Rapport d'information n° 9 - La réforme de la justice civile en Angleterre
Charles JOLIBOIS, Pierre FAUCHON, Robert BADINTER et Pierre GELARD, Sénateurs
Commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale - Rapport d'information n° 9 - 1997/1998
Table des matières
- EXAMEN EN COMMISSION
-
INTRODUCTION
- I. L'ORGANISATION ACTUELLE DE LA JUSTICE CIVILE EN ANGLETERRE ET AU PAYS DE GALLES REPOSE SUR DES BASES PROFONDÉMENT DIFFÉRENTES DES RÈGLES ET MOYENS DE LA PROCÉDURE CIVILE FRANÇAISE
- II. LA JUSTICE ANGLAISE CONNAIT UNE ASPHYXIE COMPARABLE À CELLE DIAGNOSTIQUÉE EN FRANCE
- III. LES REMÈDES PROPOSÉS PAR LORD WOOLF POURRAIENT FACILITER UN RAPPROCHEMENT DE NOS SYSTÈMES JUDICIAIRES
- CONCLUSION
-
ANNEXE 1
PROGRAMME DE LA MISSION D'INFORMATION À LONDRES
N° 9
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 1er octobre 1997
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) , à la suite d'une mission d'information chargée d'étudier le fonctionnement de la justice civile en Angleterre et au Pays de Galles ,
Par MM. Charles JOLIBOIS, Pierre FAUCHON,
Robert BADINTER et Patrice GÉLARD,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Jacques Larché,
président
;
René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles
Jolibois, Robert Pagès,
vice-présidents
; Michel Rufin,
Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson,
secrétaires
; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert
Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl,
Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel
Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli,
Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt,
Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel
Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud
,
Georges
Othily, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre
Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.
Justice - Rapports d'information. |
EXAMEN EN COMMISSION
La commission a examiné le rapport de la mission
d'information le mercredi 1er octobre 1997.
A titre liminaire, M. Pierre Fauchon, rapporteur, a souligné le
professionnalisme, la disponibilité et la pédagogie des juristes
anglais rencontrés dans le cadre de cette mission les 16 et 17 avril
1997 à Londres.
Après avoir rappelé le calendrier de ces entretiens, il a mis
l'accent sur plusieurs enseignements ponctuels en matière de
médiation, d'informatisation et de gestion du contentieux de masse. Il a
rappelé que le système judiciaire anglais et gallois, issu d'un
passé ancien se révélait aujourd'hui, faute de
rationalisation, particulièrement coûteux et imprévisible.
Il a précisé que ces graves dysfonctionnements conduisaient les
plaideurs à transiger avant l'audience dans plus des trois quarts des
litiges civils.
Après avoir souligné l'absence de mise en état et le
niveau important de rémunération des professions juridiques, il a
décrit la procédure particulière du " payment
in ", qu'il a qualifiée de " quitte ou double "
judiciaire.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, a indiqué que la réforme
proposée par Lord Woolf, Président de la Chambre civile de la
Cour d'appel, aurait pour objet de rationaliser la procédure civile
devant les juridictions en instaurant une mise en état et en facilitant
l'accès à la justice, sans toucher aux
" magistrates'courts ".
A propos des " magistrates' courts " composées de 30.000
juges
bénévoles et traitant 98 % du contentieux pénal ainsi que
quelques affaires civiles, il a évoqué la proposition de
rénovation des tribunaux d'instance français, formulée par
la mission d'information de la commission des lois sur les moyens de la justice.
Il a estimé que, sous réserve d'une formation juridique
appropriée, le recrutement de ce type de juge permettrait, tout en
respectant les contraintes budgétaires, d'améliorer le traitement
des contentieux de masse, soit au travers d'une magistrature à titre
temporaire qui avait sa préférence, soit au travers de la
médiation.
M. Charles Jolibois, président de la mission, a mis en exergue le
contraste entre le développement des techniques de négociation,
les méthodes de travail et l'envergure internationale des cabinets
britanniques en matière commerciale, d'une part, et, d'autre part, la
lenteur, le coût de la justice anglaise et
l'imprévisibilité des solutions. Il s'est félicité
du pragmatisme des propositions de Lord Woolf et s'est intéressé
particulièrement à l'éventualité de la mise en
place de trois filières de traitement du contentieux civil ainsi
qu'à la transposition possible en France des méthodes
alternatives de résolution des conflits, ADR (Alternative Dispute
Resolution), expérimentées dans les pays anglo-saxons.
M. Robert Badinter s'est félicité de la richesse des entretiens
organisés à Londres et de la clarté du rapport. Il a
insisté sur l'impossibilité de détacher un système
judiciaire de la culture historique d'un pays, si bien qu'il lui est apparu
vain de vouloir " plaquer " en France des éléments du
système britannique. S'agissant de la Grande-Bretagne, il a
constaté que son système judiciaire n'avait pu faire face
à l'inflation du contentieux et que la " Rolls Royce "
décrite par Lord Woolf se trouvait donc en panne. Il a notamment
remarqué que le montant des frais à la charge du perdant, trop
souvent supérieur à l'enjeu du litige, rendait la justice
inaccessible aux classes moyennes, à la différence des
catégories plus aisées ou, grâce à l'aide
judiciaire, des plus pauvres. Il a marqué sa satisfaction de voir
l'Angleterre envisager d'infléchir son système accusatoire pour y
introduire la mise en état. Il a indiqué que la mission
d'information l'avait confirmé dans l'idée que le système
judiciaire français ne pourrait faire face à la croissance
exponentielle du contentieux civil ou commercial par la seule augmentation du
budget ou du nombre des magistrats qui, en tout état de cause, ne serait
jamais à la hauteur de l'augmentation exponentielle de la demande de
justice.
Il a marqué la nécessité d'explorer des voies nouvelles en
constatant l'avance prise par les pays anglo-saxons en la matière.
M. Robert Badinter s'est prononcé pour le retour à des
méthodes anciennes permettant au corps social de sécréter
des lieux de résolution des conflits n'impliquant pas
nécessairement le recours au juge et correspondant aux besoins de chaque
milieu. Il a pris l'exemple des référés arbitraux à
la Bourse de Londres, du contentieux familial et de l'instance d'arbitrage de
la presse anglaise.
Il a en revanche estimé peu transposables dans la culture
française les " magistrates'courts ".
Il a souhaité voir la commission poursuivre sa réflexion sur les
expériences européennes.
M. Patrice Gélard a souligné l'extrême professionnalisme et
la modernité des " sollicitors " qui constituaient de
véritables cabinets d'ingénierie juridique comportant plusieurs
centaines de membres avec de nombreuses succursales à travers le monde.
Il a insisté sur la souplesse du dispositif proposé par Lord
Woolf et souhaité qu'il permette d'améliorer l'accès des
classes moyennes aux juridictions civiles. Il a suggéré la
poursuite d'études comparées dans d'autres pays européens,
notamment l'Allemagne.
M. Jacques Larché, président, a rappelé que la mission
d'information dépêchée à Londres avait eu pour
origine les entretiens auxquels il avait procédé à Paris
avec des praticiens français et anglais sur la réforme
proposée par Lord Woolf et sur les méthodes alternatives de
résolution des conflits.
Après que la commission eut évoqué la poursuite de
missions d'information ponctuelles en Allemagne, en Italie et en Espagne, M.
Michel Dreyfus-Schmidt a suggéré la désignation de deux
sénateurs pour chaque pays.
La commission a autorisé la publication du rapport de la mission
d'information de MM. Charles Jolibois, Pierre Fauchon, Robert Badinter et
Patrice Gélard.
REMERCIEMENTS
La mission d'information de la commission des Lois tient
à remercier tous ceux qui ont contribué au bon déroulement
de sa visite, tout particulièrement, en respectant la chronologie des
entretiens :
- M. James Burnett-Hitchcock, senior litigation partner, et Me Antoine
Adeline, avocat, ainsi que leurs confrères du cabinet Cameron Markby
Hewitt ;
- Lord Woolf, Master of the Rolls ;
- Sir Richard Scott, vice-chancellor ;
- M. Michaël Napier, Law Society ;
- Mmes Leanne Hedden et Margaret Hodgson, Chancellerie ;
- Me Monique Fauchon et Me Michel Levy, avocats à la Cour d'Appel de
Paris ;
- M. Richard Freeman, City Dispute Panel Limited ;
- M. Nicolas Pryor, Centre for dispute Resolution ;
- Son excellence M. l'Ambassadeur Jean Gueguinou ;
- Judge Butter et Judge White, Central London County court.
INTRODUCTION
" For who would bear (...)
The law's delay, "
1(
*
)
(Shakespeare, Hamlet, Acte III, scène I)
Mesdames, Messieurs,
Après la publication du rapport de sa mission d'information sur les
moyens de la justice
2(
*
)
, la commission des Lois
a souhaité poursuivre par une étude comparée sa
réflexion sur l'évolution nécessaire des conditions
matérielles et des procédures pour répondre à
l'afflux des contentieux, en particulier des contentieux de masse.
