RAPPORT D'INFORMATION N° 281 - FAUT-IL MODIFIER L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
Lucien LANIER, Sénateur
Délégation du Sénat pour l'Union européenne - Rapport d'information n° 281 - 1997-1998
Table des matières
- INTRODUCTION
- DEBAT CONSECUTIF A LA PRESENTATION DU RAPPORT
- ANNEXE : LES TROIS PILIERS DE L'UNION EUROPÉENNE APRÈS LE TRAITÉ D'AMSTERDAM
N° 281
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès verbal de la séance du 10 février 1998.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne (1),
sur
une révision de l'article 88-4 de la Constitution,
Par M. Lucien LANIER,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de
: MM. Jacques Genton,
président
; James Bordas, Michel
Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon,
vice-présidents
; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant,
secrétaires
; MM. Robert Badinter, Denis Badré,
Michel Barnier, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Gérard Delfau,
Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Ambroise
Dupont, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean
François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre Lagourgue,
Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson,
Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle
Pourtaud, MM. Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jacques Rocca Serra,
André Rouvière, René Trégouët, Marcel Vidal,
Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.
INTRODUCTION
En 1992, invité à modifier la Constitution avant
l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne, le
Constituant a introduit dans notre loi fondamentale un article 88-4 permettant
à l'Assemblée nationale et au Sénat de connaître des
propositions d'actes communautaires et d'exprimer leur position sur celles-ci
par des résolutions. Après cinq années d'application, il
est possible de dresser un bilan de cette nouvelle prérogative
parlementaire. L'article 88-4 a eu des effets très largement positifs,
mais un certain nombre de difficultés justifient un réexamen de
cette disposition.
Par ailleurs, les Gouvernements de l'Union européenne ont signé
le 2 octobre dernier à Amsterdam un traité, qui marque une
nouvelle étape de la construction européenne. Ce traité,
dont on a beaucoup dit qu'il renvoyait à plus tard les adaptations
institutionnelles pourtant nécessaires au fonctionnement d'une Union
élargie, est cependant caractérisé par une
évolution institutionnelle importante, qui est le renforcement des
prérogatives du Parlement européen. La procédure de
co-décision, qui donne au Parlement européen un pouvoir
égal à celui du Conseil de l'Union européenne pour
l'adoption d'un texte et lui permet donc de rejeter de manière
définitive une proposition, a été étendue à
un grand nombre de matières nouvelles. Le Parlement européen est
incontestablement l'institution qui est la plus renforcée par le
traité d'Amsterdam. Il est vraisemblable que ce succès le
conduira rapidement à revendiquer de nouvelles prérogatives.
Or, le Parlement européen, compte tenu notamment de son mode de
fonctionnement et de la multiplicité des langues qui y sont
pratiquées, ne peut prétendre, à lui seul, assumer
l'exigence d'un fonctionnement plus démocratique de l'Union
européenne. La démocratisation de l'Union passe
nécessairement par un contrôle plus étroit des actions de
l'Union par chaque Parlement national.
Dans un tel contexte, n'est-il pas aujourd'hui indispensable de renforcer le
contrôle exercé par le Parlement français sur la politique
européenne conduite par le Gouvernement ? N'est-il pas utile
d'étendre et de rendre plus efficace ce contrôle ? Le
présent rapport examine les moyens d'un tel renforcement, qui devrait
permettre davantage qu'aujourd'hui un contrôle parlementaire
enraciné dans les vies politiques nationales.
I. BILAN DE L'APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
En introduisant l'article 88-4 dans la Constitution, le
Constituant n'entendait en aucun cas instaurer un régime
d'assemblée ou retirer au Gouvernement sa fonction de législateur
communautaire. Il s'agissait de permettre au Parlement d'être
informé de manière complète sur la législation
communautaire et de contrôler l'action du Gouvernement au moyen de
résolutions adoptées par chacune des assemblées.
L'article 88-4 a permis des progrès significatifs dans l'implication du
Parlement français dans la législation communautaire. Des
difficultés parfois sérieuses se sont cependant fait jour, qui
n'ont été résolues que de manière imparfaite.
A. UNE MEILLEURE IMPLICATION DU PARLEMENT DANS LE CONTRÔLE DE L'ACTION DU GOUVERNEMENT
Le premier alinéa de l'article 88-4 de la Constitution
impose au Gouvernement de soumettre à l'Assemblée Nationale et au
Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union
européenne, l'ensemble des propositions d'actes communautaires
comportant des dispositions de nature législative.
Depuis l'entrée en vigueur de l'article 88-4, près de
1.000 propositions d'actes communautaires ont été soumises
au Sénat. Ces propositions ont été imprimées et
distribuées. L'ensemble des parlementaires ont ainsi pu avoir une
perception plus concrète de l'importance quantitative de la
législation communautaire. A partir de 1994, la Délégation
pour l'Union européenne a entrepris une instruction systématique
des propositions d'actes communautaires, afin d'isoler celles qui
méritent une intervention du Sénat. Les propositions
jugées les moins importantes par le Président de la
Délégation donnent lieu à une procédure
écrite, qui ne porte naturellement pas atteinte à la
faculté de chaque sénateur de déposer une proposition de
résolution. Les propositions les plus importantes sont
évoquées lors des réunions de la Délégation.
En vertu du second alinéa de l'article 88-4, chaque assemblée
peut adopter, selon une procédure fixée par son règlement,
des résolutions sur les propositions d'actes communautaires.
Depuis l'entrée en vigueur de l'article 88-4, 89 propositions de
résolution ont été déposées sur le Bureau du
Sénat. Elles ont donné naissance à 45 résolutions
dont 18 ont été adoptées en séance publique.
Encore conviendrait-il de vérifier l'influence qu'elles ont pu avoir sur
le Gouvernement.
Le nombre de propositions de résolution, si on le rapporte au nombre de
propositions d'actes communautaires soumises au Sénat (1000 environ)
peut paraître faible. Toutefois, comme le notait M. Jacques GENTON,
Président de la Délégation, dans son rapport sur " Le
Sénat face à la législation
communautaire "
(1(
*
)),
toutes les
propositions d'actes communautaires ne sont pas susceptibles d'entraîner
une réaction parlementaire. Certaines propositions, même si elles
comportent des dispositions de nature législative, ne présentent
qu'un intérêt tout à fait mineur et ne nécessitent
pas le dépôt d'une proposition de résolution. Par ailleurs,
le Sénat a souvent été dans l'impossibilité
d'adopter des résolutions sur certaines propositions d'actes
communautaires, ne disposant pas d'un délai suffisant pour se prononcer.
Dans les premiers mois d'application de la procédure, nombre de
propositions d'actes communautaires ont été adoptées avant
même leur dépôt sur le bureau du Sénat ou quelques
jours après. Dans certains cas, le Sénat a entamé la
procédure conduisant à l'adoption de résolutions, mais
à dû l'interrompre compte tenu de l'état d'avancement du
processus communautaire de décision.
La différence entre le nombre de propositions de résolution (89)
et le nombre de résolutions (45) s'explique elle aussi partiellement par
cette impossibilité de conduire à son terme la procédure,
faute de temps. Par ailleurs, certaines propositions d'actes communautaires ont
donné lieu à plusieurs propositions de résolution qui ont
fait l'objet d'une instruction commune et ont conduit à l'adoption d'une
seule résolution. Enfin, certaines propositions de résolution
n'ont pas été instruites par la commission permanente
compétente.
Parmi les 45 résolutions adoptées par le Sénat, on
constate que 25 l'ont été après intervention de la
commission des affaires économiques et du plan, qui devance largement
toutes les autres commissions permanentes dans la mise en oeuvre de l'article
88-4. Cette prépondérance de la commission des affaires
économiques témoigne de la place encore dominante des questions
économiques dans l'activité normative de la Communauté
européenne.
La commission des finances a pour sa part rapporté huit des
résolutions adoptées par le Sénat, la commission des lois
cinq, la commission des affaires culturelles trois, la commission des affaires
sociales deux et la commission des affaires étrangères deux
également. Il convient de noter que le transfert prévu par le
traité d'Amsterdam de certaines matières appartenant
jusqu'à présent au troisième pilier de l'Union (asile,
immigration) dans le premier pilier, devrait conduire à augmenter le
nombre de propositions d'actes communautaires entrant dans les
compétences de la commission des lois.
Ces quarante-cinq résolutions ont permis au Sénat d'exprimer sa
position sur des sujets très divers, tels que les instruments de
défense commerciale de la Communauté européenne, le droit
de vote et d'éligibilité des ressortissants communautaires aux
élections municipales, les organisations communes de marché des
produits agricoles, mais aussi les marchés publics ou l'ouverture
à la concurrence de secteurs où existent des missions de service
public (énergie, poste, télécommunications, transport).
