3. Le rapport présenté par le Gouvernement irlandais sur les développements sous la présidence irlandaise des négociations de la Conférence intergouvernementale de révision du Traité de Maastricht (CIG)
M. Dick Spring
, ministre des affaires
étrangères du gouvernement irlandais,
Président en
exercice du Conseil de l'Union européenne
a indiqué que des
progrès avaient été accomplis vers la réalisation
de l'objectif qu'il s'était fixé d'aboutir à une plus
grande efficacité de la Présidence sur les questions qui
préoccupent les citoyens, en particulier l'emploi, la justice et les
affaires intérieures, l'union économique et monétaire et
les affaires étrangères.
S'agissant de l'exigence d'une économie créatrice d'emplois et
des préocccupations devant les conséquences sociales du
chômage, M. Dick Spring a estimé que la responsabilité
primordiale des Etats membres en ce domaine ne dispensait pas de dresser le
bilan de la mise en œuvre effective des stratégies
arrêtées au Conseil européen d'Essen en décembre
1994.
Sur la justice et les affaires intérieures, une des priorités
aura été de renforcer la lutte contre le trafic et la
consommation de drogue. La lutte contre le trafic des êtres humains et
l'exploitation des enfants impose d'étendre les compétences
d'EUROPOL pour une meilleure formation de la police et l'échange
d'informations.
S'agissant de l'Union économique et monétaire, des progrès
significatifs ont été accomplis en matière de discipline
budgétaire dans la troisième étape, les efforts se
concentrant désormais sur la préparation technique de l'euro.
La direction des travaux de la Conférence intergouvernementale constitue
une autre tâche primordiale de la Présidence irlandaise, qui
présentera, au Conseil européen de Dublin, les grandes lignes
d'un projet de révision des Traités, dont une deuxième
lecture est déjà en cours. La CIG est en effet entrée dans
la phase concrète des négociations, des progrès importants
ayant été accomplis sur les méthodes de travail. Le
Conseil européen extraordinaire du 5 octobre dernier, même si
aucune décision de fond n'y a été prise, a permis aux
Chefs d'Etat et de Gouvernement de confirmer leur volonté de voir
respectée l'échéance initiale de la Conférence et
de voir des réponses concrètes apportées aux
difficultés et aux attentes des citoyens.
Parmi les thèmes importants de la Conférence figure le rôle
des parlements nationaux dans l'Union, notamment leur participation collective
au processus de décision. La Présidence irlandaise soutient les
propositions dans ce sens, sans qu'il lui paraisse cependant nécessaire
de réviser les Traités sur ce point.
Abordant les questions de politique extérieure, M. Dick Spring a
rappelé la déclaration du 2 octobre sur la place de l'Union
européenne dans le processus de paix au Proche-Orient dans laquelle elle
a appelé les deux parties à faire preuve de retenue afin que les
accords de paix soient rapidement mis en œuvre sur la base de la
Déclaration de Madrid. Un messager de l'Union a rencontré
MM. Arafat et Netanyahou, les 6 et 7 octobre, et leur a fait part du
souhait de l'Union d'apporter, plus encore qu'actuellement, sa contribution
à la réussite du processus de paix, des contacts étant
d'ailleurs fréquents avec les Etats-Unis. Le Conseil européen
extraordinaire du 5 octobre a examiné, pour sa part, la question du
mandat de l'envoyé de l'Union européenne au Proche-Orient, afin
d'aider à la relance du processus de paix.
S'agissant des pays de l'ancienne Yougoslavie, après les
élections nationales et régionales qui ont témoigné
du succès des efforts de l'O.S.C.E., l'Union soutient l'action de son
représentant, M. Carl Bildt, en faveur d'une structure commune de
Bosnie-Herzégovine, des progrès importants étant possibles
dans le délai de consolidation, de deux ans, du processus de paix.
M. Renzo Imbeni (Parlement européen)
a souligné les
difficultés que connaît actuellement l'Europe, qu'il s'agisse du
fléau du chômage ou de l'incapacité à parler d'une
seule voix sur le plan international. Il a estimé que
l'élargissement, le partenariat euro-méditerranéen et
l'Union économique et monétaire constituaient les seuls moyens de
réduire les incertitudes dans un monde devenu plus instable depuis la
chute du bloc de l'Est. Il a considéré que la réforme du
fonctionnement de l'Union était indispensable, qu'il s'agisse du vote
à la majorité, de l'extension de la procédure de
co-décision et souhaité que le Président en exercice du
Conseil fournisse des éclaircissements sur ce point. Il a enfin
insisté sur l'approfondissement nécessaire de la
citoyenneté européenne, notamment s'agissant des droits sociaux
fondamentaux.
