DEBAT CONSECUTIF A LA PRESENTATION DU RAPPORT
Réunion du 3 février 1998
M. Michel Caldaguès :
Je remercie le rapporteur d'avoir abordé avec
clarté les différents aspects de l'amélioration possible
du contrôle parlementaire fondé sur l'article 88-4. La
révision de la procédure suivie au Sénat me paraît
un élément essentiel : si nous ne parvenons pas à
examiner plus rapidement, plus efficacement, les propositions d'actes
communautaires les plus importantes, celles qui font l'objet d'une proposition
de résolution, alors nous ne pourrons faire face à un
élargissement du champ d'application de l'article 88-4.
J'ai particulièrement à l'esprit le cas de la proposition de
résolution sur le pacte de stabilité budgétaire.
C'était le texte le plus important qui nous ait été soumis
dans le cadre de l'article 88-4, et la commission des Finances avait la
possibilité d'adopter une résolution en temps utile ; mais,
finalement, ni la commission, ni a fortiori le Sénat ne se sont
prononcés, alors que l'article 88-4 avait été
précisément été introduit pour permettre une
expression parlementaire sur ce type de texte. J'espère que les
pesanteurs et les susceptibilités internes au Sénat
n'empêcheront pas le contrôle parlementaire de s'affirmer.
M. Lucien Lanier :
Je partage votre sentiment. Je voudrais à cet égard que les propositions avancées par le rapport soient bien interprétées. La création des délégations, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, a suscité des réserves. Certains craignaient qu'elles ne deviennent une " septième commission " empiétant sur les compétences des commissions permanentes. Celles-ci ont donc voulu affirmer que l'aspect européen de leurs domaines respectifs entrait bien dans leurs compétences ; mais, en pratique, elle n'ont pas toujours pu dégager le temps nécessaire pour examiner au moment opportun les textes communautaires. Je ne suis pas pour autant favorable à la création d'une septième commission permanente. Le système actuel me paraît viable, à la condition qu'on parvienne à le faire fonctionner plus rapidement : c'est le but de la réforme du Règlement que je suggère.
M. Pierre Fauchon :
J'approuve les remarques de Michel Caldaguès. Je voudrais indiquer que, pour ma part, je ne serais pas choqué par la création d'une commission des Affaires européennes, mais je n'ai guère d'espoir à ce sujet.
M. Michel Caldaguès :
Puisque la question essentielle est de statuer en temps utile, peut-être serait-il bon de fixer un délai pour l'examen des propositions de résolution par la commission compétente, comme c'est le cas à l'Assemblée nationale. A l'expiration de ce délai, la délégation pourrait être saisie : elle aurait un rôle subsidiaire.
M. Pierre Fauchon :
Je m'interroge sur l'élargissement du champ d'application de l'article 88-4. J'approuve certes l'idée d'une extension aux deuxième et troisième piliers. Mais je crois qu'il faut s'en tenir clairement aux textes ayant un caractère législatif. Nous devons respecter la distinction constitutionnelle entre les domaines respectifs de la loi et du règlement.
M. Jacques Genton :
J'attire votre attention sur le fait que l'article 88-4 ne concerne pas le Parlement dans son rôle législatif, mais dans sa fonction de contrôle, où la distinction de la loi et du règlement n'a pas la même pertinence.
M. Pierre Fauchon :
Je crois néanmoins que le Parlement ne doit être saisi que de textes ayant un caractère normatif. Est-il souhaitable que de simples documents préparatoires -les " documents de consultation " de la Commission européenne ont été évoqués- soient soumis aux assemblées ? Par ailleurs, la communication de documents préparatoires peut poser problème : nous en avons l'expérience sur le plan national.
M. Lucien Lanier :
Les " documents de consultation " que j'ai évoqués ne sont pas des documents préparatoires internes à la Commission européenne. Il s'agit des " livres verts " ou des " livres blancs " présentés par la Commission européenne et soumis par elle au Conseil pour un débat d'orientation. Ces textes sont d'ailleures d'ores et déjà communiqués aux assemblées, mais ils ne leur sont pas soumis au sens de l'article 88-4 ; il ne peut donc y avoir actuellement de vote d'une résolution à leur sujet.