A l'initiative de son président Jacques Larché, elle a
désigné en son sein une mission pour étudier le
fonctionnement de la justice en Grande-Bretagne laquelle s'est
déplacée à Londres les 17 et 18 avril 1997
3(
*
)
.
Les entretiens auxquels la mission a procédé au cours de ce
déplacement ont été organisés autour du
rapport
de Lord Woolf sur l'accès à la justice
, paru en juillet
1996
4(
*
)
.
Ils ont porté, d'une part, sur la
réforme de la
procédure civile
amorcée par le ministre de la justice Lord
Mc Kay, sur la base des propositions de Lord Woolf, lui-même nommé
"
Master of the Rolls
"
5(
*
)
, et,
d'autre part, sur les
méthodes alternatives de résolution des
litiges
, dites " A.D.R. " (
Alternative dispute
resolution
).
Constatant les différences profondes qui séparent aujourd'hui les
systèmes anglais et français, la mission a néanmoins
observé que nos deux pays se heurtent à des difficultés
très comparables et que les remèdes proposés aujourd'hui
outre-manche faciliteraient un sensible rapprochement de nos mécanismes
judiciaires.
Il s'agirait, pour l'Angleterre et le Pays de Galles d'une véritable
évolution culturelle sur laquelle le nouveau Lord Chancellor, Lord
Alexander Irvine, ne s'est pas encore prononcé publiquement. Il a
néanmoins désigné un ancien haut fonctionnaire du
Trésor pour en étudier la faisabilité d'un point de vue
financier. Sachant la réforme indispensable et en approuvant l'esprit,
il souhaiterait s'assurer de l'utilisation rationnelle des ressources et
éviter les dépassements budgétaires.
I. L'ORGANISATION ACTUELLE DE LA JUSTICE CIVILE EN ANGLETERRE ET AU PAYS DE GALLES REPOSE SUR DES BASES PROFONDÉMENT DIFFÉRENTES DES RÈGLES ET MOYENS DE LA PROCÉDURE CIVILE FRANÇAISE
Ce bref compte-rendu de mission n'a pas pour objet
l'étude des arcanes de la procédure anglaise dont la
complexité résulte de la multiplicité des juridictions et
des règles de procédure, du foisonnement des
précédents et de la large initiative laissée aux parties.
Le cadre judiciaire est rappelé ici pour mémoire en soulignant
quelques traits caractéristiques et en insistant sur les points
analysés par Lord Woolf.
L'Ecosse et l'Irlande du Nord ont par ailleurs leurs propres systèmes
judiciaires et règles de procédure.
A. LA STRUCTURE JUDICIAIRE
1. Une répartition des compétences complexes
Malgré l'apparente rationalité du schéma des juridictions (cf. carte et tableau ci-dessous), la hiérarchie des tribunaux et la répartition des affaires sont, et resteront dans un proche avenir, complexes.
CARTE DES " CIRCUITS " JUDICIAIRES DE
L'ANGLETERRE
ET DU PAYS DE GALLES
ORGANISATION JUDICIAIRE DE LA GRANDE-BRETAGNE ET DU PAYS DE
GALLES
COUR
SUPRÊME |
HOUSE OF LORDS
9 juges siègeant par 5 Filtre (autorisation préalable de la cour d'appel ou de la Chambre des lords) Moins de 100 affaires par an |
||||
APPEL |
COURT OF APPEAL
35 Juges (lords justices) Siège à Londres |
||||
CIVIL DIVISION
(formations de 2 à 3 juges) Présidée par le Master of the Rolls 1800 appels par an de la High Court, des County courts et de cours spécialisées |
CRIMINAL DIVISION
(formations de 3 juges) Présidée par le Lord chief justice 8500 appels par an dont les ¾ portent sur la peine seulement. |
||||
|
|||||
APPEL ET
PREMIERE INSTANCE |
CIVIL: HIGH COURT
96 Juges Siège à Londres et dans 45 grandes villes |
PENAL: CROWN
COURT
(juges de la High court + 529 circuit judges et 884 recorders) Siège à Londres et dans 92 centres répartis en 6 circuits |
|||
CHANCERY DIVISION
17 juges Première instance à juge unique pour la fiscalité, les trusts, le droit des sociétés, les faillites, les brevets, les successions, la propriété immobilière 40 000 affaires par an En appel formation de un ou deux juges pour le cadastre, la fiscalité, les faillites, les brevets |
FAMILY DIVISION
15 juges Première instance affaires familiales, incapables, filiation Appel des magistrates'courts (moins de 100 appels par an) |
QUEEN'S BENCH DIVISION
64 Juges dont le Lord chief justice Siège à juge unique 140000 affaires complexes ou d'un montant élevé Recouvrement de créances Dommages corporels Contrat Commercial Court : As s urance, Banque, contrats commerciaux Divisional Court : 1 à 3 juges 4500 appels par an Habeas corpus Points de droit soulevés par les juridictions pénales Judicial Review: Légalité des décisions administratives (immigration, logement, environnement, transports, urbanisme ...) |
Première instance
pour les infractions
les plus graves (meurtres,
viols, escroqueries, vols à main armée) ou sur demande de
l'accusé
Siège à juge unique (+ un jury lorque l'accusé plaide non coupable soit 30 % des cas) 100 000 affaires par an En appel formation de 1 à 4 magistrats pour les appels sur la décision ou la peine fixée par les magistrates 20 000 appels par an |
||
PREMIERE
INSTANCE |
240 COUNTY COURTS
Les circuit judges + 334 district judges Siège à juge unique 2,5 millions d'affaires par an Responsabilité civile en fonction de l'importance des affaires (en principe 50 000) Recouvrement, propriété immobilière, certaines actions relatives aux trusts, hypothèques et succession, affaires matrimoniales Procédure simplifiée pour le " petit contentieux " 3000 |
550 MAGISTRATES COURTS
30 000 bénévoles à temps partiel siègeant en principe par 3 , au moins 1 homme et 1 femme pour les mineurs et les aff. familiales 2 millions d'affaires par an Pénal : Infractions les moins graves dont les infractions au code de la route (en tout 98 % des affaires pénales; ils peuvent prononcer des amendes forfaitaires par correspondance ou des emprisonnements 6 mois) Civil : PJJ, recouvrements de créances, litiges familiaux, tutelle, adoption, filiation Octroi des Licences débits de boissons et spectacles |
Lord Woolf n'envisage, en effet,
pas de remise en cause de
la structure judiciaire
elle-même qui fait, par exemple, de la
High Court
à la fois une juridiction de première instance
et une juridiction d'appel. De même, les juges continueront à
siéger dans plusieurs juridictions et l'organisation en
"
circuits
" ne sera pas modifiée.
En matière criminelle, le
Crown Prosecution
service
(CPS),
créé en 1986 pour
exercer les poursuites
, est aujourd'hui
composé de 2 000 " juristes " répartis en 13
circonscriptions. Il est responsable devant l'Attorney General qui prend la
décision de poursuivre dans les cas les plus graves.
D'autre part, un
Court Service,
ayant depuis 1995 la forme d'une agence
indépendante, est chargé de l'
administration des
juridictions
.
Tout récemment, sur la recommandation de Lord Woolf, a été
installée une
autorité centrale des juridictions civiles
("
Head of civil justice
"). Nommé à cette
fonction, Sir Richard Scott est chargé de la réforme et prendrait
en charge, à l'avenir, le contrôle de ces juridictions.
2. Peu de magistrats professionnels
Par comparaison avec la France qui compte aujourd'hui
6 258 magistrats de l'ordre judiciaire, la justice anglaise
apparaît faiblement dotée avec ses
1 003 juges
rémunérés à temps plein
auxquels s'ajoutent des
juges à temps partiel pour un nombre de jours de travail
équivalant à 13 % de celui des magistrats à plein temps.
Ces chiffres traduisent néanmoins une forte progression des effectifs (+
8 % entre 1994 et 1996). Ils se répartissent entre les
Lords of
Appeal in the Ordinary
de la Chambre des Lords (9), les
Lords
Justices
de la cour d'appel (35), les
High Court judges
(96), les
Circuit judges
(529), qui siègent à la
Crown Court
au pénal et dans les
County Courts
au civil, les
district
judges
(334), ou anciens
registrars
, qui assurent l'administration
des
County Courts.
Le système se caractérise par une grande flexibilité
puisque chacun siège au civil et au pénal. En outre, les
circuits judges
peuvent également, à la demande du Lord
Chancellor siéger au civil à la High court.
Enfin 90
stipendiary magistrates
siègent pour la plupart à
Londres et dans les grandes villes pour des tâches auxquelles le
bénévolat ne pourrait répondre. Car
98 % des affaires
pénales en première instance
et certaines affaires civiles
sont en fait jugées par
30 000
magistrates
,
c'est à dire des
juges de paix
bénévoles,
non-professionnels et exerçant à temps partiel
6(
*
)
.