Ces résolutions ont souvent été l'occasion pour le
Sénat d'exprimer son souhait que soit respecté l'équilibre
institutionnel existant entre le Conseil de l'Union européenne, la
Commission européenne et le Parlement européen. De même, le
Sénat s'est montré vigilant à l'égard du partage
des compétences entre la Communauté et ses Etats membres et s'est
montré soucieux de voir pleinement appliqué le principe de
subsidiarité.
Les 18 résolutions adoptées en séance publique ont permis
d'ouvrir un débat dépassant le cadre de la
délégation et de la commission permanente saisie au fond.
L'article 88-4 a ainsi permis un dialogue au sein du Sénat sur des
textes communautaires posant des problèmes de principe importants. Ce
fut par exemple le cas de la proposition de révision de la directive
dite " télévision sans frontière ", qui pose le
problème de la défense de l'identité culturelle
européenne.
Dans la proposition de résolution qu'il a déposée sur
cette proposition de directive, M. Adrien GOUTEYRON a rappelé qu'en
1989, lors de l'adoption de la première directive
" télévision sans frontière ", il avait dû
recourir à la procédure de la question orale avec débat
afin de provoquer une discussion sur ce texte au Sénat
(2(
*
)).
L'article 88-4 a donc comblé un manque
réel dans le contrôle parlementaire sur le Gouvernement puisqu'il
permet à la fois un débat et un vote sur un texte à
l'égard des propositions communautaires.
Il convient d'indiquer que le Gouvernement s'est constamment appliqué
à faciliter la tâche du Sénat dans la mise en oeuvre de
l'article 88-4. Par l'intermédiaire du SGCI (Secrétariat
général du comité interministériel pour les
questions de coopération économique européenne), le
Sénat a pu être pleinement informé de l'évolution
des négociations sur les propositions qui lui ont été
soumises. Le Gouvernement a en outre participé activement aux
débats en séance publique sur les résolutions.
L'inscription à l'ordre du jour du Sénat de ces
résolutions s'est dans l'ensemble effectuée sans
difficulté. Soucieux de respecter une compétence parlementaire
qui relève du contrôle et non de l'activité
législative, le Gouvernement n'a qu'exceptionnellement fait usage du
droit d'amendement que lui reconnaît le règlement du Sénat,
tant en séance publique qu'en commission.
Enfin, le ministre des affaires européennes, entendu
régulièrement par la Délégation, a toujours
accepté d'évoquer à la demande de la
Délégation telle ou telle proposition d'acte communautaire posant
des difficultés particulières. Cette disponibilité du
ministre des affaires européennes s'est encore renforcée pendant
les travaux de la Conférence intergouvernementale chargée de
modifier le traité sur l'Union européenne. Pour la
Délégation, cette Conférence a été
l'occasion de plaider pour une reconnaissance dans le traité
lui-même du droit des parlements nationaux de prendre position sur les
propositions d'actes communautaires. Il s'agissait en particulier de
résoudre le problème du délai utile laissé aux
parlements nationaux pour se prononcer sur les propositions communautaires. Le
ministre des affaires européennes a informé chaque mois la
délégation de l'évolution des négociations au sein
de la Conférence intergouvernementale et s'est fait l'écho, au
sein de cette Conférence, des préoccupations des parlementaires
en ce qui concerne l'implication des parlements nationaux dans
l'élaboration de la législation communautaire.
L'article 88-4 a donc permis une meilleure prise de conscience par les
parlementaires de l'étendue de la législation communautaire ; il
a offert au Sénat la possibilité de prendre position sur les
propositions les plus importantes après un débat approfondi et a
conduit à une coopération sans précédent entre le
Gouvernement et le Sénat en matière européenne.
Un tel
bilan est loin d'être négligeable. Il ne peut cependant masquer
des difficultés sérieuses auxquelles n'ont été
apportées que des réponses imparfaites
.
B. DES DIFFICULTES IMPARFAITEMENT RESOLUES
Plusieurs difficultés sont venues limiter la portée du contrôle parlementaire sur les propositions communautaires. Les plus importantes sont externes aux assemblées, mais certaines sont cependant propres au Sénat.
1. Les difficultés externes aux assemblées
a) Le champ d'application de l'article 88-4
Le premier alinéa de l'article 88-4 de la Constitution
dispose que "
le Gouvernement soumet à l'Assemblée
Nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil des
communautés, les propositions d'actes communautaires comportant des
dispositions de nature législative
".
Pour déterminer si une proposition d'acte communautaire comporte des
dispositions de nature législative, le Gouvernement a
décidé de s'en remettre à l'avis du Conseil d'Etat. Compte
tenu de la rédaction de l'article 88-4, de nombreux textes ont
échappé au contrôle parlementaire, soit parce qu'ils ne
constituaient pas des propositions d'actes communautaires stricto sensu, soit
parce qu'ils ne contenaient pas de dispositions de nature législative.
·
Un contrôle parlementaire tronqué
Le Conseil d'Etat a estimé qu'un certain nombre de textes
n'étaient pas des " propositions d'actes communautaires ".
Il
s'agit en particulier de tous
les documents consultatifs de la Commission
européenne
(livres verts, livres blancs, communications ...) qui ne
sont pas des propositions normatives. L'exclusion de ces documents du champ
d'application de l'article 88-4 a parfois gêné le
Sénat dans l'exercice de sa fonction de contrôle. L'exemple du
document " Agenda 2000 " permet d'illustrer la carence
grave que
représente l'absence de transmission des documents de consultation de la
Commission européenne.
Agenda 2000
ou l'impossibilité par le Parlement de prendre position sur des
orientations essentielles pour l'avenir de l'Union européenne.
En juillet 1997, la Commission européenne a
présenté une communication intitulée Agenda 2000,
contenant des orientations pour l'avenir de l'Union européenne.
Ce
document traite de questions aussi importantes que l'élargissement de
l'Union, l'avenir des politiques communes et la révision des
perspectives financières
. Ces différents thèmes seront
au centre des négociations européennes au cours des prochains
mois, voire des prochaines années.
La Délégation du Sénat pour l'Union européenne a
donc entrepris d'analyser de manière approfondie ce document. Elle a
déjà adopté des rapports sur l'élargissement de
l'Union européenne et la réforme des politiques structurelles. De
son côté, la Commission des affaires économiques et du Plan
a décidé la création en son sein d'une mission
d'information sur la réforme de la politique agricole commune.
Cependant, le Sénat est dans l'incapacité de prendre position
sur le document Agenda 2000 en adoptant une résolution, dans la mesure
où celui-ci ne lui a pas été soumis au titre de l'article
88-4 de la Constitution.
Une telle situation est difficilement acceptable, Agenda 2000 étant le
document le plus important présenté par la Commission
européenne en 1997.
Un autre cas similaire s'est posé au cours des derniers mois. En mars
1997, M. Denis BADRÉ a présenté à la
Délégation un rapport d'information (
3(
*
))
sur le futur régime définitif
de TVA, analysant et critiquant une proposition de la Communauté
européenne formulée dans une communication
(3(
*
)).
M.
BADRÉ n'a pu déposer une proposition
de résolution sur cette communication, ce texte n'ayant pas
été transmis au Sénat au titre de l'article 88-4.
Appuyé par la Délégation, il a donc pris appui sur un
autre texte plus spécifique, relatif à la TVA sur les services de
télécommunications, pour déposer une proposition de
résolution portant essentiellement sur le futur régime
définitif de TVA.
Une telle situation n'est pas satisfaisante, dans la mesure où elle
contraint les parlementaires à certaines " contorsions
juridiques " pour exercer leur droit de dépôt de propositions
de résolution.
Le Conseil d'Etat a également exclu du champ d'application de l'article
88-4
les projets d'accords interinstitutionnels
. Il s'agit d'actes
signés par le Conseil, la Commission et le Parlement européen, et
définissant une ligne de conduite pour chacun d'entre eux. Ces accords
se sont multipliés au cours des dernières années. Ils ont
porté sur des matières aussi importantes que la discipline
budgétaire et l'amélioration de la procédure
budgétaire ou la démocratie, la transparence et la
subsidiarité. Aucun de ces textes n'a été soumis au
Sénat au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Dès 1994, le
président de la Délégation, M. Jacques GENTON,
s'élevait contre cette situation : "
Ne doit-on pas juger
singulier que l'on ait aussi délibérément
écarté le Parlement français de débats sur des
sujets l'intéressant aussi directement que `la mise en oeuvre de la
subsidiarité'
!
