b) Le poids du facteur social
A la suite de ce qui peut être qualifié d'erreurs
de gestion, la poste américaine se trouve confrontée à une
quasi-absence de maîtrise de ses coûts de production, dont les
coûts salariaux représentent plus de 80 %.
En effet, adhérant en grand nombre (à près de 85 %)
à des syndicats qui sont de ce fait socialement puissants et
politiquement très influents, les fonctionnaires de la poste (qui
représentent 85 % de ses personnels) bénéficient d'un
statut très protecteur
et perçoivent des
salaires de 30
% supérieurs en moyenne à ceux du secteur privé.
Cette
dérive des salaires
date de 1971, année de la
première négociation collective ayant suivi la réforme de
1970. Les textes avaient prévu que les salaires des postiers seraient
"
comparables à ceux du secteur privé
. "
L'idée était de les ajuster sur les salaires des employés
du secteur privé exerçant les mêmes fonctions. Cependant
le
Post master
général
de l'époque a
accepté d'interpréter très favorablement cette clause, en
alignant les salaires des postiers sur ceux d'autres industries sans aucun lien
avec le métier postal, mais où les personnels étaient
fortement syndiqués et généreusement payés.
Il en résulte qu'avec un salaire moyen de 45.000 dollars par an, un
nouvel entrant à la poste voit son salaire augmenter très
sensiblement.
La responsabilité de cette situation est en réalité
collective, dans la mesure où, pour sortir du conflit existant entre la
direction de la poste et les syndicats, les clients de l'USPS eux-mêmes
ont poussé le
Postmater general
à accepter une
interprétation aussi généreuse.
De même, le
système de retraites
est-il
particulièrement coûteux
pour l'USPS.
Dans le même état d'esprit, la direction de la poste a
accepté
d'employer des fonctionnaires au lieu de contractuels
,
dans le vain espoir d'améliorer ses relations avec les syndicats.
Le
General accounting office
(GAO), agence d'audit indépendante
du Congrès américain, a estimé que cette décision
avait entraîné un coût supplémentaire de
174 millions de dollars par an.
Il est vrai que la substitution, en 1993, de plus de 33.500 postes de
fonctionnaires -par mise en retraite anticipée de nombreux cadres- par
30.000 emplois de contractuels, a entraîné des
dysfonctionnements dans l'organisation des services. Par la suite, en 1994,
l'USPS a procédé à l'embauche de
37.000 fonctionnaires. De tels " coups d'accordéon " ne
vont pas dans le sens d'une saine gestion des effectifs.
La deuxième racine du problème de la gestion sociale à
l'USPS date également de 1971, le
Congrès
-pour obtenir
l'accord des syndicats sur la réforme-
ayant imposé à
la poste un
arbitrage extérieur
lorsque les
négociations avec les syndicats n'aboutissent pas.
A cet égard, rappelons que, comme tous les employés
fédéraux fonctionnaires d'Etat,
les employés de l'USPS
n'ont pas le droit de grève qui est considéré comme
incompatible avec le service universel
.
Illustration frappante du statut hybride de l'USPS, celle-ci doit à la
fois respecter les droits de fonctionnaires, mais aussi certains droits
(à l'exception du droit de grève) des employés du secteur
privé.
Elle est ainsi la seule entité de l'Etat devant
appliquer le droit de la négociation collective applicable aux
entreprises privées, comme Ford ou General Motors
. En effet,
rappelons que, les conditions de travail, les salaires, etc. font l'objet de
négociations et conventions collectives tous les trois à quatre
ans. Ces négociations ont lieu séparément avec chacun des
quatre syndicats d'employés qui sont organisés sur une base
corporative : le syndicat des facteurs (
National Association of Letter
Carriers
246(
*
)
), le syndicat
des travailleurs postaux-trieurs et guichetiers (
American Postal Workers
Union
), le syndicat des facteurs ruraux (
Rural Letter Carriers
Association
), le syndicat des manutentionnaires du courrier (
National
Postal Mail Handlers Union
).
Les cadres ne disposent pas de syndicats en tant que tels mais peuvent se
regrouper dans des associations ou amicales. On distingue parmi ces
associations, celle des cadres, celle des receveurs de grands bureaux et celle
des receveurs de bureaux de moindre importance.
Par conséquent, lorsque le syndicat concerné et l'USPS ne peuvent
parvenir à un accord, il est fait appel à un arbitrage
extérieur qui généralement s'efforce de parvenir à
une solution médiane entre les positions du syndicat et celles de l'USPS.
Le médiateur est une personnalité reconnue et neutre à
l'égard des intérêts en présence. Deux autres
arbitres sont nommés respectivement par la direction de la poste et par
les syndicats.
Il s'agit d'un
processus très conservateur
, qui ne permet pas de
mettre en oeuvre des modifications novatrices dans le système postal,
ceci d'autant plus que le médiateur professionnel, dont la
carrière est en jeu, n'est pas incité à prendre de risques.
Ce dispositif n'encourage pas non plus les parties en présence
à négocier
et, sur les douze grandes négociations
menées à la poste depuis 1971, le recours à l'arbitrage a
été quasi constant.
M. Fattah, représentant démocrate de Pennsylvanie, que votre
rapporteur a rencontré au cours de sa mission aux Etats-Unis, a
été très clair sur ce sujet en déclarant :
" L'arbitrage a gelé tout enthousiasme pour les
négociations ".
Si cet arbitrage obligatoire permet de maintenir la paix sociale dans
l'entreprise,
il a pour inconvénient majeur de
déposséder la direction de décisions majeures, concernant
notamment le niveau des salaires et des retraites.
Ces décisions sont en effet, prises par un tiers qui n'en assume aucune
des conséquences et auquel n'incombe aucune autre responsabilité
que celle de sa médiation.
La poste américaine se trouve par conséquent prisonnière
d'une situation où elle ne maîtrise pas davantage ses coûts
que ses recettes et où une part importante de ses augmentations de
recettes est nécessitée par le financement de ses coûts
salariaux.
Cette situation est d'autant plus handicapante pour la poste que les syndicats
américains du secteur -très puissants- apparaissent relativement
indifférents aux évolutions qui apparaissent aujourd'hui de
nature à menacer les positions de l'USPS et peu disposés à
accepter certaines des adaptations que la direction de l'entreprise juge
indispensables pour être en mesure de faire face à ces
évolutions.
C'est ainsi que l'USPS a mis en oeuvre
un système
d'intéressement
depuis quelques années, notamment à
l'intention des cadres, mais aussi, depuis 1996, des cadres
intermédiaires et des receveurs, qui a un impact positif au niveau de la
qualité de service et des coûts d'exploitation. Cependant,
hostiles à toute idée de participation et d'incitations
financières, les syndicats les plus importants se sont opposés
à des expérimentations en la matière, notamment à
l'égard des employés.
Par maints aspects, La poste américaine apparaît donc
obéir à une logique d'inertie " bureaucratique ", alors
même qu'elle est confrontée à un environnement en pleine
mutation du fait notamment de l'irruption de concurrents
particulièrement dynamiques.