M. Christian de La Malène :
A mes yeux, tout ce qui peut renforcer le caractère
démocratique de la construction européenne est bienvenu. Dans
nombre de pays membres, le Parlement exerce un contrôle étroit sur
la politique européenne du Gouvernement. Ce type de contrôle, qui
s'exerce en amont de la décision, n'était pas dans la tradition
française. La création des délégations
européennes à l'Assemblée nationale et au Sénat a
été un premier pas vers ce contrôle en amont ;
l'adoption de l'article 88-4 a été un pas supplémentaire.
Je crois que le rapporteur a raison de nous proposer de poursuivre dans cette
direction. Comme nous n'avons pas pu obtenir le Sénat européen
qui aurait permis aux Parlements nationaux de s'exprimer collectivement, le
seul moyen dont nous disposons pour réintroduire les Parlements
nationaux dans le système communautaire et pour contribuer à la
démocratisation de l'Union européenne, c'est de développer
le contrôle que nous pouvons exercer en amont au niveau national.
Pour bien mettre en oeuvre ce contrôle, une bonne articulation entre la
délégation et les commissions permanentes me paraît
indispensable. Il y a effectivement des pesanteurs à vaincre dans ce
domaine, car les commissions ont parfois tendance à appréhender
les questions européennes à travers un prisme national. Or, par
exemple, la hiérarchie des normes qui existe à l'échelon
national n'est pas transposable à l'échelon
européen ; de même, les contraintes de calendrier ne se
présentent pas de la même manière.
L'essentiel est de favoriser une évolution des esprits en vue d'une
meilleure adaptation du Sénat à la spécificité des
questions européennes. J'approuve donc le rapporteur de ne pas proposer
de modification concernant les compétences des commissions. Notre but
doit être de mieux faire fonctionner une procédure qui a
déjà produit des résultats positifs, non de la
bouleverser. J'observe d'ailleurs que les gouvernements successifs ont,
jusqu'à présent, joué le jeu.
M. Yann Gaillard :
Je voudrais à mon tour m'interroger sur l'extension du champ d'application de l'article 88-4. Il ne faudrait pas que le Parlement soit submergé par un trop grand nombre de textes.
M. Denis Badré :
J'avoue m'être reconnu dans le rapport. J'ai
personnellement vécu, en tant que rapporteur soit de la
délégation, soit de la commission des Finances, les
problèmes signalés par le rapporteur et auxquels il se propose de
porter remède. Par exemple, pour pouvoir prendre position sur un
" document de consultation " de la Commission européenne -il
s'agissait d'un texte d'orientation pour une réforme fondamentale de la
TVA- j'ai dû m'appuyer sur un texte de portée assez
réduite, qui concernait un aspect très particulier du
problème mais qui, quant à lui, relevait de l'article 88-4. Je
crois donc souhaitable que nous puissions nous exprimer sur ces
" documents de consultation " qui, malgré leur nom, sont en
fait des textes d'orientation assez peu nombreux, mais importants. C'est bien
ainsi que nous pourrons intervenir utilement en amont de la décision.
Je tire de mon expérience de rapporteur que, pour que la
procédure de l'article 88-4 fonctionne bien, il faut tout d'abord un
vrai sujet et la volonté politique de l'aborder. Par exemple, le pacte
de stabilité était un vrai sujet, mais on peut se demander si la
volonté politique de l'aborder était largement partagée.
Je crois ensuite qu'une bonne coordination entre la délégation et
la commission compétente est extrêmement utile ; à cet
égard, je crois qu'il est préférable que ce soit, dans la
mesure du possible, un même rapporteur qui assure l'ensemble de la
procédure d'examen, même si cette formule est peu conforme aux
usages.
Pour mieux associer la délégation et les commissions, je me
demande d'ailleurs s'il ne serait pas souhaitable de faire désigner les
membres de la délégation par les différentes commissions,
de manière à en faire les représentants de celles-ci.
M. Jean-Paul Emorine :
Mon expérience de la délégation est
courte, mais j'ai le sentiment que celle-ci est complémentaire des
commissions ; elle a une vocation transversale et, me semble-t-il, remplit bien
ce rôle. Je ne suis donc pas favorable à la transformation de la
délégation en une septième commission ; le rapport ne le
propose d'ailleurs pas.
