III. LES SECTEURS PROTÉGÉS ET ADAPTÉS : DES MODÈLES UNIQUES À PRÉSERVER
A. LA CRÉATION DES ENTREPRISES ADAPTÉES A PERMIS UNE RÉPONSE ADAPTÉE AUX BESOINS DES TRAVAILLEURS HANDICAPÉS À LA FRONTIÈRE ENTRE MILIEU PROTÉGÉ ET MILIEU ORDINAIRE
La loi du 11 février 2005 a porté une réforme des ateliers protégés, en créant les entreprises adaptées (EA) et en leur conférant le statut juridique d'entreprise.
Les entreprises adaptées ont donc une vocation commerciale concurrentielle, conjuguée avec une mission sociale puisqu'elles doivent employer au moins 55 % de travailleurs handicapés. Ces travailleurs sont donc régis par le droit du travail du milieu dit ordinaire, tout en bénéficiant d'un environnement adapté à leurs besoins, leur permettant ainsi d'obtenir ou de conserver un emploi.
Les EA soutiennent donc le projet professionnel des travailleurs handicapés, et permet sa réalisation au sein de l'entreprise, ou même en vue d'une mobilité vers une entreprise classique - auquel cas l'EA peut conserver un rôle d'accompagnement dans cette mobilité.
Pour financer cette mission d'accompagnement faisant l'objet d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM), l'État verse aux EA deux aides différentes :
- une aide au poste forfaitaire, correspondant à 80 % du Smic brut, et permettant d'assurer une rémunération au moins égale au Smic pour les travailleurs des EA ;
- une subvention spécifique destinée à renforcer l'encadrement des travailleurs handicapés.
Cette création portée par la loi du 11 février 2005 connaît un franc succès, puisqu'il existe à ce jour près de 800 entreprises adaptées, nombre en croissance continue depuis dix ans.
B. LES ÉSAT : UN PROJET D'ACCOMPAGNEMENT PAR L'EMPLOI AU DÉFI DU RAPPROCHEMENT DU DROIT ORDINAIRE DU TRAVAIL
1. Les Ésat proposent un accompagnement par le travail des personnes en situation de handicap
Établissement social et médico-social95(*), l'Ésat se démarque des autres offres en matière du handicap par la place accordée au travail dans le projet d'accompagnement. Les Ésat offrent aux personnes en situation de handicap des possibilités d'activités diverses à caractère professionnel, ainsi qu'un soutien médico-social et éducatif, en vue de favoriser leur épanouissement personnel et social. C'est la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) qui, lorsqu'elle constate une capacité de travail réduite au sens du droit du travail96(*), oriente la personne concernée en Ésat, selon le souhait qu'elle a exprimé dans son projet de vie.
Du fait de sa nature, l'Ésat déroge au droit du travail et relève d'un « milieu protégé » dans l'intérêt des personnes en situation de handicap. En tant qu'usager d'un établissement médico-social, la personne handicapée accueillie en Ésat n'est pas liée à l'établissement par un contrat de travail mais par un « contrat de soutien et d'aide par le travail » qu'il n'est pas possible de rompre dans les conditions du licenciement97(*). Cette notion de « milieu protégé » fait parfois l'objet de critiques de la part de certaines associations, considérant qu'il s'agit d'une moindre ambition par rapport à la compensation du handicap au sein du milieu ordinaire98(*).
La loi de 2005 a porté une profonde modification des modalités de rémunération des travailleurs handicapés accueillis en Ésat, en remplaçant la garantie de ressources par une garantie de rémunération du travailleur handicapé99(*). Les travailleurs handicapés admis dans un Ésat bénéficient, depuis lors, d'une rémunération garantie qui varie entre 55 % et 110 % du Smic, financée au moins à 5 % par l'activité de production de l'Ésat et par l'aide au poste versée par l'État.
2. Le rapprochement des droits des travailleurs en milieu protégé des droits du milieu ordinaire ne doit pas se faire au péril de la stabilité financière des Ésat
Sous l'impulsion du droit européen, qui ne reconnaît pas la spécificité du statut de travailleur en Ésat100(*), le législateur a initié un mouvement de rapprochement avec les droits des travailleurs en milieu ordinaire.
Après de premières avancées dans le sillage du plan de transformation des Ésat (2021-2022), en matière de rémunération le dimanche et les jours fériés ou de bénéfice de la prime de partage de la valeur, c'est la loi pour le plein emploi qui a étendu au milieu protégé les garanties de droit commun du code du travail pour les volets suivants :
- adhésion à un syndicat ;
- prise en charge par l'employeur des frais de transports et des titres-restaurant ;
- création de nouveaux droits collectifs (droit de grève dans le code de l'action sociale et des familles, inclusion au comité social et économique des Ésat) ;
- mise en place d'une complémentaire santé obligatoire.
Ces avancées pour les travailleurs en Ésat, unanimement saluées par les représentants de ces établissements durant les auditions menées par les rapporteures, se sont cependant traduites par une dégradation sans précédent de leur situation financière. La seule mise en place de la complémentaire santé est évaluée à hauteur de 282 euros en moyenne par travailleur et par an101(*) pour un Ésat, ce qui aurait conduit plus de 29 % des Ésat en situation de déficit net.
Plus récemment, l'hypothèse de la mise en place d'un « statut de quasi-salarié » a été évoquée par les ministres du travail et des comptes publics. À leur demande, un rapport des inspections générale des affaires sociales et des finances102(*) a expertisé le scénario d'une garantie de rémunération réhaussée au niveau du Smic. Il ressort de leur travaux qu'une telle hypothèse, en plus d'avoir un effet très inégal sur les ressources des travailleurs du fait du caractère différentiel de l'AAH, conduirait plus de 55 % des Ésat à être déficitaires dès la première année.
Proposition n° 17 : L'augmentation de la garantie de rémunération des travailleurs en Ésat ne peut être envisagée à moyens constants, et nécessite une réforme du système de financement.
* 95 Article L. 312-1 du code l'action sociale et des familles.
* 96 Article L. 5213-2 du code du travail.
* 97 Cour de Cassation, Chambre sociale, 14 décembre 2022, n° 21-10.263.
* 98 Voir par exemple le livre de Thibaut Petit, Handicap à vendre, paru en 2022.
* 99 Article L. 243-4 du code du travail.
* 100 CJUE, affaire C-316/13 du 26 mars 2015, Gérard Fenoll c/ Centre d'aide par le travail « la Jouvene ».
* 101 Rapport Igas-IGF, 2024, Convergence des droits des travailleurs handicapés en établissement et services d'aide par le travail (Ésat) vers un statut de quasi-salarié.
* 102 Ibid.