2. Le défi de la pacification
La tâche que doit maintenant accomplir M. Sassou-Nguesso relève de la gageure car il s'agit de restaurer l'autorité de l'Etat tout en conjurant le spectre de l'autoritarisme pratiqué pendant près de trente ans dans ce pays. Si le nouveau président a donné des gages d'une véritable volonté d'ouverture politique, les risques liés à l'exercice d'un pouvoir personnel ne peuvent être exclus.
a) Une volonté d'ouverture politique
Depuis sa prise du pouvoir, M. Sassou-Nguesso a donné
trois témoignages d'un souci d'ouverture politique que l'avenir devra
bien sûr confirmer.
En premier lieu la composition du
"gouvernement d'union
nationale"
même s'il compte -à l'instar d'ailleurs du précédent
gouvernement- peu de figures nouvelles, fait une place à des
représentants d'autres sensibilités que celle du mouvement de M.
Sassou-Nguesso. En effet, aux côtés des fidèles du chef de
l'Etat, titulaires des postes les plus importants (MM. Lekoundzou au
ministère de la reconstruction et Nze à celui de la justice), ou
simples proches mieux à même, sans doute, de faire valoir une
influence modératrice, le gouvernement compte également des
personnalités venant d'horizons plus divers. Dans ce dernier cercle,
celui de l'ouverture, M. Paul Kaha, démocrate chrétien
modéré occupe une place privilégiée. Ministre
d'Etat chargé de la programmation et des privatisations -au premier rang
dans l'ordre protocolaire du gouvernement-, il a exercé les fonctions de
secrétaire général du Conseil de l'Entente et s'est acquis
de la sorte une réputation internationale, aujourd'hui précieuse
pour renouer les liens avec la communauté financière
internationale. La présence de M. Martin Mberi, ministre des transports,
proche du mouvement de M. Lissouba jusqu'en 1996 et de M. Jean-Martin Mbemba,
principale personnalité politique de la région du Pool et ancien
allié de M. Kolelas, permettent également au gouvernement
d'échapper au reproche du monolithisme.
Compte tenu de la difficulté de désigner des personnalités
de l'ancienne majorité qui ne se soient pas compromises à
l'excès aux côtés du président Lissouba, l'effort
d'ouverture apparaît indéniable et permet en outre, malgré
la place dominante qui revient aux hommes du Nord, une représentation de
toutes les régions du pays.
En second lieu, M. Sassou-Nguesso a repris dans
l'acte fondamental de
transition,
promulgué le 24 octobre dernier, les dispositions de la
Constitution de 1992 en matière de libertés et de droits :
exercice par le peuple de la souveraineté nationale, liberté
d'association et de création des partis politiques et, enfin, principes
fondamentaux du droit (égalité devant la loi, principe de non
discrimination, inviolabilité de la personne et du domicile, garanties
fondamentales pour la protection de la propriété, liberté
de circulation, de réunion et de manifestation, secret de la
correspondance, liberté de l'information).
Enfin et surtout, le "
forum national pour l'unité, la
démocratie et la reconstruction du Congo
" convoqué par le
président Sassou-Nguesso entre les 5 et 14 janvier dernier a su poser
les jalons d'une transition démocratique. La tenue dans les
délais prévus, soit moins de trois mois après la fin des
combats de Brazzaville, d'un forum national, constituait en soi un signe
positif. En effet, cette assemblée de quelque 1 000
délégués représentant l'ensemble des partis ainsi
que la société civile congolaise a confirmé l'attachement
du pays aux principes de la démocratie pluraliste et fixé
à trois ans la durée maximale de transition. Ce délai
pourrait être abrégé si les circonstances le justifiaient ;
il ne pourrait être prolongé au delà selon les termes
mêmes du porte-parole du gouvernement. Compte tenu des traumatismes subis
par le Congo dans sa transition démocratique, il apparaît
réaliste. Les deux premières années devraient être
consacrées à la remise en ordre du pays (reconstruction
économique, réconciliation nationale, mise en place d'une
véritable force publique nationale) et à la préparation
(recensement, réforme de la loi électorale) de la série de
scrutins qui marqueront la troisième année
(référendum sur la nouvelle constitution, élections
présidentielles, législatives et locales).
Le Forum a par ailleurs désigné les 75 membres du
Conseil
national de transition
(CNT)
3(
*
)
, organe législatif unique et
assemblée constituante. Dominé, certes, par les partisans de M.
Sassou-Nguesso, il n'a toutefois par le caractère monolithique que
souhaitait lui donner l'aile dure du parti présidentiel, nostalgique du
régime du parti unique. Il importe de relever ainsi la participation de
deux personnalités proches de l'ancienne majorité :
MM. Milongo et Boukoulou représentants respectifs de la
région du Pool et du "Nibolek". Le souci d'une
représentativité diversifiée à la fois politique et
géographique a donc prévalu sur la logique de revanche et
d'exclusion. Le président du Conseil national de transition
lui-même, M. Justin Kumba, ancien ministre de l'éducation dans un
des gouvernements de la première transition et fonctionnaire
international à l'Unesco, n'appartient pas au groupe des caciques du PCT
et représente du reste le Niari (la région de M. Lissouba).
Composé d'une majorité de membres peu connus localement, le
Conseil national de sécurité ouvre également la voie au
renouvellement des élites politiques. Il témoigne aussi d'une
meilleure prise en compte des femmes dans la vie politique (2 femmes sur les 7
membres du bureau du Conseil) où elles pourront exercer l'influence
modératrice, pratique et constructive qui leur est souvent reconnue dans
la société congolaise.
