C. LE PIÈGE DES COUPS D'ÉTAT ET L'ACCUSATION DE « DOUBLE STANDARD »
1. Le défi posé par les nombreux coups d'État récents en Afrique de l'Ouest
Depuis 2020, de nombreux coups d'État ont eu lieu en Afrique de l'Ouest : Soudan, Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger et Gabon.
S'il y eut de nombreux coups d'État en Afrique par le passé, y compris dans ces mêmes pays, leurs causes varient au fil du temps : ils peuvent être motivés par le refus des distorsions démocratiques liés à la manipulation des constitutions pour prolonger les mandats, par des résultats électoraux frauduleux, par une détérioration de la sécurité dans le pays à la suite d'attaques djihadistes ou encore par la montée d'un sentiment souverainiste. Certains coups d'État, comme en Guinée et au Gabon, ont été présentés par leurs auteurs comme des opérations de rétablissement de la démocratie. Plusieurs ont été dirigés par des membres des gardes présidentielles, unités d'élite de l'armée, ce qui montre la persistance des problèmes posés par la politisation de celle-ci : a contrario le Sénégal, qui jouit d'une armée professionnelle inféodée au pouvoir politique, a connu un changement politique démocratique en 2024. Mais, contrairement à ceux du passé, les récents coups d'État africains ne se sont pas soldés par des bains de sang ni par des atteintes massives aux droits de l'homme.
Or les réactions variables de la France à ces divers coups d'État ont réactivé le procès en « double standard » fait à l'encontre de notre pays.
En effet, si l'ensemble de ces coups d'État ont initialement été condamnés par la France conformément aux standards de la communauté internationale mais aussi à la doctrine de l'Union africaine, cette condamnation de principe a été accompagnée de mesures et de déclarations d'une sévérité variable, ce qui a pu entamer notre crédibilité :
· Au Mali, la France a condamné le premier coup d'État d'août 2020 qui a destitué Ibrahim Boubakar Keita, mais n'a pas mis fin à l'opération Barkhane. La France a ainsi adopté une approche pragmatique, poursuivant sa coopération militaire avec les nouvelles autorités maliennes, tout en maintenant une pression diplomatique pour accélérer la transition vers un gouvernement civil. Cependant, après le second coup d'État de mai 2021, la situation s'est rapidement dégradée et la France a été forcée de mettre fin à la coopération militaire.
· Au Burkina Faso, les deux coups d'État ont également suscité une condamnation, moins forte cependant pour le deuxième du fait de la nécessité de conserver des relations minimales alors que des militaires français étaient toujours présents. En Guinée, le coup d'État de septembre 2021 a été condamné par la France mais celle-ci s'est surtout exprimée en soutien de la CEDEAO, dans un contexte où le président déchu, Alpha Condé, avait été élu pour un troisième mandat après un réforme de la constitution et des élections contestées.
· Au Niger, le coup d'État de juillet 2023 a entraîné une condamnation plus sévère, le soutien des sanctions dures de la CEDEAO, le refus de reconnaître le nouveau pouvoir et le soutien au Président déchu Bazoum, en raison d'un contexte particulièrement hostile à notre pays (présence de Wagner et volonté rapidement exprimée par les putschistes de mettre fin à la coopération avec la France).
· Au Gabon, le coup d'État du général Olighi a été condamné par les autorités françaises mais, contrairement à ce qu'il s'est passé pour le Niger, la France n'a pas suspendu son aide au développement ni sa coopération militaire. En effet, Ali Bongo venait d'être déclaré réélu pour un troisième mandat très controversé après des élections marquées par des accusations de fraude et de manipulation, et la grande majorité de la population soutenait manifestement le coup d'État.
· Enfin et surtout, au Tchad, la France a exprimé un net soutien à la transition non constitutionnelle dynastique qui a suivi la mort d'Idriss Déby. Ainsi que le rappelle le rapport de nos collègues députés Fuchs et Tabarot : « Au Tchad, la présence du président français au premier rang des obsèques d'Idriss Déby, en avril 2021, a été interprétée comme un soutien au général Mahamat Idriss Déby, fils du « chef » disparu et déjà président d'un conseil militaire de transition : quand bien même cette vision serait erronée, le symbole reste et a été extrêmement commenté par la jeunesse africaine sur les réseaux sociaux ». Cette réaction à la transition tchadienne s'est finalement avérée un pari douteux puisqu'en décembre 2024 le Tchad a exigé à son tout le départ des militaires français dans le cadre d'une évolution de ses alliances57(*).
2. Le problème du soutien aux dirigeants vieillissants
Au-delà des réactions aux changements de régimes inconstitutionnels, l'accusation de « double standard » s'adresse aussi au soutien souvent apporté par la France à des régimes vieillissants et autoritaires.
En effet, en théorie, depuis le discours de la Baule prononcé le 20 juin 1990 par François Mitterrand, la diplomatie française conditionne l'aide française aux efforts de démocratisation consentis par les États bénéficiaires. Toutefois, cette ligne a été difficile à maintenir dans la durée. En 2012, François Hollande avait promis de rompre avec la complaisance de la France avec des régimes africains insuffisamment démocratiques. Mais en février 2013, la libération d'une famille de sept Français enlevés par Boko Haram dans le Nord du Cameroun avait bénéficié au crédit de Paul Biya. Au même moment, Denis Sassou-Nguesso, président du Congo, devenait incontournable pour le règlement de la crise en Centrafrique, tandis que l'appui des soldats tchadiens d'Idriss Déby était requis dans le cadre de l'opération Serval lancée début au Mali au début de 2013.
De même, la France a toujours entretenu de bonnes relations avec Ali Bongo au Gabon et Paul Biya au Cameroun, ce dernier étant au pouvoir depuis plus de quarante ans. Certains gestes accomplis par l'actuel Président de la République ont ainsi paru manifester un soutien renouvelé de la France, même s'ils d'inséraient dans un contexte particulier (par exemple, la visite d'Ali Bongo en 2021 lors que le Gabon était membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU). En même temps, la France protestait contre le troisième mandat du président Alassane Ouattara en Côte d'Ivoire, refusait de rencontrer Teodoro Obiang, le président de la Guinée équatoriale, tout en condamnant des coups d'État contre des dirigeants pourtant considérés comme illégitimes par la majorité de la population de leur pays, comme c'était le cas au Gabon et en Guinée.
Plus généralement, à partir du début des années 2000, lorsqu'après la première vague de démocratisation africaine de nombreux présidents ont entrepris de modifier la constitution de leur pays pour pouvoir candidater pour un troisième mandat58(*), la France n'a généralement pas protesté contre cette manoeuvre.
S'il existe à chaque fois des facteurs circonstanciels ou des intérêts légitimes qui peuvent justifier ces attitudes françaises changeantes, les opinions publiques des pays africains ne les acceptent plus et de nombreux relais d'opinion le font savoir par tous les moyens de communication actuels, ce qui ternit durablement l'image de la France.
* 57 Le Tchad s'est notamment rapproché de la Russie mais surtout des Émirats Arabes Unis qui lui ont fourni un prêt budgétaire particulièrement massif.
* 58 Cette évolution est d'ailleurs toujours en cours.