C. LE DÉVELOPPEMENT DES MÉTHODES ALTERNATIVES DE RÉSOLUTION DES CONFLITS

La rationalisation des procédures, leur maîtrise par le juge et l'abaissement potentiel des coûts qu'elles induiront risquent, en améliorant la productivité du système judiciaire, de favoriser le développement du contentieux.

En conséquence, pour éviter de submerger les juges, dont Lord Woolf n'envisage pas d'accroître significativement le nombre, la réforme comprend un volet d'incitation à la médiation anticipée qui s'accompagne, dans la pratique, du développement de techniques variées de résolution non judiciaire des conflits.

1. L'incitation à la médiation anticipée

La Central London County Court , installée il y a quatre ans, a pu mettre en place une expérimentation qui a conduit Lord Woolf à inclure dans ses propositions des mécanismes permettant au juge d'encourager les parties à ne pas attendre la veille du procès pour tenter une conciliation.

Cette évolution suppose que les professions juridiques et judiciaires adhèrent à l'esprit de coopération entre les représentants des parties qu'il est suggéré de substituer au comportement d'affrontement actuel.

L'expérience, commencée en juillet 1996, a conduit à proposer 2 700 médiations. Seules 80 ont été réalisées dont 66 % ont abouti.

Elle consiste pour le juge à proposer par écrit aux parties une médiation, sept jours après le dépôt de leurs conclusions.

Les parties doivent exprimer la volonté d'y participer ; le juge ne dispose pas en l'état actuel du droit de pouvoir de coercition. Pour les magistrats rencontrés, la réticence des parties s'explique notamment par le fait que l'offre de médiation est nécessairement adressé aux défenseurs des parties qui ne les informeraient que rarement de cette offre.

Certains juges en charge de l'expérience auraient souhaité pouvoir inciter davantage les parties à se concilier, soit en ayant la capacité d'ordonner la conciliation, soit en adressant directement aux parties l'offre de médiation.

En cas d'accord, un rendez-vous est fixé dans les quatre semaines. La médiation est organisée dans les locaux du tribunal en dehors des heures d'audience. Elle dure trois heures et coûte 25 à chaque partie. Les médiateurs, inscrits sur une liste dressée par les juridictions, sont formés, à défaut d'être aujourd'hui très expérimentés.

Le taux de réussite est apparu assez encourageant pour envisager de donner au juge une faculté d'incitation des parties à la médiation, organisée à l'intérieur de la juridiction dès le début de la procédure.

Celle-ci existe déjà en matière de divorce et de garde des enfants.

Le rapport Woolf a pour objectif de s'appuyer sur une culture préexistante de transaction pour éviter les conciliations tardives (les plus nombreuses au seuil de l'audience) et déséquilibrées (en raison des capacités financières respectives des parties pour faire face à un contentieux coûteux).

· Il propose tout d'abord de revoir la procédure du paiement in (cf. ci-dessus) pour élargir les possibilités de proposer une transaction ( offer to settle ).

Désormais chaque partie (et non seulement le défendeur) pourrait à tout moment proposer une transaction sur tout ou partie du contentieux, le dépôt de la somme auprès de la cour n'étant plus qu'une faculté.

Le défenseur qui ferait une offre, refusée par le plaignant auquel le juge accorderait une somme inférieure ou égale, continuerait à bénéficier du paiement de ses frais à partir de l'offre.

Le plaignant qui aurait fait une offre en cours de procédure, refusée par le défendeur et accordée, voire dépassée, par la décision du juge, bénéficierait d'intérêts accrus (25 % jusqu'à 10 000 ; 15 % de 10 000 à  50 000 ; 5 % au-dessus de 50 000).

· D'autre part, des protocoles permettant d'encadrer les transactions pré-contentieuses sont en voie d'élaboration pour les différents branches (construction, dommages corporels, responsabilité médicale...).

Le comportement des parties au cours de cette phase (bonne foi, volonté de transiger, transmission des documents...) sera pris en compte par le juge, si elle échoue, pour l'imputation des frais ou l'examen des délais supplémentaires au cours de la phase contentieuse.

Ces incitations devraient encourager les parties à transiger plus tôt qu'elles ne le font actuellement et à économiser ainsi le temps de la cour et des parties.

Les méthodes d'obtention de la transaction peuvent en outre être très variées.

2. Le développement de techniques variées de médiation

Le terme générique de médiation recouvre ici plusieurs techniques constituant des méthodes alternatives de résolution des litiges ou A.D.R. (Alternative dispute resolution) .