"
(4(
*
))
. Dans le cadre de la négociation du
traité d'Amsterdam, signé le 18 juin 1997, le Conseil, la
Commission et le Parlement, ont signé un nouvel accord
interinstitutionnel relatif à des dispositions concernant le financement
de la politique étrangère et de sécurité commune
(PESC). Cet accord définit la procédure budgétaire
applicable aux dépenses opérationnelles en matière de
PESC. Il prévoit en particulier que le Parlement européen et le
Conseil doivent parvenir chaque année à un accord sur le montant
des dépenses opérationnelles de la PESC à imputer au
budget des Communautés et tend donc à accroître les
pouvoirs du Parlement européen en ce domaine. On perçoit mal au
nom de quoi un accord interinstitutionnel aussi important échapperait au
contrôle du Parlement français. Le projet d'accord ne lui a
pourtant pas été soumis.
L'interprétation restrictive de l'article 88-4 par le Conseil d'Etat et
le Gouvernement ont conduit à exclure également de son champ
d'application l'ensemble des
propositions relevant du deuxième pilier
(politique étrangère et de sécurité commune) et du
troisième pilier (justice et affaires intérieures) de l'Union
européenne
. Le Conseil d'Etat a estimé à juste titre
que ces propositions n'étaient pas à proprement parler des
propositions d'actes
communautaires
. Toutefois, le Gouvernement,
souverain en ce domaine, aurait pu interpréter souplement l'article
88-4, d'autant plus que les travaux préparatoires de la révision
constitutionnelle de 1992 montrent que le Constituant n'entendait pas exclure
ces propositions du champ d'application de l'article 88-4. L'intervention
commune des présidents des deux assemblées n'a pas conduit le
Gouvernement à modifier son attitude sur ce sujet. Le Gouvernement a
fait valoir à l'époque qu'accepter que les propositions relatives
au troisième pilier de l'Union européenne soient soumises au
Parlement au titre de l'article 88-4 reviendrait à les considérer
comme des propositions d'actes communautaires et qu'il serait dès lors
difficile de refuser au Parlement européen un droit de regard
étendu sur ces textes. Ainsi, le Parlement français s'est vu
refuser le droit de prendre position sur les textes communautaires dans un
domaine, la justice et les affaires intérieures, qui touche de
très près nos concitoyens. Cette exclusion des actes du
troisième pilier du champ d'application de l'article 88-4 est sans aucun
doute la plus préjudiciable à l'exercice d'un véritable
contrôle parlementaire en matière européenne.
L'application par le Conseil d'Etat du critère législatif a elle
aussi limité le champ d'intervention du Parlement. Des propositions
très importantes n'ont en effet pas été soumises au
Sénat parce qu'elles ne contenaient pas de dispositions de nature
législative. Ainsi, en matière agricole, le Conseil d'Etat s'est
référé à des habilitations données par le
Parlement au Gouvernement sous la IVème République pour estimer
que les
propositions relatives à la fixation des prix agricoles
ne contenaient pas de dispositions de nature législative. L'un des actes
majeurs de la vie communautaire échappe donc au contrôle du
Parlement français.
De la même manière, le Sénat a été dans
l'incapacité de se prononcer par une résolution sur la
proposition de directive tendant à proroger le système de l'heure
d'été pendant les années 1998 à 2001. Le Conseil
d'Etat avait estimé que ce texte était de nature
réglementaire, mais le Gouvernement aurait pu néanmoins le
soumettre aux assemblées, compte tenu de l'importance de cette question
et de l'intérêt qu'elle suscite dans l'opinion publique. Le
Président du Sénat a donc demandé au Gouvernement de
transmettre cette proposition de directive aux assemblées, mais le
Gouvernement a répondu négativement à cette demande en
faisant valoir que
" cette matière, quelle que soit son
importance politique, ne relève pas du domaine législatif, mais
rentre dans le champ réglementaire si bien que le Gouvernement ne...
paraît pas pouvoir constitutionnellement transmettre au Parlement... une
telle proposition d'acte communautaire "
.
Le Sénat avait pourtant adopté en 1990 une proposition de loi
" tendant à rétablir un régime horaire conforme
aux exigences de la situation géographique de notre
pays "
(5(
*
))
. A cette époque,
l'exception d'irrecevabilité tenant à l'éventuel
caractère réglementaire du texte n'avait pas été
soulevée. Il est singulier que les articles 34 et 37 de la Constitution
définissant les domaines de la loi et du règlement soient
appliqués plus strictement dans le cadre de l'article 88-4, qui
constitue une procédure de contrôle, que dans le cadre du
processus législatif.
En définitive, c'est un nombre impressionnant de textes très
importants qui ont été exclus du champ d'application de l'article
88-4, privant le Parlement d'un droit de regard pourtant légitime sur
une partie importante de l'activité de l'Union européenne.
·
Quelques progrès
Progressivement, quelques progrès ont pu être accomplis en ce qui
concerne le champ d'application de l'article 88-4.
Ainsi, le Gouvernement a accepté de soumettre au Parlement certaines
propositions dont le Conseil d'Etat avait estimé qu'elles ne
comportaient pas de dispositions de nature législative. Il s'agit
notamment de textes agricoles, en particulier la proposition relative à
l'organisation commune des marchés des fruits et légumes et la
proposition relative à l'organisation du marché viti-vinicole.
Ce geste du Gouvernement ne peut qu'être salué, mais rend
d'autant plus difficile à comprendre son refus, année
après année, de transmettre les propositions relatives à
la fixation des prix agricoles.
En ce qui concerne les projets d'actes relevant des deuxième et
troisième piliers de l'Union européenne, le Premier ministre a
accepté en juillet 1995 de les transmettre au Parlement, mais sans qu'il
soit possible à l'Assemblée nationale et au Sénat
d'adopter des résolutions sur ces textes. Au cours de la révision
constitutionnelle de 1995, relative à l'élargissement du champ du
référendum et à la mise en oeuvre d'une session
parlementaire unique, M. Robert PANDRAUD déposa à
l'Assemblée nationale un amendement tendant à modifier l'article
88-4 afin d'inclure dans son champ d'application les projets d'actes relevant
des deuxième et troisième piliers ainsi que les projets d'accords
interinstitutionnels. Cet amendement, repoussé par le Gouvernement, fut
adopté par l'Assemblée nationale puis retiré du texte lors
d'une seconde délibération.
Les textes relevant des
deuxième et troisième piliers ne sont donc soumis aux
assemblées que pour information.
·
La nécessité d'aller plus loin
Il est désormais nécessaire d'offrir au Parlement les moyens d'un
contrôle de l'ensemble de l'activité du Gouvernement en tant que
législateur de l'Union européenne. Il serait logique que le
Parlement puisse adopter des résolutions sur les documents suivants :
- les documents préparatoires de la Commission européenne, dans
la mesure où ceux-ci précèdent des propositions normatives
; le Parlement français pourrait ainsi prendre position très en
amont du processus communautaire de décision ;
- les projets d'accords interinstitutionnels ;
- les propositions relatives à la fixation des prix agricoles ;
- les projets d'actes relevant des deuxième et troisième piliers
de l'Union européenne.
Par ailleurs, il conviendrait de réfléchir à la
possibilité pour le Parlement de se voir transmettre tout texte
communautaire sur lequel il souhaite intervenir, même lorsque celui-ci ne
comporte pas de dispositions de nature législative. Le Constituant a
introduit le critère législatif dans l'article 88-4 pour
éviter que le Parlement soit submergé de textes sans
intérêt.
Cependant, l'article 88-4 entrant dans la fonction de
contrôle du Parlement et non dans sa fonction législative, n'y
aurait-il pas une certaine logique à ce que les assemblées
puissent adopter des résolutions - lesquelles n'ont aucun
caractère contraignant- sur les textes de leur choix ?
b) La question des délais
·
Un contrôle impossible
Le second problème grave qui a handicapé la mise en oeuvre de
l'article 88-4 est celui des délais de transmission aux
assemblées des propositions d'actes communautaires. Les propositions,
une fois transmises au Conseil, sont adressées à la
représentation permanente de la France auprès de l'Union
européenne qui les fait parvenir au Gouvernement. A ce stade, le Conseil
d'Etat est saisi pour isoler parmi les propositions d'actes communautaires
celles qui comportent des dispositions de nature législative. Il dispose
en principe de quinze jours pour se prononcer. Les ministres concernés
par une proposition sont également incités à formuler
leurs observations.
