CHAPITRE II
QUESTIONS POUR L'ÉCONOMIE EUROPÉENNE
Un scénario de l'
économie mondiale
à l'horizon 2005, élaboré à l'aide du modèle
multinational MIMOSA, a été présenté lors du
Colloque organisé au Sénat par votre Délégation le
20 mars 1997
11(
*
)
.
Un point marquant en est la faiblesse de la croissance à moyen terme
dans les pays européens. En effet, après une reprise cyclique
brève et d'ampleur modérée (+ 2,3 % de
croissance en 1997 et + 2,8 % en 1998), l'Union européenne
rejoindrait un sentier de croissance faible, autour de 2 % par an en
moyenne sur la période 1999-2005. Ainsi, en tenant compte des
évolutions enregistrées de 1990 à 1996, la croissance
annuelle moyenne des économies européennes sur la période
1990-2005 (+ 1,9 %) serait inférieure à sa
tendance
séculaire
.
Cette inflexion, à la fois durable et marquée, du rythme de la
croissance en Europe, alors que celle-ci se caractérise par ailleurs par
l'amélioration de certaines données macroéconomiques
fondamentales (bas niveau d'inflation, redressement de la santé
financière des entreprises, accumulation d'excédents
extérieurs), conduit à s'interroger sur les hypothèses qui
ont présidé à la réalisation de la projection
MIMOSA.
C'est pourquoi il a été demandé aux économistes en
charge de ce modèle de réaliser deux variantes autour de ce
scénario central :
· la première est une variante de
politique
économique
, qui simule l'impact de
politiques
budgétaires
qui, tout en respectant l'objectif de moyen terme de
réduction des déficits publics, seraient orientées dans un
sens plus favorable à la croissance ;
· la seconde est une variante d'
aléa
, qui évalue les
conséquences pour la croissance européenne d'une
modification
des parités
, vis-à-vis du reste du monde, des monnaies
participant au Système monétaire européen (et, à
terme, de l'euro).
Les résultats détaillés de ces simulations étant
présentés dans
l'Annexe n° 2
à ce
rapport, votre Rapporteur se contentera ci-dessous d'en présenter les
principales conclusions ainsi que les réflexions qui lui paraissent
pouvoir en être tirées.
I. LES POLITIQUES BUDGÉTAIRES
A. UNE VARIANTE DE BAISSE DES COTISATIONS SOCIALES DES SALARIÉS
Le scénario central réalisé à
l'aide du modèle MIMOSA retient l'hypothèse de la poursuite des
politiques d'assainissement budgétaire menées en Europe en
réaction à l'importante dégradation des soldes publics au
cours de la période 1991-1993. Celles-ci obéissent à la
fois à la nécessité de stabiliser les taux
d'
endettement
public (mesurés en pourcentage du PIB) et à
l'objectif de convergence budgétaire fixé par le Traité de
Maastricht.
On constate toutefois dans cette projection que les résultats obtenus en
termes de réduction des déficits publics sont notablement
inférieurs aux objectifs visés : la réduction
ex
post
des déficits publics (c'est-à-dire les
résultats
découlant des enchaînements décrits
par le modèle) est inférieure à l'évaluation faite
ex ante
de l'effort de redressement simulé dans le
scénario.
Ainsi, en Allemagne et en France, où les efforts de réduction des
déficits représentent 0,5 % du PIB, l'amélioration
à terme du solde public n'est que de 0,2 % du PIB. De même,
l'Italie réalise un effort d'ajustement budgétaire
équivalent à 2 % du PIB mais ne réduit à terme
son déficit que de 0,9 % du PIB.
En effet, la
baisse de l'activité
économique en Europe
induite par les politiques de redressement des finances publiques est d'autant
plus forte que celles-ci sont concomitantes : en retour, cette baisse de
l'activité obère les résultats des efforts mis en
œuvre et le solde public ne s'améliore pas autant
qu'espéré.
