B. PRÉSERVER LA QUALITÉ DE L'ACCOMPAGNEMENT FACE À L'AUGMENTATION DES DEMANDES
1. Des structures prises en étau entre augmentation des demandes et enjeux de ressources humaines
a) Une augmentation continue du nombre de dossiers à traiter
Depuis leur création, l'activité des MDPH est en hausse. Le nombre d'avis et décisions rendus a été multiplié par trois entre 2006 et 2020, et a augmenté de 12 % entre 2015 et 202265(*).
Depuis 2015, ce dynamisme s'explique principalement par l'ouverture de droits relatifs aux enfants (+ 40 %) et à la prestation de compensation du handicap (+ 36 %). La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) et les cartes mobilité inclusion (CMI) représentent toujours près de la moitié des droits ouverts.
Sur le plan systémique, la hausse des demandes est intimement liée aux insuffisances de la politique d'accessibilité : dans l'esprit de la loi de 2005, compensation et accessibilité vont de pair. Or, dans sa mise en oeuvre, d'importants retards sont accusés en matière d'accessibilité qu'il s'agisse de la cité, des loisirs, de l'école ou du milieu professionnel, obligeant les personnes handicapées à recourir à un certain nombre de droits et prestations dont ils n'auraient pas nécessairement besoin dans un monde parfaitement accessible.
Par ailleurs, les MDPH ont été fortement mobilisées pour mettre en oeuvre les dernières réformes, comme l'attribution de droits sans limitation de durée et l'élargissement du champ de la PCH, tout en s'efforçant de poursuivre le traitement des demandes dans les conditions habituelles.
b) De forts enjeux de ressources humaines
Les MDPH sont également confrontées à des difficultés en matière de ressources humaines, qui se répercutent directement sur les délais de traitement des dossiers : le flux de demandes étant continu, au moindre problème de personnel, les délais augmentent.
D'une part, les MDPH manquent de moyens humains. L'association des directeurs de MDPH regrette notamment que l'État, qui a progressivement mis fin aux mises à disposition de ses agents auprès des MDPH, n'ait pas compensé entièrement les postes devenus vacants. Par exemple, pour un emploi en équivalent temps plein (ETP) d'instructeur de droit privé, rémunéré en début de carrière à 41 500 euros, l'État compense à hauteur de 33 000 euros.
D'autre part, les MDPH doivent composer avec une rotation importante des équipes. Celle-ci s'explique en partie par des conditions de travail difficiles, notamment pour les équipes chargées de l'accueil et de l'instruction des dossiers, qui doivent traiter un nombre croissant de demandes et sont exposées à des situations souvent difficiles sur le plan émotionnel.
Enfin, il existe des freins à la mobilité des personnels. Par exemple, dans le cas des MDPH employeuses de droit public, l'absence de portabilité des CDI avec les collectivités territoriales ou les établissements publics freine les démarches de mobilité des agents ou de mutualisation des ressources humaines entre le conseil départemental et la MDPH.
Il ressort par ailleurs des auditions que, dans les départements qui disposent d'une maison départementale de l'autonomie (MDA), le personnel du conseil départemental ne vient que très peu en renfort du personnel de la MDPH du fait de la complexité des dossiers et du corpus juridique, qui nécessite un temps d'appropriation trop important.
Tout cela nuit à l'attractivité des métiers et alimente les difficultés de recrutement de personnel ; auxquelles s'ajoute, dans les déserts médicaux, la problématique de la faible disponibilité des médecins et des ergothérapeutes pour constituer les équipes pluridisciplinaires.
c) Un mode de financement des MDPH obsolète
Enfin, au-delà des problématiques de ressources humaines, se pose la question plus générale des moyens financiers dont disposent les MDPH pour faire face à la hausse de leur activité.