M. Francisco Torres (Assemblée de la République du
Portugal)
a exprimé son accord avec les priorités
fixées par la Présidence irlandaise, l'Union économique et
monétaire lui semblant indispensable et n'étant pas incompatible
avec l'emploi. Il a souhaité qu'une nouvelle impulsion politique soit
donnée à l'occasion de la révision des Traités et
que les mesures concrètes pour l'emploi, déjà
identifiées par le Livre Blanc sur la croissance et la
compétitivité, soient plus activement soutenues par la
Présidence en exercice du Conseil. Il a regretté
l'éloignement des citoyens par rapport à la révision des
Traités et demandé que le projet dont la présentation est
annoncée pour le Conseil européen de Dublin mette en
lumière les enjeux concrets de la révision et les rende plus
compréhensibles pour l'opinion publique, une citoyenneté
européenne plus concrètement perçue devant être au
cœur de ce document. Il a également souhaité plus de
flexibilité, notamment dans les politiques sectorielles, et s'est
interrogé sur le document de la Présidence en vue de la
réunion ministérielle de l'OMC à Singapour.
M. Yves Guéna (Sénat français)
a souligné
que la révision du Traité de Maastricht s'imposait en raison de
l'élargissement à venir. Il a estimé que l'erreur des
négociateurs du Traité de Maastricht était de n'avoir pas
saisi l'importance de cet enjeu. La perspective de l'élargissement rend
indispensable une réflexion sur les institutions de l'Union : le nombre
de membres de la Commission, l'extension du vote à la majorité
pour éviter les blocages, sous réserve du droit de veto
résultant du "compromis de Luxembourg" auquel aucun gouvernement
français n'a renoncé, la démocratisation qui impose de
reconnaître une possibilité d'expression propre des parlements
nationaux. M. Yves Guéna a ensuite abordé la question de
l'existence propre de l'Europe sur le plan politique. Le préambule du
Traité de Maastricht parle de renforcer l'identité de l'Europe et
son indépendance afin de promouvoir la paix, la sécurité
et le progrès en Europe et dans le monde. Il s'est demandé
où en était la révision du Traité sur ce point. Il
a souligné qu'en ex-Yougoslavie, au Liban, à l'égard
d'Israël, on constatait une non-volonté commune qui désole
les authentiques européens, sans parler de la timidité dont
l'Union fait preuve dans ses rapports avec les Etats-Unis. Vouloir renforcer la
politique étrangère et de sécurité commune (PESC)
selon une formule intégrée serait irréaliste: elle doit
demeurer intergouvernementale et permettre aux Etats ayant des
intérêts communs de conduire ensemble des actions sans qu'ils
puissent être entravés par les autres.
M. Jürgen Meyer (
Bundestag
allemand)
a souligné la
complexité des problèmes auxquels l'Union européenne doit
faire face. La Diète fédérale considère la CIG
comme primordiale pour la réussite du futur élargissement. Le
renforcement des structures et du fonctionnement de l'Union impose de renoncer
à la règle actuelle de l'unanimité. Il a souhaité
savoir où en était la réflexion des négociateurs
sur la création d'une structure ou d'un secrétariat permament de
la PESC et si le rôle et le statut du Parlement européen seront
renforcés. Il a insisté sur l'idée d'une charte des droits
fondamentaux, l'Union européenne devant développer des valeurs
non uniquement économiques et cette charte être adoptée
sous l'égide du Parlement européen, en coopération avec
les parlements nationaux.
En réponse,
M. Dick Spring
a regretté que les citoyens ne
se sentissent pas plus intéressés par la CIG. Sur les questions
institutionnelles, il a observé que cinq commissaires intervenaient
actuellement en matière de relations extérieures, ce qui est
manifestement inadapté et nécessite une réforme, mais
plutôt que de savoir s'il faut vingt ou quarante commissaires, il a
observé que les petits pays se préoccupent de savoir s'ils
continueront d'avoir un commissaire. Sur l'élargissement, il a
souligné que la Présidence irlandaise s'était
engagée en sa faveur, mais que le mauvais fonctionnement de l'Europe
actuelle laisse présager les difficultés auxquelles il faudra
faire face, en l'absence d'adaptations, à vingt ou vingt-cinq. Un
Conseil dure aujourd'hui deux jours, on peut imaginer ce qu'il risquerait d'en
être après un élargissement non préparé.