La justice rendue par les
magistrates
coûte néanmoins
environ 300 millions de livres par an. (Remboursement des frais de
transports ; indemnisation des pertes de salaires ; traitement des
Clerks
, greffiers qui assistent les magistrats et
reçoivent un traitement mensuel d'environ 45.000 F).
La
formation
et le mode de
désignation
des magistrats,
professionnels ou bénévoles, diffèrent également
profondément des nôtres :
· Les
magistrats professionnels
7(
*
)
sont d'anciens avocats, barristers (le plus souvent
pour les postes les plus élevés) ou solicitors (desquels est
exigée une expérience antérieure comme juge à temps
partiel).
Pour les postes les moins importants, ils présentent leur candidature au
ministre de la justice sous réserve d'une condition d'âge et d'une
durée de pratique et sont recrutés après une
évaluation de leur dossier et des entretiens. Pour la
High Court
,
il faut être invité à se présenter par le ministre
de la justice qui propose la nomination à la Reine comme pour les
Lords Justice
de la cour d'appel.
Des procédures plus transparentes ont été mises en place
au cours des dernières années, étendues progressivement
aux différentes catégories de juges pour accroître la
publicité des vacances de postes, définir des critères de
recrutement et faire participer des tiers aux commissions de recrutement.
L'âge de la retraite est de 72 ans pour les juges de circuit, de 75 ans
pour ceux de la High Court, de la Cour d'appel et de la Chambre des Lords mais
ces derniers peuvent choisir de rester
8(
*
)
.
· Les
magistrates
, sont nommés par le
ministre de la justice, sur proposition de 95 commissions consultatives.
Un
magistrate
peut siéger jusqu'à 70 ans ; comme les
circuit judges
, il est révocable par le ministre de la justice.
Il reçoit 9 heures de formation théorique et assiste pendant 6
heures à des audiences avant de siéger, tout d'abord en
collégialité. 12 heures de formation continue sont
ajoutées au cours de sa première année d'exercice.
Il est assisté par un
clerk
qui, outre la répartition des
affaires, a pour tâche de l'éclairer sur les points de droit.
· Enfin, les membres du
Crown Prosecution Service
(équivalent du
Parquet
) sont des juristes (solicitors et
barristers) ayant à leur tête un directeur des poursuites
publiques responsable devant l'Avocat Général (
Attorney
General
) lui-même généralement un barrister
député de la majorité, de même que son adjoint le
Solicitor-General
. L'
Attorney
General
conseille
également le gouvernement sur les matières juridiques et
répond aux questions des parlementaires à la Chambre des Communes.
B. LES PARTICULARITÉS DE LA PROCÉDURE CIVILE
Deux caractéristiques de la procédure civile ont retenu particulièrement l'attention de la mission : d'une part, le procès civil est pour l'essentiel conduit par les parties dont les conseils, selon Lord Woolf, multiplient les tactiques de retardement ; d'autre part, mais ce n'est pas sans lien, la plupart des affaires se concluent par une transaction avant l'audience.
1. La faiblesse de la mise en état
Comme le rappelle Lord Woolf dans son rapport
d'étape
9(
*
)
:
"
La conduite des contentieux civils en Angleterre et au pays de
Galles, comme dans d'autres pays de common law, est par tradition de type
accusatoire. Encadrées dans un corps de règles de fond et de
procédure établi par l'Etat pour la résolution des litiges
civils,
10(
*
)
les parties assument l'essentiel
de l'initiative et de la conduite des débats dans chaque affaire et le
plaignant fixe habituellement la cadence. Le rôle du juge consiste
à trancher sur les questions choisies par les parties au moment
où elles décident de les soumettre à la
cour
".
De savants échanges de pièces, d'expertises et de
témoignages entre les parties sont ainsi menés par les solicitors
qui tentent parfois de noyer l'adversaire sous la masse des documents.
Cette grande liberté laissée aux parties par la procédure
anglaise explique l'essentiel des coûts et des retards constatés
aujourd'hui.
Elle accroît l'inégalité entre les parties en permettant
à la plus fortunée de l'emporter à l'usure en acculant
à la transaction la partie la plus faible lorsque ses ressources sont
épuisées.
2. Le volume élevé des transactions
Le coût des procédures, qui croît à
l'approche de l'audience, notamment avec l'intervention éventuelle du
barrister
11(
*
)
, conduit la plupart des affaires
civiles à une conclusion négociée avant que le
procès n'ait lieu.
Toutefois,
la grande majorité des conciliations n'aboutit qu'au seuil
du tribunal.
Le rôle est donc encombré d'affaires qui ne
viendront jamais à l'audience.
En-dehors des petites affaires qui relèvent d'une procédure
d'arbitrage accélérée,
90 % des affaires civiles
se conclueraient ainsi par une conciliation
. Pour les dommages corporels,
ce chiffre dépasserait 99 %...
Outre les coûts, l'un des instruments favorisant ce taux de transaction
est la procédure dite du "
Payment in
". Elle
permet au
défendeur
d'une action en
dommages-intérêts ou en paiement d'une dette de
déposer
auprès de la juridiction la somme qu'il propose au plaignant pour clore
le litige.
S'il refuse cette offre et qu'à l'issue du procès
le juge,
qui lui-même n'en a pas connaissance
, lui accorde une
somme égale ou inférieure, le plaignant doit prendre en charge
ses frais et ceux de son adversaire à compter de la date du
dépôt de la somme. Compte tenu de l'importance de ces frais, la
partie gagnant le procès peut donc le perdre financièrement.
Le plaignant se trouve ainsi placé par son adversaire devant un
véritable pari sur la jurisprudence qui relève parfois du quitte
ou double. Lord Woolf a donc proposé de rééquilibrer cette
procédure.
C. DES COÛTS DISSUASIFS
Si les différences de structures budgétaires et judiciaires rendent assez artificielles la comparaison du coût public de la justice, en revanche, il apparaît clairement que le coût d'un procès pour un justiciable est exorbitant en Grande-Bretagne et explique la croissance du nombre des justiciables non représentés.
1. Cadre budgétaire et aide judiciaire
La comparaison de budgets à structures bien
différentes est toujours très délicate. Ainsi la
répartition par grandes masses du budget anglais regroupe-t-elle la
justice et la sécurité qui représentent 5 % des
dépenses. En France, justice et intérieur reçoivent 6,4 %
; la justice seule, avec 24 milliards de francs, dépense 1,5 % du
budget. Le montant alloué à la Chancellerie anglaise est du
même ordre en chiffres bruts: 2,3 milliards de livres
12(
*
)
.
Le professeur Jean-Yves Caro
13(
*
)
s'était
essayé à examiner les dépenses britanniques en
matière de justice en 1991. Il calculait alors une dépense totale
par habitant d'Angleterre et du Pays de Galles égale à 492 francs
avec des juges le plus souvent bénévoles. A la même
époque, le budget du ministère français de la justice
représentait une dépense de 347 francs par habitant.
Le budget anglais avait alors augmenté rapidement sous le double effet
d'une volonté politique et de la mise en oeuvre de l'aide judiciaire
(
legal aid
). Entre 1986 et 1991, la dépense budgétaire
nette réelle avait crû de 70 %, soit un rythme annuel de
11 %.
Constatant en 1993 que le coût de l'aide judiciaire avait
progressé de 100 % en quatre ans, le ministre de la Justice anglais
décida d'en restreindre l'accès.
A partir d'avril 1994, l'aide judiciaire est devenue :
- totale en dessous de 2 382 de revenu annuel (au lieu de 3 060
auparavant) ;
- partielle entre 2 382 et 7 060 ( 7 780 pour les dommages
corporels).
Un plafonnement calculé en fonction du capital a également
été instauré : ne peuvent accéder à l'aide
judiciaire les détenteurs d'un capital supérieur à
6 750 ( 8 560 pour les dommages corporels)
14(
*
)
.
En raison du coût de chaque affaire,
l'aide judiciaire
représentait encore en 1996-1997, en Angleterre, 1,5 milliards de
livres, soit
67% du budget
du ministère.
15(
*
)
En conséquence, le précédent gouvernement envisageait une
nouvelle réforme notamment pour, au civil,
concentrer
les aides
sur les cas les plus justifiés et mettre en place des
achats
groupés
de services juridiques ou de médiation.
2. Des frais de procédure exorbitants à la charge du vaincu
La règle selon laquelle celui qui perd le procès
prend à sa charge les frais de la partie gagnante est d'autant plus
pénalisante que les coûts sont très élevés et
sans rapport avec l'enjeu du procès.
