II. RENFORCER LE CONTRÔLE DU PARLEMENT FRANCAIS EN MATIÈRE EUROPÉENNE
A. UN CONTEXTE FAVORABLE
Les difficultés d'application de l'article 88-4 de la Constitution apparues pendant les premières années de sa mise en oeuvre justifient une modification de cette disposition constitutionnelle. La signature récente du traité d'Amsterdam, qui évoque dans un protocole annexé la nécessité de mieux associer les Parlements nationaux aux activités de l'Union, ainsi que l'obligation de réviser notre Constitution avant la ratification du traité rendent une telle modification de l'article 88-4 particulièrement opportune.
1. Le traité d'Amsterdam et les Parlements nationaux
Pendant le déroulement de la Conférence
intergouvernementale, la France a beaucoup oeuvré pour que les
Parlements nationaux fassent l'objet d'une reconnaissance dans le texte du
nouveau traité. Dans le traité de Maastricht, deux
déclarations évoquaient, d'une part, la nécessité
d'encourager une plus grande participation des Parlements nationaux aux
activités de l'Union européenne (déclaration n° 13),
d'autre part, l'intérêt de la réunion du Parlement
européen et des Parlements nationaux en formation de conférence
des Parlements (déclaration n° 14).
Depuis le début des travaux de la Conférence intergouvernementale
qui a conduit au traité d'Amsterdam, les délégations du
Sénat et de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne
ont plaidé pour que le rôle des Parlements nationaux soit
évoqué dans le traité lui-même, notamment en ce qui
concerne la mise en oeuvre d'un délai minimum pour l'examen des
propositions communautaires. La mise en oeuvre de l'article 88-4 a
été fortement perturbée, comme nous l'avons vu, par
l'absence de délai utile laissé aux assemblées pour se
prononcer sur certains textes communautaires. Le Gouvernement français a
décidé de laisser un délai d'un mois aux assemblées
pour déterminer leur attitude mais, dans bien des cas, le Gouvernement
est contraint de demander aux assemblées de se prononcer en urgence, par
exemple lorsqu'une proposition relative à un accord commercial,
présentée tardivement par la Commission européenne, doit
entrer en vigueur dans les plus brefs délais. Comme le notait notre
ancien collègue Yves GUENA dès 1995, dans un rapport sur
" La réforme de 1996 des institutions de l'Union
européenne ", " (...) le respect de cette exigence
démocratique minimale d'un `temps utile' pour que chaque Parlement
national puisse prendre position doit s'imposer non seulement aux Gouvernements
des Etats membres, mais aussi à la Commission. Et, pour s'imposer
à la Commission, elle doit être incluse dans le dispositif
même du traité " (6(
*
)).
Le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, contient un
protocole
" sur le rôle des Parlements nationaux dans l'Union
européenne
"
. Une partie de ce protocole est relative
à la COSAC (Conférence des Organes Spécialisés dans
les Affaires Communautaires) et n'intéresse pas directement le
contrôle exercé par chaque Parlement sur son Gouvernement. Une
partie est en revanche consacrée à l'information des Parlements
nationaux et constitue clairement une invitation à une meilleure
association des Parlements nationaux aux activités de l'Union
européenne.
Extrait du protocole sur le rôle des Parlements
nationaux dans l'Union européenne
LES HAUTES PARTIES CONTRACTANTES,
RAPPELANT que le contrôle exercé par les différents
Parlements nationaux sur leur propre gouvernement pour ce qui touche aux
activités de l'Union relève de l'organisation et de la pratique
constitutionnelles propres à chaque Etat membre,
DESIREUSES, cependant, d'encourager une participation accrue des Parlements
nationaux aux activités de l'Union européenne et de renforcer
leur capacité à exprimer leur point de vue sur les questions qui
peuvent présenter pour eux un intérêt particulier,
ONT ADOPTE les dispositions ci-après, qui sont annexées au
traité sur l'Union européenne et aux traités instituant
les Communautés européennes.
I. INFORMATIONS DESTINEES AUX PARLEMENTS NATIONAUX DES ETATS MEMBRES
1. Tous les documents de consultation de la Commission (livres verts, livres
blancs et communications) sont transmis rapidement aux Parlements nationaux des
Etats membres.