Sur la PESC, la CIG a intensément discuté la question du nouveau
secrétariat et la Présidence irlandaise a souligné
l'importance d'un renforcement de la capacité d'analyse au niveau
européen. Si un large consensus est apparu sur la
nécessité d'améliorer la PESC, la CIG n'est pas en mesure
d'examiner en détail, dans l'immédiat, toutes les propositions
visant à introduire une flexibilité indispensable à sa
réussite
S'agissant du vote à la majorité, un large consensus s'est
dégagé sur la nécessité de renforcer
l'efficacité du processus de décision, compte tenu, une fois
encore, de l'élargissement, mais aucun critère n'a encore
recueilli l'unanimité, un Etat ayant même exprimé son
opposition à toute extension du vote à la majorité.
Sur la citoyenneté, M. Dick Spring a estimé nécessaire de
réviser le Traité pour la rendre plus explicite, qu'il s'agisse
des droits politiques ou des droits économiques et sociaux, mais il a
indiqué qu'aucun consensus n'existait sur le contenu de cette
citoyenneté rénovée, si elle devait aller au-delà
de droits venant compléter la citoyenneté nationale ou
s'étendre aux citoyens non européens.
Après avoir indiqué qu'une position commune pour la
réunion ministérielle de l'OMC, à Singapour, était
en préparation, il a conclu en confirmant que le mandat reçu du
Conseil européen, en ce qui concerne la CIG, était
d'établir un projet de révision du Traité afin de
poursuivre la négociation sous la présidence néerlandaise.
Abordant les questions relevant du troisième pilier,
Mme Yvonne Van
Rooy (Deuxième Chambre des Etats généraux des Pays
Bas)
a indiqué que la lutte contre la criminalité
internationale et le trafic de drogue constituait bien une priorité mais
s'est interrogée sur les possibilités d'obtenir le renforcement
des actions communes selon que l'on choisirait la voie d'une communautarisation
ou celle d'une coopération comme dans le deuxième pilier. Elle a
demandé où en était la réflexion sur la
coopération essentielle entre justices nationales. S'agissant de la
PESC, le gouvernement néerlandais serait favorable à un
rôle plus important de l'Union européenne au Proche-Orient, lequel
peut se traduire par l'envoi d'un médiateur bénéficiant de
la confiance de toutes les parties.
M. Antonio Costa (
Cortes Generales
d'Espagne)
a souhaité
que la CIG se concentrât sur les questions essentielles comme la
nécessité de mettre en place des instruments efficaces, qu'il
s'agisse des institutions ou du système de décision, permettant
d'élaborer des politiques et, ensuite, de les adapter. Il a
considéré que le plus important était de réformer
le système de décision, en reconnaissant une certaine
flexibilité dans la participation des Etats. Il a ensuite insisté
sur la nécessité d'apporter des réponses convaincaintes
à la question du chômage et de la criminalité, à
défaut desquelles les citoyens ne comprendraient rien à la CIG.
M. Nils T. Svensson (Parlement suédois)
a insisté sur la
nécessité d'intégrer les pays d'Europe centrale et
orientale, l'absence d'élargissement risquant d'avoir un coût
très élevé dont les évènements
d'ex-Yougoslavie ont donné un avant-goût. Il s'est
interrogé sur l'échéancier de l'élargissement et la
stratégie préparatoire à ce dernier et a demandé si
certains pays candidats apparaissaient d'ores et déjà aptes
à intégrer l'Union. Il a souhaité que la Présidence
irlandaise puisse surmonter les querelles institutionnelles afin d'offrir une
meilleure vision des enjeux de l'élargissement.
M. Paul Hatry (Sénat de Belgique)
a considéré que
la CIG devait désormais se concentrer sur l'essentiel,
c'est-à-dire le passage à la troisième phase de l'Union
économique et monétaire, qui affecte le plus la vie des citoyens.
Il a observé qu'il était impossible de différer
l'élargissement, mais que ce dernier imposait de réaliser une
Union rénovée au fonctionnement plus harmonieux, les trois
prochaines Présidences ayant un rôle important à cet
égard, compte tenu des contraintes institutionnelles, des questions de
procédures et des intérêts en jeu dans les politiques
régionales et la Politique agricole commune. L'Union est devenue un
géant économique mais demeure un nain politique. La
réforme de la PESC apparaît donc essentielle, la CIG devant
retenir les procédures qui privilégient la solidarité
européenne. Il faut enfin que les négociateurs ne perdent pas de
vue que rien ne sera possible si la révision est rejetée par deux
ou trois pays devant organiser des référendums, le
précédent du Danemark étant très éclairant.
