C. L'APPUI DE LA FRANCE POUR ROMPRE L'ISOLEMENT DIPLOMATIQUE DU CONGO
1. Un impératif : la reconnaissance du Congo
a) D'importants handicaps à surmonter
La diplomatie congolaise souffre d'un double handicap. Elle
doit à la fois éviter les défauts d'une politique
étrangère d'avant-guerre plutôt brouillonne et surmonter
l'isolement dans lequel les conditions de prise de pouvoir par M.
Sassou-Nguesso ont placé le Congo.
Le Congo n'a pas su s'imposer comme un acteur influent sur la scène
régionale. Par ailleurs, au delà du seul cercle des relations de
voisinage, la crédibilité du Congo a été assez
sérieusement entamée aux yeux des bailleurs de fonds.
Sur le plan régional, le précédent régime a fait
des choix contestables, à l'origine dans une certaine mesure, de la
faiblesse des soutiens dont il a souffert au moment de la dernière
guerre civile. Ainsi la latitude laissée par M. Lissouba à
l'UNITA et au Front de libération de la province de Cabinda (FLEC)
d'utiliser le territoire du Congo comme base arrière de leurs
entreprises de déstabilisation de l'Angola lui a valu l'hostilité
affirmée de M. Dos Santos. Cette inconséquence s'est
révélée fatale au moment de la dernière guerre
civile. Les relations avec le Zaïre n'ont pas démontré plus
de clairvoyance : le soutien accordé au maréchal Mobutu aux
derniers moments de son règne, après de longues années de
silence, hypothéquait les chances de la diplomatie congolaise de
s'attacher, comme elle le rechercha un moment, le soutien des parrains rwandais
de M. Kabila. Les relations avec le Gabon bénéficièrent,
quant à elles, de la solidarité ethnique entre le
président Bongo et Lissouba même si les ambitions concurrentes et
surtout le parti-pris d'hostilité au Gabon adopté par M. Lissouba
dans les dernières semaines qui précédèrent sa
chute ruinèrent cet atout.
Au-delà du cercle régional, l'incapacité du Congo à
tenir le cap du programme signé avec le FMI, la recherche de sources de
financement parallèles, peu conformes avec les principes admis par la
communauté internationale, affectèrent grandement le
crédit du Congo aux yeux des bailleurs de fonds au cours des cinq
dernières années.
Mais le Congo ne doit pas seulement effacer le souvenir des travers
traditionnels de sa politique étrangère, il lui faut aussi
surmonter l'impression laissée à l'extérieur par la
prise de pouvoir de M. Sassou-Nguesso par les armes
. M. Lissouba
bénéficiait d'une légitimité démocratique
liée aux premières élections pluralistes de l'histoire du
Congo. Les violences dont les différentes milices parmi lesquelles les
"Cobras" de M. Sassou-Nguesso, se sont rendues coupables à l'encontre
de
certaines représentations diplomatiques et en particulier le pillage des
ambassades allemande et américaine ont affecté l'image du nouveau
pouvoir à Brazzaville. Enfin, la présence des troupes angolaises,
bien qu'elle ait été "normalisée" dans le cadre d'un
accord de coopération militaire, constitue pour certains pays et, au
premier chef, pour les Etats-Unis, un obstacle à une reprise des
relations diplomatiques.
b) Des efforts certains pour mettre fin à l'isolement diplomatique
Sur le plan régional, le nouveau pouvoir a su conforter
sa légitimité même s'il reste confronté aux
incertitudes liées aux relations avec les autorités de la
nouvelle République démocratique du Congo (RDC).
Au niveau régional, la reconnaissance de l'autorité de M.
Sassou-Nguesso s'est déroulée en quatre étapes : appel des
chefs d'Etat des principaux pays voisins du Congo (Angola, Gabon, RDC) au
sommet de Luanda, le lendemain même de la prestation de serment du
général Sassou-Nguesso, le 26 octobre, en faveur d'une aide pour
la reconstruction du Congo ; participation du nouveau chef d'Etat au
premier sommet Union européenne -pays de la zone
Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) de Libreville (6 7 novembre
1997) et de la francophonie à Hanoi (14-15 novembre 1997), ainsi
qu'à la 32e session du Conseil des chefs d'Etat de l'UDEAC (5-6
février 1998). Par ailleurs, M. Sassou-Nguesso s'est rendu en
Côte d'Ivoire et en Afrique du sud où il a reçu l'appui de
ses homologues africains.
Ces efforts ont porté leurs fruits. Dès le mois de novembre,
d'ailleurs, l'OUA à travers son organe central pour la prévention
des conflits, adoptait une position modérée. S'abstenant de
condamner la prise de pouvoir par les armes, elle rendait un hommage
appuyé au président Bongo pour ses efforts de médiation et
invitait le Congo à oeuvrer en faveur de la réconciliation
nationale et de la restauration du processus démocratique.