L'ensemble de ces opérations a eu pour conséquence qu'un
délai rarement inférieur à un mois était
nécessaire pour qu'une proposition d'acte communautaire parvienne aux
assemblées après son adoption par la Commission européenne.
Or, le processus communautaire de décision ne prend aucunement en compte
ce délai. Certains textes, qui ne nécessitent par l'intervention
du Parlement européen, peuvent être adoptés quelques jours
seulement après leur présentation par la Commission. En outre, le
processus de décision connaît parfois des
accélérations brutales. Les fins de présidence de l'Union
européenne sont souvent marquées par l'adoption en hâte
d'un nombre important de textes.
Dans ces conditions, lors de l'entrée en vigueur de l'article 88-4, bon
nombre de textes arrivaient sur le bureau des assemblées alors qu'ils
étaient déjà adoptés ou en passe de l'être.
Il était donc tout à fait impossible au Sénat d'envisager
une intervention sur ces textes.
·
Des progrès appréciables
Progressivement, la coopération entre le Gouvernement et le Parlement a
permis des progrès sensibles sur cette question. Ainsi, les
délais de transmission ont pu être réduits. Le Conseil
d'Etat a mis en place une procédure lui permettant de se prononcer
très rapidement sur les textes les plus urgents. Certains documents, qui
font l'objet d'une proposition chaque année, comme l'avant-projet de
budget, ne lui sont en outre plus transmis, l'avis donné au cours de la
première année d'application de l'article 88-4 demeurant valable.
Surtout, en juillet 1994, le Premier ministre a accepté de donner un
délai minimum
aux assemblées pour manifester leur
intention d'intervenir sur une proposition d'acte communautaire. Les
assemblées disposent donc désormais d'un mois, à compter
du dépôt d'une proposition d'acte communautaire, pour manifester,
par le dépôt d'une proposition de résolution, leur
volonté de prendre position sur ce texte. Les délégations
pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale et du
Sénat, qui procèdent à une instruction systématique
des propositions d'actes communautaires, sont naturellement devenues les
interlocuteurs privilégiés du Gouvernement dans la mise en oeuvre
de cette procédure, sans que le droit de chaque député et
de chaque sénateur de déposer une proposition de
résolution soit remis en cause.
Pendant le mois accordé aux assemblées pour manifester leur
intention d'intervenir sur une proposition communautaire, le Gouvernement
s'engage à invoquer la réserve d'examen parlementaire au sein du
Conseil de l'Union européenne pour empêcher l'adoption du texte
concerné. De même, lorsque le Sénat ou l'Assemblée
Nationale manifeste son intention d'intervenir, le Gouvernement s'engage
à continuer à invoquer la réserve parlementaire pour
permettre de conduire à son terme la procédure d'adoption d'une
résolution.
Ces engagements du Gouvernement ont considérablement
amélioré le fonctionnement de l'article 88-4. Aucun texte ne
parvient plus au Sénat alors qu'il est déjà adopté
par les institutions communautaires.
·
Le chemin qui reste à parcourir
Les progrès accomplis en matière de délais ont
trouvé leur limite dans la nécessité dans laquelle s'est
fréquemment trouvé le Gouvernement de demander aux
délégations de prendre position en urgence sur des propositions
d'actes communautaires. Dans de nombreux cas, la rapidité du processus
communautaire de décision s'explique par l'attitude de la Commission
européenne. En matière commerciale, celle-ci attend parfois le
dernier moment pour formuler des propositions de renouvellement ou de
prorogation d'accords, de sorte que le Conseil de l'Union européenne est
contraint d'adopter ces textes dans la précipitation. Le Gouvernement
français n'a guère de prise sur ce type de situations et se voit
donc contraint de demander aux assemblées de prendre position, parfois
en quelques jours seulement, sur certains textes.
C'est pourquoi la délégation du Sénat pour l'Union
européenne a plaidé pour qu'un délai minimal d'examen des
propositions communautaires par les Parlements nationaux soit inscrit dans le
traité sur l'Union européenne lui-même. Il apparaît
en effet indispensable que ce délai s'impose aux institutions
communautaires -en particulier à la Commission européenne- et non
seulement au Gouvernement français qui n'est juridiquement pas toujours
à même d'empêcher, à lui seul, l'adoption de certains
textes. Nous verrons que la demande de la délégation n'a
été que partiellement prise en considération par la
Conférence intergouvernementale qui s'est terminée à
Amsterdam le 18 juin dernier.
2. Les difficultés propres au Sénat
Si la question des délais et celle du champ
d'application de l'article 88-4 ont incontestablement été les
éléments les plus perturbateurs dans la mise en oeuvre de
l'article 88-4, il n'en reste pas moins que certaines difficultés
propres à la procédure prévue par le règlement du
Sénat sont également apparues.
Pour espérer voir ses résolutions prises en considération
par le Gouvernement français dans les négociations au sein du
Conseil sur les propositions d'actes communautaires, le Sénat doit
intervenir le plus en amont possible du processus de décision. Or, la
procédure d'adoption des résolutions prévue par le
règlement du Sénat est relativement longue et complexe, ce qui
retarde d'autant l'adoption de la résolution.
Tout d'abord, l'article 73 bis du Règlement du Sénat
prévoit un double examen des propositions de résolution par la
commission compétente au cours des deux réunions successives. La
commission examine d'abord le rapport présenté par l'un de ses
membres et adopte une proposition de résolution. Elle fixe ensuite un
délai pour le dépôt des amendements ; ce délai est
en général d'environ une semaine. Au cours d'une seconde
réunion, la commission examine les amendements et adopte une
résolution. Au contraire, à l'Assemblée nationale, le
rapport et les amendements sont examinés au cours d'une même
réunion, ce qui permet un gain de temps appréciable.
Les résolutions ayant pour objet de contrôler l'action du
Gouvernement, et non de faire du Parlement français le
législateur communautaire, ne peut-on penser qu'une seule réunion
de la commission compétente pourrait suffire, lorsque la
résolution a vocation à être examinée en
séance publique ? Chaque résolution donnerait ainsi lieu à
deux lectures et non trois. Dans certains cas, ces deux lectures se
dérouleraient en Commission, dans d'autres cas une lecture aurait lieu
en commission, l'autre en séance publique.
Par ailleurs, dans la procédure mise en place par le Sénat, une
résolution adoptée par une commission permanente peut ne devenir
définitive qu'après un délai assez long. En effet, le
Président du Sénat, le président d'un groupe, le
président de la commission compétente ou d'une commission saisie
pour avis, le président de la délégation pour l'Union
européenne ou le Gouvernement ont un délai de dix jours pour
demander qu'une résolution soit examinée par le Sénat. A
défaut d'une telle demande, la résolution devient
résolution du Sénat. En revanche, si une demande d'examen par le
Sénat est formulée, la résolution ne devient
résolution du Sénat que si, dans les vingt jours francs qui
suivent cette demande, la Conférence des présidents ne propose
pas ou le Sénat ne décide pas son inscription à l'ordre du
jour. Ainsi, il peut s'écouler un mois entre le moment où une
résolution est adoptée par la commission compétente et le
moment où elle devient résolution du Sénat. De tels
délais ne permettent guère au Sénat de réagir avec
la célérité souhaitable face à certaines
propositions d'actes communautaires.
Une autre difficulté vient entraver le fonctionnement harmonieux de
l'article 88-4 au Sénat. L'article 151-2 du Règlement de
l'Assemblée nationale dispose que "
lorsque le Gouvernement ou
le Président d'un Groupe le demande ou lorsqu'il s'agit d'une
proposition de résolution déposée par le rapporteur de la
délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union
européenne, la Commission saisie au fond doit déposer son rapport
dans le délai d'un mois suivant cette demande ou la distribution de la
proposition de résolution
". Au Sénat, aucune
disposition de ce type n'a été inscrite dans le Règlement,
de sorte que certaines propositions de résolution ne sont instruites que
plusieurs mois après leur dépôt, alors que le processus
communautaire de décision a considérablement progressé.
Ces retards limitent naturellement la portée que peuvent avoir les
résolutions du Sénat. En outre, quelques propositions de
résolution n'ont jamais été instruites. Or, depuis 1994,
le Gouvernement s'engage à maintenir une réserve d'examen
parlementaire au sein du Conseil de l'Union européenne sur les textes
qui ont fait l'objet d'une proposition de résolution au sein de l'une ou
l'autre des assemblées jusqu'à ce que la procédure
d'adoption des résolutions soit achevée.
L'article 88-4 ne
risque-t-il pas de perdre sa crédibilité si certaines
propositions de résolution demeurent lettre morte, alors même que
le Gouvernement attend la prise de position du Sénat ?
