NI RÉGLEMENTATION FIGÉE, NI RENONCEMENT DE L'ÉTAT RÉPUBLICAIN À SES RESPONSABILITÉS RÉGALIENNES
Ferme dans ses fondements, la législation à
élaborer ne saurait pour autant tout régler dans le moindre
détail. Si, tant soit peu, que l'ambition puisse en être
caressée, l'absence de véritable précédent au
processus de libéralisation retenu en Europe en soulignerait la
vanité.
L'originalité de la situation impose la structuration de réponses
novatrices. Ailleurs, beaucoup de ces réponses se sont inspirées
des traditions anglo-saxones et ont pris la forme de la création
d'instances de régulation spécifiques au secteur des
télécommunications. La voie pourrait donc apparaître
tracée. Elle ne doit toutefois pas être empruntée sans
être adaptée à nos propres traditions juridiques.
Le caractère inédit de la " démonopolisation à l'européenne " impose une réglementation stable dans ses principes mais adaptable dans ses applications
La stratégie appliquée par l'Union
européenne pour ouvrir l'ensemble du marché
téléphonique des Quinze à la concurrence est sans
équivalent dans le monde. Nul part ailleurs, le mouvement aura
revêtu une telle ampleur (tous les services et toutes les infrastructures
ouverts au public), avec une telle ouverture internationale (sous
réserve d'un décalage dans le temps pour certains États,
toutes les entreprises de tous les pays de l'Union pourront entrer sur le
marché de chacun des Etats-membres), dans des délais aussi brefs
(moins de cinq ans entre la décision et la réalisation).
Les États-Unis ont parcouru le même chemin en deux étapes
et en douze ans. Ils ont démantelé le monopole d'ATT et introduit
la concurrence sur les communications " longue distance "
en 1984.
Ils viennent juste de décider, le 8 février dernier, de mettre
fin au monopole des compagnies régionales sur les communications locales.
En Grande-Bretagne, pays de l'Union où le processus a été
engagé dès le début des années 1980, le changement
s'est opéré en trois temps sur plus d'une dizaine d'années
:
- en 1982, Mercury-filiale de Cable and Wireless
45(
*
)
, est autorisée à
créer un réseau téléphonique public distinct de
celui de l'opérateur historique British Télécom (BT) ;
- en 1984, le " Telecommunication Act Britannique "
privatise British
Telecom à hauteur de 50,2 %. Parallèlement, il autorise
l'interconnexion du réseau de BT avec celui de Mercury. Il accorde
également aux deux opérateurs l'exclusivité des licences
d'exploitation de ce réseau filaire, jusqu'en 1990. Enfin, il
délivre des licences d'exploitation des réseaux publics de
radiotéléphonie cellulaire à deux sociétés
(Racal Vodaphone et Cellnet, filiale de BT), tout en créant l'OFTEL
(Office des télécommunications), organisme gouvernemental
indépendant chargé de réguler les activités de
télécommunications ;
- en 1991, le monopole BT/Mercury sur le réseau commuté est
supprimé. Le Gouvernement permet à d'autres
sociétés d'obtenir des licences d'établissement et
d'exploitation, tandis que BT doit ouvrir son réseau à tout
prestataire de services. Les câblo-opérateurs, tout comme les
sociétés de téléphonie sans fil, peuvent
désormais offrir n'importe quel service empruntant le réseau
commuté, y compris le téléphone de base ;
En 1993 et 1994 de nouvelles licences de " public
télécommunication opérators " permettant d'offrir des
services au public ont été accordées à de nouvelles
sociétés, tandis que les câblo-opérateurs commencent
à livrer une concurrence sévère à BT sur les
communications locales.
La situation qui sera créée en Europe, le 1er janvier 1998,
sera donc sans précédent.
Cela ne signifie pas qu'elle sera inconnue. D'autres pays se sont
engagés avant nous, de manière certes plus progressive, dans la
libéralisation de la téléphonie vocale. Les
États-Unis et la Grande-Bretagne ont été cités. On
peut y ajouter la Nouvelle-Zélande, l'Australie et, dans une moindre
mesure, la Suède.
Il n'en demeure pas moins que si ces expériences
étrangères permettent, à l'avance, d'identifier les
questions à résoudre et d'affirmer une stratégie, elles ne
fournissent pas de " recettes " à appliquer telles quelles
à la nouvelle réalité économique qui naîtra
des changements juridiques programmés pour 1998.
Même aux États-Unis, où la FCC (Federal communications
commission) dispose du recul que procurent douze ans d'expérience, les
dispositions qui seront prises au vue des évolutions résultant de
l'ouverture de la " boucle locale " à la compétition ne
semblent pas, au vu des entretiens que votre rapporteur a eus avec plusieurs
des responsables de cet organisme, définitivement arrêtées,
tout au moins dans le détail.
Nul ne sait, en effet, quelle sera exactement la forme la plus courante que
prendra cette compétition : mise en place d'une infrastructure nouvelle
? Utilisation d'une infrastructure alternative déjà
installée (câble par exemple) en payant le prix de sa mise
à niveau ? Achat en gros, par un nouvel opérateur, des
capacités d'un réseau téléphonique existant avec
revente au détail ? Des arbitrages restent à prendre. Ils seront
orientés par le fonctionnement du marché apprécié
au travers d'une grille de principes visant à orienter ce fonctionnement
dans un sens donné.
Au-delà de 1998, l'horizon se présente sous un jour similaire
pour le législateur français. L'image de ce qui est
souhaité est précise : maintien conforté du service
public, jeu équilibré de la concurrence, orientation vers
l'amélioration de la compétitivité et la satisfaction des
consommateurs... Il en va de même pour la détermination des moyens
qu'il est nécessaire de déployer pour atteindre le
résultat souhaité : péréquation tarifaire,
liberté d'activité avec cantonnement des excès,
régime précis d'interconnexion des réseaux... Cependant,
le réglage conjoncturel de l'adaptation des moyens aux fins est hors de
sa portée.
Dans ces conditions, la loi se doit prioritairement d'énoncer un
certain nombre de règles stables permettant aux acteurs
économiques d'être éclairés sur l'avenir. Les
entreprises ont besoin de telles " balises " pour décider de
leurs stratégies.
Mais, aucun " phare législatif " ne peut éclairer
au-delà de la ligne d'horizon économique. De plus, en
l'espèce, ni le législateur, ni le pouvoir réglementaire
ne sauraient, d'un coup, tout prévoir et tout préciser. Ce serait
une erreur de chercher à décliner dans les moindres
détails le futur droit applicable.
Il n'y a donc pas d'autres solution raisonnable que d'attribuer à une
instance à définir le soin d'appliquer les principes retenus
à la diversité des situations et des litiges qui
résulteront de la nouvelle " donne juridique ".
Un accord général semble se dessiner sur ce point. La question
qui reste débattue est celle de la nature et des prérogatives de
l'autorité chargée de cette mission.