Il me paraît important que la commission compétente, voire le
Sénat, puisse se prononcer sur des " documents de
consultation " importants de la Commission européenne comme
" Agenda 2000 ". La commission des Affaires économiques a
d'ailleurs créé en son sein une mission d'information sur la
réforme de la politique agricole commune prévue dans
" Agenda 2000 ". C'est en effet en amont qu'il faut
agir pour
essayer d'influencer les décisions européennes en
contrôlant l'action du Gouvernement. Je précise que je serai
heureux, en tant que co-rapporteur de la mission d'information, de
présenter, le moment venu, ses conclusions à la
délégation. Encore une fois, je vois les relations entre
commissions et délégation en termes de
complémentarité et non de concurrence.
M. Michel Caldaguès :
Après d'autres intervenants, je voudrais souligner
qu'il y a peut-être un risque à proposer un élargissement
trop important du champ d'application de l'article 88-4. Faut-il par exemple y
inclure les projets d'accords interinstitutionnels ? Le Gouvernement pourrait
considérer que ses prérogatives en matière de politique
étrangère sont remises en cause. Le Parlement européen
pourrait également prendre ombrage d'un examen de ce type de texte par
un Parlement national.
Pour ma part, il me paraît avant tout nécessaire d'étendre
le champ d'application de l'article 88-4 aux deuxième et
troisième piliers de l'Union. Je ne crois pas judicieux d'y inclure en
outre les projets d'accords interinstitutionnels et les " documents de
consultation " : il suffirait, me semble-t-il, de préciser que le
Gouvernement peut soumettre de tels textes au Parlement.
Ainsi, le Gouvernement serait tenu de soumettre au Parlement les propositions
d'actes de caractère législatif, qu'elles relèvent de la
Communauté européenne, c'est-à-dire du premier pilier, ou
de l'Union européenne, c'est-à-dire des deuxième et
troisième piliers ; pour les autres textes en revanche,
c'est-à-dire les propositions n'ayant pas le caractère
législatif, le Gouvernement aurait la faculté, mais non
l'obligation, de les soumettre aux assemblées.
Enfin, pour ce qui est des rapports entre la délégation et les
commissions, je crois qu'il faut s'efforcer de préserver
approximativement l'équilibre actuel. La délégation ne
doit pas être un filtre systématique qui empêcherait les
commissions de se saisir directement d'un thème européen ;
en même temps, il convient d'éviter une marginalisation de la
délégation, qui doit garder dans la plupart des cas son
rôle d'impulsion, qui découle de son examen systématique
des textes communautaires.
M. Christian de La Malène :
Je voudrais à nouveau souligner les inconvénients qu'il y aurait à vouloir à tout prix appliquer notre propre hiérarchie des normes aux activités de l'Union européenne, qui sont organisées selon un schéma différent. Ainsi, le Parlement européen est souvent amené à se prononcer sur des matières qui, en France, relèveraient du décret et quelquefois même de l'arrêté préfectoral, et sa tendance est d'essayer d'étendre sans cesse ses compétences ; le traité d'Amsterdam lui a d'ailleurs donné, dans ce sens, des satisfactions importantes. Si nous continuons à nous appliquer trop strictement à nous-mêmes un critère de compétence fondé sur la définition française du domaine de la loi, nous continuerons aussi à nous interdire de nous prononcer sur certains des textes européens les plus importants, textes sur lesquels le Parlement européen, quant à lui, n'hésite pas à se prononcer. Nous ne pourrons donc pas jouer pleinement notre rôle dans la démocratisation du fonctionnement de l'Union.
M. Lucien Lanier :
Je voudrais ajouter que la procédure de l'article 88-4 permet seulement aux deux assemblées d'indiquer au Gouvernement ce qui leur paraît souhaitable. Le Gouvernement n'est pas lié par les résolutions adoptées et son autorité n'a nullement été altérée, jusqu'à présent, par cette procédure. Le rapport ne propose aucun changement de cet équilibre. Il s'agit avant tout de mieux adapter notre dispositif aux réalités européennes. L'action européenne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures prend de plus en plus d'importance. Les accords interinstitutionnels ont une incidence sur l'application des traités. Quant aux " documents de consultation " de la Commission européenne, le traité d'Amsterdam lui-même prévoit leur communication aux Parlements nationaux, ce qui suggère que nous serions tout à fait dans notre rôle en nous exprimant à leur sujet.