*
Un certain nombre de difficultés ont donc jusqu'à présent limité la portée du contrôle parlementaire institué par l'article 88-4. Toutefois, la signature récente du traité d'Amsterdam offre une occasion sans précédent de corriger les insuffisances de la procédure mise en place il y a maintenant plus de quatre ans.
II. RENFORCER LE CONTRÔLE DU PARLEMENT FRANCAIS EN MATIÈRE EUROPÉENNE
A. UN CONTEXTE FAVORABLE
Les difficultés d'application de l'article 88-4 de la Constitution apparues pendant les premières années de sa mise en oeuvre justifient une modification de cette disposition constitutionnelle. La signature récente du traité d'Amsterdam, qui évoque dans un protocole annexé la nécessité de mieux associer les Parlements nationaux aux activités de l'Union, ainsi que l'obligation de réviser notre Constitution avant la ratification du traité rendent une telle modification de l'article 88-4 particulièrement opportune.
1. Le traité d'Amsterdam et les Parlements nationaux
Pendant le déroulement de la Conférence
intergouvernementale, la France a beaucoup oeuvré pour que les
Parlements nationaux fassent l'objet d'une reconnaissance dans le texte du
nouveau traité. Dans le traité de Maastricht, deux
déclarations évoquaient, d'une part, la nécessité
d'encourager une plus grande participation des Parlements nationaux aux
activités de l'Union européenne (déclaration n° 13),
d'autre part, l'intérêt de la réunion du Parlement
européen et des Parlements nationaux en formation de conférence
des Parlements (déclaration n° 14).
Depuis le début des travaux de la Conférence intergouvernementale
qui a conduit au traité d'Amsterdam, les délégations du
Sénat et de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne
ont plaidé pour que le rôle des Parlements nationaux soit
évoqué dans le traité lui-même, notamment en ce qui
concerne la mise en oeuvre d'un délai minimum pour l'examen des
propositions communautaires. La mise en oeuvre de l'article 88-4 a
été fortement perturbée, comme nous l'avons vu, par
l'absence de délai utile laissé aux assemblées pour se
prononcer sur certains textes communautaires. Le Gouvernement français a
décidé de laisser un délai d'un mois aux assemblées
pour déterminer leur attitude mais, dans bien des cas, le Gouvernement
est contraint de demander aux assemblées de se prononcer en urgence, par
exemple lorsqu'une proposition relative à un accord commercial,
présentée tardivement par la Commission européenne, doit
entrer en vigueur dans les plus brefs délais. Comme le notait notre
ancien collègue Yves GUENA dès 1995, dans un rapport sur
" La réforme de 1996 des institutions de l'Union
européenne ", " (...) le respect de cette exigence
démocratique minimale d'un `temps utile' pour que chaque Parlement
national puisse prendre position doit s'imposer non seulement aux Gouvernements
des Etats membres, mais aussi à la Commission. Et, pour s'imposer
à la Commission, elle doit être incluse dans le dispositif
même du traité " (6(
*
)).
Le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, contient un
protocole
" sur le rôle des Parlements nationaux dans l'Union
européenne
"
. Une partie de ce protocole est relative
à la COSAC (Conférence des Organes Spécialisés dans
les Affaires Communautaires) et n'intéresse pas directement le
contrôle exercé par chaque Parlement sur son Gouvernement. Une
partie est en revanche consacrée à l'information des Parlements
nationaux et constitue clairement une invitation à une meilleure
association des Parlements nationaux aux activités de l'Union
européenne.
Extrait du protocole sur le rôle des Parlements
nationaux dans l'Union européenne
LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES,
RAPPELANT que le contrôle exercé par les différents
Parlements nationaux sur leur propre gouvernement pour ce qui touche aux
activités de l'Union relève de l'organisation et de la pratique
constitutionnelles propres à chaque Etat membre,
DESIREUSES, cependant, d'encourager une participation accrue des Parlements
nationaux aux activités de l'Union européenne et de renforcer
leur capacité à exprimer leur point de vue sur les questions qui
peuvent présenter pour eux un intérêt particulier,
ONT ADOPTE les dispositions ci-après, qui sont annexées au
traité sur l'Union européenne et aux traités instituant
les Communautés européennes.
I. INFORMATIONS DESTINEES AUX PARLEMENTS NATIONAUX DES ETATS MEMBRES
1. Tous les documents de consultation de la Commission (livres verts, livres
blancs et communications) sont transmis rapidement aux Parlements nationaux des
Etats membres.
2. Les propositions législatives de la Commission, définies par
le Conseil conformément à l'article 151, paragraphe 3, du
traité instituant la Communauté européenne, sont
communiquées suffisamment à temps pour que le Gouvernement de
chaque Etat membre puisse veiller à ce que le Parlement national de son
pays les reçoive comme il convient.
3. Un délai de six semaines s'écoule entre le moment où
une proposition législative ou une proposition de mesure à
adopter en application du titre VI du traité sur l'Union
européenne est mise par la Commission à la disposition du
Parlement européen et du Conseil dans toutes les langues et la date
à laquelle elle est inscrite à l'ordre du jour du Conseil en vue
d'une décision, soit en vue de l'adoption d'un acte, soit en vue de
l'adoption d'une position commune conformément à l'article 189 B
ou 189 C du traité instituant la Communauté européenne,
des exceptions étant possibles pour des raisons d'urgence, dont les
motifs sont exposés dans l'acte ou la position commune.
Le texte du protocole, tout en rappelant que le contrôle exercé
par les Parlements sur leur gouvernement relève de l'organisation et de
la pratique constitutionnelle propres à chaque Etat membre, apporte des
innovations intéressantes pour le contrôle parlementaire
français. Il prévoit en particulier la transmission rapide aux
Parlements nationaux des documents de consultation de la Commission tels que
les livres verts, les livres blancs et les communications.
Il dispose par ailleurs qu'un délai de six semaines doit en principe
s'écouler entre le moment de la mise à disposition du Parlement
européen et du Conseil d'une proposition d'acte communautaire ou d'une
proposition relevant du troisième pilier de l'Union et la date à
laquelle cette proposition est inscrite à l'ordre du jour du Conseil en
vue d'une décision.
Le protocole annexé au traité d'Amsterdam tend donc à
résoudre la question du délai utile laissé au Parlement
pour prendre position sur une proposition communautaire, qui a handicapé
la mise en oeuvre de l'article 88-4 pendant ses premières années
d'application. La mention de la transmission aux Parlements nationaux des
documents de consultation de la Commission européenne vient par ailleurs
renforcer les arguments que j'ai développés en faveur d'une
extension du champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution.
2. Une révision constitutionnelle nécessaire
Dans sa décision du 31 décembre 1997, le Conseil
constitutionnel a indiqué que
" l'autorisation de ratifier, en
vertu d'une loi, le traité d'Amsterdam, ne peut intervenir
qu'après révision de la Constitution ".
Le Conseil a en
effet estimé que certaines dispositions du nouveau traité,
relatives à la liberté de circulation des personnes, à
l'asile et à l'immigration pouvaient conduire à ce que se
trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale.
Une révision de la Constitution
précédera donc nécessairement la ratification du
traité d'Amsterdam.
En 1992, l'Assemblée nationale et le Sénat avaient saisi
l'opportunité de la révision constitutionnelle nécessaire
à la ratification du traité de Maastricht pour introduire dans la
Constitution l'article 88-4, permettant au Parlement d'adopter des
résolutions sur les propositions d'actes communautaires. La
révision constitutionnelle nécessaire à la ratification du
traité d'Amsterdam paraît être une occasion
particulièrement opportune d'améliorer le contrôle que le
Parlement exerce sur le Gouvernement dans son activité de conduite de la
politique européenne de la France.
En 1995, le Président de la Délégation du Sénat
pour l'Union européenne, M. Jacques GENTON, avait déposé
une proposition de loi constitutionnelle tendant à élargir le
champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution, mais cette
proposition n'a pas abouti. Comme nous l'avons souligné
précédemment, en juillet de la même année, M. Robert
PANDRAUD, alors Président de la Délégation de
l'Assemblée nationale pour l'Union européenne avait, lors de la
discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l'extension du
champ d'application du référendum et à la mise en oeuvre
d'une session parlementaire unique, déposé un amendement tendant
à élargir le champ d'application de l'article 88-4. Cet
amendement, adopté par l'Assemblée nationale, avait ensuite
disparu du texte à l'occasion d'une seconde délibération.
Le Gouvernement avait en effet estimé que cet amendement était
sans rapport avec l'objet du projet de loi constitutionnelle.