Ainsi que l'a rappelé à la mission James Burnett-Hitchcock, solicitor et médiateur expérimenté, la médiation peut être contre-indiquée dans certains cas :

- lorsqu'une partie n'a pas de volonté de transiger, d'où la difficulté de rendre la médiation obligatoire;

- lorsqu'il est souhaitable d'obtenir une décision qui fasse jurisprudence ;

- lorsqu'une injonction est nécessaire ;

- lorsque la publicité est considérée utile ;

- lorsque le climat émotionnel implique un préambule formalisé 27( * ) .

Il estime qu'il ne faut l'envisager que lorsqu'il peut être répondu ainsi aux quatre questions suivantes.

Les parties ont-elles :

1. Un véritable désir de transiger ? Oui .

2. Une aptitude comparable à la négociation ? Oui .

3. Une volonté de gaspiller temps et argent dans des procédures pouvant durer des mois ? Non.

4. Une nécessité d'obtenir une décision judiciaire ? Non .

Dès lors que les parties sont prêtes à s'engager dans la médiation, existent en Grande-Bretagne plusieurs organismes spécialisés regroupant des médiateurs dont ils assurent parfois la formation (notamment le CEDR, Centre for Dispute Resolution ). Leurs membres peuvent être des entreprises, des cabinets de juristes, des associations de consommateurs, des associations familiales, des financiers, en fonction de leur champ d'action.

Certaines associations ont été créées il y a plusieurs dizaines d'années et ont développé, au cours des dix dernières années, leur activité de médiation.

D'autres, plus récentes, tentent de répondre à une demande urgente de milieux d'affaires où la rapidité des échanges exclut le recours à la voie judiciaire (par ex. CDP, City dispute panel limited) .

Le recours à la médiation permet, dans le contexte britannique, une résolution moins onéreuse, plus rapide et confidentielle des litiges. Elle aboutit aujourd'hui dans 95 % des cas grâce à la participation volontaire des parties.

Elle permet de prendre en compte des aspects des rapports entre les parties, étrangers au litige proprement dit, mais qui peuvent en faciliter la solution. Eléments qu'un juge, enfermé dans les bornes étroites du contentieux, n'aurait pas à connaître.

Enfin, l'exécution est facilitée par l'acceptation des deux parties.

James Burnett-Hitchcock reprend à son compte la définition suivante pour l'ADR :

" Méthode de résolution des litiges, basée sur un processus structuré impliquant l'intervention d'une tierce personne, qui n'aboutit pas à une décision exécutoire imposée aux parties 28( * ) ".

L'arbitrage au sens strict ne devrait donc pas entrer dans cette définition car il conduit à une décision imposée aux parties. Il est semble-t-il peu prisé en Grande-Bretagne où il est perçu comme long et coûteux.

En revanche, l'éventail des méthodes de médiation est devenu plus sophistiqué pour proposer des solutions sur mesure en fonction des besoins des parties.

Il s'agit toujours au préalable pour les parties de se mettre d'accord pour désigner une tierce personne qui, ayant pris connaissance du dossier exposé par les parties ensemble et/ou séparément, accompagnées ou non de leurs défenseurs, leur proposera une transaction qui deviendra contractuellement exécutoire.

La perspective du coût en temps et en argent si le litige est porté devant une juridiction, seule alternative en cas d'échec, est un levier puissant qui explique le taux de succès de ces médiations en Angleterre.

En outre, le degré de satisfaction est plus élevé pour une solution négociée qu'à l'égard d'un jugement, d'autant plus si celle-ci intervient avant que le contentieux ne s'aggrave.

La navette effectuée par le médiateur permet à chacun de sortir des " tranchées " creusées autour du litige juridique et d'exprimer plus largement ses besoins et ses intérêts.

Au-delà du cadre général qui peut être très informel, plusieurs techniques particulières d'ADR peuvent être détaillées :

- Executive trial : après un désaccord commercial entre deux entreprises constaté au milieu de la chaîne de commandement, les dirigeants des deux entreprises recherchent avec un médiateur (un juge à la retraite par exemple) une solution négociée ;

- l'évaluation des chances de succès d'un contentieux : particulièrement utilisé en matière de marchés financiers, elle consiste à faire évaluer par un panel neutre sur une échelle de 1 à 5 les chances de succès de chaque partie sur chaque aspect du litige ;

- l'adjudication consiste à demander à un expert d'examiner la question et de trancher, fictivement, le litige ;

- l'amiable composition : particulièrement utilisée en matière d'assurances, cette technique permet à un expert de trancher en équité.