M. Jacques Genton :
J'appuie les orientations du rapporteur, qui me paraissent
situées dans le prolongement de nos travaux antérieurs. Je crois
qu'il faut bien mesurer ce que propose le rapport.
Tout d'abord, il suggère une extension du champ d'application de
l'article 88-4.
En premier lieu, cet article s'appliquerait non plus seulement, comme
aujourd'hui, aux projets de textes relevant du premier pilier, mais aussi
à ceux relevant des deuxième et troisième piliers.
J'observe qu'il y a unanimité sur ce point.
Le rapport propose également que les projets d'accords
interinstitutionnels puissent faire l'objet de résolutions. Ces accords,
je le rappelle, sont conclus entre la Commission européenne, le
Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, afin de
préciser certaines modalités d'application des traités.
Par exemple, un accord interinstitutionnel a été conclu sur
l'application du principe de subsidiarité, un autre sur la discipline
budgétaire. Il s'agit donc de textes précisant le fonctionnement
des institutions de l'Union et qui peuvent avoir une grande importance
politique.
Le rapport propose en outre que l'article 88-4 s'applique aux
" documents
de consultation " de la Commission européenne. Comme l'a
rappelé notre rapporteur, cette suggestion est dans le droit fil du
traité d'Amsterdam. Les textes en cause peuvent être d'une grande
portée : il en est ainsi d'" Agenda 2000 ", dont nous
connaissons tous l'importance puisqu'il annonce de profondes modifications de
la politique agricole commune et de la politique de cohésion.
Enfin le rapport propose que le Gouvernement ait explicitement la
faculté -non l'obligation- de soumettre aux assemblées certains
textes n'ayant pas de caractère législatif. Nous savons tous que,
dans certains cas, le Gouvernement a tendance à s'abriter
derrière l'avis du Conseil d'Etat pour ne pas soumettre au Parlement
certaines propositions de la Commission européenne qui, bien que
n'étant de caractère législatif au sens strict, n'en ont
pas moins des conséquences importantes, notamment les textes sur la
fixation des prix agricoles ou, toujours dans le domaine agricole, les
propositions de réforme des organisations communes de marchés.
Fort heureusement, ces cas ne sont d'ailleurs pas extrêmement nombreux.
Je voudrais aussi souligner que les prérogatives du Gouvernement ne sont
nullement en cause. Lorsque le Parlement délibère sur une
proposition d'acte communautaire, la position du Gouvernement se trouve au
contraire généralement renforcée, parce qu'elle a alors
une légitimité plus forte. Pour ma part, j'ai toujours
considéré que notre contrôle n'avait pas pour but de
gêner systématiquement le Gouvernement. Nous avons toujours
été discrets, ce qui ne veut pas dire inefficaces. Il existe des
chats qui peuvent attraper une souris tout en paraissant dormir !
Un mot enfin sur l'amélioration de la procédure interne au
Sénat. Il est vrai que, dans certains cas, cette procédure est
trop lente pour bien s'intégrer dans le processus de décision
communautaire ; toutefois le traité d'Amsterdam, qui garantit un
délai minimal aux Parlements nationaux, devrait nous faciliter la
tâche. Il y a encore des réticences à surmonter pour
arriver à une bonne articulation entre la délégation et
les commissions, mais nous devons aussi mesurer le chemin parcouru depuis la
création des délégations en 1979.
M. Michel Caldaguès :
Je me demande si une partie des problèmes d'application
de l'article 88-4 ne provient pas de l'attitude parfois trop restrictive du
Conseil d'Etat en ce qui concerne l'octroi du caractère
législatif aux propositions de la Commission européenne.
Je crois que notre débat d'aujourd'hui est une première
étape. Il faudra engager le dialogue avec la délégation de
l'Assemblée nationale ainsi qu'avec le Gouvernement.
Le rapport définit des orientations. Nous ne devons pas, à ce
stade, nous enfermer dans une rédaction trop précise. La
commission des Lois, si elle se saisit de cette affaire le moment venu,
trouvera la meilleure manière de formuler ces orientations si elle les
retient.
M. Lucien Lanier :
En tant que membre de la commission des Lois, je ne peux
qu'approuver cette manière de voir.
La délégation a alors approuvé les propositions du
rapporteur et a décidé d'autoriser la publication du rapport de
M. Lucien Lanier.