Ainsi, Lord Woolf rappelle-t-il
16(
*
)
que les
coûts moyens représentent systématiquement plus de 100 % de
l'enjeu pour les petites affaires et de 40 à 95 % de l'enjeu
lorsque celui-ci est compris entre 12 500 et 25 000. La somme des coûts
moyens des parties n'est susceptible d'être inférieure à
l'enjeu que lorsque celui-ci dépasse 50 000....
Or 80 % des affaires concernent un enjeu inférieur à 10 000
et pour 40 % d'entre elles les coûts dépassent le montant en
jeu.
Ces coûts sont en outre aujourd'hui dans la plupart des cas
imprévisibles
pour le client.
Les solicitors sont payés à l'heure mais ne peuvent
prévoir à l'avance la durée et la complexité de
l'affaire
17(
*
)
.
Les barristers reçoivent un premier paiement pour la préparation
et le premier jour d'audience ("
brief fee
") et des
compléments pour chaque jour supplémentaire d'audience
("
refreshers
")
18(
*
)
.
Les experts perçoivent des honoraires de la partie pour leur rapport
écrit ( 200 à 750 pour un médecin par exemple) et pour
leur déposition à l'audience ( 200 à 750 par jour).
Les frais de justice payés à la Cour, modestes par rapport
à ces sommes, permettent néanmoins de couvrir une part importante
des dépenses effectives des juridictions puisque ces recettes peuvent
représenter environ 20 % des dépenses brutes du
ministère.
II. LA JUSTICE ANGLAISE CONNAIT UNE ASPHYXIE COMPARABLE À CELLE DIAGNOSTIQUÉE EN FRANCE
Malgré le frein constitué par les coûts engagés par les parties, les juridictions ne peuvent fournir un service efficace et les délais s'accroissent.
A. L'ÉVOLUTION DU CONTENTIEUX
1. Un volume régulé par les coûts
La Chambre des Lords traite moins de 100 affaires par an
tandis que la Cour de cassation (avec des compétences qui ne peuvent
être comparées) en a traité 26.000 en 1996.
Le nombre des
infractions pénales
déclarées en
France, d'une part, en Angleterre et aux Pays de Galles, d'autre part, est
presque identique (environ 5 millions d'infractions selon les dernières
statistiques connues); le taux d'élucidation semble en revanche
nettement plus bas chez nos voisins (26 % contre 41,9 %).
Au civil, les appels apparaissent très peu nombreux au regard des flux
constatés en France: plus de 200 000 appels civils en France par an,
environ 2000 en Grande-Bretagne. Si le graphique
19(
*
)
suivant montre la croissance certaine des appels
civils (+ 25 % au cours des vingt dernières années). Cet
accroissement reste sans comparaison avec celui constaté en France
(triplement entre 1974 et 1994)
On constate en revanche que les stocks d'appel ont crû de plus de
60% entre 1991 et 1995.
En première instance, les demandes de divorce, dont la croissance est
retracée par le graphique suivant, représentent un volume
légèrement supérieur à celui constaté en
France avec une population inférieure (51 millions d'habitants pour
l'Angleterre et le Pays de Galles).
En fait, les statistiques civiles sont difficiles à établir et
comparer en raison des différences procédurales et du taux
élevé des transactions (90% avant l'audience). L'inflation est
sans doute maîtrisée jusqu'à présent par le
coût des procédures.
L'imbrication des compétences des tribunaux et des juges conduit ces
derniers à exercer simultanément des compétences civiles
et pénales. Lorsque leur charge de travail ne leur permet pas de faire
face, Lord Woolf souligne que les affaires criminelles sont traitées en
priorité car elles mettent en jeu la sécurité et la
liberté individuelle, puis les affaires familiales et en dernier les
affaires commerciales
20(
*
)
.
2. Des affaires complexes
La complexité croissante du contentieux, tant en
matière familiale qu'en matière commerciale, est renforcée
par celles des procédures. Celles-ci varient devant les
différentes juridictions, au sein de celles-ci entre leurs formations et
selon la nature de l'affaire. Devant une même formation enfin, comme la
Queen's Bench Division
de la
High Court
, plusieurs types
d'actions coexistent et ne peuvent être substitués l'une à
l'autre en cours de procédure.
Enfin, la législation et la réglementation pullulent avec, ici
comme ailleurs, des textes de plus en plus obscurs.
B. DES DÉLAIS INACCEPTABLES
Lord Woolf confirme le jugement de son
prédécesseur dans l'affaire Rastin v. British Steel Plc (1994) :
"
Les délais ont depuis longtemps été reconnus
comme les ennemis de la justice
". Ils jouent au détriment des
parties (mais pas de leurs défenseurs selon Lord Woolf) et ils
occasionnent des coûts supplémentaires.
La durée des procédures ne parait toutefois pas imputable
à l'insuffisance des moyens des juridictions pour faire face au nombre
des affaires mais à l'exploitation par les parties de la
procédure civile elle-même.
1. L'exploitation de la procédure par les défenseurs
"
La complexité de la procédure civile
elle-même permet à la partie la plus fortunée ou la plus
expérimentée de faire traîner en longueur le délai
d'examen et d'augmenter les coûts, en argumentant sur des points
techniques ou des questions périphériques au lieu de mettre
l'accent sur le fond de l'affaire. Trop souvent, de telles tactiques sont
utilisées pour intimider la partie la plus faible et produire une
solution qui est soit injuste, soit d'un coût disproportionné,
soit déraisonnablement tardive
21(
*
)
.
"
L'enquête menée à l'occasion du rapport Woolf montre que la
plupart des affaires civiles ont une
durée globale de 20 à 35
mois
mais que, en matière de
dommages corporels
et de
faute médicale
, la durée médiane est respectivement
de
54
et
61 mois
...
22(
*
)
On observe en outre une tendance à l'allongement de ces délais
pour les dommages corporels lorsque l'affaire est simple et
bénéficie de l'aide judiciaire.
2. La durée des audiences
Si pour les affaires simples la durée des audiences
peut être relativement courte (quelques heures), elle dépasse en
tout état de cause celles constatées dans le système
français ; les parties sont en effet libres de faire comparaître
témoins et experts, de les interroger et contre-interroger et de plaider
longuement.
La mission a pu constater par elle-même la lenteur de ce
déroulement en assistant à plusieurs audiences civiles
menées par un juge unique.
Pour les affaires complexes, les audiences peuvent couramment durer plusieurs
jours, voire plusieurs semaines.
En revanche, le juge, en matière civile, rend sa décision et la
motive à l'issue des débats. En conséquence, il doit, au
fur et à mesure que ceux-ci se déroulent, prendre note et
préparer son jugement. Il ne semble donc pas y avoir de mise en
délibéré.
Selon certains praticiens, dégager le juge de la prise de notes
manuscrites permettrait d'économiser jusqu'à 40 % du temps
d'audience.
En conclusion
, le système ne répond donc plus aux besoins
si bien que la confiance des milieux d'affaires dans la justice anglaise
s'érode. Ceux-ci sont tentés de désigner contractuellement
des juridictions capables de répondre aux situations urgentes ou
recourrent aux transactions.
III. LES REMÈDES PROPOSÉS PAR LORD WOOLF POURRAIENT FACILITER UN RAPPROCHEMENT DE NOS SYSTÈMES JUDICIAIRES
Ayant porté un diagnostic sévère sur la
situation actuelle, Lord Woolf l'indique d'emblée : "
Je ne
propose pas que nous abandonnions notre tradition accusatoire et orale pour un
système inquisitoire dans lequel le juge joue un rôle directeur
pour fixer les questions à trancher et rechercher les preuves.
L'approche que je recommande consiste à
préserver les
meilleurs éléments de notre système contradictoire actuel
tout en donnant au juge un rôle de direction plus interventionniste
afin d'éviter les excès qui déforment aujourd'hui ce
système
"
23(
*
)
.
Il n'ignore pas que les problèmes à régler se rapprochent,
par certains aspects, de ceux diagnostiqués en France par notre mission
sur les moyens de la justice, en dépit des capacités de
régulation données au juge par notre procédure civile.
Sa position, ainsi qu'il l'a indiqué lui-même lors de notre
rencontre, a d'ailleurs été qualifiée de
"
mid-channel
" (à mi-Manche).
Les huit
principes
que devra respecter, selon Lord Woolf, le futur
système de justice civile sont les suivants :
a) que les résultats obtenus soient
justes
;
b) que le traitement des justiciables soit
équitable
;
c) que soient proposées des procédures appropriées
à un
coût
raisonnable ;
d) que les affaires soient réglées dans un
délai
raisonnable ;
e) que le système soit
compréhensible
pour l'usager ;
f) qu'il
réponde
aux besoins des usagers ;
g) qu'il procure autant de
sécurité
que la nature des cas
particuliers le permet ;
h) qu'il soit
performant
: pourvu et organisé de manière
adéquate.
