N° 281
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès verbal de la séance du 10 février 1998.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne (1),
sur
une révision de l'article 88-4 de la Constitution,
Par M. Lucien LANIER,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de
: MM. Jacques Genton,
président
; James Bordas, Michel
Caldaguès, Claude Estier, Pierre Fauchon,
vice-présidents
; Nicolas About, Jacques Habert, Emmanuel Hamel, Paul Loridant,
secrétaires
; MM. Robert Badinter, Denis Badré,
Michel Barnier, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Gérard Delfau,
Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Ambroise
Dupont, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean
François-Poncet, Yann Gaillard, Pierre Lagourgue,
Christian de La Malène, Lucien Lanier, Paul Masson,
Daniel Millaud, Georges Othily, Jacques Oudin, Mme Danièle
Pourtaud, MM. Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jacques Rocca Serra,
André Rouvière, René Trégouët, Marcel Vidal,
Robert-Paul Vigouroux, Xavier de Villepin.
INTRODUCTION
En 1992, invité à modifier la Constitution avant
l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne, le
Constituant a introduit dans notre loi fondamentale un article 88-4 permettant
à l'Assemblée nationale et au Sénat de connaître des
propositions d'actes communautaires et d'exprimer leur position sur celles-ci
par des résolutions. Après cinq années d'application, il
est possible de dresser un bilan de cette nouvelle prérogative
parlementaire. L'article 88-4 a eu des effets très largement positifs,
mais un certain nombre de difficultés justifient un réexamen de
cette disposition.
Par ailleurs, les Gouvernements de l'Union européenne ont signé
le 2 octobre dernier à Amsterdam un traité, qui marque une
nouvelle étape de la construction européenne. Ce traité,
dont on a beaucoup dit qu'il renvoyait à plus tard les adaptations
institutionnelles pourtant nécessaires au fonctionnement d'une Union
élargie, est cependant caractérisé par une
évolution institutionnelle importante, qui est le renforcement des
prérogatives du Parlement européen. La procédure de
co-décision, qui donne au Parlement européen un pouvoir
égal à celui du Conseil de l'Union européenne pour
l'adoption d'un texte et lui permet donc de rejeter de manière
définitive une proposition, a été étendue à
un grand nombre de matières nouvelles. Le Parlement européen est
incontestablement l'institution qui est la plus renforcée par le
traité d'Amsterdam. Il est vraisemblable que ce succès le
conduira rapidement à revendiquer de nouvelles prérogatives.
Or, le Parlement européen, compte tenu notamment de son mode de
fonctionnement et de la multiplicité des langues qui y sont
pratiquées, ne peut prétendre, à lui seul, assumer
l'exigence d'un fonctionnement plus démocratique de l'Union
européenne. La démocratisation de l'Union passe
nécessairement par un contrôle plus étroit des actions de
l'Union par chaque Parlement national.
Dans un tel contexte, n'est-il pas aujourd'hui indispensable de renforcer le
contrôle exercé par le Parlement français sur la politique
européenne conduite par le Gouvernement ? N'est-il pas utile
d'étendre et de rendre plus efficace ce contrôle ? Le
présent rapport examine les moyens d'un tel renforcement, qui devrait
permettre davantage qu'aujourd'hui un contrôle parlementaire
enraciné dans les vies politiques nationales.
I. BILAN DE L'APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
En introduisant l'article 88-4 dans la Constitution, le
Constituant n'entendait en aucun cas instaurer un régime
d'assemblée ou retirer au Gouvernement sa fonction de législateur
communautaire. Il s'agissait de permettre au Parlement d'être
informé de manière complète sur la législation
communautaire et de contrôler l'action du Gouvernement au moyen de
résolutions adoptées par chacune des assemblées.
L'article 88-4 a permis des progrès significatifs dans l'implication du
Parlement français dans la législation communautaire. Des
difficultés parfois sérieuses se sont cependant fait jour, qui
n'ont été résolues que de manière imparfaite.
A. UNE MEILLEURE IMPLICATION DU PARLEMENT DANS LE CONTRÔLE DE L'ACTION DU GOUVERNEMENT
Le premier alinéa de l'article 88-4 de la Constitution
impose au Gouvernement de soumettre à l'Assemblée Nationale et au
Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union
européenne, l'ensemble des propositions d'actes communautaires
comportant des dispositions de nature législative.
