministre d'Etat, Chargé de la
Reconstruction et du Développement urbain.
15 h 30
: Conseil National de Transition : Entretien avec le
Président Koumba et le Bureau.
17 h 30
: Point de presse.
18 h 00
: Entrevue avec l'Association des Français victimes des
événements de Brazzaville.
20 h 00
: Dîner en l'honneur du Président et du Bureau du
Conseil National de Transition.
En présence de :
- M. Firmin Ayessa, Ministre chargé de l'Organisation du Forum National
et des Relations avec le Conseil National de Transition.
- M. Isidore Mvouba, Ministre Directeur de Cabinet du Président de la
République.
Vendredi 20 février : Pointe-Noire
11 h 30
: Réunion avec les représentants d'UNICONGO.
13 h 00
: Déjeuner avec les Conseillers du Commerce
extérieur.
17 h 30
: Réception de la communauté française.
1
De 1990 à 1994, cinq entreprises
ont été privatisées. Le groupe Hevecam (caoutchouc) a
été cédé fin 1996 à un groupe
indonésien pour 230 millions de francs. Les privatisations de Socapalm
et de Sodecoton sont en cours.
2
Philippe Frank, Ethnies et partis : le cas du Congo in
"Afrique
contemporaine", n° 182, 2e trimestre 1997.
3
Le CNT comprend 3 conseillers pour chacune des 11 régions,
et 42 conseillers représentant les partis et la société
civile ; son bureau est de 7 membres ; par ailleurs 6 commissions ont
été constituées (politique, affaires
étrangères et coopération, économie et finances,
défense et sécurité, administrative et juridique, social
et culturel, conseil économique et social).
4 M. Bongo est le gendre de M. Sassou-Nguesso
5 Les reliquats du PAS qui devait être complété en 1997 par un nouveau concours de 300 millions de francs s'élèvent à 65 millions de francs.