- Deux techniques américaines lorsque l'enjeu est une somme :

. l'arbitrage " Hi-Lo " (" haut-bas ") : les parties se mettent d'accord sur la fourchette de l'enjeu qui n'est pas connue de l'arbitre. Si celui-ci tranche pour une somme comprise entre le minimum et le maximum fixés par les parties, celles-ci acceptent sa décision.

. Le " base-ball " ou " pendule " : à l'issue d'une négociation, les parties ont rapproché leurs évaluations mais sans parvenir à se mettre d'accord sur un chiffre ; elles conviennent de présenter à un arbitre les deux dernières sommes proposées. L'arbitre doit choisir l'une d'entre elles (ce quitte ou double impose à chacune des parties de faire au préalable une offre réaliste pour éviter que l'arbitre n'opte pour celle proposée par l'adversaire).

Ont également été développées, notamment par le CDP pour les besoins de la " City ", des méthodes d'arbitrage sur mesure pouvant aller jusqu'à un sorte de " référé arbitral " se tenant le jour même.

Le médiateur n'écrit pas en principe la transaction. Les avocats des parties la rédigent. Le compromis peut être homologué par le juge si l'affaire a été portée devant la justice.

Ces techniques précises peuvent apparaître anecdotiques et limitées pour l'essentiel aux litiges commerciaux.

Toutefois, les méthodes alternatives de résolution des conflits ont en Grande-Bretagne un avenir plus large dès lors qu'un nombre important de médiateurs expérimentés sera disponible.

Ceux-ci sont aujourd'hui le plus couramment d'anciens juristes ou magistrats à la retraite ou des professionnels expérimentés de secteurs très spécialisés dont la compétence est reconnue par leurs pairs.

Des organismes de médiation dispensent en outre des formations. Par exemple, le CEDR, organisme à but non lucratif, propose une formation sur cinq jours suivie d'un tutorat avec un médiateur expérimenté. Cette formation porte sur les techniques de médiation elles-mêmes ; elle complète l'expérience acquise par l'exercice d'une profession antérieure.

Elles jouent d'ores et déjà un rôle en matière de logement, de relations familiales, d'emploi où les parties en cause ne sont pas des professionnels. Dans ces cas, la médiation peut notamment être la première occasion pour chaque partie d'entendre le litige formulé par l'adversaire.

Les médiations sont en principe réglées à la journée et la solution est généralement trouvée au terme du délai-limite que se sont fixées les parties.

Quelques exemples de coûts d'une médiation effectuée par le CEDR:

- pour une affaire simple requérant une journée d'un médiateur : 1 000

- pour la plupart des médiations courantes: entre 2 000 et 3 000

- pour une affaire importante nécessitant plus de cent heures de travail: 23 000 (au lieu de 2 ans de contentieux représentant 0,5 à 1 million de livres)

Le coût est partagé entre les parties. S'y ajoutent les honoraires des avocats si les parties sont représentées.

En matière familiale , les deux principaux organismes sont la NFCC ( National Association of Family Mediation and Conciliation ) et la FMA ( Family Mediators Association ). Toutes deux reçoivent des subventions et des dons ainsi qu'une fraction limitée de l'aide juridique partielle.

- La NFCC a élaboré un code en 1986 après consultation du barreau ; elle regroupe 55 services affiliés.

Le coût des séances de médiation est fixé en proportion des revenus. Six séances d'une heure et demie sont en moyenne prévues pour préparer l'accord que les parties rédigeront avec leurs avocats. A l'origine limitée aux arrangements relatifs aux enfants, la NFCC a également expérimenté une médiation " globale " (" comprehensive ") qui aide en outre les parties à rechercher des solutions pour le partage du patrimoine. En tout état de cause, il est recommandé à chaque partie d'être conseillée par un avocat.

- La FMA a été créée en 1988 et a proposé les premières médiations globales. Elle organise des co-médiations menées par un juriste et un autre professionnel ayant tous deux une expérience et une formation en matière familiale. Leurs médiateurs sont contrôlés, accrédités et couverts par une assurance collective.

Trois séances d'une heure et demie sont en moyenne nécessaires. Le coût de chaque séance est de 180 partagé également entre les deux parties.

En outre, la SFLA (Solicitors Family Law Association) créée en 1982, regroupe des avocats souscrivant à un code encourageant la médiation avec l'appui d'un conseil juriste en matière familiale.

Ainsi que l'a indiqué Lord Woolf, le développement de ces techniques implique que l'aide juridictionnelle soit accessible à ceux qui y recourent, notamment pour encourager les professions juridiques à leur conseiller d'y faire appel.

Les plus avisés des auxiliaires de justice sont d'ores et déjà rompus à la médiation et pourront désormais agir tantôt comme représentants d'un client, tantôt (dans une autre affaire) comme médiateur.

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