Echange d'une participation en capital avec Deutsche Telekom
Tout n'a toutefois pas vocation à être ouvert au
public à l'intérieur des 49 % dont la détention par
l'Etat ne serait pas obligatoire. La sociétisation doit, en
priorité, être un moyen de conforter la position de notre
opérateur historique en lui permettant de consolider ses alliances
internationales.
Doté d'un capital, il pourrait en effet procéder, à
hauteur de 10 % par exemple, à un échange avec son principal
allié : Deutsche Telekom.
L'évolution de la Commission de Bruxelles sur ce type de dossier,
marquée notamment par son acceptation de l'accord Atlas, ouvre
désormais la voie à de telles associations capitalistiques.
Si nos partenaires d'Outre-Rhin donnaient suite à une proposition de cet
ordre, l'axe franco-germanique ainsi constitué esquisserait les contours
d'un géant européen bicéphale qui, dans le secteur des
télécommunications représenterait 2,5 fois le chiffre
d'affaires de BT et près d'une 1,5 celui d'ATT avant scission en
trois entités. Seul, au plan mondial, le japonais NTT serait de taille
comparable.
A ceux qui clament que la sociétisation constitue une menace pour
l'emploi, il serait alors
possible de demander si, sur un marché
ouvert au grand vent de la concurrence, il existe de meilleure garantie
d'avenir qu'une alliance aussi étroitement nouée entre deux
partenaires de cette taille
.
Existe-t-il aussi une plus belle chance pour notre pays et pour l'Europe
d'occuper une place enviable dans un monde où, demain, la
capacité à traiter l'information et l'aptitude à la
communiquer seront les premières richesses économiques ?
Ajustement des charges de retraite de France Télécom sur les prélèvements sociaux de droit commun
Cela a été signalé
précédemment (ce chapitre, III, A) : la décision de
transformer France Télécom en société anonyme
publique commandera de régler la question du handicap concurrentiel qui
découle des règles auxquelles elle se trouve assujettie en
matière de retraite.
Rappelons, pour mémoire, que ces règles obligent France
Télécom à financer non pas une cotisation patronale au
régime de retraite de ses salariés, mais toute la partie des
annuités de pensions qui ne sont couvertes par les cotisations
salariales.
Pour la présentation d'une société sur le marché
financier, les dispositions comptables françaises et internationales
exigent un provisionnement immédiat des engagements pris envers les
quelque 70.000 agents actuellement pensionnés, à savoir
environ 90 milliards de francs.
Les règles internationales d'origine anglo-saxonne imposent
également de provisionner les droits acquis des actifs, soit environ
50-60 milliards de francs selon les calculs actuariels. Mais, elles
autorisent un étalement de cette provision sur le nombre moyen
d'annuités restant à courir avant la date d'exigibilité de
ces droits et elles n'imposent cette provision que pour les exercices suivant
la cotation sur le marché financier.
Au total, la sociétisation de France Télécom, en
l'état actuel des règles applicables au financement des retraites
de ses agents, conduirait à inscrire immédiatement au passif de
son bilan une somme de l'ordre de 90 milliards de francs.
Si telle était la solution retenue, la valeur de l'entreprise chuterait
d'autant -voire même plus que proportionnellement- et s'établirait
à un niveau inférieur de moitié à ce qu'elle serait
si France Télécom était soumise à des
prélèvements sociaux normaux
73(
*
)
.
Dans une telle hypothèse, la stratégie d'alliance
renforcée avec Deutsche Telekom, que permettrait la
sociétisation, s'en trouverait rudement hypothéquée, car
la valeur financière des deux opérateurs serait alors par trop
disproportionnée.
Par ailleurs, le présent rapport l'a également
évoqué (titre premier, chapitre II, III), si rien n'est
fait, les charges de pensions pesant sur l'entreprise vont s'accroître
progressivement jusqu'en 2005, puis véritablement
" exploser "
à compter de cette date.
Aujourd'hui, la population des 36/49 ans représente 62 % des
effectifs de fonctionnaires et, de 1995 à 2010, sur 15 ans,
partiront en retraite autant de personnes qu'il y a actuellement de
pensionnés des " télécoms ", dont plus de 41 %
entre 2005 et 2010.
Or, les prélèvements sociaux acquittés par les concurrents
s'annoncent considérablement inférieurs, puisque ceux-ci n'auront
à financer que des cotisations au régime de retraite de leurs
salariés et non le régime lui-même.
En cas de maintien de la situation actuelle, l'opérateur national est
donc condamné à l'asphyxie financière ou à la
perfusion budgétaire permanente.