Enfin, le Forum national, malgré la pression de l'aile dure du PCT et
certaines outrances verbales, a observé une certaine retenue à
l'égard des partisans de l'ancien pouvoir. Certes, il a retenu le
principe de poursuites à l'encontre des anciens dirigeants pour
"génocide et crimes de guerre", mais les conclusions du forum
s'abstiennent de citer quelque nom que ce soit. Il a renvoyé à
l'autorité judiciaire le soin d'identifier les coupables
présumés. En outre, de manière plus constructive, il a
proposé la création d'une "autorité morale"
chargée, sur le modèle de la commission sud-africaine
"vérité et réconciliation", de favoriser la
réconciliation nationale.
Si les nouvelles autorités congolaises ont ainsi donné les
témoignages d'une véritable volonté d'ouverture, elles
n'en auront pas moins à relever un défi ardu, car il leur faudra
rétablir l'autorité de l'Etat tout en évitant un retour
aux pratiques du parti unique.
b) Les défis à relever
Pour le nouveau président, le principal risque,
à court terme, n'est pas dans une opposition aujourd'hui réduite
à l'impuissance mais plutôt dans l'insécurité que
suscitent les agissements des milices.
.
Une opposition sous contrôle
?
M. Sassou-Nguesso paraît aujourd'hui tenir sous bride l'opposition
représentée par l'ancienne majorité, du moins dans la
limite des frontières congolaises. Les "barons" de l'ancien
régime et les personnalités ralliées comme
l'éphémère Premier ministre Kolelas -qui se montre
paradoxalement le plus actif- aujourd'hui en exil, n'ont peut-être pas
dit leur dernier mot. Cependant ils n'ont pas vraiment su obtenir un soutien
international.
D'autre part, l'ensemble des délégués au Forum national
-où tout l'éventail des partis politiques se trouvait
représenté- a donné son assentiment aux grandes
orientations du pouvoir, même s'il entrait dans cette unanimité
une part d'opportunisme politique.
L'organisation du pouvoir apparaît aujourd'hui dominée par le
Président de la République. Celui-ci cumule de droit les
fonctions de chef de l'Etat et de chef du Gouvernement. Dans certains domaines
essentiels, la politique économique et financière, la
défense et la sécurité, il exerce le pouvoir
législatif concouramment avec le Conseil national de la transition. Les
ministres ne sont responsables que devant le président. En outre,
l'indépendance de la justice dont le principe est
réaffirmé, ne bénéficie d'aucune garantie
précise. Les trois institutions prévues par le forum national -le
Conseil constitutionnel, la Cour suprême, le Conseil supérieur de
la magistrature- ne se mettront pas en place avant l'élection du
président à l'échéance de la période de
transition. Enfin, les circonscriptions administratives du pays -dont la
qualité de collectivité territoriale n'est pas mentionnée
- seront gérées pendant toute la période de transition par
des administrateurs nommés par le gouvernement. Il n'existe donc pas,
sur les trois années à venir, de contre-pouvoir à
l'autorité du chef de l'Etat.
Celui-ci a donné, il faut le souligner, les signes certains d'une
volonté d'ouverture dont la tenue du forum national constitue le
meilleur témoignage. Il n'est pas indifférent par ailleurs qu'il
ait refusé la dignité de maréchal que lui avaient
proposée les délégués de cette assemblée.
Mais il lui faudra aussi résister à la pression de l'aile dure de
son parti encore nostalgique de l'ère du parti unique ainsi qu'à
la pente naturelle d'un pouvoir sans contrepoids.
.
Le foyer d'instabilité représenté par les
milices
Les difficultés se cristallisent aujourd'hui cependant sur le
contrôle des anciennes
milices
. A court terme, les soldats ou
miliciens démobilisés, même s'ils peuvent entretenir une
atmosphère d'insécurité dans certaines régions,
apparaissent trop isolés et insuffisamment organisés pour menacer
le nouveau pouvoir. A moyen terme, ils représentent un foyer permanent
d'instabilité pour l'autorité de l'Etat.
Le précédent pouvoir avait mené une politique
excessivement ambiguë vis-à-vis des milices. Le "
Pacte pour la
paix
" du 24 décembre 1995 prévoyait en particulier le
désarmement et l'intégration des milices dans la gendarmerie et
la police mais laissait en fait de côté plus de la moitié
des effectifs armés, soit 3 000 jeunes. Certes, dans l'immédiat,
tous les détenteurs d'armes ont l'obligation de les déposer. De
même une partie des miliciens a trouvé place dans les forces de
sécurité régulières. Mais la portée de ces
mesures demeure limitée ; le ressentiment des "refusés" à
l'incorporation dans la police et l'armée, associé au grand
nombre d'armes en circulation (principalement d'origine russe, chinoise et
sud-africaine), constitue un risque indéniable de tension pour le
nouveau pouvoir.
Par ailleurs, une partie des milices membres des anciennes forces
gouvernementales se sont repliées dans le centre du pays (dans les
provinces de Niari, Bouenza, Lekoumou) où elles entretiennent un climat
d'insécurité particulièrement préjudiciable
à la libre circulation des personnes et des biens.
Les forces angolaises -entre 2 000 et 2 500 hommes- ont contribué,
à Pointe-Noire, aux côtés des forces de
sécurité congolaises, au désarmement des bandes
militaires. A Brazzaville elles assurent principalement la
sécurité de l'aéroport. En outre une partie du contingent
angolais participe à la formation des futures recrues de la garde
républicaine. A cette fin, un accord de coopération militaire a
d'ailleurs été signé le 8 janvier dernier.
Le président Sassou-Nguesso a donné des témoignages de sa
volonté d'engager son pays sur la voie de la transition
démocratique. En outre, en l'absence de véritable contre-pouvoirs
intérieurs, il agira du moins sous le regard vigilant de la
communauté internationale dont il a un impérieux besoin pour
mener à bien la reconstruction économique du pays.