Depuis l'entrée en vigueur de l'article 88-4, près de
1.000 propositions d'actes communautaires ont été soumises
au Sénat. Ces propositions ont été imprimées et
distribuées. L'ensemble des parlementaires ont ainsi pu avoir une
perception plus concrète de l'importance quantitative de la
législation communautaire. A partir de 1994, la Délégation
pour l'Union européenne a entrepris une instruction systématique
des propositions d'actes communautaires, afin d'isoler celles qui
méritent une intervention du Sénat. Les propositions
jugées les moins importantes par le Président de la
Délégation donnent lieu à une procédure
écrite, qui ne porte naturellement pas atteinte à la
faculté de chaque sénateur de déposer une proposition de
résolution. Les propositions les plus importantes sont
évoquées lors des réunions de la Délégation.
En vertu du second alinéa de l'article 88-4, chaque assemblée
peut adopter, selon une procédure fixée par son règlement,
des résolutions sur les propositions d'actes communautaires.
Depuis l'entrée en vigueur de l'article 88-4, 89 propositions de
résolution ont été déposées sur le Bureau du
Sénat. Elles ont donné naissance à 45 résolutions
dont 18 ont été adoptées en séance publique.
Encore conviendrait-il de vérifier l'influence qu'elles ont pu avoir sur
le Gouvernement.
Le nombre de propositions de résolution, si on le rapporte au nombre de
propositions d'actes communautaires soumises au Sénat (1000 environ)
peut paraître faible. Toutefois, comme le notait M. Jacques GENTON,
Président de la Délégation, dans son rapport sur " Le
Sénat face à la législation
communautaire "
(1(
*
)),
toutes les propositions d'actes communautaires ne sont pas susceptibles
d'entraîner une réaction parlementaire. Certaines propositions,
même si elles comportent des dispositions de nature législative,
ne présentent qu'un intérêt tout à fait mineur et ne
nécessitent pas le dépôt d'une proposition de
résolution. Par ailleurs, le Sénat a souvent été
dans l'impossibilité d'adopter des résolutions sur certaines
propositions d'actes communautaires, ne disposant pas d'un délai
suffisant pour se prononcer. Dans les premiers mois d'application de la
procédure, nombre de propositions d'actes communautaires ont
été adoptées avant même leur dépôt sur
le bureau du Sénat ou quelques jours après. Dans certains cas, le
Sénat a entamé la procédure conduisant à l'adoption
de résolutions, mais à dû l'interrompre compte tenu de
l'état d'avancement du processus communautaire de décision.
La différence entre le nombre de propositions de résolution (89)
et le nombre de résolutions (45) s'explique elle aussi partiellement par
cette impossibilité de conduire à son terme la procédure,
faute de temps. Par ailleurs, certaines propositions d'actes communautaires ont
donné lieu à plusieurs propositions de résolution qui ont
fait l'objet d'une instruction commune et ont conduit à l'adoption d'une
seule résolution. Enfin, certaines propositions de résolution
n'ont pas été instruites par la commission permanente
compétente.
Parmi les 45 résolutions adoptées par le Sénat, on
constate que 25 l'ont été après intervention de la
commission des affaires économiques et du plan, qui devance largement
toutes les autres commissions permanentes dans la mise en oeuvre de l'article
88-4. Cette prépondérance de la commission des affaires
économiques témoigne de la place encore dominante des questions
économiques dans l'activité normative de la Communauté
européenne.
La commission des finances a pour sa part rapporté huit des
résolutions adoptées par le Sénat, la commission des lois
cinq, la commission des affaires culturelles trois, la commission des affaires
sociales deux et la commission des affaires étrangères deux
également. Il convient de noter que le transfert prévu par le
traité d'Amsterdam de certaines matières appartenant
jusqu'à présent au troisième pilier de l'Union (asile,
immigration) dans le premier pilier, devrait conduire à augmenter le
nombre de propositions d'actes communautaires entrant dans les
compétences de la commission des lois.
