LA DÉMONOPOLISATION DOIT AVOIR POUR COROLLAIRE UNE RÉGLEMENTATION ÉQUILIBRÉE DE LA CONCURRENCE
Il faut d'emblée faire litière d'un argument
qu'on entend encore trop souvent ici ou là et selon lequel la
libéralisation conduirait à l'abandon de tout contrôle
collectif sur le fonctionnement du marché des
télécommunications. C'est faux ! L'irruption de la concurrence
dans un secteur antérieurement sous monopole ne signifie d'aucune
façon l'avènement de la " loi de la jungle ".
Bien plus, lorsque ce secteur a une forte résonance sociale et qu'il
fait l'objet de l'organisation d'un service public, rien ne peut s'envisager
sans la détermination de règles du jeu stables et ostensibles.
Tel est le cas en l'espèce. Le cadre législatif à
construire aura, à la fois, à concilier le maintien du service
public avec le développement de la concurrence et à servir de
référence visible à tous les acteurs. Il ne peut donc
qu'établir les fondations d'une compétition loyale et
contrôlée.
Reste que si l'État doit assumer tant la surveillance du bon
fonctionnement du service public que l'essentiel des prérogatives
relatives à l'organisation du marché, il ne saurait
contrôler toutes les modalités de fonctionnement de ce
marché. A partir du moment où il doit garder la maîtrise de
l'opérateur public, s'il exerçait ce type de contrôle, il
se trouverait juge et partie.
NI CONCURRENCE DÉBRIDÉE, NI PROTECTION EXCESSIVE DE L'OPÉRATEUR HISTORIQUE
La concurrence doit être réellement ouverte et soigneusement organisée
Une concurrence réelle
Cet objectif ne nécessite pas de longs
développements. Les différentes contributions à la
consultation publique menée par le ministère en charge des
Télécommunications ont très nettement fait ressortir les
attentes du marché et tout particulièrement celles des
entreprises.
La loi devra simplement fixer un certain nombre de principes qu'il appartiendra
au pouvoir réglementaire de décliner.
Parmi ces
principes
, votre commission tend à considérer
comme
essentiels
:
- la liberté de proposer tous services de
télécommunications, y compris ceux de téléphonie
entre points fixes ;
- la liberté d'exploiter ou d'installer des réseaux de
télécommunications ouverts au public ;
- la fixation à un niveau objectivement acceptable et selon des
procédures transparentes des charges dites d'interconnexion, que devra
acquitter un prestataire de services ou un exploitant de réseau aux
propriétaires de réseaux permettant aux clients des premiers de
dialoguer avec les abonnés des seconds.
Bien entendu, les nouvelles libertés instituées devront s'exercer
dans le respect des règles légales et réglementaires en
vigueur.
Cependant, pour votre commission, les autorisations administratives auxquelles
pourra, en tant que de besoin, être soumis l'exercice de ces
libertés ne sauraient être refusées que pour des motifs
d'ordre public lato sensu, de limitation d'emploi de ressources rares (cas des
fréquences hertziennes) ou dans un but de protection du consommateur.
Ainsi, un candidat dont la viabilité technique ou financière
serait jugée douteuse pourra être écarté car son
éventuelle défaillance ultérieure serait de nature
à léser ses clients.
Reste également que pour assurer le bon acheminement des messages et un
fonctionnement satisfaisant du marché, l'établissement de
réseaux ou de services ouverts au public aura à respecter des
cahiers des charges garantissant, notamment, la compatibilité technique
des réseaux et l'équivalence des obligations supportées
par les différents opérateurs.
Une concurrence organisée
De manière équitable s'agissant de
l'accès au marché
Le projet de directive de la Commission européenne modifiant sa
directive 90/388/CEE et concernant l'ouverture complète du marché
des télécommunications à la concurrence ouvre la
faculté (dans son 16e considérant) d'exempter de
contribution au service universel les nouveaux entrants dont la présence
sur le marché ne serait pas encore significative (projet
enregistré au Sénat sous la référence E-508).
Des pays de l'Union dont l'Allemagne s'orientent dans cette direction. Par
ailleurs, d'aucuns, au sein de la Commission, semblent souhaiter que cette
faculté qui, en l'état actuel des textes, relève du
principe de subsidiarité, devienne une obligation.
Par sa résolution n° 53 adoptée le 27 décembre 1995
sur proposition de votre Commission des Affaires économiques
41(
*
)
, le Sénat a clairement
estimé qu'une telle règle devait continuer à relever du
principe de subsidiarité.
Votre commission maintient ici cette position. Le haut niveau de service
universel envisagé en France interdit de retenir une telle option.
Tout nouvel entrant, quelle que soit sa part de marché, devra
contribuer au service universel
.
Face aux offres décevantes faites dans le cadre des négociations
menées au sein de l'organisation mondiale du commerce (OMC) sur les
télécommunications de base et aux tentations quelque peu
hégémoniques des États-Unis en ce domaine, il convient de
demeurer très vigilant quant à
l'exigence de
réciprocité avec les pays tiers
.
La réciprocité avec les pays tiers : une position constante
La question de la réciprocité avec les pays
tiers dans le domaine des télécommunications est, depuis
longtemps, au coeur des préoccupations de votre Commission des Affaires
économiques lorsqu'elle examine le dossier des négociations
commerciales menées par la Communauté, avec ses partenaires
extérieurs.