La CNSA finance en partie le fonctionnement des MDPH par le biais d'un concours aux départements. Le mécanisme de répartition de ce concours repose sur une part fixe et une part variable, qui prennent notamment en compte la démographie du département, le nombre de bénéficiaires de la PCH et de l'AEEH, et le nombre de décisions rendues par la CDAPH.
Le financement des MDPH : un suivi complexe
Le système de financement des MDPH présente une complexité réelle :
- d'une part, les financements nationaux que sont la dotation de l'État et le concours « MDPH » sont versés directement à la MDPH par la CNSA ;
- d'autre part, la contribution des départements, qui assurent la tutelle des MDPH, peut être effectuée sous forme monétaire ou en nature (mise à disposition de personnel, appui logistique ou informatique).
Les apports ne font pas systématiquement l'objet d'une facturation à la MDPH. Aussi, les données comptables des MDPH ne retracent pas toujours fidèlement leurs coûts réels de fonctionnement.
Ces différences de fonctionnement résultent de choix organisationnels définis par les départements : certains ont décidé, tout en conservant deux entités juridiques distinctes (département et MDPH), de s'organiser en maison départementale de l'autonomie (MDA) avec une mutualisation plus ou moins importante des moyens.
Aussi, afin de mieux évaluer les coûts de fonctionnement des MDPH, dans le cadre des rapports annuels d'activité transmis par les structures à la CNSA, celles-ci doivent retracer l'ensemble des recettes et dépenses inscrites dans leur compte mais également valoriser les autres apports ne donnant pas lieu à refacturation.
Ces critères de répartition répondent pour partie à l'ambition d'une adéquation des moyens aux missions des MDPH. Ils présentent toutefois deux principales limites :
- d'une part, il n'y a pas de corrélation parfaite entre la démographie d'un département et le nombre de demandes déposées à la MDPH, d'autres paramètres liés à l'âge moyen ou à la situation sociale du territoire entrant également en jeu ;
- d'autre part, les critères retenus pour le calcul de la part variable sont insuffisamment représentatifs de la charge des MDPH : l'ensemble de l'activité, et non pas seulement celle rattachée à certaines prestations, devrait être prise en compte avec une pondération sur la charge d'instruction et d'évaluation des demandes.
Au-delà de l'amélioration de ces critères, la CNSA juge que la dynamique de croissance de l'activité des MDPH (+ 10 % entre 2022 et 2023) devrait également être prise en compte dans les règles de financement, tant pour l'État que pour les départements.
Proposition n° 9 : Engager un travail technique sur l'amélioration des critères de répartition du concours « MDPH » versé par la CNSA aux départements.
2. Un accompagnement des usagers dont la qualité pâtit des délais de traitement
a) Des délais de traitement inégaux entre départements
En vertu de l'article R. 241-33 du code de l'action sociale et des familles, le délai imparti aux MPDH pour rendre une décision est de quatre mois à compter de la réception du dossier. En 2022, le délai moyen de traitement des demandes est de 4,3 mois pour les enfants et de 4,5 mois pour les adultes66(*). Cette moyenne cache toutefois d'importantes disparités :
- en fonction des droits et prestations concernés et des exigences relatives à leur instruction : par exemple, la PCH, qui est susceptible de nécessiter l'intervention de professionnels extérieurs à la MDPH, est associée à un délai de traitement moyen de 5,7 mois contre 3,3 mois pour les orientations scolaires ;
- et en fonction des territoires, certains départements affichant un délai moyen supérieur à six mois.
Le délai de traitement constitue le principal motif d'insatisfaction des usagers : d'après une enquête conduite par la CNSA, en 2023, le taux de satisfaction vis-à-vis des délais n'est que de 39,3 % même s'il convient de relever sa progression (+ 7,3 points par rapport à 2020).