Ces quarante-cinq résolutions ont permis au Sénat d'exprimer sa
position sur des sujets très divers, tels que les instruments de
défense commerciale de la Communauté européenne, le droit
de vote et d'éligibilité des ressortissants communautaires aux
élections municipales, les organisations communes de marché des
produits agricoles, mais aussi les marchés publics ou l'ouverture
à la concurrence de secteurs où existent des missions de service
public (énergie, poste, télécommunications, transport).
Ces résolutions ont souvent été l'occasion pour le
Sénat d'exprimer son souhait que soit respecté l'équilibre
institutionnel existant entre le Conseil de l'Union européenne, la
Commission européenne et le Parlement européen. De même, le
Sénat s'est montré vigilant à l'égard du partage
des compétences entre la Communauté et ses Etats membres et s'est
montré soucieux de voir pleinement appliqué le principe de
subsidiarité.
Les 18 résolutions adoptées en séance publique ont permis
d'ouvrir un débat dépassant le cadre de la
délégation et de la commission permanente saisie au fond.
L'article 88-4 a ainsi permis un dialogue au sein du Sénat sur des
textes communautaires posant des problèmes de principe importants. Ce
fut par exemple le cas de la proposition de révision de la directive
dite " télévision sans frontière ", qui pose le
problème de la défense de l'identité culturelle
européenne.
Dans la proposition de résolution qu'il a déposée sur
cette proposition de directive, M. Adrien GOUTEYRON a rappelé qu'en
1989, lors de l'adoption de la première directive
" télévision sans frontière ", il avait dû
recourir à la procédure de la question orale avec débat
afin de provoquer une discussion sur ce texte au Sénat
(2(
*
)).
L'article 88-4 a donc comblé un
manque réel dans le contrôle parlementaire sur le Gouvernement
puisqu'il permet à la fois un débat et un vote sur un texte
à l'égard des propositions communautaires.
Il convient d'indiquer que le Gouvernement s'est constamment appliqué
à faciliter la tâche du Sénat dans la mise en oeuvre de
l'article 88-4. Par l'intermédiaire du SGCI (Secrétariat
général du comité interministériel pour les
questions de coopération économique européenne), le
Sénat a pu être pleinement informé de l'évolution
des négociations sur les propositions qui lui ont été
soumises. Le Gouvernement a en outre participé activement aux
débats en séance publique sur les résolutions.
L'inscription à l'ordre du jour du Sénat de ces
résolutions s'est dans l'ensemble effectuée sans
difficulté. Soucieux de respecter une compétence parlementaire
qui relève du contrôle et non de l'activité
législative, le Gouvernement n'a qu'exceptionnellement fait usage du
droit d'amendement que lui reconnaît le règlement du Sénat,
tant en séance publique qu'en commission.
Enfin, le ministre des affaires européennes, entendu
régulièrement par la Délégation, a toujours
accepté d'évoquer à la demande de la
Délégation telle ou telle proposition d'acte communautaire posant
des difficultés particulières. Cette disponibilité du
ministre des affaires européennes s'est encore renforcée pendant
les travaux de la Conférence intergouvernementale chargée de
modifier le traité sur l'Union européenne. Pour la
Délégation, cette Conférence a été
l'occasion de plaider pour une reconnaissance dans le traité
lui-même du droit des parlements nationaux de prendre position sur les
propositions d'actes communautaires. Il s'agissait en particulier de
résoudre le problème du délai utile laissé aux
parlements nationaux pour se prononcer sur les propositions communautaires. Le
ministre des affaires européennes a informé chaque mois la
délégation de l'évolution des négociations au sein
de la Conférence intergouvernementale et s'est fait l'écho, au
sein de cette Conférence, des préoccupations des parlementaires
en ce qui concerne l'implication des parlements nationaux dans
l'élaboration de la législation communautaire.
L'article 88-4 a donc permis une meilleure prise de conscience par les
parlementaires de l'étendue de la législation communautaire ; il
a offert au Sénat la possibilité de prendre position sur les
propositions les plus importantes après un débat approfondi et a
conduit à une coopération sans précédent entre le
Gouvernement et le Sénat en matière européenne.
Un tel
bilan est loin d'être négligeable. Il ne peut cependant masquer
des difficultés sérieuses auxquelles n'ont été
apportées que des réponses imparfaites
.