Or, estime-t-il, le système actuel est trop coûteux pour les
parties, trop lent, trop imprévisible et incompréhensible pour la
plupart des justiciables. Enfin, il est trop fragmenté et trop
conflictuel
24(
*
)
.
Lord Woolf propose donc un nouveau " paysage " dont les
objectifs
seront :
- d'
éviter la judiciarisation
chaque fois que cela sera possible
en développant la médiation notamment grâce à
l'extension de l'aide judiciaire ;
- d'accroître la capacité du juge d'encourager la
coopération des parties ;
- d'établir des
procédures identiques et
simplifiées
devant la
High Court
et les
County Courts
et de favoriser le traitement des affaires par la Cour la plus adaptée
au cas ;
- de
raccourcir le calendrier
d'examen des affaires et de
réduire le coût
des procédures, en permettant au
juge de
piloter
le contentieux ;
- de favoriser
l'égalité
entre des parties disposant de
moyens financiers inégaux ;
- de
rationaliser
l'organisation des juridictions et la
carte
judiciaire
, en concentrant le traitement spécialisé des
affaires complexes mais en maintenant le tissu des petites juridictions et en
développant
l'informatisation ;
- d'éliminer les appels
ne présentant pas de réelles
chances de succès.
Ces objectifs seront recherchés au travers de filières de
procédures modernisées, du développement d'une mise en
état informatisée pilotée par le juge et de
l'encouragement des méthodes alternatives de résolution des
conflits (A.D.R.).
A. LA CRÉATION DE FILIÈRES DE PROCÉDURE MODERNISÉES
1. Trois filières
Lord Woolf propose une réorganisation des procédures autour de trois filières basées sur le montant disputé et la complexité des affaires :
a) Le " petit contentieux " (small claims) : jusqu'à 3000 ( 1000 pour les dommages corporels)
Lord Woolf propose la confirmation de la procédure
simplifiée existant actuellement devant les
County Courts
pour
les faibles enjeux dont le plafond venait d'être rehaussé à
3 000 par le Lord Chancellor. La représentation par un avocat n'est pas
obligatoire et les coûts sont limités autour de 100 à 200.
Le perdant ne paye au gagnant que les frais de justice et de dépositions
des témoins, pas les honoraires.
b) La " filière rapide " (Fast track) : de 3 000 à 10 000
Ce serait le
coeur de la réforme
. Le
critère financier ne serait pas seul pris en compte pour renvoyer une
affaire à cette filière.
Ainsi,
seraient écartées de cette procédure
et
renvoyées à la troisième filière les affaires d'un
montant inférieur à 10 000 mais :
- soulevant des questions d'intérêt général ;
- représentant un cas test ;
- nécessitant le témoignage oral des experts ;
- supposant des argumentations développées ou des
dépositions orales qui ne pourraient être présentées
dans le cadre des audiences de cette filière (soit un jour d'audience
maximum) ;
- comportant des volumes substantiels de documentation.
Seront probablement renvoyées sur ces critères d'exclusion la
plupart des affaires de responsabilité médicale, celles relevant
d'un jury et les cas de tromperie.
A l'inverse, Lord Woolf n'interdit pas au juge d'aiguiller vers cette
filière des affaires portant sur des sommes supérieures à
10 000.
La décision de répartition sera prise par un
district
judge
même si les parties conservent indirectement une certaine
faculté de choix en fixant le montant de la demande initiale.
c) La filière " à géométrie variable " (Multi track) : au-delà de 10 000
Dans cette filière, la Cour devra mettre en oeuvre le
traitement adapté au cas particulier en optant alternativement ou
cumulativement pour :
- une conférence de mise en état ;
- un calendrier fixe jusqu'à la révision préalable
à l'audience (
pre-trial review
) ;
- une date ou une période envisagée pour l'audience.
2. Des dossiers et des coûts allégés
Le principe pour la
fast
et la
multi-track
est
de
limiter les délais et les coûts en plafonnant le travail qui
peut être effectué sur un dossier
. On limite ainsi les frais
de défense payés aujourd'hui à l'heure ainsi que les frais
d'expertises.
En outre, les défenseurs auront l'obligation professionnelle d'expliquer
les coûts à leurs clients dès le début de l'affaire
et de les prévenir à l'avance en cas de dérapage par
rapport aux estimations.
· Ainsi, pour la
fast track
sont prévus :
- une
communication standardisée des dossiers
entre les parties
(la "
disclosure
" remplacerait la
"
discovery
" qui était très lourde et
très chronophage) ;
- la limitation à
une seule expertise
et l'absence de
déposition orale des experts à l'audience ;
- la
plafonnement de la durée de l'audience
, le plus souvent
à trois heures, au maximum à un jour ;
- des
coûts fixes
à payer à la partie gagnante : le
solicitor pourra demander davantage à son client sous réserve de
signer préalablement une convention avec lui.
La matrice préparée par le barreau prévoit une modulation
des tarifs en fonction des enjeux (inférieurs à 5000 ou compris
entre 5000 et 10000) et de la difficulté de l'affaire. Le versement
des honoraires est étalé dans le temps. En dehors des frais de
plaidoirie (solicitor ou barrister) si l'affaire vient à l'audience, les
frais seraient plafonnés à 2 500. Ce plafond ne devrait
être atteint que pour les enjeux atteignant 10 000 et impliquant des
travaux supplémentaires en raison de leur difficulté.
· Pour la
multi-track
:
- les parties devront fournir tôt la
liste des questions
qu'elles
souhaitent voir traitées par le juge ;
- le principe sera la
communication standardisée
des
pièces entre les parties,
sous réserve
d'une autorisation
du juge pour les
compléments
(
extra disclosure)
;
- les
coûts
seront
contrôlés
(mais non fixes)
pour les cas les plus simples.
B. LA MONTÉE EN PUISSANCE ET L'INFORMATISATION DE LA MISE EN ÉTAT
Outre sa capacité d'orientation de l'affaire vers la filière la plus appropriée à sa complexité et aux moyens des parties ainsi que de fixation de la compétence territoriale, le juge, particulièrement dans la fast track , disposera des moyens de faire respecter le calendrier d'examen de l'affaire qu'il établira.
1. La maîtrise du temps par le juge
Ce sera la plus grosse évolution culturelle. Les juges
anglais, pour la plupart anciens barristers, n'ont pas en effet de culture de
management.
La dernière page du rapport définitif de Lord Woolf
présente le
calendrier-type qu'il propose pour le traitement d'une
affaire par la filière rapide
.
CALENDRIER TYPE POUR LA FILIÈRE RAPIDE
(FAST
TRACK)
Etape de |
Juin |
Juillet |
Août |
Septembre |
Octobre |
Novembre |
|||||||||||||||||||||||||||||||
la procédure |
9 |
16 |
23 |
30 |
7 |
14 |
21 |
28 |
4 |
11 |
18 |
25 |
1 |
8 |
15 |
22 |
29 |
6 |
13 |
20 |
27 |
3 |
10 |
17 |
24 |
||||||||||||
Service de l'enregistrement |
10/6 |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Communication des pièces à la partie adverse |
28 jours 8/07 |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Echange des témoignages |
49 jours 29/7 |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Echange des expertises |
70 jours 19/08 |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Envoi aux parties des questionnaires en vue de l'audiencement |
19/08 |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Retour des questionnaires |
14 jours 2/09 |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Audience de mise en état si les questionnaires n'ont pas été retournés |
16/09 9 semaines |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Notification de la date de l'audience |
23/09 8 semaines |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Semaine de l'audience |
22 semaines 18/11 |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Délai-limite pour les parties Délai-limite pour le juge Audience |
Lord Woolf donne au juge de la mise en état des
possibilités de
sanction en cas de non-respect de ce calendrier par
les parties
: si la partie ne peut justifier le retard au regard de
conditions strictes, elle ne pourra utiliser les pièces dont elle
entendait faire état. En outre, la partie qui retarde sans justification
la procédure pourra être condamnée à payer des
coûts, des indemnités ou des intérêts
supplémentaires quelle que soit l'issue du procès.
Il sera tenu compte de l'attitude de la partie en général pour
coopérer à la mise en état et à la solution du
litige. Le client sera informé par la Cour des coûts
occasionnés par son défenseur.
Pour la
multi-track
également de jeunes juges seront
chargés de la mise en état ("
procedural
judges
"). Ils devront notamment rechercher le traitement le plus
approprié, i.e. la filière la moins coûteuse et la plus
simple pour traiter équitablement l'affaire.
2. Le rôle central de l'informatique
L'ensemble des interlocuteurs de la mission a estimé
que le succès de cette réforme dépendait
matériellement de l'informatisation
uniforme et simultanée
des juridictions
et
des professions juridiques (61 000 solicitors
et 7 700 barristers).
Tentant de tirer profit de son retard en la matière pour éviter
les erreurs commises par d'autres pays plus avancés (notamment la
France), la Chancellerie britannique étudie actuellement, sous
l'égide de Sir Richard Scott,
Vice-Chancellor
et
Head of
civil justice
, l'équipement et la programmation des outils
informatiques ("
I.T.