S'agissant de la flexibilité, il convient d'être prudent, car il
faut refuser les exclusions permanentes, tout les Etats membres devant aller,
même en suivant des rythmes différents, dans la même
direction, c'est-à-dire la création d'un espace unique politique,
économique et social.
Mme Anette Just (
Folketing
danois)
a insisté sur le fait
que réussir la CIG était indispensable pour réussir
l'élargissement. La sécurité économique doit
être l'objectif essentiel de l'Union européenne. Il n'est plus
possible d'admettre que la moitié des fonds européens continuent
d'être consacrés à l'agriculture, compte tenu des besoins
prévisibles des fonds structurels consécutifs à
l'élargissement.
M. Erkki Tuomioja (Parlement finlandais)
a considéré que
la lutte contre la drogue devait être une priorité, mais il a
estimé qu'une certaine dépénalisation de son usage, au
titre de la politique de santé, serait certainement très
efficace. Sur l'élargissement, il a appelé à plus de
réalisme sur l'échéancier, dix années lui
paraissant un minimum, compte tenu de la complexité des adaptations
nécessaires, qu'il s'agisse de la Politique agricole commune ou des
fonds structurels. Il a estimé déraisonnable de croire que les
petits pays membres de l'Union accepteront des aménagements
institutionnels qui risqueraient de déséquilibrer
l'édifice européen à leur détriment. Il a enfin
demandé que l'Union économique et monétaire soit
gelée pour cinq ans au moins, le temps de rétablir le contact
entre les citoyens européens et leurs élites.
En réponse,
M. Dick Spring
a souligné le caractère
quelque peu provocateur de la dernière intervention, la question de la
drogue nécessitant une approche plus sérieuse, de
caractère polyvalent, mêlant à la fois l'éducation,
les services de santé et la lutte contre les trafiquants. Certains
négociateurs de la CIG, dont l'Irlande, considèrent qu'une
communautarisation du troisième pilier serait un élément
qui renforcerait l'efficacité des actions menées sur ce plan et
plus généralement pour la protection des citoyens.
Abordant l'élargissement, il a estimé que l'opportunité
historique imposait d'engager les négociations avec les pays candidats
conformément au calendrier arrêté, c'est-à-dire six
mois après la clôture de la CIG, et que la question de la
Politique agricole commune et des fonds structurels serait effectivement
difficile, car certains pays, dont l'Irlande, veulent le maintien de la PAC,
alors que d'autres plaident pour sa restructuration. Il a refusé
d'envisager un gel du processus d'Union économique et monétaire
et insisté sur la nécessité de maintenir
l'équilibre entre les petits et les grands Etats.
S'agissant de la PESC, il a souhaité le renforcement du poids politique
de l'Europe en soulignant que les Etats-Unis se plaignent d'ailleurs de ne pas
savoir l'interlocuteur auquel ils doivent s'adresser lorsqu'il veulent parler
aux Européens collectivement. Des changements institutionnels sont donc
nécessaires pour permettre à l'Union de s'exprimer d'une seule
voix.
En conclusion, l
e Président Michaël Ferris
a estimé
que la CIG devait examiner la question de la communautarisation du
troisième pilier, même si certains pays expriment des
réticences fondées sur la protection de leurs frontières
nationales. Les citoyens, et les parlements nationaux, doivent être mieux
informés pour les premiers et plus consultés pour les autres sur
le déroulement des négociations. L'Union européenne a un
rôle stabilisateur important à jouer dans les relations
internationales, qu'il s'agisse de l'ex-Yougoslavie, de l'Afrique du Nord ou du
Moyen-Orient. L'élargissement ne peut qu'être approuvé dans
son principe, car il permettra de stabiliser les pays d'Europe centrale et
orientale et garantira un certain nombre d'ajustements indispensables.
S'agissant de la réforme institutionnelle, la structure actuelle de la
Commission doit être maintenue pour les petits Etats. Il faut
s'inquiéter de la complexité croissante de l'Europe qui
l'éloigne des citoyens alors que les conclusions de la CIG auront un
impact important sur leur vie future.