Délai moyen de traitement des demandes relatives aux adultes en 2022 (échantillon : 92 MDPH)
Source : CNSA, données des rapports d'activité des MDPH 2022
Cette lenteur administrative, aux sources multiples, peut avoir de lourdes conséquences pour les personnes en attente d'une décision. Dans certains cas, plus les délais sont longs, moins le plan de compensation proposé est pertinent car les besoins peuvent évoluer rapidement entre le dépôt du dossier et l'obtention de l'aide. Plus grave encore, la longueur des délais peut conduire au renoncement aux droits, la cellule familiale étant alors souvent amenée à répondre elle-même aux besoins.
Enfin, les rapporteures n'ignorent pas que les personnels des MDPH peuvent également souffrir des délais imposés à leurs usagers. Certains paramètres externes, comme un nombre particulièrement élevé de demandes, la difficulté d'obtenir un certificat médical, le dépôt de formulaires de demande incomplets, ou encore le manque de personnel peuvent en effet se répercuter sur les délais d'instruction. Cela génère de la frustration, les usagers identifiant alors la MDPH comme étant responsable.
b) Un accompagnement de moins en moins personnalisé
La hausse de l'activité se répercute également sur la qualité du contact de premier niveau entre les usagers et les MDPH avec notamment, dans certaines structures, de faibles taux de décroché téléphonique.
Pour éviter de laisser des personnes sans réponse, certains départements ont engagé une démarche de territorialisation de l'accueil de premier niveau avec les services du département et les communes. Cette dynamique partenariale doit être encouragée dans le cadre de la mise en place du service public départemental de l'autonomie (SPDA), avec la collaboration des centres communaux et intercommunaux d'action sociale, les maisons France services et le secteur médicosocial.
Le service public départemental de l'autonomie (SPDA)
La création d'un service public départemental de l'autonomie (SPDA) est inscrite dans la loi du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie (article 2). Le SPDA a été expérimenté dans dix-huit territoires en 2024, avant sa généralisation en 2025.
L'article L. 149-5 du code de l'action sociale et des familles dispose ainsi que dans chaque département, le SPDA facilite les démarches des personnes âgées, de personnes handicapées et des proches aidants, en garantissant que les aides dont ils bénéficient sont coordonnés, que la continuité de leur parcours est assurée et que leur maintien à domicile est soutenu, dans le respect de leur volonté et en réponse à leurs besoins.
Ce dispositif s'inscrit dans la dynamique de la création de la branche autonomie de la sécurité sociale : il vise à garantir une action articulée et cohérente des acteurs des secteurs médico-social, social et sanitaire afin de simplifier l'accès aux droits et prestations et d'éviter les ruptures d'accompagnement. Par souci d'équité de traitement, un cahier des charges national précise le socle commun des missions assurées par le SPDA et définit un référentiel de qualité de service.
Le SPDA est piloté par le conseil départemental, en lien étroit avec l'agence régionale de santé. Il implique tous les acteurs de l'autonomie sur le territoire (MDPH, MDA, centres communaux d'action sociale, centres locaux d'information et de coordination, maisons France services, caisses de sécurité sociale, Communautés 360, communautés professionnelles territoriales de santé, etc.) en lien renforcé avec les acteurs de droit commun (Éducation nationale, logement, service public de l'emploi, sport et culture, transports, etc.) et les représentants des personnes concernées.
Deuxièmement, l'inflation des demandes a d'importantes conséquences sur la qualité de l'évaluation des besoins, étape pourtant centrale dans le processus d'attribution des droits et prestations :
- les évaluateurs tendent à privilégier l'approche médicale, à rebours de l'approche pluridisciplinaire prévue par la loi ;
- et l'évaluation et la prise de décision se font essentiellement sur la base du dossier, laissant peu de place à l'échange avec les personnes concernées et surtout, aux visites à domicile qui sont normalement réalisées pour recenser les besoins pour l'attribution de la PCH.
Pour les rapporteures, il est impératif de replacer les besoins de la personne au centre du processus d'évaluation et d'y accorder les moyens humains nécessaires.
