B. « TOO STRATEGIC TO FAIL » : LES BAILLEURS INTERNATIONAUX, DONT LA FRANCE, AU SECOURS DE L'ÉGYPTE

Au-delà de la guerre à Gaza, l'économie égyptienne est fragilisée par des facteurs structurels et par d'autres facteurs conjoncturels, comme la guerre en Ukraine. Ces facteurs ont conduit les partenaires internationaux à renforcer leur aide, conscients qu'un affaiblissement de l'Égypte aggraverait l'instabilité de la région.

1. Les facteurs de fragilité de l'économie égyptienne

L'Égypte est historiquement très exposée à la conjoncture mondiale en raison de plusieurs facteurs structurels :

· une position d'État importateur, en raison :

o d'une population très nombreuse (105 à 110 millions d'habitants) et d'un déficit de terres arables (la surface agricole utile représente 4% du territoire), qui contraignent l'Égypte à importer massivement des céréales, dont elle est l'un des premiers importateurs mondiaux, et des produits alimentaires ;

o d'une production manufacturière et industrielle dépendant à près de 40% d'intrants importés ;

· une industrie faiblement exportatrice, car peu productive et centrée sur le marché national.

Source : DG Trésor

Il en résulte un déficit commercial structurel de l'ordre de 40 milliards d'euros, qui nourrit un important besoin de devises et une forte dépendance aux cours mondiaux. Ainsi la crise ukrainienne a engendré une poussée inflationniste, l'Égypte important une grande partie de son blé de Russie et d'Ukraine.

Les autorités égyptiennes subventionnent les produits de première nécessité comme l'huile, le sucre, l'essence et le pain. Ces subventions non ciblées ont des effets pervers considérables : au total environ 70 millions d'Égyptiens en bénéficient, dont une grande partie n'en auraient pas besoin (31 millions d'Égyptiens sont sous le seuil de pauvreté). Pas moins de 2,45 milliards d'euros ont été inscrits au budget 2024-2025 au titre des subventions pour le pain, et 2,86 milliards pour les produits pétroliers.

A la veille du 7-octobre, l'Égypte souffrait donc de faiblesses structurelles, malgré les programmes d'aide des organismes internationaux : manque d'investissement étranger, poids très important de l'armée dans l'économie, au détriment notamment de la concurrence, sorties de capitaux, déficit important (autour de 7%), inflation galopante (33,8% en 2023 selon la Banque mondiale, mais les plans d'aide annoncés en 2024 l'ont ramenée autour de 25%)10(*), forte exposition au changement climatique. La guerre a provoqué une forme d'électrochoc chez les bailleurs et les organismes internationaux.

2. Les bailleurs internationaux au chevet de l'Égypte

En février-mars 2024, les principaux bailleurs de l'Égypte ont annoncé de manière coordonnée une série de plans d'aide et d'investissement :

· le fonds souverain émirien ADQ a annoncé un investissement de 35 milliards de dollars (versés en deux tranches) dans le projet de Ras al-Hikma, une ville nouvelle à vocation touristique sur la côte méditerranéenne ;

· le FMI a porté son programme de soutien de 3 à 8 milliards de dollars ;

· l'Union européenne a annoncé un paquet de soutien de 7,4 milliards d'euros, dont 5 milliards d'assistance macro-financière ;

· enfin la Banque mondiale a annoncé un engagement de 6 milliards de dollars pour la période 2024-2026.

Les pays du Golfe : un poids croissant dans l'économie du pays

Si le FMI a accompagné l'Égypte de manière constante depuis les années 1970, l'aide des pays du Golfe a été, en termes strictement financiers, 4,5 fois supérieure entre 1974 et 2022. Ils détiennent actuellement 31 milliards de dollars de dépôts à la Banque centrale égyptienne à la fin novembre 2023, soit 75% des réserves : « les pays du Golfe s'imposent comme des acteurs incontournables de la stabilité financière et économique en Égypte », commente la DG Trésor. Leur assistance prend désormais la forme d'investissements directs, comme dans le gigaprojet de Ras al-Hikma, ou d'aide-projet.

Le caractère simultané de ces annonces est très révélateur de l'attachement de la communauté internationale à la stabilité de l'Égypte. Toutefois, l'attitude de ces bailleurs a progressivement évolué vers une plus grande conditionnalité. L'aide du FMI est notamment liée à des programmes de consolidation budgétaire et de réforme (taux de change flexible, réduction du poids de l'armée dans l'économie) ; quant aux pays du Golfe, ils réclament désormais des contreparties à leurs financements, sous la forme de cessions d'actifs et de foncier. Enfin, les États-Unis ont semblé lier une partie de leur aide militaire à des progrès en matière de droits humains, avant d'y renoncer.

3. La question des réfugiés, véritable facteur de préoccupation et levier important dans la relation avec l'Union européenne

L'Égypte a engagé une relation de nature essentiellement transactionnelle avec les bailleurs, en faisant notamment valoir sa position de carrefour migratoire. Tous les interlocuteurs de la délégation ont ainsi souligné le poids que représente pour l'État égyptien la gestion des migrants accueillis en Égypte, en particulier soudanais. Selon les chiffres cités par nos interlocuteurs, 1,2 million de Soudanais seraient arrivés en Égypte entre avril 2023 et septembre 202411(*) ; au total, ils seraient environ 4 à 5 millions, auxquels il faut ajouter des Libyens, des Syriens, et des Palestiniens. Au total, le chiffre de 9 à 10 millions d'immigrés a régulièrement été avancé par nos interlocuteurs, même s'il pourrait être surévalué : la population globale de réfugiés serait, selon les organisations internationales, comprise entre 3,5 et 5 millions, ce qui est déjà considérable.

Cet afflux de réfugiés a eu des conséquences réelles pour la population égyptienne, notamment en exerçant une pression à la hausse sur les loyers, rapportée par plusieurs de nos interlocuteurs.

Le ministre des affaires étrangères a ainsi exprimé son insatisfaction face à ce qui est perçu comme un manque de soutien dans ce domaine. L'Union européenne a octroyé environ 200 millions d'euros d'aide au titre de la gestion des migrations via l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (Ndici).


* 10 Données transmises par la DG Trésor

* 11 Données du gouvernement égyptien reprises par le Haut Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) : https://data.unhcr.org/fr/documents/details/113857

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