B. LA FORMATION CONTINUE : INDISPENSABLE AU DÉPLOIEMENT HOMOGÈNE ET VERTUEUX DES OUTILS D'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE GÉNÉRATIVE AU SEIN DE CHAQUE PROFESSION

1. L'offre de formation continue s'adapte progressivement à l'affirmation des outils d'intelligence artificielle générative

L'ensemble des représentants des autorités juridictionnelles entendus par les rapporteurs tient pour essentielle l'adaptation de la formation continue au développement et, partant, à l'adoption de l'intelligence artificielle générative. Cette unanimité résulte du constat dressé supra quant aux spécificités de cette technologie. L'usage de cette dernière exige, en effet, une certaine connaissance de ses modalités de fonctionnement. Une formation est donc nécessaire pour apprendre à interagir avec ces modèles (« prompt engineering ») et donc pouvoir bénéficier véritablement de leurs potentialités. Si cette compétence semble technique, il est malgré tout essentiel que les professionnels du droit l'assimilent, car ils ont vocation à recourir eux-mêmes à ces outils d'intelligence artificielle générative.

Au-delà de ces compétences techniques, il apparaît primordial de définir et de diffuser des règles d'usage de l'intelligence artificielle générative, pour que ses utilisateurs soient conscients des limites de ces modèles probabilistes et qu'ils se conforment à la réglementation en vigueur lorsqu'ils y recourent, comme aux obligations déontologiques qui leur sont spécifiques. Aussi, le fait que l'usage de ces algorithmes obéira en principe essentiellement aux codes de bonne pratique édictés par les ordres professionnels souligne l'importance structurante de la formation par les pairs.

Cet impératif de formation vaut ainsi tant pour la formation initiale, que pour la formation continue. Le succès du déploiement des instruments d'intelligence artificielle générative repose en effet sur la formation effective des actifs à leur usage, ce dont conviennent tous les représentants des professions juridiques auditionnés.

Aussi, la plupart des ordres professionnels et des écoles de droit adaptent progressivement leur catalogue de formation continue pour y inclure des modules relatifs aux logiciels d'intelligence artificielle générative.

Le conseil national des barreaux souligne l'importance de la sensibilisation des avocats aux enjeux de l'intelligence artificielle générative et de leur formation à son utilisation. Il signale que les écoles d'avocats procèdent actuellement à l'adaptation de leurs programmes de formation continue. Les barreaux peuvent en outre également participer à cette démarche de formation. Le barreau de Paris conçoit par exemple, dans le cadre de la formation continue, un cycle consacré spécifiquement à l'intelligence artificielle générative, qui sera gratuit et accessible au plus grand nombre d'avocats.

Le conseil supérieur du notariat (CSN) tient également pour nécessaire l'adaptation de la formation continue des notaires. Des modules consacrés aux divers enjeux que charrie l'intelligence artificielle générative pour la profession notariale sont ainsi conçus. La chambre des notaires de Paris a par exemple décidé de concevoir des modules relatifs à l'intelligence artificielle générative en collaboration avec les Universités de Saclay et de Paris II Panthéon-Assas. Cette institution oeuvre par ailleurs à l'identification de cas d'usage propres au métier de notaire, pour élaborer un apprentissage par « preuve de concept » ; cette méthode consiste en l'enseignement, par la pratique, des enjeux d'une technologie.

L'INFN a également souligné l'adaptation de son catalogue de formation continue. Plusieurs modules relatifs à l'intelligence artificielle générative ont ainsi été introduits pour former les enseignants et le personnel administratif, notamment sur le site lyonnais de l'institut. Des sessions spécifiques de formation ont par ailleurs été proposées aux notaires - classe de maître (de l'anglais « master class ») lors des congrès de notaires ; formations à l'occasion du Notalab ; journées « expert » organisées à l'attention des collaborateurs et des notaires.

L'INCJ adapte son offre de formation continue par la création de plusieurs modules consacrés à l'intelligence artificielle générative. Il fait appel à des prestataires extérieurs spécialisés, car il ne dispose pas encore d'enseignants compétents en la matière. Cela souligne la nécessité d'organiser « la formation des formateurs ».

