2. La respiration du réseau ou " Mermoz libéré "
a) Laisser vivre le réseau
" En France, dans le mot moratoire, n'y-a-t-il
pas le
son mort ?
" s'étonnait un francophone rencontré,
à l'étranger, dans le cadre de la mission.
Et, il est vrai que sur les terres gelées rien ne pousse !
Faire vivre le réseau de La Poste suppose donc de lui permettre de
respirer, de renouveler ses cellules.
C'est d'autant plus important que comme l'a fort pertinemment fait remarquer M.
Louis Minetti
,
Sénateur des Bouches-du-Rhône
164(
*
)
,
les départements
ruraux ne sont pas les seuls à avoir besoin de La Poste ; les grandes
agglomérations ressentent parfois cruellement la faiblesse de la
présence postale.
Or, nous l'avons vu, La Poste si utile dans les zones urbaines
défavorisées n'est pas installée dans toutes et même
dans celles où elle a ouvert des guichets, ceux-ci sont souvent
sous-équipés
165(
*
)
. En outre,
certaines zones
périurbaines ne rencontrant pas de difficultés
particulières, voire des zones rurales en développement, se
trouvent aujourd'hui dépourvues de moyens postaux adaptés
à leurs besoins.
Faire respirer le réseau de La Poste, c'est donc tout simplement lui
reconnaître le droit de se développer, de manière
concertée, vers ces zones où ses " pseudopodes " sont
attendus par les populations.
Encore convient-il, bien entendu, que les choix effectués profitent
également aux territoires ruraux fragiles. Ceci est possible si on
décline
la stratégie de rénovation du réseau
postal autour de trois axes : valoriser le réseau immobilier,
développer le service postal mobile, multiplier les canaux de contact
avec la clientèle en nouant des partenariats.
b) Valoriser le réseau immobilier
(1) Recenser les besoins
Dans le département de la Creuse, il existe
130 points de contact postaux dont, à en croire un document
publié conjointement par le Conseil général, la
préfecture et la direction départementale de La Poste, aucun
n'est
" rentable ou potentiellement rentable ".
Faut-il pour
autant les abandonner ? Certes non ! Faut-il les laisser en
l'état ? Pas plus, car leur faible rentabilité actuelle
révèle qu'ils contribuent encore insuffisamment au
développement du département.
La démarche
166(
*
)
entreprise par les trois partenaires précités a consisté
à
commencer par
enquêter sur les besoins de la
population. Puis, ils ont cherché à définir les actions
qui pourraient être assumées par La Poste pour répondre
à ces besoins ; l'objectif poursuivi est de
reconfigurer le
réseau postal en zone rurale (40 % du territoire creusois) à
l'aide de projets innovants de diversification présentant de fortes
probabilités d'impact positif sur le territoire.
Ce schéma inverse la perspective adoptée jusqu'à
présent et qui, partant de l'offre de services existante, se structurait
autour d'une logique administrative tendant naturellement à reproduire
les cloisonnements. La plupart du temps, une telle approche avait pour
résultat une persistance des divisions institutionnelles qui
aboutissaient à un dépérissement de tous dans l'isolement.
Dans la conception creusoise,
l'homme et le territoire sont placés au
centre de la démarche, à charge pour les services publics de
s'adapter pour les satisfaire
. Ceci amène, par exemple, à
poser le problème de l'isolement et à rechercher les
modalités de transport les mieux adaptées pour y remédier
fût-ce en ne recourant pas à des infrastructures nationales, alors
qu'avec les méthodes employées antérieurement on
s'efforçait d'imaginer comment la SNCF pouvait intervenir.
Cette inversion de perspective conduit d'ailleurs naturellement à poser
les questions en termes d'intercommunalité et à renforcer la
coopération locale.
C'est la généralisation de telles attitudes que
préconise le présent rapport.
(2) Faire du guichet le point d'appui de démarches commerciales à domicile
Pourquoi ouvrir toute la journée des points postaux qui
travaillent moins de trois heures par jour ? Ne pourrait-on pas envisager
de limiter leur ouverture à la matinée ou à
l'après-midi ? La demi-journée ainsi libérée
laisserait au préposé la possibilité soit d'aller animer
une autre antenne postale, soit d'effectuer de la prospection de
clientèle ou du conseil financier à domicile.
Pour reprendre l'expression d'un directeur de groupement postal
rencontré par votre rapporteur lors de son déplacement en
Haute-Loire : "
Que ne laisse-t-on le chef d'établissement
s'organiser comme un médecin de campagne : un temps pour les
opérations postales ; un temps pour la prospection commerciale au
domicile des clients !
".
En bref, quel est l'intérêt d'appliquer partout le même
schéma rigide, alors que la modernisation de la présence postale
demande d'abord de l'imagination et des solutions pragmatiques ?
(3) Imaginer de nouveaux partenariats publics : repenser la polyvalence en la fondant sur un partage des coûts
Proposée en 1979
167(
*
)
et mise en oeuvre la même
année
168(
*
)
, la
"
polyvalence administrative
" consiste à faire du
bureau de poste l'instrument du maintien des services publics disparus dans les
milieux ruraux.
