II. UN CADRE RÉGLEMENTAIRE EUROPÉEN EN PLEINE ÉVOLUTION
Le secteur postal est vital pour beaucoup d'activités
économiques et contribue fortement à la qualité des
relations sociales. S'appuyant sur cette évidence, d'aucuns ont
longtemps considéré qu'en ce domaine, une action
coordonnée des Etats membres de l'Union européenne s'imposait,
notamment en raison des disparités enregistrées dans la
qualité de leurs services postaux. Selon eux, à défaut
d'une telle action, le bon fonctionnement du marché intérieur
postal ne se trouverait pas assuré, le fossé existant entre ces
services postaux -notamment entre ceux du Nord et ceux du Sud- ne pouvant que
se creuser.
De fait, dans ce secteur, la définition des missions
d'intérêt général confiées aux
opérateurs se recouvrent peu souvent quand elles existent, et sont
même, surtout dans les pays du Sud de l'Union, rarement définies
par les législations nationales. En outre, assez fréquemment dans
ces derniers pays, les zones urbaines défavorisées et les
régions rurales ne se trouvent pas très bien desservies par les
services postaux.
C'est pourquoi beaucoup jugent que le manque d'harmonisation en ce domaine ne
peut que nuire aux échanges intra-communautaires et pénaliser la
productivité globale de l'économie européenne.
Tous ces éléments, et le fait qu'en l'absence de
réglementation communautaire, le marché postal européen
eût pu, à terme, se trouver placé sous la seule
férule des lois du marché, permettent de comprendre que -dans la
deuxième année du second septennat de M. François
Mitterrand- la présidence française ait lancé, en 1989, la
rédaction d'un " Livre vert " sur le développement du
marché unique des services postaux.
Mais, si aujourd'hui le processus enclenché est en passe d'aboutir
à des solutions raisonnables, il s'en est fallu de peu qu'il
n'entraîne La Poste française sur une pente dangereuse.
A. UN DÉRAPAGE INFERNAL DU PROCESSUS, ENRAYÉ DE JUSTESSE
La Commission européenne a publié le Livre vert
postal en 1992. Le 7 février 1994, le Conseil des ministres a alors
adopté une résolution invitant la Commission à promouvoir
un service universel dans le domaine des postes. C'est ainsi que la Commission
a présenté,
le 13 juin 1995, une proposition de
directive
en ce sens.
C'est à ce moment qu'il est apparu au grand jour qu'un consensus sur la
nécessité de faire évoluer le cadre réglementaire
ne signifiait pas nécessairement accord sur le degré d'ouverture
à la concurrence du marché postal.
Dans sa rédaction initiale, cette proposition était, en effet,
d'inspiration très libérale, en raison de la pression active
d'une majorité d'États membres qui, épousant les
thèses néerlandaises et anglaises, souhaitaient obtenir
rapidement la libéralisation du publipostage et du courrier
transfrontalier sortant et, à compter du
31 décembre 2000, celle du courrier transfrontalier entrant.
Le publipostage peut être défini comme un objet de correspondance
constitué du même message envoyé à un nombre
significatif d'adresses à des fins publicitaires ou de marketing.
Le courrier transfrontalier est constitué par les envois postaux
provenant des pays étrangers ou qui leur sont destinés. On
distingue, dans cet ensemble, les envois postés dans le pays et
expédiés à l'étranger (courrier
transfrontière sortant) et les envois postés à
l'étranger et acheminés à son destinataire qui se trouve
sur le sol national (courrier transfrontière entrant).
Or, en cas d'ouverture à la concurrence du publipostage, La Poste
risquait de perdre non seulement des parts de marché sur ce secteur
proprement dit, mais également la clientèle des grandes
entreprises ou des banques, dans la mesure où il s'avère de facto
impossible de faire la différence entre des messages
personnalisés et des messages publipostés.
Par ailleurs, la libéralisation du courrier transfrontalier sortant ne
pouvait être envisagée avant que le problème des frais
terminaux trouve une solution satisfaisante, pour éviter les
détournements de trafic qu'entraîne la pratique du repostage. La
libéralisation du courrier transfrontalier entrant aurait, quant
à elle, entraîné des détournements de trafic et
créé de facto une brèche dans le monopole
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)
.
Conscients de ces dangers, mais isolés à Bruxelles, les pouvoirs
publics français, et tout particulièrement
M. François
Fillon
alors ministre délégué à La Poste, aux
télécommunications et à l'espace, se sont battus " le
dos au mur " pour empêcher l'adoption d'une directive, qui risquait
mécaniquement de mettre en péril l'avenir de La Poste
française.
C'est au Président de la République, sachons le
reconnaître et lui en rendre hommage, que nous devons d'avoir
donné à notre Poste du temps pour s'adapter. Il l'a ainsi
préservée des conséquences d'une exposition rapide
à une forte concurrence qui, eu égard à son actuel
état de préparation, l'aurait gravement menacée.
Car, soyons nets, telle qu'elle était rédigée en
juin 1995, cette proposition de directive aurait pu porter en germe la
" chronique d'une mort annoncée " de notre opérateur
national.
Or, en décembre 1996, après six mois de négociations
intergouvernementales infructueuses, M. Jacques Chirac a, obtenu
" à l'arraché " un compromis avec le Chancelier
allemand, M. Helmut Kohl, au sommet de Dublin. Cet accord, appelé
"
Compromis de Dublin
", prévoit de maintenir le
publipostage et le courrier transfrontalier sortant sous monopole jusqu'en 2001
au minimum. Il a été traduit dans la position commune
adoptée le 18 décembre 1996 par le Conseil des ministres
européens.
La Commission européenne, non sans un certain regret, a donc
été amenée à réviser sa proposition de
directive, afin d'organiser une ouverture moins large et plus progressive du
marché postal à la concurrence.