La variante présentée ci-dessous simule ainsi l'impact de
politiques budgétaires
a priori
moins restrictives en Europe,
afin d'observer notamment l'impact qu'elles auraient sur les soldes
budgétaires
ex post
.
La mesure analysée consiste en une
baisse des cotisations sociales
à la charge des salariés
, équivalente à
1 % du PIB dans tous les pays d'Europe, sans qu'aucune mesure de
compensation ne soit introduite
ex ante
pour compenser l'impact de la
mesure sur les déficits publics.
La variante retient l'hypothèse - conforme aux observations faites
sur le passé - que la baisse des cotisations salariés
entraîne une augmentation du même montant des salaires nets. Le
salaire net moyen augmente ainsi de 1,7 %. Le salaire brut étant
inchangé, la mesure n'a pas d'incidence sur le
coût du
travail
.
La mesure entraîne donc une augmentation du pouvoir d'achat des
ménages, de la consommation et de l'investissement logement des
ménages. Le modèle décrit ainsi une
accélération de la croissance en Europe, dont l'ampleur
dépend de la réaction des autorités monétaires.
Deux simulations ont ainsi été réalisées,
correspondant à deux hypothèses sur le comportement des banques
centrales européennes, ou de la Banque Centrale Européenne,
après l'unification monétaire.
· La première simulation suppose l'
absence de réaction
des autorités monétaires
face à la politique
budgétaire de relance de l'activité.
Sous cette hypothèse, le taux de
croissance
en Europe est
supérieur de
1,2 point par an pendant trois ans
au taux de
croissance dans le scénario de référence. Au terme de ces
trois années, la mesure n'a plus d'incidence sur le
taux de
croissance
, mais le
niveau
du PIB reste durablement supérieur
à celui du compte de référence (de 2,8 % au bout de
cinq ans).
Le
taux de chômage
baisse d'un
demi-point
chaque
année les trois premières années, et reste durablement
inférieur à celui du compte de référence (de
1,5 point au bout de cinq ans).
Enfin, les
déficits publics
en Europe s'accroissent d'un montant
équivalent à 0,6 % du PIB la première année,
consécutivement à la baisse des cotisations sociales. Par la
suite toutefois, l'accélération de l'activité
améliore les rentrées fiscales, de sorte que l'impact
ex
post
de la mesure sur le solde public est
positif
dès la
troisième année : le déficit public se réduit d'un
montant équivalent à 0,4 % du PIB par rapport au compte
central.
A court terme, le niveau des
prix
en Europe n'est pas affecté par
cette mesure. Par la suite, la hausse de l'inflation atteint 1 point par
an entre la deuxième et la cinquième année. Dans le
modèle MIMOSA en effet, comme dans la plupart des modèles
macroéconomiques, l'évolution des salaires est une fonction
inverse de la variation du chômage (relation dite de
" Phillips "). Ceci repose sur le constat empirique qu'une
baisse
(augmentation) du chômage renforce (atténue) les revendications
des salariés.
IMPACT D'UNE BAISSE DE 1 % DU PIB DES COTISATIONS
DES SALARIÉS EN EUROPE
TAUX D'INTÉRÊT
INCHANGÉS
Année |
1ère |
3ème |
5ème |
PIB
(1)
Union européenne dont : France Allemagne |
1,4
|
3,4
|
2,8
|
TAUX DE CHÔMAGE
(2)
Union européenne dont : France Allemagne |
- 0,4
|
- 1,5
|
- 1,5
|
SOLDE PUBLIC
(3)
Union européenne dont : France Allemagne |
- 0,6
|
+ 0,4
|
+ 0,4
|
PRIX DE LA CONSOMMATION
(1)
Union européenne dont : France Allemagne |
0,0
|
0,9
|
3,2
|
(2) Ecart en points de pourcentage par rapport au niveau du compte central.
(3) Ecart en pourcentage du PIB par rapport au niveau du compte central.
Source : Modèle MIMOSA (CEPII-OFCE).