" :
Information
Technology
)
nécessaires au pilotage du traitement des dossiers.
L'étude a été confiée à une entreprise
privée américaine et l'écriture des programmes de gestion
des calendriers des affaires ne devrait pas poser de difficultés
techniques. Elle s'inscrit dans le programme
Private Finance Initiative
lancé à partir de 1992 dont l'objet est de faire prendre en
charge par le secteur privé des services traditionnellement
publics
25(
*
)
. Elle prévoit l'extension de
l'expérience "
Caseman
"
26(
*
)
aux
county courts
dès 1997. Le contrat
n'envisage pas en revanche l'extension aux
magistrates courts
.
Caseman
concerne seulement l'enregistrement des affaires. Pour leur
suivi et leur mise en état, l'équipement, l'écriture des
programmes informatiques en fonction de règles de procédure non
encore rédigées et la formation des juges doivent
présenter une fiabilité de laquelle dépend le soutien que
les professions juridiques et judiciaires apporteront à la
réforme.
Le financement pour les juridictions doit être assuré par le
budget, sur le principe de la location de l'équipement ;
l'homogénéité du système garantit par ailleurs au
fournisseur privé une clientèle captive auprès des
professions juridiques.
Le risque de dépendance à l'égard du fournisseur de la
technologie n'est pas méconnu et impliquera la mise en place de
contrôles.
Les juges devraient bénéficier de
judicial assistants
pour
les aider à appréhender ces nouvelles méthodes.
La date-butoir pour la mise en oeuvre de la réforme, fixée
à
octobre 1998
, apparaît à chacun très
optimiste
. En effet, la sous-commission chargée de
l'informatisation qui aurait dû être mise en place au sein du Civil
Justice Council créé à l'initiative de Lord Woolf n'a pas
encore été créée. Les interlocuteurs de la mission
ont donc marqué une certaine préoccupation sur la structure de
concertation entre l'ensemble des parties concernées par la mise en
place de l'informatique (professions juridiques et judiciaires, Chancellerie,
Court service, fournisseurs...)
C. LE DÉVELOPPEMENT DES MÉTHODES ALTERNATIVES DE RÉSOLUTION DES CONFLITS
La rationalisation des procédures, leur maîtrise
par le juge et l'abaissement potentiel des coûts qu'elles induiront
risquent, en améliorant la productivité du système
judiciaire, de favoriser le développement du contentieux.
En conséquence, pour éviter de submerger les juges, dont Lord
Woolf n'envisage pas d'accroître significativement le nombre, la
réforme comprend un volet d'incitation à la médiation
anticipée qui s'accompagne, dans la pratique, du développement de
techniques variées de résolution non judiciaire des conflits.
1. L'incitation à la médiation anticipée
La
Central London County Court
, installée il y a
quatre ans, a pu mettre en place une
expérimentation
qui a
conduit Lord Woolf à inclure dans ses propositions des mécanismes
permettant au juge d'encourager les parties à ne pas attendre la veille
du procès pour tenter une conciliation.
Cette évolution suppose que les professions juridiques et judiciaires
adhèrent à l'esprit de coopération entre les
représentants des parties qu'il est suggéré de substituer
au comportement d'affrontement actuel.
L'expérience, commencée en juillet 1996, a conduit à
proposer 2 700 médiations. Seules 80 ont été
réalisées dont 66 % ont abouti.
Elle consiste pour le juge à proposer par écrit aux parties une
médiation, sept jours après le dépôt de leurs
conclusions.
Les parties doivent exprimer la volonté d'y participer ; le juge ne
dispose pas en l'état actuel du droit de pouvoir de coercition. Pour les
magistrats rencontrés, la réticence des parties s'explique
notamment par le fait que l'offre de médiation est nécessairement
adressé aux défenseurs des parties qui ne les informeraient que
rarement de cette offre.
Certains juges en charge de l'expérience auraient souhaité
pouvoir inciter davantage les parties à se concilier, soit en ayant la
capacité d'ordonner la conciliation, soit en adressant directement aux
parties l'offre de médiation.
En cas d'accord, un rendez-vous est fixé dans les quatre semaines. La
médiation est organisée dans les locaux du tribunal en dehors des
heures d'audience. Elle dure trois heures et coûte 25 à chaque
partie. Les médiateurs, inscrits sur une liste dressée par les
juridictions, sont formés, à défaut d'être
aujourd'hui très expérimentés.
Le taux de réussite est apparu assez encourageant pour envisager de
donner au juge une faculté d'incitation des parties à la
médiation, organisée à l'intérieur de la
juridiction dès le début de la procédure.
Celle-ci existe déjà en matière de divorce et de garde des
enfants.
Le rapport Woolf a pour objectif de s'appuyer sur une culture
préexistante de transaction pour éviter les conciliations
tardives (les plus nombreuses au seuil de l'audience) et
déséquilibrées (en raison des capacités
financières respectives des parties pour faire face à un
contentieux coûteux).
· Il propose tout d'abord de
revoir la procédure du paiement
in
(cf. ci-dessus) pour élargir les possibilités de proposer
une transaction (
offer to settle
).
Désormais chaque partie (et non seulement le défendeur) pourrait
à tout moment proposer une transaction sur tout ou partie du
contentieux, le dépôt de la somme auprès de la cour
n'étant plus qu'une faculté.
Le défenseur qui ferait une offre, refusée par le plaignant
auquel le juge accorderait une somme inférieure ou égale,
continuerait à bénéficier du paiement de ses frais
à partir de l'offre.
Le plaignant qui aurait fait une offre en cours de procédure,
refusée par le défendeur et accordée, voire
dépassée, par la décision du juge,
bénéficierait d'intérêts accrus (25 % jusqu'à
10 000 ; 15 % de 10 000 à 50 000 ; 5 % au-dessus de 50 000).
· D'autre part, des
protocoles
permettant d'encadrer les
transactions pré-contentieuses sont en voie d'élaboration pour
les différents branches (construction, dommages corporels,
responsabilité médicale...).
Le comportement des parties au cours de cette phase (bonne foi, volonté
de transiger, transmission des documents...) sera pris en compte par le juge,
si elle échoue, pour l'imputation des frais ou l'examen des
délais supplémentaires au cours de la phase contentieuse.
Ces incitations devraient encourager les parties à transiger plus
tôt qu'elles ne le font actuellement et à économiser ainsi
le temps de la cour et des parties.
Les méthodes d'obtention de la transaction peuvent en outre être
très variées.
2. Le développement de techniques variées de médiation
Le terme générique de médiation recouvre
ici plusieurs techniques constituant des
méthodes alternatives de
résolution des litiges ou
A.D.R.
(Alternative dispute
resolution)
.
Ainsi que l'a rappelé à la mission James Burnett-Hitchcock,
solicitor et médiateur expérimenté, la médiation
peut être
contre-indiquée
dans certains cas :
- lorsqu'une partie n'a pas de volonté de transiger, d'où la
difficulté de rendre la médiation obligatoire;
- lorsqu'il est souhaitable d'obtenir une décision qui fasse
jurisprudence ;
- lorsqu'une injonction est nécessaire ;
- lorsque la publicité est considérée utile ;
- lorsque le climat émotionnel implique un préambule
formalisé
27(
*
)
.
Il estime qu'il ne faut l'envisager que lorsqu'il peut être
répondu ainsi aux quatre questions suivantes.
Les parties ont-elles :
1. Un véritable désir de transiger ?
Oui
.
2. Une aptitude comparable à la négociation ?
Oui
.
3. Une volonté de gaspiller temps et argent dans des procédures
pouvant durer des mois ?
Non.
4. Une nécessité d'obtenir une décision judiciaire ?
Non
.
Dès lors que les parties sont prêtes à s'engager dans la
médiation, existent en Grande-Bretagne plusieurs organismes
spécialisés regroupant des médiateurs dont ils assurent
parfois la formation (notamment le CEDR,
Centre for Dispute Resolution
).
Leurs membres peuvent être des entreprises, des cabinets de juristes, des
associations de consommateurs, des associations familiales, des financiers, en
fonction de leur champ d'action.
Certaines associations ont été créées il y a
plusieurs dizaines d'années et ont développé, au cours des
dix dernières années, leur activité de médiation.
D'autres, plus récentes, tentent de répondre à une demande
urgente de milieux d'affaires où la rapidité des échanges
exclut le recours à la voie judiciaire (par ex. CDP,
City dispute
panel limited)
.
Le recours à la médiation permet, dans le contexte britannique,
une résolution moins onéreuse, plus rapide et confidentielle des
litiges. Elle aboutit aujourd'hui dans
95 % des cas
grâce à
la participation
volontaire
des parties.
