C. DES MESURES D'ATTÉNUATION DOIVENT ÊTRE TESTÉES À GRANDE ÉCHELLE

Les rapporteurs fondent beaucoup d'espoirs avec la filière sur les dispositifs de dissuasion acoustique (« pingers ») (1), qui doivent encore faire la démonstration scientifique de leur efficacité, parmi un panel de solutions encore à inventer. Ils suggèrent en complément, lors d'une période temporaire de deux ans, des mesures spatio-temporelles ciblées, sur la base du volontariat, dans le cadre d'une expérimentation grandeur nature (2).

1. Les rapporteurs fondent beaucoup d'espoirs avec la filière sur les dispositifs de dissuasion acoustique (« pingers »), parmi un panel de solutions encore à inventer

Toutes les parties prenantes semblent convenir que les moyens de mitigation des captures accidentelles seront la condition nécessaire - mais, selon les scientifiques, pas forcément suffisante - d'une possible réouverture de la pêche à partir de 2027 et au-delà.

a) Une diversité de solutions envisagées

Dans cette perspective, des adaptations très simples sont parfois évoquées, telles que le changement de la couleur des ralingues, parties latérales des filets, l'application de barrettes métalliques et de bandes réfléchissantes sur ces mêmes éléments, ou un changement de l'épaisseur des filets afin de les rendre plus visibles. Le sénateur Alain Cadec insiste sur le fait que la question ne se résume pas aux dispositifs de dissuasion acoustique (« pingers »), et que l'innovation permettra sans doute de mettre au point de nouvelles techniques d'atténuation.

Pour autant, à l'instar des pêcheurs, c'est dans les pingers que les rapporteurs placent aujourd'hui beaucoup d'espoir comme outils d'atténuation. Ces dispositifs jouent sur la pratique de l'écholocalisation par les dauphins.

Il existe à ce jour trois types de dispositifs, qui varient tant dans l'efficacité pour atténuer les captures que dans les contraintes pour les pêcheurs :

Ø les Pifil (pour PIngers au FIlage), projet porté par le Comité national des pêches, sont placés sur la coque du navire, et ne fonctionnent que lors du filage et du virage, une phase donc réduite mais stratégique des opérations de pêche. Les représentants des pêcheurs présument qu'elle est la plus à risque pour les dauphins, quand les scientifiques suggèrent que les dauphins sont capturés au fond dans le cadre d'un comportement de chasse frénétique ;

Ø les balises DolphinFree, placées sur les filets eux-mêmes, tous les 500 m voire tous les 1 km, sont le projet jugé le plus prometteur par les scientifiques et l'administration pour réduire les captures (0 capture sur 1 043 opérations de pêche au filet maillant en 2021-22, mais un potentiel risque de biais ne peut être exclu). Ces balises sont conçues comme interactives, le chercheur Bastien Mérigot de l'université de Montpellier, entendu par la mission, ayant créé des signaux électro-acoustiques bio-inspirés ;

Ø et enfin les réflecteurs acoustiques, fonctionnant comme des radars, jugés moins probants et même peu crédibles par la DGampa.

b) Des dispositifs prometteurs, mais une efficacité encore à démontrer

Sur l'efficacité des pingers, le Ciem estime dans son avis de 2023 que « la prise en compte des résultats des essais d'atténuation est actuellement très incertaine ».

De février à avril 2018, dans le cadre du projet PIC66(*) piloté par l'organisation de producteurs Les Pêcheurs de Bretagne en lien avec Ifremer et Pelagis, trois paires de chalutiers pélagiques (PTM) ont testé l'efficacité de pingers de type DDD-03H. Les résultats, obtenus à partir de 218 opérations - avec un observateur embarqué ou auto-déclarations -, ont montré une réduction des captures accidentelles de 65 % (IC 95 % [15-98]) liée aux pingers. Bien que l'expérimentation ait porté sur peu de navires et sur une seule saison, il s'agit à ce stade de la preuve la plus tangible de l'efficacité des pingers, pour les engins de pêche concernés.

En 2020 et 2021, dans le cadre du projet Licado67(*), quatre paires de chalutiers pélagiques ont été équipés en pingers de type DDD-03H ou CetaSaver (développés par l'entreprise brestoise Octech, avec un nouveau signal et plus de batterie), mais les intervalles de confiance ont été trop larges pour conclure, malgré 165 opérations suivies.

De même, les essais sur les fileyeurs depuis 2022 sont considérés par le Ciem comme de simples études de faisabilité ne permettant pas de conclure sur l'efficacité du déploiement de pingers lors du filage (sur près de 3 500 opérations de pêche suivies) ou de réflecteurs acoustiques sur les filets, compte tenu du nombre trop réduit de navires impliqués.

Cependant, les résultats de deux autres essais, au Portugal et en Espagne, semblent très prometteurs, bien que le Ciem ait fait le choix de ne pas les prendre en compte dans les différents scenarii de son avis de 2023, les résultats des analyses n'ayant alors pas encore été publiés :

Ø le premier, s'agissant de la senne coulissante, a montré, sur 518 prises au sud de l'Algarve au Portugal68(*), 38 animaux capturés sur 228 prises sans pingers, et aucun animal capturé sur 233 prises avec pingers ;

Ø le second, conduit en Espagne dans le cadre du programme Miticet, sur des paires de chalutiers de fond, conclut à une réduction de plus de 90 % des prises accessoires, statistiquement significative, avec des pingers DDD-03H.