Le secrétariat général du ministère de la justice envisage bien d'adapter la formation continue des différentes professions judiciaires aux enjeux de l'intelligence artificielle générative, de la même manière qu'elle a toujours évolué au gré des évolutions numériques. La formation continue devra, à ce titre, intégrer trois volets principaux, que sont les questions éthiques soulevées par cette technologie, les risques que celle-ci entraîne en matière de cybersécurité comme de protection des données à caractère personnel, et l'apprentissage de son utilisation - de la rédaction des « prompts » à la nécessité de contrôler les résultats obtenus.

Les rapporteurs ont été informés par le secrétariat général du ministère de la justice que deux modules complets de formation figurent d'ores et déjà sur la plateforme interministérielle « Mentor » ; ces modules, à destination de tous les agents du ministère, reposent sur des supports divers - vidéos, documents et modules interactifs.

L'adaptation de la formation continue des magistrats est assurée par l'ENM, qui a enrichi son catalogue de sessions et de séquences dédiées à l'intelligence artificielle générative. L'ENM a en outre créé un groupe de travail spécifique, à qui il revient d'élaborer de nouvelles formations, notamment celles à destination des formateurs. L'école propose enfin un cycle approfondi du numérique, « CaNUM », qui a vocation à aborder les enjeux relatifs à l'intelligence artificielle générative.

L'ENG assure, elle aussi, l'intégration de formations consacrées à cette technologie dans son catalogue. Cette démarche apparaît en revanche récente. Ses représentants citent par exemple l'intégration à la formation « Manager l'innovation » d'une présentation relative aux apports de l'intelligence artificielle pour la gestion. L'adaptation de la formation continue de l'ENG à l'affirmation de l'intelligence artificielle générative devrait cependant progresser dans les prochains mois, car l'école a institué un groupe de travail auquel il revient de définir le cadre d'usage de cette technologie. L'ENG signale toutefois que le manque de formateurs sensibilisés à l'intelligence artificielle générative limite ses ambitions en la matière ; cela nécessite en conséquence l'intervention ponctuelle d'experts du domaine.

L'ENG participe enfin au groupe de travail « digitalisation » du réseau européen de formation judiciaire (REFJ), qui oeuvre à élaborer des formations dans le domaine de l'intelligence artificielle générative. Ces dernières seront intégrées au catalogue de formation continue de l'école.

Les juridictions administratives partagent, avec l'autorité judiciaire, cette conscience de la nécessité d'adapter la formation continue aux enjeux spécifiques à l'intelligence artificielle générative. Le Conseil d'État a ainsi indiqué aux rapporteurs qu'il fournit déjà aux magistrats et aux membres du Conseil d'État une information au sujet des risques spécifiques qu'entraîne l'usage de ces algorithmes. Enfin, le Conseil d'État conçoit actuellement une formation tant théorique que pratique à ce sujet, qui devrait être dispensée au sein des juridictions administratives, et s'articuler avec la charge du bon usage de l'intelligence artificielle en cours d'élaboration.

Si ces nombreux exemples témoignent de l'effort fourni pour adapter la formation continue au développement de l'intelligence artificielle générative, les rapporteurs estiment qu'il importe de l'accentuer pour favoriser l'adoption de cette technologie par les professions juridiques. Il apparaît en effet que l'essentiel des modules dédiés à ces enjeux demeure à l'état de projet. Or, les applications à la matière juridique des logiciels d'intelligence artificielle générative connaissent une augmentation significative et rapide - et leur succès repose sur la qualité de la formation continue dispensée aux professionnels du droit. Cette dernière permettra de prévenir les mauvais usages de cette technologie et d'en exploiter les avantages manifestes.

Proposition n° 14 : Poursuivre - et accélérer - l'adaptation de la formation continue aux enjeux et à l'utilisation de l'intelligence artificielle générative.

2. La diffusion de l'offre de formation continue accompagnera et amplifiera le développement des logiciels d'intelligence artificielle générative

La nature de l'intelligence artificielle générative et la diversité des tâches à la réalisation desquelles cette technologie pourrait être associée justifient la nécessité de développer de nouvelles formes de formation continue et de les diffuser auprès de l'ensemble du personnel qui entoure les professionnels du droit.