Il semble bien que la révision constitutionnelle préalable
à la ratification du traité d'Amsterdam soit la meilleure
occasion offerte au Parlement français d'affirmer sa volonté
d'exercer efficacement un droit de regard sur la politique européenne
conduite par le Gouvernement.
B. QUELLE REVISION DE LA CONSTITUTION ?
Une révision éventuelle de l'article 88-4
devrait essentiellement porter sur le champ d'application de ce dernier. Nous
avons vu précédemment qu'un grand nombre de textes communautaires
échappent au contrôle du Parlement français, compte tenu de
la rédaction de l'article 88-4 de la Constitution et de
l'interprétation qu'en ont fait le Gouvernement et le Conseil d'Etat.
Afin que le contrôle du Parlement français s'exerce sur la
politique conduite par le Gouvernement en matière européenne, il
conviendrait que l'article 88-4 permette au Parlement français de
se prononcer sur :
- les propositions d'actes relevant des deuxième et troisième
piliers de l'Union européenne et comportant des dispositions de nature
législative ;
la ratification du traité d'Amsterdam permettra
automatiquement au Parlement français de se prononcer sur certaines
matières qui lui échappaient jusqu'à présent,
compte tenu du transfert de certaines matières du troisième
pilier de l'Union dans le premier pilier (libre circulation des personnes,
asile, immigration). Toutefois, le Parlement devrait également pouvoir
prendre position sur les matières restant dans le troisième
pilier, telles que la lutte contre le racisme et la xénophobie, le
terrorisme, le trafic de drogue. Les textes qui seront proposés dans ces
matières comporteront probablement très souvent des dispositions
de nature législative ;
-
les projets d'accords interinstitutionnels
; cela permettrait au
Parlement français de connaître de textes négociés
entre le Conseil de l'Union européenne, la Commission européenne
et le Parlement européen tels que l'accord interinstitutionnel sur la
discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure
budgétaire ou l'accord interinstitutionnel sur la procédure
budgétaire applicable aux dépenses opérationnelles en
matière de politique étrangère et de
sécurité commune (PESC) ; ces textes revêtent une grande
importance, dans la mesure où ils peuvent conduire à modifier
l'équilibre institutionnel défini par les traités ;
-
les documents de consultation de la Commission européenne
; ces
documents peu nombreux visent à susciter le débat le plus large
avant qu'une proposition normative soit formulée. Parmi les documents
récents entrant dans cette catégorie, on peut citer Agenda 2000,
précédemment évoqué, ou la communication de la
Commission européenne sur " Un système commun de TVA ".
Il est souhaitable que les assemblées puissent prendre position le plus
en amont possible pour avoir une chance d'être entendues. L'adoption de
résolutions au titre de l'article 88-4 n'entrant pas dans la fonction
législative du Parlement, il ne paraît pas anormal qu'elle puisse
intervenir à propos de documents non normatifs qui constituent en fait
la première étape de l'élaboration de directives
communautaires.
Par ailleurs, nous avons vu que la transmission au Sénat et à
l'Assemblée nationale des seules propositions d'actes communautaires
comportant des dispositions de nature législative avait conduit à
de fâcheuses conséquences, les assemblées ne pouvant
prendre position sur certains textes très importants, tels que les
propositions de prix agricoles, dans la mesure où de tels textes
relèveraient en droit français du pouvoir réglementaire.
Dans ces conditions, l'article 88-4 nouveau pourrait permettre au
Gouvernement de transmettre aux assemblées des textes ne contenant pas
de dispositions de nature législative, mais dont l'importance est
susceptible de justifier une prise de position de l'Assemblée nationale
ou du Sénat.
D'aucuns ont évoqué l'idée d'inscrire dans la Constitution
la nécessité d'un délai minimum laissé aux
Assemblées pour déterminer leur attitude sur les propositions qui
leur sont transmises. Comme nous l'avons vu précédemment, le
Gouvernement, depuis la circulaire du Premier ministre en date du 19 juillet
1984, accepte d'ores et déjà de laisser un mois aux
Assemblées pour déterminer leur attitude sur une proposition
d'acte communautaire. Pendant cette période, le Gouvernement s'engage
à invoquer au sein du Conseil de l'Union européenne une
réserve d'examen parlementaire si la proposition en cause est inscrite
à l'ordre du jour en vue d'une décision. Si l'une des
assemblées manifeste son intention d'intervenir sur un texte par le
dépôt d'une proposition de résolution, le Gouvernement
invoque alors la réserve d'examen parlementaire jusqu'à ce que
l'Assemblée concernée ait achevé la procédure
d'adoption de la résolution.
Il semble que l'inscription d'un délai minimal dans le texte de la
Constitution présente plus d'inconvénients que d'avantages
.
En effet, une certaine souplesse demeure nécessaire dans la mise en
oeuvre du délai minimum, dans la mesure où certaines situations
d'urgence justifient que le Gouvernement demande aux assemblées de se
prononcer en urgence sur certaines propositions. Par ailleurs, comme nous
l'avons vu, le protocole relatif aux Parlements nationaux annexé au
traité d'Amsterdam prévoit désormais un délai de
six semaines entre la transmission par la Commission européenne d'une
proposition au Conseil de l'Union européenne et l'inscription à
l'ordre du jour du Conseil de cette proposition en vue d'une décision.
De ce fait, les propositions d'actes de l'Union européenne ne devraient
plus, sauf exception, être examinées dans des conditions de
précipitation rendant impossible l'exercice par le Parlement
français de ses prérogatives constitutionnelles. C'est pourquoi
votre rapporteur n'a pas estimé nécessaire l'inscription dans la
Constitution d'un délai minimum pour l'examen des propositions d'actes
de l'Union européenne.
C. QUELLE REFORME DU REGLEMENT DU SENAT ?
Indépendamment de la modification souhaitable de
l'article 88-4 de la Constitution, il paraît aujourd'hui utile d'adapter
les dispositions du règlement du Sénat relatives à
l'adoption des résolutions (art. 73 bis du Règlement) pour tenir
compte des enseignements apportés par cinq années de
fonctionnement de cette procédure. Nous avons vu que la procédure
d'adoption des résolutions au Sénat nécessitait, dans
certains cas, des délais incompatibles avec le système
communautaire de décision. L'article 88-4 entrant dans la fonction de
contrôle du Parlement et non dans sa fonction législative, la
procédure d'adoption des résolutions pourrait être
allégée afin de la rendre plus efficace.
Compte tenu des observations formulées dans la première partie du
présent rapport, les modifications suivantes pourraient être
apportées à la procédure d'examen et d'adoption des
résolutions au Sénat :
- la seconde réunion de la commission permanente consacrée
à l'examen des amendements pourrait être utilement
supprimée, lorsque la commission souhaite que la résolution en
cause soit examinée en séance publique ; ainsi, une proposition
ferait toujours l'objet des deux examens ; dans certains cas, ces deux examens
auraient lieu en commission ; dans d'autres cas, un examen aurait lieu en
commission, l'autre en séance publique ;
- les délais permettant à une résolution adoptée
par une commission permanente de devenir résolution du Sénat
devraient être raccourcis ;
- enfin, la commission permanente compétente devrait avoir la
faculté, selon des modalités à déterminer, de
demander à la Délégation pour l'Union européenne
d'instruire une proposition de résolution, lorsque l'ampleur du travail
législatif ne lui permet pas d'examiner dans de brefs délais
cette proposition.
L'adoption de ces propositions pourrait permettre au Sénat de
conduire plus rapidement la procédure d'adoption des résolutions.
Elle éviterait en outre que certaines propositions de résolution
ne fassent l'objet d'aucune instruction.
DEBAT CONSECUTIF A LA PRESENTATION DU RAPPORT
Réunion du 3 février 1998
M. Michel Caldaguès :
Je remercie le rapporteur d'avoir abordé avec
clarté les différents aspects de l'amélioration possible
du contrôle parlementaire fondé sur l'article 88-4. La
révision de la procédure suivie au Sénat me paraît
un élément essentiel : si nous ne parvenons pas à
examiner plus rapidement, plus efficacement, les propositions d'actes
communautaires les plus importantes, celles qui font l'objet d'une proposition
de résolution, alors nous ne pourrons faire face à un
élargissement du champ d'application de l'article 88-4.
J'ai particulièrement à l'esprit le cas de la proposition de
résolution sur le pacte de stabilité budgétaire.