Elle a pris, ces dernières années, des positions très
nettes sur ce sujet.
Déjà, le rapport d'information, publié par votre
rapporteur, sur l'avenir du secteur des télécommunications en
Europe
42(
*
)
dénonçait les "
dangers d'un ultra-libéralisme
naïf
" dans l'ouverture commerciale du marché
communautaire. Il estimait que ce dernier devait être "
ouvert
sans être offert
" et préconisait pour se faire de
"
prendre les moyens d'assurer une juste réciprocité
commerciale
".
Plus récemment, la résolution sur les propositions de directive
relatives aux marchés publics des secteurs dits exclus, adoptée
à l'unanimité en séance publique par le Sénat
à l'initiative de votre commission
43(
*
)
, et le rapport présenté
à ce sujet par M. Henri Revol
44(
*
)
, faisaient de la
nécessité de la réciprocité sur les marchés
de télécommunications un des éléments majeurs des
objections élevées à l'encontre des projets communautaires.
Enfin, la résolution n°53 précitée a exprimé
une attitude très ferme sur ce sujet.
Aussi, en l'absence d'engagements satisfaisants avant l'adoption de la loi de
démonopolisation, conviendrait-il
d'envisager d'appliquer, voire
d'étendre, les clauses de réciprocité existantes aux
activités faisant l'objet de licences et de prévoir un
régime adapté pour les services internationaux
.
De manière raisonnable en ce qui concerne les droits de passage sur
les propriétés publiques et privées
France Télécom a hérité, en vertu de la loi du 2
juillet 1990, des prérogatives exorbitantes du droit commun qui
étaient antérieurement reconnues à la Direction
générale des télécommunications, administration
d'État, pour implanter ses réseaux.
Droits et prérogatives de France
Télécom pour l'implantation de ses réseaux
Implantation sur le domaine public
France Télécom est occupant de droit du domaine
public et à ce titre peut implanter sans autorisation ses installations,
dans l'emprise des chemins publics et de leurs dépendances
c'est-à-dire " le domaine public de circulation " (article
L.
47 alinéa 1 et D. 407 alinéa 1 du code des P et T).
La seule limite concerne le domaine public communal pour lequel France
Télécom doit se conformer aux règlements de voirie
(articles L. 47 alinéa 2 et suivants du code des P et T).
Implantation en propriété privée
France Télécom peut également
établir des supports soit à l'extérieur des murs ou
façades donnant sur la voie publique, soit même sur les toits ou
terrasses à condition que l'on puisse y accéder par
l'extérieur.
France Télécom peut également établir des conduits
ou supports sur le sol ou le sous-sol des propriétés non
bâties et non closes, ainsi que dans les parties communes des immeubles
collectifs ainsi que sur les façades ne donnant pas sur la voie publique
à condition que l'on puisse y accéder par l'extérieur.
Ces implantations sont soumises aux procédures de droit commun
(autorisation de passage ou convention de servitude avec la collectivité
ou le particulier propriétaires). Mais en l'absence d'accord amiable
France Télécom bénéficie de prérogatives de
puissance publique : l'arrêté préfectoral prévu au
code des P et T.
La servitude de déplacement et d'élagage
La servitude prévue à l'article L. 65 permet,
lorsque la transmission des signaux est gênée par des arbres ou
l'interposition d'un objet placé à demeure mais susceptible
d'être déplacé, de faire prendre les mesures
nécessaires par le Préfet.
La servitude d'élagage est prévue à l'article L. 65-1 du
code des P et T. Elle permet, dans des conditions définies par le code,
de faire élaguer les plantations et arbres gênant ou compromettant
le fonctionnement des lignes de télécommunications.
Déclaration d'utilité publique
Dans la mesure où France Télécom est
décidé à acquérir une parcelle de terrain pour
implanter ses ouvrages et où le propriétaire se refuse à
la vendre, il bénéficie de prérogatives de puissance
publique et peut mettre en oeuvre la procédure de l'expropriation pour
cause d'utilité publique.
La nécessité d'équilibrer les conditions de concurrence
amènent à considérer que les autres exploitants
d'infrastructures de télécommunications devront pouvoir
déployer leurs réseaux selon des modalités
équivalentes. A défaut, ils devraient pouvoir accéder aux
tranchées ou conduites déjà installées, d'une
manière compatible avec les exigences de sécurité propres
à ces ouvrages ainsi qu'avec les règles du droit de la
propriété et de la responsabilité. Dans l'hypothèse
où cet accès se heurterait à des obstacles dirimants, il
conviendrait
d'envisager un régime spécifique d'interconnexion
pouvant s'apparenter à une gestion déléguée d'une
portion de réseau.
Il faut toutefois ne pas perdre de vue que la multiplication de réseaux
concurrents et redondants peut être, à la fois, source de
gaspillage d'investissements, de perturbations des populations et des
collectivités locales confrontées aux creusements
répétés de tranchées, ainsi que d'atteintes
à l'environnement quand les lignes ne sont pas enfouies.
C'est pourquoi, il est proposé
d'instituer des redevances
d'occupation du domaine public pour le passage des réseaux de
télécommunications
.
La mise en oeuvre de cette orientation et son application à tous les
opérateurs ne pourront que contribuer à assurer un optimum
économique en matière de réseaux.
La concurrence ne doit pas en effet être considérée comme
une fin en soi, mais comme un moyen d'aboutir à une meilleure allocation
des ressources.