C. DES COÛTS DISSUASIFS
Si les différences de structures budgétaires et judiciaires rendent assez artificielles la comparaison du coût public de la justice, en revanche, il apparaît clairement que le coût d'un procès pour un justiciable est exorbitant en Grande-Bretagne et explique la croissance du nombre des justiciables non représentés.
1. Cadre budgétaire et aide judiciaire
La comparaison de budgets à structures bien
différentes est toujours très délicate. Ainsi la
répartition par grandes masses du budget anglais regroupe-t-elle la
justice et la sécurité qui représentent 5 % des
dépenses. En France, justice et intérieur reçoivent 6,4 %
; la justice seule, avec 24 milliards de francs, dépense 1,5 % du
budget. Le montant alloué à la Chancellerie anglaise est du
même ordre en chiffres bruts: 2,3 milliards de livres
12(
*
)
.
Le professeur Jean-Yves Caro
13(
*
)
s'était essayé à examiner les dépenses britanniques
en matière de justice en 1991. Il calculait alors une dépense
totale par habitant d'Angleterre et du Pays de Galles égale à 492
francs avec des juges le plus souvent bénévoles. A la même
époque, le budget du ministère français de la justice
représentait une dépense de 347 francs par habitant.
Le budget anglais avait alors augmenté rapidement sous le double effet
d'une volonté politique et de la mise en oeuvre de l'aide judiciaire
(
legal aid
). Entre 1986 et 1991, la dépense budgétaire
nette réelle avait crû de 70 %, soit un rythme annuel de
11 %.
Constatant en 1993 que le coût de l'aide judiciaire avait
progressé de 100 % en quatre ans, le ministre de la Justice anglais
décida d'en restreindre l'accès.
A partir d'avril 1994, l'aide judiciaire est devenue :
- totale en dessous de 2 382 de revenu annuel (au lieu de 3 060
auparavant) ;
- partielle entre 2 382 et 7 060 ( 7 780 pour les dommages
corporels).
Un plafonnement calculé en fonction du capital a également
été instauré : ne peuvent accéder à l'aide
judiciaire les détenteurs d'un capital supérieur à
6 750 ( 8 560 pour les dommages corporels)
14(
*
)
.
En raison du coût de chaque affaire,
l'aide judiciaire
représentait encore en 1996-1997, en Angleterre, 1,5 milliards de
livres, soit
67% du budget
du ministère.
15(
*
)
En conséquence, le précédent gouvernement envisageait une
nouvelle réforme notamment pour, au civil,
concentrer
les aides
sur les cas les plus justifiés et mettre en place des
achats
groupés
de services juridiques ou de médiation.
2. Des frais de procédure exorbitants à la charge du vaincu
La règle selon laquelle celui qui perd le procès
prend à sa charge les frais de la partie gagnante est d'autant plus
pénalisante que les coûts sont très élevés et
sans rapport avec l'enjeu du procès.
Ainsi, Lord Woolf rappelle-t-il
16(
*
)
que les coûts moyens
représentent systématiquement plus de 100 % de l'enjeu pour les
petites affaires et de 40 à 95 % de l'enjeu lorsque celui-ci est
compris entre 12 500 et 25 000. La somme des coûts moyens des parties
n'est susceptible d'être inférieure à l'enjeu que lorsque
celui-ci dépasse 50 000....
Or 80 % des affaires concernent un enjeu inférieur à 10 000
et pour 40 % d'entre elles les coûts dépassent le montant en
jeu.
Ces coûts sont en outre aujourd'hui dans la plupart des cas
imprévisibles
pour le client.
Les solicitors sont payés à l'heure mais ne peuvent
prévoir à l'avance la durée et la complexité de
l'affaire
17(
*
)
.
Les barristers reçoivent un premier paiement pour la préparation
et le premier jour d'audience ("
brief fee
") et des
compléments pour chaque jour supplémentaire d'audience
("
refreshers
")
18(
*
)
.
Les experts perçoivent des honoraires de la partie pour leur rapport
écrit ( 200 à 750 pour un médecin par exemple) et pour
leur déposition à l'audience ( 200 à 750 par jour).
Les frais de justice payés à la Cour, modestes par rapport
à ces sommes, permettent néanmoins de couvrir une part importante
des dépenses effectives des juridictions puisque ces recettes peuvent
représenter environ 20 % des dépenses brutes du
ministère.