C'était le texte le plus important qui nous ait été soumis
dans le cadre de l'article 88-4, et la commission des Finances avait la
possibilité d'adopter une résolution en temps utile ; mais,
finalement, ni la commission, ni a fortiori le Sénat ne se sont
prononcés, alors que l'article 88-4 avait été
précisément été introduit pour permettre une
expression parlementaire sur ce type de texte. J'espère que les
pesanteurs et les susceptibilités internes au Sénat
n'empêcheront pas le contrôle parlementaire de s'affirmer.
M. Lucien Lanier :
Je partage votre sentiment. Je voudrais à cet égard que les propositions avancées par le rapport soient bien interprétées. La création des délégations, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, a suscité des réserves. Certains craignaient qu'elles ne deviennent une " septième commission " empiétant sur les compétences des commissions permanentes. Celles-ci ont donc voulu affirmer que l'aspect européen de leurs domaines respectifs entrait bien dans leurs compétences ; mais, en pratique, elle n'ont pas toujours pu dégager le temps nécessaire pour examiner au moment opportun les textes communautaires. Je ne suis pas pour autant favorable à la création d'une septième commission permanente. Le système actuel me paraît viable, à la condition qu'on parvienne à le faire fonctionner plus rapidement : c'est le but de la réforme du Règlement que je suggère.
M. Pierre Fauchon :
J'approuve les remarques de Michel Caldaguès. Je voudrais indiquer que, pour ma part, je ne serais pas choqué par la création d'une commission des Affaires européennes, mais je n'ai guère d'espoir à ce sujet.
M. Michel Caldaguès :
Puisque la question essentielle est de statuer en temps utile, peut-être serait-il bon de fixer un délai pour l'examen des propositions de résolution par la commission compétente, comme c'est le cas à l'Assemblée nationale. A l'expiration de ce délai, la délégation pourrait être saisie : elle aurait un rôle subsidiaire.
M. Pierre Fauchon :
Je m'interroge sur l'élargissement du champ d'application de l'article 88-4. J'approuve certes l'idée d'une extension aux deuxième et troisième piliers. Mais je crois qu'il faut s'en tenir clairement aux textes ayant un caractère législatif. Nous devons respecter la distinction constitutionnelle entre les domaines respectifs de la loi et du règlement.
M. Jacques Genton :
J'attire votre attention sur le fait que l'article 88-4 ne concerne pas le Parlement dans son rôle législatif, mais dans sa fonction de contrôle, où la distinction de la loi et du règlement n'a pas la même pertinence.
M. Pierre Fauchon :
Je crois néanmoins que le Parlement ne doit être saisi que de textes ayant un caractère normatif. Est-il souhaitable que de simples documents préparatoires -les " documents de consultation " de la Commission européenne ont été évoqués- soient soumis aux assemblées ? Par ailleurs, la communication de documents préparatoires peut poser problème : nous en avons l'expérience sur le plan national.
M. Lucien Lanier :
Les " documents de consultation " que j'ai évoqués ne sont pas des documents préparatoires internes à la Commission européenne. Il s'agit des " livres verts " ou des " livres blancs " présentés par la Commission européenne et soumis par elle au Conseil pour un débat d'orientation. Ces textes sont d'ailleures d'ores et déjà communiqués aux assemblées, mais ils ne leur sont pas soumis au sens de l'article 88-4 ; il ne peut donc y avoir actuellement de vote d'une résolution à leur sujet.
M. Christian de La Malène :
A mes yeux, tout ce qui peut renforcer le caractère
démocratique de la construction européenne est bienvenu. Dans
nombre de pays membres, le Parlement exerce un contrôle étroit sur
la politique européenne du Gouvernement. Ce type de contrôle, qui
s'exerce en amont de la décision, n'était pas dans la tradition
française. La création des délégations
européennes à l'Assemblée nationale et au Sénat a
été un premier pas vers ce contrôle en amont ;
l'adoption de l'article 88-4 a été un pas supplémentaire.
Je crois que le rapporteur a raison de nous proposer de poursuivre dans cette
direction. Comme nous n'avons pas pu obtenir le Sénat européen
qui aurait permis aux Parlements nationaux de s'exprimer collectivement, le
seul moyen dont nous disposons pour réintroduire les Parlements
nationaux dans le système communautaire et pour contribuer à la
démocratisation de l'Union européenne, c'est de développer
le contrôle que nous pouvons exercer en amont au niveau national.
Pour bien mettre en oeuvre ce contrôle, une bonne articulation entre la
délégation et les commissions permanentes me paraît
indispensable. Il y a effectivement des pesanteurs à vaincre dans ce
domaine, car les commissions ont parfois tendance à appréhender
les questions européennes à travers un prisme national. Or, par
exemple, la hiérarchie des normes qui existe à l'échelon
national n'est pas transposable à l'échelon
européen ; de même, les contraintes de calendrier ne se
présentent pas de la même manière.
L'essentiel est de favoriser une évolution des esprits en vue d'une
meilleure adaptation du Sénat à la spécificité des
questions européennes. J'approuve donc le rapporteur de ne pas proposer
de modification concernant les compétences des commissions. Notre but
doit être de mieux faire fonctionner une procédure qui a
déjà produit des résultats positifs, non de la
bouleverser. J'observe d'ailleurs que les gouvernements successifs ont,
jusqu'à présent, joué le jeu.
M. Yann Gaillard :
Je voudrais à mon tour m'interroger sur l'extension du champ d'application de l'article 88-4. Il ne faudrait pas que le Parlement soit submergé par un trop grand nombre de textes.
M. Denis Badré :
J'avoue m'être reconnu dans le rapport. J'ai
personnellement vécu, en tant que rapporteur soit de la
délégation, soit de la commission des Finances, les
problèmes signalés par le rapporteur et auxquels il se propose de
porter remède. Par exemple, pour pouvoir prendre position sur un
" document de consultation " de la Commission européenne -il
s'agissait d'un texte d'orientation pour une réforme fondamentale de la
TVA- j'ai dû m'appuyer sur un texte de portée assez
réduite, qui concernait un aspect très particulier du
problème mais qui, quant à lui, relevait de l'article 88-4. Je
crois donc souhaitable que nous puissions nous exprimer sur ces
" documents de consultation " qui, malgré leur nom, sont en
fait des textes d'orientation assez peu nombreux, mais importants. C'est bien
ainsi que nous pourrons intervenir utilement en amont de la décision.
Je tire de mon expérience de rapporteur que, pour que la
procédure de l'article 88-4 fonctionne bien, il faut tout d'abord un
vrai sujet et la volonté politique de l'aborder. Par exemple, le pacte
de stabilité était un vrai sujet, mais on peut se demander si la
volonté politique de l'aborder était largement partagée.
Je crois ensuite qu'une bonne coordination entre la délégation et
la commission compétente est extrêmement utile ; à cet
égard, je crois qu'il est préférable que ce soit, dans la
mesure du possible, un même rapporteur qui assure l'ensemble de la
procédure d'examen, même si cette formule est peu conforme aux
usages.
Pour mieux associer la délégation et les commissions, je me
demande d'ailleurs s'il ne serait pas souhaitable de faire désigner les
membres de la délégation par les différentes commissions,
de manière à en faire les représentants de celles-ci.
M. Jean-Paul Emorine :
Mon expérience de la délégation est
courte, mais j'ai le sentiment que celle-ci est complémentaire des
commissions ; elle a une vocation transversale et, me semble-t-il, remplit bien
ce rôle. Je ne suis donc pas favorable à la transformation de la
délégation en une septième commission ; le rapport ne le
propose d'ailleurs pas.
Il me paraît important que la commission compétente, voire le
Sénat, puisse se prononcer sur des " documents de
consultation " importants de la Commission européenne comme
" Agenda 2000 ". La commission des Affaires économiques a
d'ailleurs créé en son sein une mission d'information sur la
réforme de la politique agricole commune prévue dans
" Agenda 2000 ". C'est en effet en amont qu'il faut
agir pour
essayer d'influencer les décisions européennes en
contrôlant l'action du Gouvernement. Je précise que je serai
heureux, en tant que co-rapporteur de la mission d'information, de
présenter, le moment venu, ses conclusions à la
délégation. Encore une fois, je vois les relations entre
commissions et délégation en termes de
complémentarité et non de concurrence.
M. Michel Caldaguès :
Après d'autres intervenants, je voudrais souligner
qu'il y a peut-être un risque à proposer un élargissement
trop important du champ d'application de l'article 88-4. Faut-il par exemple y
inclure les projets d'accords interinstitutionnels ? Le Gouvernement pourrait
considérer que ses prérogatives en matière de politique
étrangère sont remises en cause. Le Parlement européen
pourrait également prendre ombrage d'un examen de ce type de texte par
un Parlement national.