Mais s'il y a assistance budgétaire, il y aura une aggravation des
prélèvements obligatoires. Celle-ci retombera sur les
contribuables. Peut-on en accepter l'augure, alors que, dès à
présent, tous tendent à estimer que lesdits
prélèvements ont atteint des niveaux indépassables ?
Certainement pas !
Là encore, la sociétisation -si elle est intelligemment
menée- permettrait de résoudre le problème en permettant
de financer le coût des pensions de retraites, non pas par l'impôt,
mais par l'épargne et les bénéfices futurs de France
Télécom.
La transformation en société anonyme peut permettre de fondre
le boulet de la dette de retraites en un ressort concurrentiel.
Pour assurer cette " transmutation ", la proposition avancée
est la suivante :
A compter de l'année suivant celle de la sociétisation de France
Télécom,
prise en charge par l'État
,
sans
remboursement intégral par France Télécom, de la charge de
paiement des pensions des anciens agents des
télécommunications.
A compter de la même date
, paiement par France Télécom
d'une cotisation patronale au régime de retraite de ses fonctionnaires.
Cette cotisation
aura
un caractère libératoire
.
Elle sera calculée de manière à ce qu'elle n'induise ni
handicap, ni avantage concurrentiel -apprécié au regard de
l'ensemble des prélèvements sociaux patronaux- entre
l'opérateur et ses concurrents n'employant pas de fonctionnaires.
En effet, si sur le plan des cotisations de retraites, l'emploi des
fonctionnaires désavantage France Télécom par rapport
à ses concurrents, il n'en va pas de même pour les cotisations
à l'assurance maladie et à l'assurance chômage. Pour ceux
de ses agents relevant du statut de la fonction publique, l'opérateur ne
paye pas de cotisations maladies sur les primes complémentaires au
traitement et ne contribue pas, aux caisses de l'Unedic, pour les sommes
correspondant aux traitements de personnels qui ne sont pas exposés au
risque du chômage.
Avec le mécanisme proposé, les taux de cotisations patronales de
l'opérateur public seraient plus importants que ceux de ses concurrents
en ce qui concerne les régimes de retraites, moins élevés
pour les autres régimes, mais globalement équivalents. Il en
résulterait également que sa contribution au régime des
pensions civiles et militaires de l'État resterait très
significative (de l'ordre de 23-24 % de la masse des traitements
indiciaires, auxquels s'ajouterait les 7,85 % des cotisations salariales).
Versement à l'État d'une " soulte "
acquittée par France Télécom,
cette soulte ayant
vocation à compenser partiellement le coût du transfert vers le
budget de l'Etat du paiement intégral des droits acquis des actuels
pensionnés.
France Télécom a pris la mesure du fardeau financier qui allait
découler de ses obligations en matière de retraite. Depuis 1992,
l'opérateur téléphonique a commencé à
provisionner ses charges de retraite futures. Fin 1994, 12,7 milliards de
francs étaient inscrits en provision au bilan. En 1995, l'effort
consenti à ce titre a atteint 4,1 milliards de francs.
Malgré l'ouverture à la concurrence des infrastructures
alternatives au 1er juillet prochain, cet effort paraît pouvoir
être maintenu -voire même légèrement accentué-
sans dommages pour les comptes de l'exploitant public au cours de l'actuel
exercice et du prochain. Ainsi, au 1er janvier 1998, il disposerait
d'une
" cagnotte " d'environ 25 milliards de
francs
qui
serait alors versée au budget de l'État au titre de la
compensation des charges transférées.
Remise par France Télécom de la dette
téléphonique des ministères
Depuis 1993, lors de chaque discussion budgétaire, votre Commission des
Affaires économiques attire régulièrement l'attention du
Sénat et de l'opinion sur la charge qu'impose à France
Télécom les factures téléphoniques impayées
de l'État.
Cette dette a, pour l'essentiel, été contractée avant la
fin 1992, tout particulièrement entre 1990 et cette date. A
l'été 1990, elle ne s'élevait qu'à
700 millions de francs. Trois ans plus tard, au 31 août 1993, elle
atteignait 2,38 milliards de francs. Depuis, elle ne s'est pas
aggravée mais elle ne s'est pas non plus résorbée. Quoique
France Télécom ne facture pas de pénalités de
retard sur ces sommes, M. Pierre Hérisson, rapporteur pour avis du
budget des Postes et Télécommunications, notait dans son avis sur
le projet de loi de finances pour 1996
74(
*
)
que :
" Ces impayés
atteignaient au 30 août 1995, la somme tout à fait
considérable de deux milliards 450 millions de francs ".
