III. DÉVELOPPONS UNE CONCEPTION " FUTOROSCOPIQUE " DU RÉSEAU

La Poste est une entreprise de services animée par un idéal de service public, dont l'identité profonde se structure autour de la notion de mouvement. Elle est née avec les " chevaucheurs " de Louis XI, elle a grandi avec la malle-poste, elle est passée à la vitesse supérieure avec le wagon postal, elle s'est envolée avec l'Aéropostale.

Sa première mission est de faire circuler les éléments essentiels à la vie collective : l'information (les lettres), les biens (les colis), l'argent (les mandats). Par essence, elle ne peut vivre que dans la mobilité, pour la mobilité, par la mobilité .

Si, au siècle dernier, elle a développé son réseau rural, c'est au nom de cet impératif existentiel de mobilité. Elle a disséminé ses bureaux dans les campagnes, non pas pour attendre que les gens viennent à elle mais pour pouvoir aller plus vite vers eux. Il s'agissait pour elle de disposer des moyens techniques de dispenser les nouvelles dans les villages et dans les fermes isolées aussi rapidement que dans les villes.

A une époque où les facteurs se déplaçaient à pied, la seule solution viable consistait à semer, en nombre suffisant, sur le sol du pays, les bâtiments d'où ces hommes en vareuse bleue, aux gros brodequins cloutés, pourraient partir sacoches de cuir en bandoulière, pour dans la journée, partout en France, apporter à leurs concitoyens les lettres de leurs proches.

Or, à en juger par l'attitude que beaucoup adoptent aujourd'hui à l'égard de ce réseau issu des contraintes de distribution d'hier, combien d'entre nous -citoyens, élus, et même parfois postiers- perçoivent-ils encore La Poste comme une entreprise dont le mouvement est la raison d'être ? Combien d'entre nous lui prêtent-ils cette qualité que nous reconnaissons spontanément à UPS, DHL et Fedex, ces firmes étrangères ?

Le maintien en l'état du réseau de La Poste, dont le coût est si lourd, -deux fois et demie le budget de l'aménagement du territoire !- ne tend-il pas dans l'inconscient collectif à l'emporter sur le service du courrier proprement dit 157( * ) (75 % du chiffre d'affaires) comme première mission de La Poste ?

Aux yeux de ceux non avertis des réalités des territoires ruraux en déshérence, de tels comportements confinent à l'absurde ! Mermoz peut-il devenir agent immobilier ?

Et, il est vrai que l'on peut concevoir que les adeptes de la logique froide s'étonnent qu'à l'heure d'Internet, à l'aube du deuxième millénaire, les Français -ce peuple créatif qui, il y a encore peu, a inventé Concorde et le TGV- aient érigé en tabou le réseau du facteur de leurs arrières grand-mères ?

Pourtant, si aujourd'hui, le moyen (le réseau) paraît parfois être confondu avec les fins (les services), on peut le comprendre et votre rapporteur, qui a également été rapporteur de la loi " Pasqua " du 4 février 1995 pour l'aménagement et le développement du territoire, le comprend.

Si les hommes et les femmes qui peuplent les zones les moins peuplées du pays tiennent à leur bureau de poste c'est -nous l'avons vu 158( * ) - parce qu'il est souvent perçu comme l'une des dernières expressions tangibles de l'attention que leur porte la République.

Il n'en demeure pas moins que si La Poste ne peut pas faire respirer son réseau, elle risque de succomber et alors les territoires fragiles perdront leur meilleur allié. A maintenir par trop Mermoz immobilisé au sol, ne se peut-il pas qu'un jour il ne soit plus en mesure d'y apporter les messages du monde sur les " ailes du courage " ?

Le dilemme apparaît par maints aspects insoluble.

Mais n'est-il pas insoluble parce qu'il oppose deux priorités -la revitalisation des territoires d'une part, l'adaptation du réseau postal, d'autre part- qui pourraient tout à fait être conciliées ?

La solution ne réside-t-elle pas, en effet, dans une inversion radicale du regard porté sur le rôle de La Poste dans l'aménagement du territoire ? Plutôt que de continuer à en défendre une idée immobile et immobilière ne gagnerait-on pas tous à en développer une conception mobile et mobilière plus conforme en définitive à la culture entrepreneuriale de l'opérateur public ? En bref, dans les territoires ruraux en difficulté, la revitalisation ne passerait-elle pas davantage par l'investissement dans une poste de services à domicile que par la conservation à coûts élevés d'une poste de présence immobilière ?

Vain rêve, vue abstraite objectera-t-on ? Mais les réponses d'hier ont-elles jamais été les solutions de demain ?

Le Sénat saurait-il en douter, lui dont le Président a su, en dix ans, transformer l'avenir d'un département avec... une idée innovante : le Futoroscope ? Certainement pas !

Ce ne sont pas des subventions d'Etat, le maintien à grands frais de l'héritage économique du passé, la crispation sur les acquis d'hier qui ont projeté ce département dans le XXIe siècle, créé des richesses nouvelles et en ont fait un pôle d'exemplarité ! Ce sont des idées imaginatives, des équipes emportées par un élan entrepreneurial, une volonté farouche de modernité. Alors, pourquoi ne pas chercher à appliquer cette recette du succès au réseau postal ? Pourquoi ne pas chercher, partout, à aborder la réalité postale avec un regard " futuroscopique ". Pourquoi ne pas choisir résolument la voie de l'imagination et de l'anticipation des changements ?

Par peur de perdre ? Mais la lucidité ne conduit-elle pas à constater qu'à refuser de promouvoir l'innovation, tout rique d'être perdu ? Si rien ne bouge, La Poste et les territoires où elle s'est enracinée ne sont-ils pas menacés de périr ? Alors, osons !

Il s'agit, ensemble, de dynamiser le réseau de La Poste pour mieux revitaliser les territoires.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page