Tout en veillant à ne pas recréer un millefeuille d'acteurs, il convient également de s'appuyer sur les dispositifs qui peuvent utilement compléter le rôle des MDPH. Par exemple, s'agissant des besoins en aides techniques, le déploiement des équipes locales d'accompagnement sur les aides techniques (EqLAAT)67(*) devrait permettre d'améliorer l'accompagnement des personnes, de l'évaluation de leurs besoins jusqu'au choix d'une ou plusieurs aides techniques adaptées.
Proposition n° 10 : Dans le cadre du service public départemental de l'autonomie (SPDA), généraliser la démarche de territorialisation de l'accueil de premier niveau des MDPH.
Proposition n° 11 : Renforcer la culture de participation des personnes en situation de handicap et de leurs proches aidants en matière d'accès aux droits et aux prestations.
3. Une logique de contrôle de l'utilisation de la PCH pouvant nuire à la pertinence des plans personnalisés
En vertu de l'article L. 245-5 du code de l'action sociale et des familles, le président du conseil départemental « prend toutes les mesures pour vérifier les déclarations des bénéficiaires [de la PCH] et s'assurer de l'effectivité de l'utilisation de l'aide qu'ils reçoivent. » Il réalise à ce titre un contrôle d'effectivité, sur une période de référence ne pouvant être inférieure à six mois, et qui ne peut porter que sur les sommes qui ont été effectivement versées.
Selon les associations auditionnées, ces contrôles d'effectivité, qui sont souvent source d'inquiétude pour les personnes en situation de handicap, peuvent être intrusifs et stigmatisants. Ils sont parfois réalisés à l'euro près et bien plus fréquemment que ce que n'autorise la loi. Le législateur a pourtant fixé une période de référence plancher de six mois précisément car, pour apprécier la pertinence d'un plan de compensation, il convient d'avoir une vision lissée des aides prises en charge, tous les mois n'étant pas identiques en termes de besoins.
Pour le Collectif Handicaps, les excès constatés dans l'exercice du contrôle d'effectivité ne sont pas sans lien avec les difficultés financières des départements, ces derniers pouvant être tentés d'adapter le niveau de prise en charge des plans personnalisés de compensation à leur budget. Ils peuvent aussi résulter d'une connaissance lacunaire du fonctionnement de la PCH.
Dans les départements où ces dérives sont constatées, les contrôles d'effectivité exercent un effet dissuasif auprès des MDPH, qui sont alors incitées à réduire le niveau de prise en charge des plans de compensation. Selon des témoignages, les personnes qui vivent mal ces contrôles peuvent parfois aller jusqu'à renoncer à l'exercice du droit à compensation.
Si tous les départements ne sont pas concernés par ces dysfonctionnements, il apparaît indispensable de s'assurer que le contrôle d'effectivité est exercé conformément à la loi et de façon homogène sur l'ensemble du territoire.
Dans certains territoires, des échanges réguliers sont organisés entre les services payeurs et contrôleurs du conseil départemental et l'équipe pluridisciplinaire de la MDPH. L'objectif est de favoriser la compréhension, par les services du conseil départemental, des plans personnalisés de compensation et de leur mise en oeuvre afin d'alléger et de fluidifier les contrôles d'effectivité. Ces initiatives, qui doivent être encouragées, pourraient utilement être complétées d'une formation des services du conseil départemental par la CNSA.
* 65 Igas, Accueillir, évaluer, décider : comment les maisons départementales des personnes handicapées traitent les demandes des usagers, juin 2024.
* 66 Igas, Accueillir, évaluer, décider : comment les maisons départementales des personnes handicapées traitent les demandes des usagers, juin 2024.
* 67 Les équipes locales d'accompagnement sur les aides techniques (EqLAAT) accompagnent les personnes et évaluent leurs besoins en aides techniques. D'abord expérimenté sur l'initiative de la CNSA, ce dispositif a été généralisé par la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie (article 3).