Elle permet de prendre en compte des aspects des rapports entre les parties,
étrangers au litige proprement dit, mais qui peuvent en faciliter la
solution. Eléments qu'un juge, enfermé dans les bornes
étroites du contentieux, n'aurait pas à connaître.
Enfin, l'exécution est facilitée par l'acceptation des deux
parties.
James Burnett-Hitchcock reprend à son compte la définition
suivante pour l'ADR :
"
Méthode de résolution des litiges, basée sur
un processus structuré impliquant l'intervention d'une tierce personne,
qui n'aboutit pas à une décision exécutoire imposée
aux parties
28(
*
)
".
L'arbitrage au sens strict ne devrait donc pas entrer dans cette
définition car il conduit à une décision imposée
aux parties. Il est semble-t-il peu prisé en Grande-Bretagne où
il est perçu comme long et coûteux.
En revanche, l'éventail des méthodes de médiation est
devenu plus sophistiqué pour proposer des solutions sur mesure en
fonction des besoins des parties.
Il s'agit toujours au préalable pour les parties de se mettre d'accord
pour désigner une
tierce personne
qui, ayant pris connaissance du
dossier exposé par les parties ensemble et/ou séparément,
accompagnées ou non de leurs défenseurs, leur proposera une
transaction qui deviendra contractuellement exécutoire.
La perspective du
coût
en temps et en argent si le litige est
porté devant une juridiction, seule alternative en cas d'échec,
est un
levier puissant
qui explique le taux de succès de ces
médiations en Angleterre.
En outre, le
degré de satisfaction
est plus élevé
pour une solution négociée qu'à l'égard d'un
jugement, d'autant plus si celle-ci intervient avant que le contentieux ne
s'aggrave.
La navette effectuée par le médiateur permet à chacun de
sortir des " tranchées "
creusées autour du
litige juridique et d'exprimer plus largement ses besoins et ses
intérêts.
Au-delà du cadre général qui peut être très
informel, plusieurs techniques particulières d'ADR peuvent être
détaillées :
-
Executive trial
:
après un désaccord
commercial entre deux entreprises constaté au milieu de la chaîne
de commandement, les dirigeants des deux entreprises recherchent avec un
médiateur (un juge à la retraite par exemple) une solution
négociée ;
-
l'évaluation des chances de succès d'un
contentieux
: particulièrement utilisé en matière
de marchés financiers, elle consiste à faire évaluer par
un panel neutre sur une échelle de 1 à 5 les chances de
succès de chaque partie sur chaque aspect du litige ;
-
l'adjudication
consiste à demander à un expert
d'examiner la question et de trancher, fictivement, le litige ;
-
l'amiable composition
: particulièrement utilisée
en matière d'assurances, cette technique permet à un expert de
trancher en équité.
- Deux techniques américaines lorsque l'enjeu est une somme :
.
l'arbitrage " Hi-Lo "
(" haut-bas ") : les
parties se mettent d'accord sur la fourchette de l'enjeu qui n'est pas connue
de l'arbitre. Si celui-ci tranche pour une somme comprise entre le minimum et
le maximum fixés par les parties, celles-ci acceptent sa décision.
. Le "
base-ball
" ou
"
pendule
" : à l'issue d'une
négociation, les parties ont rapproché leurs évaluations
mais sans parvenir à se mettre d'accord sur un chiffre ; elles
conviennent de présenter à un arbitre les deux dernières
sommes proposées. L'arbitre doit choisir l'une d'entre elles (ce quitte
ou double impose à chacune des parties de faire au préalable une
offre réaliste pour éviter que l'arbitre n'opte pour celle
proposée par l'adversaire).
Ont également été développées, notamment par
le CDP pour les besoins de la " City ", des méthodes
d'arbitrage sur mesure pouvant aller jusqu'à un sorte de
"
référé arbitral
" se tenant le
jour même.
Le médiateur n'écrit pas en principe la transaction. Les avocats
des parties la rédigent. Le compromis peut être homologué
par le juge si l'affaire a été portée devant la justice.
Ces techniques précises peuvent apparaître anecdotiques et
limitées pour l'essentiel aux litiges commerciaux.
Toutefois, les méthodes alternatives de résolution des conflits
ont en Grande-Bretagne un avenir plus large dès lors qu'un nombre
important de médiateurs expérimentés sera disponible.
Ceux-ci sont aujourd'hui le plus couramment d'anciens juristes ou magistrats
à la retraite ou des professionnels expérimentés de
secteurs très spécialisés dont la compétence est
reconnue par leurs pairs.
Des organismes de médiation dispensent en outre des formations. Par
exemple, le CEDR, organisme à but non lucratif, propose une formation
sur cinq jours suivie d'un tutorat avec un médiateur
expérimenté.
Cette formation porte sur les techniques de
médiation elles-mêmes ; elle complète l'expérience
acquise par l'exercice d'une profession antérieure.
Elles jouent d'ores et déjà un rôle en matière de
logement, de relations familiales, d'emploi où les parties en cause ne
sont pas des professionnels. Dans ces cas, la médiation peut notamment
être la première occasion pour chaque partie d'entendre le litige
formulé par l'adversaire.
Les médiations sont en principe réglées à la
journée et la solution est généralement trouvée au
terme du délai-limite que se sont fixées les parties.
Quelques exemples de coûts d'une médiation effectuée par
le CEDR:
- pour une affaire simple requérant une journée d'un
médiateur : 1 000
- pour la plupart des médiations courantes: entre 2 000 et 3 000
- pour une affaire importante nécessitant plus de cent heures de
travail: 23 000 (au lieu de 2 ans de contentieux représentant 0,5
à 1 million de livres)
Le coût est partagé entre les parties. S'y ajoutent les honoraires
des avocats si les parties sont représentées.
En
matière familiale
, les deux principaux organismes sont la NFCC
(
National Association of Family Mediation and Conciliation
) et la FMA
(
Family Mediators Association
). Toutes deux reçoivent des
subventions et des dons ainsi qu'une fraction limitée de l'aide
juridique partielle.
- La NFCC a élaboré un code en 1986 après consultation du
barreau ; elle regroupe 55 services affiliés.
Le coût des séances de médiation est fixé en
proportion des revenus. Six séances d'une heure et demie sont en moyenne
prévues pour préparer l'accord que les parties rédigeront
avec leurs avocats. A l'origine limitée aux arrangements relatifs aux
enfants, la NFCC a également expérimenté une
médiation " globale "
("
comprehensive
") qui
aide en outre les parties à rechercher des solutions pour le partage du
patrimoine. En tout état de cause, il est recommandé à
chaque partie d'être conseillée par un avocat.
- La FMA a été créée en 1988 et a proposé
les premières médiations globales. Elle organise des
co-médiations menées par un juriste et un autre professionnel
ayant tous deux une expérience et une formation en matière
familiale. Leurs médiateurs sont contrôlés,
accrédités et couverts par une assurance collective.
Trois séances d'une heure et demie sont en moyenne nécessaires.
Le coût de chaque séance est de 180 partagé
également entre les deux parties.
En outre, la SFLA (Solicitors Family Law Association) créée en
1982, regroupe des avocats souscrivant à un code encourageant la
médiation avec l'appui d'un conseil juriste en matière familiale.
Ainsi que l'a indiqué Lord Woolf, le développement de ces
techniques implique que
l'aide juridictionnelle
soit accessible à
ceux qui y recourent, notamment pour encourager les professions juridiques
à leur conseiller d'y faire appel.
Les plus avisés des auxiliaires de justice sont d'ores et
déjà rompus à la médiation et pourront
désormais agir tantôt comme représentants d'un client,
tantôt (dans une autre affaire) comme médiateur.
CONCLUSION
La justice civile britannique connaît aujourd'hui des
délais et surtout des coûts très supérieurs à
ceux rencontrés en France mais pour des motifs différents.
La croissance des flux y est en revanche sans commune mesure avec l'inflation
spectaculaire constatée en France, en raison des règles de
procédure (encadrement de l'appel notamment) et de l'importance des
coûts.
La mise en oeuvre de la réforme proposée par Lord Woolf
entraînerait plusieurs évolutions culturelles qui,
cumulées, formeraient sans doute une quasi-révolution :
1. la
maîtrise du procès
passerait des parties au juge ;
2. le
coût de la justice
risquerait de passer des parties à
l'Etat mais cette charge pourrait être compensée par la baisse du
coût de chaque affaire bénéficiaire de l'aide judiciaire;
3. l'
informatisation généralisée
transformerait
substantiellement les méthodes de travail des juges et des auxiliaires
de justice ;
4. la refonte des procédures civiles simplifierait l'
accès
à la justice
.
5. L'équilibre entre les parties étant rétabli par des
procédures standardisées, les plus forts devraient davantage
considérer le
fond du litige
avant de s'engager dans un
contentieux.
6. Le
plafonnement des honoraires
antérieurs à l'audience
devrait inciter davantage de solicitors à plaider.