La densité du réseau postal et le fait que les receveurs sont
habilités à effectuer des opérations extra-postales telles
que le paiement des pensions militaires étaient les principales raisons
de ce choix.
Cependant, après un engouement prometteur, la polyvalence a rapidement
régressé tant du point de vue des départements qui la
pratiquent que des opérations effectuées. Aujourd'hui, environ
800 bureaux de poste ont des activités de ce type, mais 90 %
des opérations portent sur la seule vente des vignettes auto qui
s'effectue sur une période très courte de l'année, tandis
que le trafic généré par les autres opérations
reste faible. Au total, le montant des ventes de produits liés à
la polyvalence administrative était de l'ordre de
140 millions
de francs en 1995.
Les raisons de l'échec relatif de la polyvalence administrative sont
multiples. La Poste porte la responsabilité de l'arrêt de
certaines opérations, souvent parce qu'elle estimait être mal
rémunérée. De leur côté, les administrations
et les organismes publics et parapublics lui préfèrent parfois
d'autres solutions : le ministère de l'Économie et des
Finances, en application d'accords préexistants, privilégie la
diffusion de ses produits par le réseau des débitants de tabac,
plus dense et dont les horaires d'ouverture sont plus larges ; les
Fédérations de chasseurs ont des liens avec le Crédit
Agricole qui assure gratuitement la vente des timbres
cynégétiques ; le ministère de l'Intérieur,
comme l'ANPE, ont réduit rapidement leurs actions de polyvalence avec La
Poste, estimant que celle-ci est moins bien placée que les mairies pour
offrir ce service.
Par ailleurs, tant la mobilité plus grande des populations que les
évolutions technologiques permettant un accès direct à un
très grand nombre de services et d'information, ont réduit la
portée de la polyvalence.
Surtout, la polyvalence administrative n'a pas atteint l'objectif premier qui
lui était assigné et qui consistait à revitaliser le
milieu rural et à réactiver les petits bureaux ruraux, puisque
seulement 200 de ces bureaux, sur plus de 10.000 potentiellement
concernés, la mettent en oeuvre !
Il n'en demeure pas moins que si l'idée ne peut à elle seule
revaloriser le réseau immobilier de La Poste, certaines de ses
déclinaisons modernes pourraient y contribuer.
Il s'agirait de
rechercher non plus seulement la concentration de plusieurs activités
administratives sur un point postal, mais le partage du coût d'entretien
d'un point postal par les divers services publics pouvant s'y appuyer pour
améliorer l'efficacité de leur action.
On ne se limiterait
plus à faire du postier le représentant d'autres acteurs
administratifs, on ferait du bureau de poste le point d'ancrage immobilier
où se retrouveraient les agents des autres services publics de
proximité. Les points publics en milieu rural et les maisons des
services publics constituent autant d'initiatives qui vont en ce sens.
Encourageons donc leur développement !
Les
points publics en milieu rural
existent réellement depuis
1992 et ont été officialisés lors du comité
interministériel de développement et d'aménagement rural
(CIDAR) du 30 juin 1994.
Un point public
169(
*
)
est
défini comme "
une opération qui vise à assurer la
présence et l'accessibilité des services publics sur le
territoire, grâce à une coopération inter-services et
à la mise en commun de moyens. Un point public doit promouvoir en un
même lieu et au sein de structures polyvalentes les actions
suivantes : accueil, renseignement, orientation, documentation, assistance
à la constitution et à la réception de dossier,
organisation de permanences pour la délivrance directe de
prestations.
".
UN EXEMPLE : LE POINT PUBLIC DE BEAUFORT-SUR-GERVANNE (DRÔME)
Ce point public a été initié par la
commune de Beaufort-sur-Gervanne qui a su mobiliser les sept communes de la
Vallée (900 habitants) et différents partenaires :
services fiscaux, département, région, ANPE, caisse primaire
d'assurance maladie, Mutualité sociale agricole, France
Télécom, EDF, GDF et La Poste.
C'est La Poste qui est l'opérateur de ce point public
pour le
compte des neuf partenaires. Le receveur a été formé
pour réaliser des prestations de premier niveau (information,
transmission de dossier) pour d'autres services. La formation est prise en
charge par le délégant.
Ce point public est intégré à un programme global de
développement (avec des crédits européens, FISAC...) et se
situe dans un local rénové face à un multiple rural, un
syndicat d'initiative, les bureaux de la mairie, un futur cabinet
médical ou l'école maternelle (80 enfants). Il peut donner
des informations, renseignements sur les domaines d'activités des
partenaires. Des permanences spécialisées sont effectuées
par des agents des services publics. D'autres projets, comme l'ouverture d'une
station-service avec l'aide du Comité professionnel de distributeurs de
carburants, sont envisagés.
Les
maisons des services publics
ont été
créées, dès 1996, dans une dizaine de départements,
à l'initiative des préfets
170(
*
)
. Ces structures ont pour objectif de
répondre aux besoins et attentes des citoyens qui souhaitent
bénéficier d'une présence plus proche et d'une plus grande
polyvalence des services publics, aussi bien en zone rurale que dans les
quartiers urbains périphériques.