Pour ma part, il me paraît avant tout nécessaire d'étendre
le champ d'application de l'article 88-4 aux deuxième et
troisième piliers de l'Union. Je ne crois pas judicieux d'y inclure en
outre les projets d'accords interinstitutionnels et les " documents de
consultation " : il suffirait, me semble-t-il, de préciser que le
Gouvernement peut soumettre de tels textes au Parlement.
Ainsi, le Gouvernement serait tenu de soumettre au Parlement les propositions
d'actes de caractère législatif, qu'elles relèvent de la
Communauté européenne, c'est-à-dire du premier pilier, ou
de l'Union européenne, c'est-à-dire des deuxième et
troisième piliers ; pour les autres textes en revanche,
c'est-à-dire les propositions n'ayant pas le caractère
législatif, le Gouvernement aurait la faculté, mais non
l'obligation, de les soumettre aux assemblées.
Enfin, pour ce qui est des rapports entre la délégation et les
commissions, je crois qu'il faut s'efforcer de préserver
approximativement l'équilibre actuel. La délégation ne
doit pas être un filtre systématique qui empêcherait les
commissions de se saisir directement d'un thème européen ;
en même temps, il convient d'éviter une marginalisation de la
délégation, qui doit garder dans la plupart des cas son
rôle d'impulsion, qui découle de son examen systématique
des textes communautaires.
M. Christian de La Malène :
Je voudrais à nouveau souligner les inconvénients qu'il y aurait à vouloir à tout prix appliquer notre propre hiérarchie des normes aux activités de l'Union européenne, qui sont organisées selon un schéma différent. Ainsi, le Parlement européen est souvent amené à se prononcer sur des matières qui, en France, relèveraient du décret et quelquefois même de l'arrêté préfectoral, et sa tendance est d'essayer d'étendre sans cesse ses compétences ; le traité d'Amsterdam lui a d'ailleurs donné, dans ce sens, des satisfactions importantes. Si nous continuons à nous appliquer trop strictement à nous-mêmes un critère de compétence fondé sur la définition française du domaine de la loi, nous continuerons aussi à nous interdire de nous prononcer sur certains des textes européens les plus importants, textes sur lesquels le Parlement européen, quant à lui, n'hésite pas à se prononcer. Nous ne pourrons donc pas jouer pleinement notre rôle dans la démocratisation du fonctionnement de l'Union.
M. Lucien Lanier :
Je voudrais ajouter que la procédure de l'article 88-4 permet seulement aux deux assemblées d'indiquer au Gouvernement ce qui leur paraît souhaitable. Le Gouvernement n'est pas lié par les résolutions adoptées et son autorité n'a nullement été altérée, jusqu'à présent, par cette procédure. Le rapport ne propose aucun changement de cet équilibre. Il s'agit avant tout de mieux adapter notre dispositif aux réalités européennes. L'action européenne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures prend de plus en plus d'importance. Les accords interinstitutionnels ont une incidence sur l'application des traités. Quant aux " documents de consultation " de la Commission européenne, le traité d'Amsterdam lui-même prévoit leur communication aux Parlements nationaux, ce qui suggère que nous serions tout à fait dans notre rôle en nous exprimant à leur sujet.
M. Jacques Genton :
J'appuie les orientations du rapporteur, qui me paraissent
situées dans le prolongement de nos travaux antérieurs. Je crois
qu'il faut bien mesurer ce que propose le rapport.
Tout d'abord, il suggère une extension du champ d'application de
l'article 88-4.
En premier lieu, cet article s'appliquerait non plus seulement, comme
aujourd'hui, aux projets de textes relevant du premier pilier, mais aussi
à ceux relevant des deuxième et troisième piliers.
J'observe qu'il y a unanimité sur ce point.
Le rapport propose également que les projets d'accords
interinstitutionnels puissent faire l'objet de résolutions. Ces accords,
je le rappelle, sont conclus entre la Commission européenne, le
Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, afin de
préciser certaines modalités d'application des traités.
Par exemple, un accord interinstitutionnel a été conclu sur
l'application du principe de subsidiarité, un autre sur la discipline
budgétaire. Il s'agit donc de textes précisant le fonctionnement
des institutions de l'Union et qui peuvent avoir une grande importance
politique.
Le rapport propose en outre que l'article 88-4 s'applique aux
" documents
de consultation " de la Commission européenne. Comme l'a
rappelé notre rapporteur, cette suggestion est dans le droit fil du
traité d'Amsterdam. Les textes en cause peuvent être d'une grande
portée : il en est ainsi d'" Agenda 2000 ", dont nous
connaissons tous l'importance puisqu'il annonce de profondes modifications de
la politique agricole commune et de la politique de cohésion.
Enfin le rapport propose que le Gouvernement ait explicitement la
faculté -non l'obligation- de soumettre aux assemblées certains
textes n'ayant pas de caractère législatif. Nous savons tous que,
dans certains cas, le Gouvernement a tendance à s'abriter
derrière l'avis du Conseil d'Etat pour ne pas soumettre au Parlement
certaines propositions de la Commission européenne qui, bien que
n'étant de caractère législatif au sens strict, n'en ont
pas moins des conséquences importantes, notamment les textes sur la
fixation des prix agricoles ou, toujours dans le domaine agricole, les
propositions de réforme des organisations communes de marchés.
Fort heureusement, ces cas ne sont d'ailleurs pas extrêmement nombreux.
Je voudrais aussi souligner que les prérogatives du Gouvernement ne sont
nullement en cause. Lorsque le Parlement délibère sur une
proposition d'acte communautaire, la position du Gouvernement se trouve au
contraire généralement renforcée, parce qu'elle a alors
une légitimité plus forte. Pour ma part, j'ai toujours
considéré que notre contrôle n'avait pas pour but de
gêner systématiquement le Gouvernement. Nous avons toujours
été discrets, ce qui ne veut pas dire inefficaces. Il existe des
chats qui peuvent attraper une souris tout en paraissant dormir !
Un mot enfin sur l'amélioration de la procédure interne au
Sénat. Il est vrai que, dans certains cas, cette procédure est
trop lente pour bien s'intégrer dans le processus de décision
communautaire ; toutefois le traité d'Amsterdam, qui garantit un
délai minimal aux Parlements nationaux, devrait nous faciliter la
tâche. Il y a encore des réticences à surmonter pour
arriver à une bonne articulation entre la délégation et
les commissions, mais nous devons aussi mesurer le chemin parcouru depuis la
création des délégations en 1979.
M. Michel Caldaguès :
Je me demande si une partie des problèmes d'application
de l'article 88-4 ne provient pas de l'attitude parfois trop restrictive du
Conseil d'Etat en ce qui concerne l'octroi du caractère
législatif aux propositions de la Commission européenne.
Je crois que notre débat d'aujourd'hui est une première
étape. Il faudra engager le dialogue avec la délégation de
l'Assemblée nationale ainsi qu'avec le Gouvernement.
Le rapport définit des orientations. Nous ne devons pas, à ce
stade, nous enfermer dans une rédaction trop précise. La
commission des Lois, si elle se saisit de cette affaire le moment venu,
trouvera la meilleure manière de formuler ces orientations si elle les
retient.
M. Lucien Lanier :
En tant que membre de la commission des Lois, je ne peux
qu'approuver cette manière de voir.
La délégation a alors approuvé les propositions du
rapporteur et a décidé d'autoriser la publication du rapport de
M. Lucien Lanier.
ANNEXE : LES TROIS PILIERS DE L'UNION EUROPÉENNE APRÈS LE TRAITÉ D'AMSTERDAM
Premier pilier |
Deuxième pilier |
Troisième pilier |
Ce pilier regroupe
la
Communauté européenne du
charbon et de l'acier (CECA), la Communauté européen-ne de
l'énergie atomique (Euratom), ainsi que la Communauté
euro-péenne. Cette dernière est appelée à
intervenir dans les domaines suivants :
|
Il s'agit des
dispositions
concernant une politique
étrangère et de sécurité commune.
|
Ce pilier comprend
les
dispositions relatives à la
coopération policière et judiciaire en matière
pénale.
|
(1) Rapport d'information n° 338, 13 avril 1994
(2) Proposition de résolution n° 349, 4 juillet 1995.
(1) " Pour ou contre le futur système de TVA en Europe ",
Rapport d'information n° 264, 19 mars 1997.
(3) " Un système commun de TVA. Un programme pour le marché
unique ", COM (96) 328 final, 22 juillet 1996.
(4) Rapport d'information n° 338, 13 avril 1994.
(5) Voir le rapport n° 256 de M. Philippe François, 25 avril 1990.
(6) Rapport d'information n° 224, 15 février 1995, p. 25.