b) Le moratoire : une précaution rendue aujourd'hui inutile par la loi ?
Se pose en outre la question de savoir si, au plan juridique,
le moratoire présente encore une utilité. En effet, quand il a
été décidé, en 1993, les fermetures postales
n'avaient à respecter aucune contrainte légale
161(
*
)
.
Tel n'est plus le cas depuis l'intervention de
la loi
n° 95-115 du 4 février 1995
d'orientation pour
l'aménagement et le développement du territoire
.
Son
article 29,
à la rédaction duquel le Sénat a
d'ailleurs très significativement contribué,
162(
*
)
soumet toute décision de ce
type à une procédure extrêmement stricte. La citation in
extenso de ce texte d'importance permet de s'en convaincre.
L'ARTICLE 29 DE LA LOI PASQUA POUR
L'AMÉNAGEMENT
ET LE DÉVELOPPEMENT DU TERRITOIRE
L'État établit, pour assurer l'égal
accès de tous au service public, les objectifs d'aménagement du
territoire et de services rendus aux usagers que doivent prendre en compte les
établissements et organismes publics ainsi que les entreprises
nationales placés sous sa tutelle et chargés d'un service public.
Les objectifs sont fixés dans les contrats de plan de ces
établissements ou organismes publics et entreprises nationales ou dans
des contrats de service public conclus à cet effet. Ceux-ci
précisent les conditions dans lesquelles l'État compense aux
établissements, organismes et entreprises publics les charges qui
résultent du présent article.
Toute décision de réorganisation ou de suppression d'un service
aux usagers par les établissements, organismes et entreprises
mentionnés à l'alinéa précédent doit, si
elle n'est pas conforme aux objectifs fixés dans les contrats de plan ou
de service public, être précédée d'une étude
d'impact. Les conseils municipaux des communes concernées, les conseils
des groupements de communes concernés et les conseillers
généraux des cantons concernés sont consultés lors
de l'élaboration de l'étude d'impact. Celle-ci apprécie
les conséquences de la suppression envisagée, d'une part, sur les
conditions d'accès au service et, d'autre part, sur l'économie
locale. Elle comprend, au minimum, une analyse de l'état du service,
l'examen des modifications qu'engendrerait le projet et les mesures
envisagées pour compenser toute conséquence dommageable. Elle
prend en compte les possibilités offertes par le
télétravail.
L'étude d'impact est communiquée au représentant de
l'État dans le département, qui recueille l'avis de la commission
mentionnée à l'article 28. Celui-ci dispose d'un
délai de deux mois pour faire part de ses observations et demander, le
cas échéant, de nouvelles mesures pour compenser ou
réduire les conséquences dommageables du projet. Les nouvelles
mesures alors adoptées ou les raisons de leur rejet sont
communiquées dans un délai de deux mois au représentant de
l'État. L'étude d'impact est transmise pour avis à la
commune du lieu d'implantation du service concerné et à toute
autre commune concernée et groupement de communes concerné qui en
fera la demande au représentant de l'État.
En cas de désaccord du représentant de l'État dans le
département à l'issue de la procédure prévue au
troisième alinéa, celui-ci saisit le ministre de tutelle de
l'établissement, organisme public ou entreprise mentionné au
premier alinéa. Ce ministre statue par une décision qui s'impose
à cet établissement, organisme public ou entreprise nationale. Sa
saisine a un effet suspensif de la décision en cause, qui devient
définitif en l'absence de réponse dans un délai de quatre
mois.
Un décret en Conseil d'État définit les modalités
d'application du présent article. Il précise notamment les
règles permettant d'assurer l'équilibre entre les obligations des
établissements, organismes et entreprises mentionnés au premier
alinéa et la compensation par l'État des charges qui en
résultent. Il fixe également les critères
spécifiques que doit respecter la décision du représentant
de l'État dans le département ou du ministre de tutelle lorsque
le projet de suppression concerne une zone prioritaire de développement
du territoire.
Jusqu'à présent, cet article 29 était
inappliqué car le décret -souhaité à
l'époque par le Gouvernement- qu'il prévoit dans son dernier
alinéa n'était pas paru.
Cependant, selon des informations convergentes portées à la
connaissance de votre rapporteur, la doctrine juridique relative à
l'interprétation de cette dernière disposition tend
désormais à considérer comme superfétatoire
l'intervention d'un décret tant la loi est précise et se suffit
à elle-même. Cet hommage implicite rendu au travail du Parlement
emporte deux possibilités d'évolution :
ou l'applicabilité directe du texte législatif est reconnue
officiellement ;
ou -ce qui n'a déjà que trop tardé- un décret,
fût-il symbolique, intervient.
Mais quelle que soit, en définitive, la solution retenue, le
mécanisme très protecteur institué par la loi
d'orientation encadrera toute décision de fermeture d'un point postal
d'animation du territoire.
Cela n'implique nullement -comme c'est le cas, en revanche, dans le cadre du
moratoire- que tout restera " gelé ". Ceci signifie
qu'aucune
réorganisation d'un service aux usagers ne pourra s'effectuer sans que
les élus locaux concernés (conseillers municipaux, conseillers
des groupements de communes, conseillers généraux) puissent peser
sur la décision définitive et donc négocier en position de
force.
Ainsi, une procédure décentralisée, fondée sur
la concertation avec les responsables de la vie locale et tout à fait
à même de permettre l'élaboration de bonnes solutions
négociées, existe aujourd'hui en droit français alors
qu'elle n'était pas instituée en 1993.
La donne ayant conduit à l'instauration du moratoire n'en est-elle pas
profondément changée ?