L'adoption de modalités diverses de formation s'explique par le développement rapide de cette technologie et de l'offre de logiciels qui en découle, autant que par l'adaptation progressive de la formation continue classique à ce phénomène. Il apparaît ainsi judicieux aux rapporteurs d'encourager la formation par les pairs et la formation interne.

Si plusieurs personnes auditionnées ne constatent pas d'approche différenciée dans l'adoption de cette technologie en fonction des générations, il apparaît toutefois précieux d'encourager de nouvelles modalités de formation aux enjeux et à l'usage de l'intelligence artificielle générative. Le CSN suggère ainsi le recours à des méthodes de formation numériques pour faciliter la diffusion des connaissances en la matière. Il estime à cet égard opportun d'élaborer différents modules de formation accessibles en ligne (« e-learning » et « massive open online course »). Les rapporteurs partagent cette analyse et jugent en effet utile de recourir à des modalités de formation qui permettent une diffusion rapide et généralisée de cette dernière.

Le CNB souligne en outre que plusieurs cabinets d'avocats organisent la formation interne de leurs associés et collaborateurs à la formulation d'invites, ou prompt engineering. Il cite notamment les exemples d'Orrick, Herrington et Sutcliffe et de K&L Gates, qui dispensent à leurs stagiaires d'été une formation relative à l'intelligence artificielle générative, et du cabinet MinterEllison, qui récompense ses avocats avec une monnaie numérique interne au cabinet lorsqu'ils suivent des modules de formation en la matière.

Le développement de la formation interne constitue, pour les rapporteurs, un moyen efficace de diffuser les bonnes pratiques en matière d'intelligence artificielle générative. Il serait à cet égard bienvenu de favoriser des modalités spécifiques de formation, suivant, par exemple, la logique dite du « reverse mentoring », qui consiste à demander aux agents issus de générations habituées à l'usage des outils d'intelligence artificielle générative, de sensibiliser à ces outils les professionnels plus expérimentés.

Proposition n° 15 : Encourager de nouvelles modalités de formation, qui favorisent notamment la formation des professionnels les plus expérimentés par de jeunes collaborateurs compétents en matière d'intelligence artificielle (« reverse mentoring »).

Au-delà, l'élaboration des guides professionnels de bonnes pratiques en matière d'intelligence artificielle générative devra être suivie d'une diffusion de ces derniers, dont l'amplitude et la qualité dépendront de l'engagement des personnels encadrants. Ils devront veiller à l'appropriation, par leurs pairs, de ces guides, qui constituent la première étape de la formation relative à l'intelligence artificielle générative.

Les particularités de cette technologie justifient au surplus d'étendre cette formation à l'ensemble du personnel des structures concernées - qu'il s'agisse d'un cabinet d'avocats, d'un office notarial, d'une juridiction ou d'une autre organisation. Si le professionnel du droit est, comme cela a été expliqué supra, l'utilisateur privilégié des outils d'intelligence artificielle générative, il apparaît toutefois essentiel que ses différents assistants reçoivent une formation à ce sujet.

L'INFN souligne à ce titre la nécessité d'organiser la formation des collaborateurs des notaires, dans le cadre des brevets de technicien supérieur (BTS) et du diplôme des métiers du notariat, voire d'envisager la création de nouvelles professions liées à l'usage de l'intelligence artificielle générative.

La nécessité d'assurer une formation généralisée des personnels tient à la nature de cette technologie, qui embrasse une diversité de tâches significative, et à la sensibilité des informations que traitent les professionnels du droit. Les rapporteurs recommandent donc d'offrir une formation générale des effectifs au sujet de l'intelligence artificielle générative, démarche d'autant plus importante que, selon une étude Ifop pour Talan de mai 2023, parmi les Français qui déclarent utiliser les dispositifs d'intelligence artificielle générative dans leur cadre professionnel, 68 % d'entre eux omettent d'en informer leur supérieur131(*).

Proposition n° 16 : veiller à la formation de l'ensemble du personnel - et non seulement des professions juridiques - aux enjeux de l'intelligence artificielle générative.


* 131 Ifop, « Les Français et les intelligences artificielles génératives », mai 2023.

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