Pour autant, le Ciem souligne l'« insuffisance des seuls dispositifs de dissuasion acoustique », ainsi que l'a réaffirmé le Conseil d'État dans ses deux décisions successives, au fond et en référé. Les scientifiques préconisent un éventail de solutions, incluant une réduction de l'effort de pêche, les pingers n'étant pas, en tout état de cause, une solution miracle, en raison de certaines limites (signaux monospécifiques, potentiel effet dinner bell pour d'autres espèces).

Les pingers vus par les associations de protection de la nature

Les associations de protection de la nature se montrent beaucoup moins enthousiastes quant à l'efficacité et même quant à la pertinence de ses outils, pour une raison de principe : ce ne sont pas les dauphins qui devraient s'adapter à la pêche, mais la pêche qui devrait s'adapter aux dauphins.

L'association Bloom s'est dite opposée à la généralisation des pingers, proposition qui relèverait, selon son représentant Frédéric Le Manach, du technosolutionnisme et « transformeraient le golfe de Gascogne en discothèque si ce n'est en enfer » pour les dauphins - des images qui ont semblé très exagérées aux yeux des rapporteurs - réglant les problèmes posés par l'interaction pêche-dauphins en « chassant le vivant » de son habitat naturel.

Elles rappellent le paradoxe qu'il y aurait à promouvoir ces solutions quand, dans le même temps, le plan d'actions pour la protection des cétacés de 2020 propose de « réduire l'impact des émissions sonores sous-marines d'origine anthropique sur les cétacés » (action 2.3) - la DG Mare de la Commission européenne se montre moins catégorique, relativisant les émissions sonores de ces dispositifs en comparaison avec d'autres sources anthropiques.

Enfin, d'éventuelles interactions avec des navires militaires ont également été évoquées par ces associations.

c) Un déploiement en cours à plus grande échelle

Depuis 2019, la plupart des chaluts pélagiques se sont volontairement équipés en pingers en hiver, ce qui leur a été imposé les quatre premiers mois de l'année 2020 (arrêté du 26 décembre 2019), et toute l'année depuis 2021 (arrêté du 27 novembre 2020).

Après une première expérimentation menée en 2022 sur les Pifil et les réflecteurs acoustiques pour les fileyeurs, l'arrêté du 29 décembre 2022 a prévu l'équipement dans l'un des trois dispositifs disponibles sur plus de 200 fileyeurs, combiné à des observations à bord ou par caméra embarquée.

La région Bretagne souligne toutefois dans sa contribution qu'« à ce jour seules 1 000 balises sont disponibles, alors que les protocoles envisagés de tests nécessiteraient 1 700 balises ». De ce fait « tous les navires ne pourront pas être équipés tel que prévu par l'arrêté », la DGampa semblant selon la région « ouverte » à faire preuve de compréhension sur le sujet. Il pourrait s'avérer nécessaire d'accorder un soutien financier urgent aux entreprises fabriquant les pingers, afin d'éviter une rupture d'approvisionnement de ces dispositifs, pouvant compromettre le déploiement du plan d'équipement des navires de pêche.

Par ailleurs, les filets pouvant mesurer plusieurs centaines de mètres et jusqu'à des dizaines de kilomètres, le dispositif DolphinFree nécessite davantage de balises, jusqu'à quelques dizaines dans ce dernier cas.

Ce dispositif peut induire en outre de la manutention supplémentaire pour les marins-pêcheurs, les balises ne passant pas nécessairement à travers les vire-filets, imposant de les décrocher puis de les raccrocher une à une lors des opérations de pêche.

La DGampa souligne par ailleurs le risque de blessure à la tête liés au poids actuel des balises du fait de leurs batteries, lors du virage (remontée des filets), qui peut s'avérer brusque69(*).

Pour ces raisons, la région Bretagne va jusqu'à affirmer qu'ils ne sont « pas adaptés d'un point de vue ergonomique à la majorité des pratiques françaises de pêche au filet ». La ministre chargée de la pêche et les scientifiques entendus par la mission invitent à obtenir davantage de données fiables sur l'efficacité de ces dispositifs avant d'investir dans leur miniaturisation (une extension de la durée de vie des batteries a déjà été obtenue). La région Bretagne suggère au contraire de résoudre ces difficultés techniques avant d'évaluer leur efficacité.

Les rapporteurs jugent qu'il n'est pas permis d'attendre et que ces deux défis doivent être menés de front.

Recommandation n° 7 : lancer un plan européen d'équipement afin notamment d'agrandir le marché d'intérêt pour les entreprises fabriquant des dispositifs d'éloignement acoustique (pingers) et leur permettre d'investir dans la miniaturisation et des gains d'efficience.


* 66 Analyse de l'utilisation des PIngers à Cétacés pour les activités de pêche des chalutiers pélagiques et des fileyeurs (PIC).

* 67 LImitation des Captures Accidentelles de Dauphins cOmmuns dans le golfe de Gascogne.

* 68 Projet Mar2020-iNOVPESCA.

* 69 Il ne semble pas que des cas avérés d'accidents du travail aient été relevés en lien avec le maniement de ces équipements à ce stade. Il convient cependant de rappeler que le secteur de la pêche détient le triste record en termes de morts sur le lieu de travail, ce qui s'explique autant par les dangers inhérents à la mer que par l'isolement et les difficultés d'accès des secours en cas d'accident.

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