· La deuxième simulation suppose que
les autorités
monétaires réagissent
par crainte d'une poussée
inflationniste consécutive à la mesure de relance
budgétaire. La réaction simulée correspond à celle
qui est incorporée dans le modèle MIMOSA : la Bundesbank
élève son taux d'intérêt à court terme de
0,5 point lorsque le taux de chômage baisse de 1 point et de
1,5 point lorsque l'inflation augmente de 1 point (relativement au
scénario de référence). Par ailleurs, les taux
d'intérêt à court terme des différents pays
participant au Système monétaire européen s'alignent sur
ceux de l'Allemagne (de telle sorte que la réaction serait
décrite dans les mêmes termes en régime d'union
monétaire).
Dans ces conditions, les taux d'intérêt à court terme en
Europe sont majorés de 1 point dès la deuxième
année et restent durablement supérieurs au niveau des taux
d'intérêt dans le compte de référence (de
1,1 point au bout de cinq ans). La hausse des taux d'intérêt
modère
l'impact expansionniste de la mesure de relance
budgétaire : la
croissance
s'accélère de
0,6 point par an en moyenne au cours des trois premières
années (contre 1,2 point par an dans le scénario avec des
taux d'intérêt inchangés) et le
taux de
chômage
baisse durablement de 0,8 point (contre 1,5 point
dans le scénario avec des taux d'intérêt inchangés).
Le
déficit public
est aggravé de 0,8 % du PIB la
première année, et de 0,5% du PIB les années suivantes
(alors qu'il se réduit de 0,4 % du PIB dans la simulation avec taux
d'intérêt inchangés).
Si cette simulation est moins favorable pour la croissance et le solde public,
la réaction des autorités monétaires permet
d'éviter tout supplément d'
inflation
les deux
premières années, puis de le limiter à 0,5 point par
an entre la troisième et la cinquième année.
IMPACT D'UNE BAISSE DE 1 % DU PIB DES COTISATIONS
DES SALARIÉS EN EUROPE
HAUSSE DES TAUX
D'INTÉRÊT
Année |
1ère |
3ème |
5ème |
PIB
(1)
Union européenne dont : France Allemagne |
1,1
|
1,7
|
1,6
|
TAUX DE CHÔMAGE
(2)
Union européenne dont : France Allemagne |
- 0,3
|
- 0,8
|
- 0,8
|
SOLDE PUBLIC
(3)
Union européenne dont : France Allemagne |
- 0,8
|
- 0,5
|
- 0,6
|
PRIX DE LA CONSOMMATION
(1)
Union européenne dont : France Allemagne |
- 0,1
|
0,2
|
1,2
|
TAUX D'INTÉRÊT
(2)
Union européenne |
0,4 |
1,2 |
1,1 |
(2) Ecart en points de pourcentage par rapport au niveau du compte central.
(3) Ecart en pourcentage du PIB par rapport au niveau du compte central.
Il ressort de ces deux simulations que l'impact d'un
allégement des cotisations des salariés en Europe dépend
autant de l'ampleur de la poussée inflationniste suscitée par
cette mesure que de la réaction des autorités monétaires.
Les auteurs de ces simulations soulignent toutefois que cette mesure ne
porterait pas "
le taux d'inflation européen au-delà de
3 % à l'horizon 2005, compte tenu de la désinflation
tendancielle sous-jacente dans le compte central
" et
"
que
les Banques centrales pourraient être plus accommodantes que normalement
dans la mesure où le taux d'inflation est inférieur à leur
objectif
". Ils concluent : "
Ceci conduit à
renforcer
la probabilité du premier scénario où les Banques
centrales n'augmentent pas leur taux d'intérêt
".
Si l'on accepte cette analyse, la mesure d'allégement des cotisations
salariés aurait, au moins sur les
trois premières
années
, un impact proche de celui que décrit la variante
à taux d'intérêt fixes (accélération de la
croissance de 1,2 point par an, baisse du taux de chômage de
1,5 point, sans coût pour les finances publiques au bout de trois
ans grâce à l'amélioration de l'activité).