2. Les propositions législatives de la Commission, définies par
le Conseil conformément à l'article 151, paragraphe 3, du
traité instituant la Communauté européenne, sont
communiquées suffisamment à temps pour que le Gouvernement de
chaque Etat membre puisse veiller à ce que le Parlement national de son
pays les reçoive comme il convient.
3. Un délai de six semaines s'écoule entre le moment où
une proposition législative ou une proposition de mesure à
adopter en application du titre VI du traité sur l'Union
européenne est mise par la Commission à la disposition du
Parlement européen et du Conseil dans toutes les langues et la date
à laquelle elle est inscrite à l'ordre du jour du Conseil en vue
d'une décision, soit en vue de l'adoption d'un acte, soit en vue de
l'adoption d'une position commune conformément à l'article 189 B
ou 189 C du traité instituant la Communauté européenne,
des exceptions étant possibles pour des raisons d'urgence, dont les
motifs sont exposés dans l'acte ou la position commune.
Le texte du protocole, tout en rappelant que le contrôle exercé
par les Parlements sur leur gouvernement relève de l'organisation et de
la pratique constitutionnelle propres à chaque Etat membre, apporte des
innovations intéressantes pour le contrôle parlementaire
français. Il prévoit en particulier la transmission rapide aux
Parlements nationaux des documents de consultation de la Commission tels que
les livres verts, les livres blancs et les communications.
Il dispose par ailleurs qu'un délai de six semaines doit en principe
s'écouler entre le moment de la mise à disposition du Parlement
européen et du Conseil d'une proposition d'acte communautaire ou d'une
proposition relevant du troisième pilier de l'Union et la date à
laquelle cette proposition est inscrite à l'ordre du jour du Conseil en
vue d'une décision.
Le protocole annexé au traité d'Amsterdam tend donc à
résoudre la question du délai utile laissé au Parlement
pour prendre position sur une proposition communautaire, qui a handicapé
la mise en oeuvre de l'article 88-4 pendant ses premières années
d'application. La mention de la transmission aux Parlements nationaux des
documents de consultation de la Commission européenne vient par ailleurs
renforcer les arguments que j'ai développés en faveur d'une
extension du champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution.
2. Une révision constitutionnelle nécessaire
Dans sa décision du 31 décembre 1997, le Conseil
constitutionnel a indiqué que
" l'autorisation de ratifier, en
vertu d'une loi, le traité d'Amsterdam, ne peut intervenir
qu'après révision de la Constitution ".
Le Conseil a en
effet estimé que certaines dispositions du nouveau traité,
relatives à la liberté de circulation des personnes, à
l'asile et à l'immigration pouvaient conduire à ce que se
trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la
souveraineté nationale.
Une révision de la Constitution
précédera donc nécessairement la ratification du
traité d'Amsterdam.
En 1992, l'Assemblée nationale et le Sénat avaient saisi
l'opportunité de la révision constitutionnelle nécessaire
à la ratification du traité de Maastricht pour introduire dans la
Constitution l'article 88-4, permettant au Parlement d'adopter des
résolutions sur les propositions d'actes communautaires. La
révision constitutionnelle nécessaire à la ratification du
traité d'Amsterdam paraît être une occasion
particulièrement opportune d'améliorer le contrôle que le
Parlement exerce sur le Gouvernement dans son activité de conduite de la
politique européenne de la France.
En 1995, le Président de la Délégation du Sénat
pour l'Union européenne, M. Jacques GENTON, avait déposé
une proposition de loi constitutionnelle tendant à élargir le
champ d'application de l'article 88-4 de la Constitution, mais cette
proposition n'a pas abouti. Comme nous l'avons souligné
précédemment, en juillet de la même année, M. Robert
PANDRAUD, alors Président de la Délégation de
l'Assemblée nationale pour l'Union européenne avait, lors de la
discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l'extension du
champ d'application du référendum et à la mise en oeuvre
d'une session parlementaire unique, déposé un amendement tendant
à élargir le champ d'application de l'article 88-4. Cet
amendement, adopté par l'Assemblée nationale, avait ensuite
disparu du texte à l'occasion d'une seconde délibération.
Le Gouvernement avait en effet estimé que cet amendement était
sans rapport avec l'objet du projet de loi constitutionnelle.
Il semble bien que la révision constitutionnelle préalable
à la ratification du traité d'Amsterdam soit la meilleure
occasion offerte au Parlement français d'affirmer sa volonté
d'exercer efficacement un droit de regard sur la politique européenne
conduite par le Gouvernement.