Ainsi, ces " maisons " ont vocation à regrouper des services
d'information, de délivrance de documents, voire de traitement des
demandes, le cas échéant à l'aide du
télétravail. Il peut s'agir tant des services sociaux (Caisse
d'allocations familiales, Direction départementale des Affaires
sanitaires et sociales, Caisse primaire d'assurance maladie, ASSEDIC, ANPE,
mission RMI...) que des services fiscaux, de la direction de
l'équipement, de l'EDF, voire de la protection judiciaire de la jeunesse
ou des services du ministère de la justice.
41 projets concernant la création de maisons des services publics ont
été retenus en 1996. Ils portent soit sur l'ouverture de tels
organismes, soit sur des études préalables à
l'installation de ces maisons en 1997 (27 projets).
Les maisons des services publics créées en 1996 concernent des
quartiers urbains en difficulté, par exemple à Floirac en
Gironde, où il est envisagé de réunir sur un même
site des services de l'État, de la Ville, des établissements
publics et des associations.
Le projet de loi " Perben " relatif à l'amélioration
des relations entre les administrations et le public, déposé au
cours de la précédente législature, instituait un cadre
juridique souple pour la création et la pérennisation des maisons
de service public en autorisant leur création par convention ou sous
forme d'un groupement d'intérêt public
171(
*
)
.
Il apparaîtrait regrettable que ces orientations ne soient pas, en
définitive, concrétisées.
Dans une perspective équivalente, le projet de faire du réseau
de La Poste,
un point d'accès public à Internet
et aux
services avancés de télécommunications pourrait utilement
le mettre en valeur. Le programme d'équipement en ce sens de
1.000 bureaux, actuellement poursuivi par le Gouvernement, devrait
permettre d'apprécier assez rapidement l'intérêt d'une
telle ouverture et donc de l'amplifier si -comme on peut l'espérer- elle
se révélait fructueuse.
(4) Envisager l'exercice de nouveaux métiers au guichet : s'interroger sur la polyactivité
Déjà, en zone rurale, le facteur français
ne se contente plus de délivrer les correspondances dans les fermes et
les villages : le port de repas à domicile
172(
*
)
, voire de médicaments, est
parfois entré, de son propre gré ou à la suite
d'initiatives locales, dans son aire de compétence
173(
*
)
. Ne serait-il pas avantageux
d'envisager des évolutions similaires aux guichets des zones
rurales ? Dans les quartiers urbains difficiles, les bureaux
n'accueillent-ils pas des interprètes et des écrivains
publics ? De manière bénévole, les receveurs ruraux
n'aident-ils pas déjà les contribuables à remplir leur
déclaration de revenus au mois de février ?
Ne pourrait-on pas concevoir de former les postiers du réseau à
des métiers complémentaires de leur activité de
base ? Le conseil à l'utilisation d'Internet devrait bientôt
faire partie de leurs compétences dans les 1.000 bureaux où
des terminaux adaptés vont être installés. Peut-on aller
plus loin et proposer dans des bureaux peu actifs, situés dans des
villages dépourvus de certains magasins qu'ils exercent des
activités commerciales, afin de contribuer au maintien de la vie locale
et de leur guichet ?
Il n'appartient pas de répondre à cette question dans le cadre du
présent rapport. Il ne serait toutefois sans doute pas inopportun que la
Direction de La Poste et les organisations syndicales concernées s'en
saisissent, étant bien entendu que toutes les réponses pouvant
être élaborées devront s'inscrire dans le respect des
règles de la concurrence et auraient, pour l'essentiel, à ne
s'appliquer qu'en cas de défaillance de l'initiative privée.
(5) Augmenter l'activité
Toutes ces orientations ont un socle commun qu'un des
conseillers financiers de La Poste rencontrés par votre rapporteur a
bien résumé en lui glissant en aparté :
"
Finalement, pour être fort demain, il faut
vendre
".
Cette notion, qui n'est en rien incompatible avec l'excellence du service
public postal, apparaît encore insuffisamment intégrée
à la culture professionnelle d'une grande partie des personnels, qui
reste par maints aspects toujours marquée par la force des traditions
administratives héritées de l'histoire. Pourtant,
le dynamisme
commercial est, sans nul doute, une des clefs de la réussite de La Poste
de demain et du renouveau de son réseau
.
Pour faire vivre son réseau immobilier, pour contribuer à la
renaissance des territoires fragiles, mais aussi, d'une manière plus
générale, pour affronter victorieusement les nouveaux concurrents
qui commencent à se distinguer sur sa ligne d'horizon, La Poste doit
développer ses marchés naturels et ne pas hésiter à
en imaginer d'autres.
Cependant, à l'aube du troisième millénaire, une telle
philosophie d'action ne peut s'exprimer dans le culte de comportements
économiques adoptés il y a un demi-siècle.
Pour prendre
son élan vers l'an 2000, pour ressourcer sa créativité, La
Poste doit renouer avec l'esprit de ses origines. Elle doit redevenir
" mouvement " ; elle doit retrouver la mobilité dont Mermoz
a
su être l'incarnation
.