Par ailleurs, le pays peut se prévaloir d'un double atout : la
proximité des liens entre M. Sassou-Nguesso et le président
Bongo
4(
*
)
, même si les
aspirations concurrentes à jouer le premier rôle régional
peuvent susciter quelque agacement de part et d'autre et, surtout, la
qualité des relations entre le Congo et l'Angola dont les troupes sont
encore présentes au sud du pays.
La principale incertitude, dans ce contexte, concerne les
rapports avec
l'ancien Zaïre
. Le poids démographique et économique de
la nouvelle RDC ne laisse au Congo d'autre choix que de composer avec son
puissant voisin d'outre fleuve.
Mais il lui faut également compter avec les positions en partie
imprévisibles de la nouvelle équipe de M. Kabila. Aussi,
malgré quelques initiatives conjointes comme la réouverture du
trafic fluvial entre Brazzaville et Kinshasa, immédiatement après
la fin de la guerre, les relations entre les deux Etats demeurent empreintes
d'une forte méfiance où les rumeurs ont leur part -l'appui
accordé par les anciennes troupes de M. Mobutu à M.
Sassou-Nguesso- mais aussi les choix diplomatiques des deux pays et en
particulier le souci manifesté par M. Sassou-Nguesso de renouer des
liens étroits avec la France.
Si la légitimation de M. Sassou-Nguesso par ses pairs africains
constitue un facteur essentiel de la stabilité du nouveau pouvoir, la
reconnaissance, au delà du seul cercle africain, par les bailleurs de
fonds internationaux représente un préalable au soutien
international à la reconstruction du Congo.
Grâce au soutien de la France, le Congo commence à sortir de
l'isolement diplomatique des premières semaines qui suivirent la prise
de pouvoir par M. Sassou-Nguesso. Cependant toutes les préventions
n'ont pas été levées. Certes, la Commission
européenne a accordé une aide d'urgence au titre du programme
Echo de 12 millions d'écus. Mais l'envoyé spécial de
l'Union européenne pour les grands Lacs, M. Aldo Ajello, a dû
renoncer à se rendre à Brazzaville lors de sa tournée en
Afrique centrale en mars dernier car les Quinze n'ont pu s'entendre sur le
message à délivrer à M. Sassou-Nguesso -les Allemands et
les Britanniques notamment prônant, contre l'avis de la France, un
langage beaucoup plus dur à l'égard du nouveau Président
congolais que vis-à-vis de M. Kabila. L'accord n'est pas acquis, par
ailleurs, sur la mobilisation des reliquats importants de ressources
destinées au Congo au titre des septième et huitième fonds
européen de développement (FED).
De même, s'agissant des organes des Nations unies, l'assouplissement de
la position américaine apparaît comme une condition
préalable à la mise en oeuvre des moyens financiers disponibles.
Pour l'heure, au delà de l'aide d'urgence (17 millions de dollars)
versée sous les auspices du programme des Nations unies pour le
développement (PNUD), les initiatives sont demeurées
limitées aux propositions présentées par le
secrétaire général des Nations unies, le 21 octobre
dernier, devant le Conseil de sécurité pour la reconstruction du
Congo et aux prises de contact organisées par les institutions de
Bretton Woods (visite en décembre dernier du représentant de la
Banque mondiale chargé du Congo, mission informelle du FMI à
Brazzaville les 29 et 30 janvier 1998).
La
lenteur de la mobilisation internationale
alors même que
l'importance des besoins justifie une action rapide et de grande envergure
contraste avec le sort réservé à la République
démocratique du Congo. M. Kabila a renversé par la force un
pouvoir sans légitimité démocratique,
M. Sassou-Nguesso a pris le pouvoir par la force au terme du mandat d'un
président, certes démocratiquement élu, mais dont les
dernières initiatives ne témoignaient pas d'un respect scrupuleux
des principes de l'Etat de droit. L'attitude des deux pays vis-à-vis de
la légitimité démocratique justifie-t-elle une telle
différence de traitement ? Même si ce devait être le cas,
les positions adoptées par la RDC dans ce domaine au cours des
dernières semaines (arrestation de M. Tshisekedi) appelleraient
sans doute une analyse plus nuancée de la situation.
La France s'efforce pour sa part de défendre une position
équilibrée à l'égard des deux Congo. Elle a en
partie réussi à convaincre ses partenaires européens sans
les déterminer, comme on l'a vu, à débloquer les fonds
disponibles pour le Congo (alors que le soutien à la RDC rendrait
nécessaire de nouveaux moyens dans la mesure où la
coopération avec l'ancien Zaïre restait très modeste).
Le Congo place beaucoup d'espoir dans notre pays et dans sa capacité
d'influence. Cette situation, dont la France doit savoir tirer parti, n'est
toutefois pas sans risque dans la mesure où les retards et la lenteur de
mise en oeuvre de l'aide attendue pourraient également être
portés à notre débit.