Pour apurer définitivement cette dette endémique, il est donc
proposé que l'opérateur en fasse la remise à l'Etat comme
contrepartie complémentaire à sa dispense de rembourser
l'intégralité des pensions versées.
Maintien du régime en vigueur jusqu'à l'année suivant
celle de la transformation en société anonyme
Le maintien du régime en vigueur jusqu'au 1er janvier 1998, date de
l'ouverture complète de la téléphonie de base à la
concurrence, a été envisagé par votre rapporteur.
Cependant, cette solution lui est apparue de nature à obscurcir la
perception de la sociétisation les marchés financiers et, par
voie de conséquence, à peser exagérément sur
l'évaluation de l'entreprise.
Le système actuel doit, en revanche, être préservé
jusqu'à la première année civile suivant la transformation
en société anonyme d'État de notre opérateur,
à savoir au 1er janvier 1997, si cette transformation est
effectuée avant la fin 1996, ainsi que cela a été
préconisé précédemment.
Hors cotisations salariales, France Télécom verserait ainsi, pour
l'actuel exercice, environ
6,2 milliards de francs
au titre des
retraites payées par l'État
75(
*
)
Abondement du budget de l'État par les recettes de
sociétisation
Si les mesures recommandées ci-dessus étaient prises,
l'estimation financière de France Télécom pourrait
atteindre -et peut être même dépasser
76(
*
)
- les 200 milliards de francs.
Dans ces conditions, la vente de 25 % des actions de la nouvelle
société anonyme pourrait rapporter quelque 50-52 milliards
de francs
77(
*
)
.
Au total, si les propositions ici avancées étaient suivies,
sur les 90 milliards de francs d'engagements correspondant aux droits
acquis des pensionnés", 85,6 milliards de francs seraient
couverts
78(
*
)
sans aucun
recours à l'impôt. Manqueraient simplement 4,4 milliards de
francs d'engagements à 20-25 ans qui représenteraient
environ 2 % de la valeur de la société anonyme dont
l'État détiendrait alors 75 % des actions. Une telle somme
paraît aisément pouvoir être recouvrée par une
opération d'augmentation de capital menée, par exemple,
après l'annonce d'un échange de titres avec Deutsche Telekom.
Les recettes dégagées par le paiement de la soulte et la
sociétisation pourraient être :
- affectées en totalité au budget de l'État, ce qui lui
assurerait sur 1996-1997
79(
*
)
,
quelque 77 milliards de francs de ressources exceptionnelles
pouvant
être affectées à la lutte contre le chômage et
à la réduction de la dette ;
- ou, pour partie, attribuées à une caisse spécifique
recevant vocation d'abonder le régime des pensions civiles et militaires
de l'Etat pour la part relative aux retraites des anciens
" télécommunicants ".
Miser sur l'entreprise
France Télécom est assujettie depuis le 1er janvier 1994 aux
impôts et taxes de droit commun, en lieu et place des
prélèvements versés antérieurement au budget
général de l'Etat et à la participation au budget de son
ministère de tutelle.
Dans ce cadre, en 1994, la part des taxes et impôts locaux payés
à l'Etat s'est élevée à 3,9 milliards de
francs (4,6 milliards de francs prévus en 1995), dont
3,8 milliards de francs de taxe professionnelle.
L'opérateur a également versé 7,2 milliards de francs au
titre de l'impôt sur les bénéfices et, sur son
bénéfice de 9,2 milliards de francs, 4,5 milliards de
francs ont été affectés à l'Etat et
4,7 milliards aux réserves.
Au total, en 1994, l'État a reçu 15,6 milliards de francs
de France Télécom,
hors remboursement des charges de pensions.
Cette manne se tarira si l'opérateur ne reçoit pas rapidement les
moyens juridiques et financiers d'assurer son développement mondial.
En revanche, s'il est libéré du boulet de sa dette de retraite,
s'il est doté des mêmes atouts juridiques que ceux dont disposent
tant ses partenaires que ses adversaires, qui pourrait douter qu'il restera
l'un des premiers mondiaux et l'un des plus gros contributeurs au budget de
l'État ?
Le pari n'est pas très risqué et il peut rapporter gros : en
impôts, en dividendes et en cotisations patronales de retraites, France
Télécom apportera bien davantage à l'Etat que ne
coûtera le financement des retraites des anciens
" télécommunicants ".
Il ne faut donc pas que l'État hésite à miser sur
France Télécom.