7. En cumulant aide judiciaire et honoraires plafonnés, sous
réserve d'un accord préalable client-défenseur pour les
dépassements, serait créé une sorte de "
secteur
conventionné
" de la justice.
Le nouveau Lord Chancellor n'a pas à ce jour indiqué s'il
poursuivrait cette réforme dans le calendrier envisagé
primitivement (date-butoir octobre 1998).
Elle n'a pas que des partisans notamment parmi ceux qui pourraient craindre,
par exemple les barristers, de voire diminuer le volume des affaires soumises
aux tribunaux en raison de l'encouragement des méthodes alternatives de
résolution des conflits (ADR).
En réalité, l'accroissement de l'efficacité des
juridictions et la maîtrise des coûts risquent de provoquer un
afflux de nouveau contentieux bénéfique pour ces professions mais
problématique pour l'engorgement des tribunaux.
Les observateurs français suivront avec intérêt la mise en
oeuvre d'une réforme dont le succès contribuerait sans doute
à une harmonisation, souhaitable à terme, de nos pratiques
judiciaires.
Les comparaisons et les enseignements qui pourront en être tirés,
le cas échéant, pour la France dépendront largement des
évolutions du volume du contentieux, du degré d'informatisation
finalement mis en uvre et de l'efficacité d'une médiation
suggérée
par le juge au regard d'une culture britannique
tournée vers la transaction
volontaire
sous la pression du
coût des procédures.
Il est apparu à la mission difficile de transposer en France les
évolutions britanniques compte tenu des différences de toutes
sortes qui caractérisent les deux systèmes et faussent toute
comparaison générale.
Seules les comparaisons ponctuelles, sur les techniques de mise en état,
les procédures de médiation, le recrutement judiciaire sont
éclairantes.
Au-delà de la réforme qui concentre les efforts britanniques, il
apparait qu'en ce qui concerne plus particulièrement le contentieux de
masse, celui-ci fait l'objet d'un traitement convenable dans le cadre des 550
magistrates'courts où siègent actuellement 30 000 juges
bénévoles qui traitent principalement les affaires
pénales. Institution ancienne, elles ont été
fréquemment étudiées et citées en exemple
29(
*
)
.
D'ores et déjà on peut retenir que, reposant essentiellement sur
des non-juristes assistés d'un greffier professionnel, ces cours
présentent une certaine parenté avec la rénovation des
tribunaux d'instance proposée par la mission d'information de la
commission des Lois sur les moyens de la justice
30(
*
)
.
ANNEXE 1
PROGRAMME DE LA MISSION D'INFORMATION
À LONDRES
Jeudi 17 avril 1997: LE RAPPORT WOOLF
Le matin :
Présentation des grandes lignes du
rapport de Lord Woolf
Cabinet Cameron Markby Hewitt
James Burnett- Hitchcock, senior litigation partner
Alexander Kleanthous, senior solicitor
Antoine Adeline, avocat
Déjeuner avec plusieurs membres du cabinet
L'après-midi
:
Entretiens sur la mise en oeuvre du
rapport
-
Au Palais de Justice :
Lord Woolf, Master of the Rolls, auteur du rapport sur l'accès
à la justice
Sir Richard Scott, Vice-Chancellor et Head of Civil Justice
- A la Law Society :
M. Michael Napier, Council Member et Chairman of the Law Society
Civil Litigation commitee (Barreau)
Mme Leanne Hedden and Mme Margaret Hodgson
Lord Chancellor's
Department (Ministère de la justice)
-
Au
Cabinet Fauchon et Levy
Rencontre avec des praticiens, juristes et médiateurs
Vendredi 18 avril 1997: LES MÉTHODES ALTERNATIVES DE
RÉSOLUTION
DES CONFLITS
Le matin
:
Présentation des méthodes
alternatives de résolution des conflits
- Cabinet Cameron Markby Hewitt
James Burnett- Hitchcock, senior litigation partner
M. Richard Freeman : chief Executive, City Dispute Panel Limited
(CDP)
M. Nicolas Pryor : Member of the Faculty of the Centre for Dispute
Resolution (CEDR)
Déjeuner avec M. l'Ambassadeur Jean Gueguinou à la
Résidence de l'ambassade de France
L'après-midi :
Audiences et entretiens à la
Central London County Court
Audiences civiles
Judge Butter et Judge White
Présentation de l'expérience de médiation au sein de
cette juridiction
*
* *
1
" Car qui supporterait (...)
les
lenteurs de la justice... " (Trad. Marcel Pagnol - Nagel 1947)
2
" Quels moyens pour quelle justice ? ". Rapport
Sénat n° 49 (1996-1997).
3
Cf. programme de la mission en annexe.
4
Lord Woolf a publié un rapport intérimaire en juin
1995, auquel il sera fait référence sous le terme " Interim
report ", et un rapport définitif en juillet 1996 " Access
to
justice - Final Report to the Lord Chancellor of the civil justice system in
England and Wales " auquel il sera fait référence sous le
terme " Final report ".
5
Président de la Cour des appels civils.
6
Pour que la comparaison soit plus pertinente,
il
faudrait tenir compte pour la France des conseillers des tribunaux de commerce
(environ 3000 ) et des conseils de prud'hommes (14.646) et soustraire les
magistrats du Parquet (1532).
7
Leurs salaires varient de 70 000 par an pour un circuit judge
à 110 000 pour un Law Lord. Une livre britannique () équivaut
à 10 francs français.
8
A l'heure actuelle, tel est le cas pour trois d'entre eux ce qui
porte à 12 le nombre des Law Lords.
9
Interim Report - Juin 1995, p. 26.
10
Le Livre Blanc (White book) des procédures civiles devant
la High court comporte 3.500 pages ; le Livre Vert (Green book) des
procédures devant les county courts en compte 2.000.
11
Jusqu'en 1990, les barristers avaient le monopole
de la plaidoirie devant la Crown Court, la High Court et les cours d'appel.
Les solicitors pouvaient plaider devant les autres juridictions. Depuis
l'abolition du privilège des barristers par la loi de 1990, les
solicitors peuvent également plaider devant les plus hautes
juridictions. Les premiers sont apparus en 1994. Pour chaque personne
représentée par un barrister à l'audience, neuf sont
représentées par un solicitor.
12
Une livre britannique() équivaut à 10 francs
français.
13
" Etudes des dépenses judiciaires en Angleterre et au
Pays de Galles " Jean-Yves Caro - Professeur à l'Université
Panthéon-Assas.
14
En France, le plafond pour l'aide juridictionnelle totale est
fixé en 1997 à 4 848 F par mois (l'équivalent d'environ
5817 par an) et pour l'aide partielle à 7 273 F par mois (soit environ
8 727 par an).
15
En France, les 1 072 millions de francs dépensés
en 1996 pour l'aide juridictionnelle, en progression de 24%,
représentaient 4,6% du budget de la Chancellerie.
16
Final Report p. 17.
17
Environ 100 l'heure en dehors de Londres selon " The
Law
Machine " Berlins & Dyer. De 200 à 500 pour un solicitor
expérimenté à Londres selon James Burnett-Hitchcock.
18
Par exemple : pour un barrister expérimenté 2 500
+ 750 par jour pour une affaire d'accident devant la High Court. Mais cela
peut varier de 750 à 100 000 entre une affaire plaidée devant
un magistrate et un cas complexe.
19
Graphique réalisé à partir des
données issues des statistiques publiées par la Chancellerie
britannique (Judicial Statistics Annual Report 1996).
20
En France au contraire, l'opportunité des poursuites est
utilisée pour réguler le flux du contentieux (" robinet
pénal ") d'où un taux de classement sans suite très
élevé, y compris pour des affaires élucidées (45 %
environ)
21
Interim report p. 27.
22
En France, on constate de grandes inégalités entre
les juridictions. Ainsi, la durée moyenne d'une affaire civile est de :
15 mois devant la cour d'appel (avec des variations du simple au triple) ; de 9
mois devant le TGI (avec des écarts du simple au quintuple) ; de 5,3
mois devant le TI (avec des variations de 1 à 7).
23
Interim report, p.29.
24
Final Report p. 2.
25
Par exemple, dans un domaine connexe,la construction de prisons
dont deux doivent ouvrir en 1997-1998 (Merseyside et South Wales).
26
Dont la mise en place devait permettre de supprimer 800 emplois
au sein des greffes.
27
Cf IHL Litigation and dispute resolution - November 1996 - Lord
Woolf proposes (3) ; Alternative Dispute Resolution - James Burnett - Hitchcock.
28
Commercial Dispute Resolution : an ADR Practice Guide - Mackie,
Miles & Marsh
29
Cf. notamment les propositions de MM. Hubert Haenel et Jean
Arthuis sur la justice de proximité.
30
Cf Rapport Sénat n° 49 (1996-1997) Proposition
n° 36